Le narrateur, Gaby Aspinall, est acheteur chez Arema, une grosse entreprise basée à Lyon. Son travail consiste à convaincre les fournisseurs de concéder des prix toujours pus serrés à Arema. Il sait quels arguments utiliser et tire un certain plaisir à humilier ses interlocuteurs.
Au moment de la rédaction de ce livre, Jacky Schwartzmann travaille à Lyon dans une multinationale, expérience dont il s’est inspiré, paraît-il, pour écrire son roman. C’est une plongée grinçante dans l’univers impitoyable de ces grandes boîtes mondialisées où les cadres gagnent des fortunes pendant que les sous-traitant sont pressurisés. Il s’agit de faire de l’argent au mépris des personnes. Le narrateur est un rouage de ce système, très lucide sur tout ce qu’il a de détestable mais y participant volontiers. L’intérêt du roman réside dans cette satire du capitalisme.
Comme les narrateurs des précédents romans de Jacky Schwartzmann que j’ai lus Gaby Aspinall a son franc-parler et est volontiers grossier. Il peut aussi être ordurier quand il parle des femmes. L’auteur nous balade un peu et on peut croire un moment que le personnage connaîtra une rédemption mais la fin est totalement immorale où le crime paie. Cette fin m’a déplu. Du même auteur mieux vaut lire Bastion ou Demain c’est loin.
L’histoire folle de la collection Gurlitt Un contrôle douanier dans un train en 2010 amène la police allemande à perquisitionner chez Cornelius Gurlitt à Munich. Là les agents découvrent une extraordinaire collection amassée par Hildebrand Gurlitt, le père de Cornelius, et composée de près de 1300 œuvres d‘art dont beaucoup, disparues pendant la seconde guerre mondiale, étaient supposées détruites.
Hildebrand Gurlitt (1895-1956) est issu d’une famille bourgeoise amatrice d’art. Il étudie l’histoire des arts et fréquente des artistes d’avant garde. Il commence une collection personnelle, devient directeur de musées et promeut la peinture expressionniste dans le cadre de son travail. Il apprécie particulièrement ce que les nazis qualifient d’art « dégénéré » ce qui lui vaut de perdre son emploi en 1933. Il s’établit alors comme marchand d’art et, à partir de 1938, travaille directement avec les nazis. Son rôle consiste à vendre à l’étranger des œuvres spoliées pour alimenter l’effort de guerre allemand. Au passage il poursuit sa propre collection en achetant des tableaux à des prix défiant toute concurrence.
La biographie de Hildebrand Gurlitt et l’histoire de sa collection sont l’occasion pour Dimitri Delmas de nous présenter des peintres parmi ceux fréquentés ou collectionnés par Gurlitt ; l’opération d’envergure de pillage d’oeuvres d’arts orchestrée par les nazis -avec la complicité de marchands d’art comme Gurlitt- notamment en France ou le travail des Monuments men américains pour retrouver après guerre une partie de ces œuvres. Le livre au format A5 est écrit gros et illustré de nombreuses photos, dessins de l’auteur et planches de bande dessinée. Dimitri Delmas est en effet aussi illustrateur. Le résultat est un ouvrage fort intéressant, qui se lit facilement et vient compléter ma lecture de Deux filles nues. C’est d’ailleurs dans la bibliographie de ce dernier livre que j’ai trouvé le présent titre.
Ce recueil rassemble trois nouvelles, trois récits noirs.
Journal d’un tueur sentimental : le narrateur est un tueur à gages qui se croit sentimental parce qu’il a une femme « dans la peau » et qu’il a, par amour pour elle violé plusieurs règles de sécurité des tueurs professionnels. La chute est assez prévisible et le personnage ne m’est pas sympathique.
J’aime beaucoup mieux le héros de Hot line, un policier mapuche à la gâchette facile, muté à la capitale par mesure disciplinaire. Il est question d’un tortionnaire de l’époque de la dictature qui finira par payer ses crimes.
Dans Yacaré l’enquête porte sur la mort suspecte d’un dirigeant d’une grosse compagnie de maroquinerie italienne. Derrière la façade respectable, le pillage du territoire d’un peuple autochtone brésilien.
La deuxième et la troisième nouvelles me plaisent mieux. J’y retrouve les préoccupations de Luis Sepúlveda pour le sort des Amérindiens. L’ensemble se lit facilement mais ne me laissera pas un souvenir impérissable.
Femme de chambre, Célestine rejoint une nouvelle place dans le bourg du Mesnil-Roy en Normandie. Elle qui a presque toujours travaillé à Paris répugne à s’enterrer ainsi en province au milieu de paysans grossiers. Mais, elle le dit elle-même, elle est incapable de garder une place et c’est tout ce qu’elle a trouvé. Célestine tient en effet un journal dans lequel alternent des passages sur sa vie au Mesnil-Roy, des souvenirs de places précédentes et des considérations sur la condition de domestique.
Célestine dit aimer son métier mais elle n’aime pas ses patrons. Aucun ne trouve grâce à ses yeux : près de leurs sous, trop autoritaires, se méfiant de leurs domestiques, les exploitant pour un salaire de misère, les traitant pire que des chiens ou, à l’inverse, des naïfs qui méritent qu’on les vole. Surtout elle abomine l’hypocrisie de ces bourgeois : sous des apparences de respectabilité ce sont des dessous sales et un goût à se vautrer dans l’ordure qