Malte est un petit garçon de cinq ans qui vit dans un foyer perturbé : maman et son compagnon, Ove, se disputent souvent. Ove frappe maman et après elle boit. Quand elle a bu, elle s’endort. A la maison le ménage est rarement fait. Des vêtements, des emballages, des cadavres de bouteilles traînent partout. Mais maman a prévenu Malte : il ne doit jamais parler à la crèche de ce qui se passe à la maison. Sinon on viendra le prendre et ils seront séparés.
A la crèche, Malte est un enfant silencieux et bagarreur. Autour de la crèche tourne Roger qui entre en contact avec Malte puis avec sa mère à qui il propose de garder le petit à l’occasion, pour la décharger. En face de la crèche vit le Témoin qui sort rarement de chez lui mais observe tout depuis sa fenêtre. Les agissements de Roger ne lui échappent pas et lui rappellent de mauvais souvenirs.
Il est question dans ce roman de prédateurs pédophiles, un sujet difficile mené avec délicatesse. L’histoire est racontée à hauteur d’enfant mais l’auteure nous fait partager aussi le point de vue des adultes. Ceux qui ne voient pas ce qui se passe sous leurs yeux, ceux qui voient et se demandent ce qu’ils doivent faire. Je retrouve le thème cher à Sara Lövestam de l’acceptation de la différence à travers un personnage transgenre : « J’aimerais que quand on me regarde, on voie un être humain, j’aimerais inspirer la curiosité ou le désintérêt en raison de mes connaissances ou de ma personnalité. Mais les gens que je rencontre se disent tous : Est-ce que c’est un homme ou une femme ? »
« Si la police ne peut rien pour vous, n’hésitez pas à faire appel à moi ».
Kouplan, jeune réfugié iranien en Suède, sans papiers, propose ses services sur internet comme détective privé. Il est contacté par Pernilla dont la fille Julia, six ans, a été enlevée il y a près d’une semaine. Pernilla n’a pas alerté la police. Tout comme Kouplan, elle ne tient manifestement pas à ce que les autorités s’intéressent à elle. Pourquoi ? En tant que clandestin, en tout cas, Kouplan a des contacts parmi les gens qui se cachent. Il va les activer pour retrouver Julia et découvrir des agissements pas bien sympathiques.
J’ai beaucoup apprécié ce très bon policier que je pourrais qualifier de thriller psychologique. Ici, pas de tueur psychopathe mais des truands de base qui trempent dans la traite des femmes. Cela n’empêche pas qu’il y ait du suspense, qui repose sur les secrets des personnages. Sara Lövestam affectionne les gens différents, qui n’ont pas les bons papiers : étranger, fou, queer. Elle les décrit avec bienveillance, avant tout comme des êtres humains, ce que je trouve très plaisant.
Le dénouement est plutôt inattendu, bien amené, crédible et moralement satisfaisant. C’est une lecture positive, qui m’a fait du bien et qui m’a donné envie d’explorer plus avant l’oeuvre de cette auteure que je ne connaissais pas.
J’aime bien aller à l’hôtel. On n’a besoin de s’occuper de rien. Anonyme dans un lieu inconnu on peut s’imaginer une autre vie pour une nuit ou pour quelques jours.
Rudolf Brazda (1913-2011) est né en Allemagne de parents Tchèques. Condamné en 1937 pour homosexualité il est expulsé d’Allemagne et choisit de s’installer en Tchécoslovaquie. Après l’annexion du pays par les nazis il est de nouveau condamné et envoyé au camp de concentration de Buchenwald en août 1942. Affecté d’abord à la carrière de pierre du camp, où le travail est particulièrement dur, Rudolf doit ensuite à son métier de couvreur de se retrouver dans un kommando bâtiment, moins rude. Il y fait la connaissance de Fernand Beinert, originaire d’Alsace et communiste comme lui avec qui il se lie d’amitié. Il y a une solidarité entre les détenus communistes qui fait partie des éléments qui ont permis à Rudolf de survivre. Après la libération de Buchenwald, Rudolf suit Fernand en Alsace, où il se fixe.
Jean-Luc Schwab est délégué régional en Alsace de l’association Les oublié-e-s de la mémoire qui oeuvre pour la connaissance et la reconnaissance de la déportation pour motif d’homosexualité. Il a fait la connaissance de Rudolf en 2008 après avoir lu un article sur lui dans la presse locale. A partir de ce moment là ils se sont rencontrés régulièrement et ils ont voyagé ensemble sur les anciens lieux de vie et de déportation de Rudolf. L’auteur a croisé les entretiens qu’ils ont eu avec des témoignages d’autres personnes et des recherches dans les archives allemandes, tchèques et françaises.
J’ai apprécié de découvrir la vie insouciante de Rudolf avant son arrestation, dans une petite communauté homosexuelle qui ne se cache pas vraiment malgré les nazis et la délation. J’ai appris des choses sur le fonctionnement du camp de Buchenwald -je crois bien que je n’avais jamais rien lu sur ce camp. Les déportés pour homosexualité y ont toujours été minoritaires (moins de 1 %). Ils sont 75 à la fin de l’année 1942, 189 fin 1944. On estime aujourd’hui qu’en tout 10 000 personnes ont été déportées pour homosexualité dont 40 % seulement ont survécu.
La tradition façon vegan C’est le titre et le concept (proposer des adaptations véganes des classiques de la cuisine française) qui m’ont attirée vers cet ouvrage. Après une introduction dans laquelle l’auteur se présente lui-même puis présente quelques bases de la cuisine végane (remplacer la viande, remplacer la crèmerie) et de la cuisine tout court (tailles des légumes), les recettes sont classées en trois sections : les entrées : salade niçoise, quiche lorraine… les plats : blanquette à l’ancienne, choucroute garnie… les garnitures : ratatouille niçoise (ça je n’en avais jamais vu de version avec des produits animaux, de toute façon), champignons farcis…
C’est un livre grand format, avec de très nombreuses photos pleine page (ce que j’apprécie) et très classe. Il adopte le code couleur de son auteur (plusieurs photos de lui me laissent à penser que Sébastien Kardinal aime le noir) : fond noir, photos et pages encadrées de noir -ce qui peut avoir un petit côté faire-part de décès. Personnellement je trouve surtout que ça fait un peu m’as-tu-vu. J’ai été un peu déçue par les recettes que j’ai essayées. Elles demandent pas mal de travail et ne sont pas toujours aussi goûteuses que je l’aurais souhaité. Marie Laforêt propose parfois ces mêmes plats dans des versions que je préfère.
La recette du jour est le hachis parmentier, pour 6 personnes : Ingrédients : 1 kg de pommes de terre bintje 1 carotte 1 branche de céleri 1 oignon 1 échalote 1 gousse d’ail 20 cl de lait de soja 100 g de protéines de soja texturé (fin) 1/2 l de bouillon de légumes 1 c-à-s de paprika fumé huile d’olive, sel, poivre, noix de muscade, chapelure
Recette : Laver et éplucher les pommes de terre, les tailler en gros morceaux puis les faire cuire dans un grand volume d’eau bouillante salée durant 25 à 30 mn. Vérifier la cuisson à l’aide de la pointe d’un couteau. Egoutter les pommes de terre et les écraser à l’aide d’un presse purée. Délayer avec le lait de soja, 1 c-à-s d’huile d’olive, mélanger jusqu’à obtenir une texture onctueuse et lisse. Saler, poivrer et râper 1/8° de noix de muscade (ça me paraît énorme), mélanger et réserver.
Nettoyer et tailler en petits dés la carotte, la branche de céleri, l’oignon et l’échalote. Ecraser la gousse d’ail et faire revenir tous les légumes dans une grande poêle avec un filet d’huile d’olive durant 5 mn à feu vif. Pendant ce temps, réhydrater le soja texturé avec le bouillon et assaisonner avec le paprika fumé, laisser poser 1 mn et mélanger.
Ajouter le soja texturé aux légumes et laisser revenir ensemble durant quelques minutes. Goûter et corriger l’assaisonnement si besoin.
Dans un plat à gratin, verser la préparation de hachis, couvrir avec la purée et saupoudrer généreusement de chapelure. Enfourner dans un four chaud à 180°C durant 30 à 40 mn.
Ma variante : j’ai trouvé que la couverture de chapelure était un peu sèche. Je vous propose une alternative, c’est celle de Marie Laforêt : un mélange de 5 c-à-s de levure maltée, 3 c-à-s d’huile d’olive et 7 c-à-s de crème de soja que l’on étale dessus : délicieux.
Les protéines de soja texturé, qu’est-ce que c’est ? On les appelle aussi PST. Il y en a de plusieurs tailles : petites, moyennes, escalopes… C’est un ingrédient sec fabriqué à partir de farine de soja. On les fait tremper dans du bouillon épicé pour les réhydrater avant de les cuisiner. Les petites ressemblent alors à s’y méprendre à de la viande hachée (mais je n’irais pas prétendre qu’elles en ont le goût). Je les achète dans mon magasin bio habituel. Dans un magasin végétarien ou végane on aurait plus de choix sur la taille et la forme.
« Ce qui vieillit un être, vois-tu, ce sont les adieux ; plus on a fait d’adieux dans sa vie, et plus on est vieux. »
Tanguy est né en Espagne juste avant la guerre civile. En 1939, il a 5 ans, sa mère et lui fuient pour la France où ils retrouvent le père de Tanguy qui est Français. Puis, un temps, mère et fils sont internés au camp de Rieucros en Lozère, un camp de concentration français pour les indésirables et les étrangers. Puis ils sont séparés et Tanguy est envoyé dans un nouveau camp de concentration, en Allemagne cette fois. Il a 12 ans. Après la guerre il est de nouveau interné mais à présent dans un orphelinat et centre de redressement espagnol. Cela vaut le camp de concentration. D’ailleurs les acolytes de la direction, choisis parmi les pensionnaires de droit commun, sont appelés kapos.
Tanguy c’est Michel del Castillo enfant car derrière ce récit d’une jeunesse précaire et ballotée, il y a une histoire vraie. Je suis admirative de la force de caractère dont à fait preuve l’auteur, et si jeune, pour ne pas sombrer dans la violence et continuer de croire en l’amour. C’est qu’à chaque étape de son parcours il y a eu de belles rencontres, des personnes qui -même au fond de la plus grande misère- lui ont montré le côté positif de l’être humain : Rachel, l’internée juive de Rieucros ; Gunther, le prisonnier allemand du camp de concentration ; Firmin, le jeune parricide du centre de correction ; enfin le bon père Pardo et l’oncle Norbert et sa femme qui suppléent les parents défaillants. Mais ça a aussi été la force de Michel del Castillo de saisir ces occasions, de s’y accrocher et de s’en nourrir.
J’ai apprécié cette lecture d’un auteur que je ne connaissais pas et ça me donne envie d’en découvrir plus de lui. J’ai aimé aussi l’écriture. Tanguy n’est pas le narrateur et semble observer tout ce qui lui arrive avec détachement.
Josée (1911-1992) était la fille unique de Pierre Laval. Le père et la fille avaient une relation privilégiée faite d’amour et d’admiration réciproques et qui n’a jamais faibli. Jeune fille, Josée Laval accompagne son père -alors président du conseil- dans ses déplacements officiels. Elle remplace sa mère qui n’aime pas les mondanités. En 1935 elle épouse René de Chambrun et en 1936 elle commence à tenir des carnets dans lesquels elle note, en abrégé, les événements de sa vie. C’est sur cette matière première que s’est appuyé Yves Pourcher pour rédiger son livre. Il a eu accès aussi à la correspondance de Josée Laval.
La vie de Josée Laval est une vie de mondanités où l’argent n’est jamais un problème. Elle mange au restaurant plusieurs fois par semaine, elle va dans des soirées où elle rencontre le tout Paris, aux défilés des grands couturiers chez qui elle s’habille, le week-end aux courses pour parier. Avec son mari qui a la citoyenneté américaine, ils voyagent beaucoup, vers les Etats-Unis jusqu’à trois fois par an (trajet en bateau qui dure cinq jours). Ces activités sont à peine perturbées par l’Occupation (seuls les voyages aux Etats-Unis sont suspendus). Dans ses carnets, elle continue d’énumérer ses rencontres. Maintenant, des noms allemands se mêlent aux français. Parmi les Français, collaborateurs politiques ou mondains, on retrouve très fréquemment René Bousquet, Jean Jardin, Paul Morand, Coco Chanel et Arletty.
Cette vie déconnectée du réel m’a fascinée. Je me suis demandée pendant un bout de temps quelle était la position de l’auteur qui livre souvent le document sans jugement personnel. Et puis, sans avoir l’air d’y toucher, il dit les choses. Ainsi à propos de la raffle du Vel’ d’hiv : « Le lieutenant Gerhard Heller de la Propaganda-Stafel dira plus tard : « Lorsque j’appris les massacres des ghettos et des camps d’extermination, que je vis en juillet 1942, les files d’enfants juifs conduits vers des wagons à bestiaux à la gare d’Austerlitz, j’eus les yeux définitivement ouverts par ces horreurs. » Ce jour-là, René de Chambrun gagne aux courses de Maison-Laffitte. Maurice d’Arhempé et Raimu passent voir Josée et ils restent dîner. Le lendemain, Benoist-Méchin vient pour le repas du soir. Il accepte de prendre le chien qu’elle a trouvé et qu’elle a appelé Hyménée. » Cela me fait penser au « Rien » marqué à la date du 14 juillet 1789 par Louis 16 dans son carnet de chasse.
A aucun moment Josée ne s’oppose aux choix politiques de son père qu’elle considère comme un patriote, voire même un résistant. Son exécution en octobre 1945 est pour elle un assassinat. Elle ne s’en est jamais remise et s’est dès lors consacrée au culte de Laval. A une amie qui lui demande : « Tu travailles à la réhabilitation de ton père ? », elle répond : « Est-ce qu’on réhabilite Jésus-Christ ? ». Autour d’elle s’est constitué un petit groupe de fidèles.
La description de la France des années 1930 renvoie parfois de façon troublante à la situation actuelle : « Dans une France en crise où le nombre des chômeurs ne cesse de grossir, les gouvernements se succèdent sans résultats tangibles. Le mécontentement est général et la menace extérieure, depuis qu’Hitler a pris le pouvoir en Allemagne, inquiète. Exploités par la presse, L’Action française, Candide et Gringoire en tête, les scandales jettent le discrédit sur la classe politique ».
Cette lecture m’amène ainsi à me poser des questions sur les choix individuels. Où commence la collaboration ? Je vois des acteurs célèbres qui continuent de jouer dans des salles dont le public est composé en partie des forces d’occupation. En même temps, il faut bien vivre. Et puis je lis la relation du scandale causé par la mise en scène d’Andromaque par Jean Marais et je comprends que jouer peut aussi être une forme de résistance.
J’ai trouvé cet ouvrage passionnant. Contrairement à ce que m’avait laissé penser le titre, le sujet n’est pas Pierre Laval mais plutôt Josée et la relation entre Josée et Pierre. Je suis obligée de dire que leur amour inconditionnel humanise ce dernier et le rend presque sympathique. Ca m’a donné envie de lire maintenant une biographie de Laval ou une histoire de Vichy.
Paris, mai 1897. Violaine de Raezal est une jeune veuve qui aimerait tenir un stand au bazar de la charité dont l’ouverture est proche.Seulement les places sont chères car, si cette manisfestation est une oeuvre de bienfaisance, elle est avant tout un événement mondain auquel toutes les femmes de la bonne société parisienne souhaitent se montrer. Or le passé de Violaine est entaché d’une rumeur de scandale et son mari n’est plus là pour la protéger. C’est dire sa joie quand la duchesse d’Alençon, princesse de Bavière (la soeur de l’impératrice Sissi !) lui propose une place à son stand. Violaine va ainsi faire la connaissance de Constance d’Estingel, une jeune femme qui vient de rompre ses fiançailles, soudainement et sans donner d’explication, et d’une amie américaine de la duchesse.
Gaëlle Nohant est partie du fait divers tragique de l’incendie du bazar de la charité et a construit son histoire à la façon d’un roman feuilleton. Les épisodes rocambolesques se succèdent : rumeur, duel, internement en maison de fous… Je découvre toute l’organisation de ce bazar de la charité. Une petite recherche sur internet m’apprend qu’une chapelle a été construite sur les lieux du drame et qu’elle est, aujourd’hui encore, gérée par une association en mémoire des victimes. Le cadre du roman est celui du gratin parisien de l’époque, composé de descendants de la noblesse et de grands bourgeois, qui vivent et pensent comme si la Révolution française n’était pas passée par là.
Les crimes de Mary Bell En 1968, Mary Bell, 11 ans, a été reconnue coupable des assassinats de deux petits garçons de quatre et trois ans, à deux mois d’intervalle. Gitta Sereny a assisté au procès comme journaliste et en a tiré un livre (Meurtrière à 11 ans). A l’époque, même si elle n’a jamais douté de la culpabilité de Mary, elle est catastrophée de constater que la majorité des personnes qui s’intéressent à l’affaire semblent considérer Mary comme un monstre, une enfant perverse. Gitta Sereny, quant à elle, pour avoir travaillé 20 ans auparavant avec des enfants rescapés de camps de travail forcé nazis, reconnaît en Mary une enfant traumatisée par son passé. Qu’a vécu cette petite fille pour en arriver à tuer ? La justice britannique ne se posera pas la question. Mary Bell est condamnée à la détention à perpétuité.
Mary Bell a retrouvé la liberté en 1980. 30 ans après les faits Gitta Sereny la contacte pour lui proposer une série d’entretiens dont va émerger cet ouvrage, paru au Royaume-uni en 1998 et traduit en français en 2014. Les entretiens s’étalent sur trois ans. Gitta Sereny interroge Mary sur sa détention, sur les événements de 1968, sur sa petite enfance, sur ses relations avec sa mère. Je trouve que ça joue un peu un rôle de thérapie. En tout cas ça conduit Mary à reconnaître qu’elle a bien tué les deux garçons -depuis son procès elle parlait d’accident- et à retrouver les graves violences dont elle avait été victime et qui peuvent expliquer son comportement.
Dans ce fort intéressant ouvrage, l’auteure exprime très clairement son désaccord avec une justice qui, dès 10 ans, traite les enfants comme les adultes et ne s’interroge pas sur l’origine de la violence. Un enfant de 11 ans comprend-il que la mort c’est pour toujours ? Pourrait-on éviter des crimes commis par de très jeunes enfants en étant plus attentif aux signaux de détresse qu’ils émettent ? Quelle vie après une adolescence passée en détention ? Gitta Sereny aborde de nombreuses questions de façon très intelligente. En face d’elle elle a aussi une femme intelligente et qui s’est posée beaucoup de questions.
J’ai beaucoup apprécié cet ouvrage. Ca m’a fait repenser à un policier que j’avais lu et qui traitait aussi d’enfants accusés de crime. En relisant la notice que j’en avais fait, je constate que ça se passait à Newcastle, comme l’histoire de Mary Bell.
Un bourreau parle : Franz Stangl, commandant de Treblinka J’avais beaucoup apprécié le travail mené par Gitta Sereny Dans Une si jolie petite fille et j’ai donc emprunté Au fond des ténèbres, disponible aussi à ma bibliothèque. Paru en 1974, cet ouvrage est le troisième de l’auteure.
En 1970 l’Allemagne juge Franz Stangl qui commença sa carrière de serviteur de la politique d’extermination des nazis au programme T4 (assassinat des handicapés) puis fut commandant des centres de mise à mort de Sobibor puis de Treblinka. Il est condamné à la prison à vie pour complicité dans l’assassinat de 900 000 personnes à Treblinka. Après le verdict, Gitta Sereny obtient l’autorisation de s’entretenir avec lui. Son objectif est de comprendre « comment des êtres humains apparemment normaux [ont] été amenés à perpétrer de tels crimes ». Les entretiens s’étendent sur 6 semaines. Stangl est mort le lendemain du dernier. Pour réaliser ce « livre fondamental et jusqu’ici insurpassé », comme le dit Annette Wieviorka dans sa préface à Je suis le dernier Juif, Gitta Sereny a aussi rencontré de nombreux témoins, bourreaux ou survivants, familles, et étudié des documents d’archives.
On découvre un personnage assez pitoyable qui a intériorisé les préjugés antisémites (notamment sur la richesse des Juifs) si bien qu’il peut jurer à son interlocutrice qu’il n’est absolument pas antisémite alors même qu’il lui ressert ces stéréotypes. En ce qui concerne sa carrière, Franz Stangl se présente comme agi et non acteur : les circonstances l’ont amené là, il n’en est en rien responsable et une fois engagé il ne pouvait pas refuser sans mettre en danger sa vie et sa famille. Il s’est contenté de faire son travail consciencieusement mais c’était un travail administratif et il n’a donc pas de sang sur les mains. Gitta Sereny recoupe les informations pour déconstruire ces défenses, mettre Stangl face à ses contradictions et faire apparaître « l’homme double qu’il [est] devenu pour survivre ». Il me semble que celui que Himmler surnommait « notre meilleur commandant » représente parfaitement la banalité du mal.
Sur le fonctionnement du camp, les conditions de survie des déportés sélectionnés pour faire le travail et leurs relations avec les gardiens, il y a des témoignages fort intéressants de survivants parmi lesquels je distingue celui de Richard Glazar, un homme intelligent dont je trouve les analyses très pertinentes.
Enfin, Gitta Sereny a aussi été amenée à interroger le comportement de l’Eglise catholique et du Vatican face au nazisme, à l’assassinat des handicapés et à la shoah (Stangl était Autrichien et sa femme une catholique pratiquante) : réactions tardives et peu véhémentes aux massacres et -à partir de 1945- aide apportée aux nazis qui souhaitaient quitter l’Europe. Stangl en a profité et a vécu au Brésil en famille et sans se cacher jusqu’au moment où il a été « découvert » par le chasseur de nazis Simon Wiesenthal. Là aussi l’auteure démonte les excuses qui voudraient que ces agissements n’aient été que le fait de quelques individus : « La structure, la discipline particulière et le paternalisme foncier de l’Eglise catholique empêchent pratiquement tout prêtre catholique (comme tout autre religieux) d’accomplir n’importe quelle action de poids à l’insu de son confesseur et de son supérieur hiérarchique. (…) Il est improbable (…) -sinon impossible- que des prêtres aient pu aider individuellement à Rome, à l’insu de leurs supérieurs, des criminels nazis à fuir au-delà des mers ». Il me semble que tout cela n’a pas changé quand je pense aux récents scandales de pédophilie.
C’est donc un ouvrage passionnant et instructif à plus d’un point quoique parfois un peu dur du fait de son contenu. Encore une fois je suis admirative devant le travail de qualité mené par Gitta Sereny, sa capacité à poser les questions justes, à aller au fond des choses tout en gardant un regard objectif et à susciter ainsi la confiance de ses interlocuteurs. Dans la foulée j’ai relu Je suis le dernier Juif, de Chil Rajchman, survivant de Treblinka. L’optique n’est pas du tout la même car dans ce témoignage « à chaud » on est précisément au fond des ténèbres mais ça vient bien compléter, de même que la préface d’Annette Wieviorka.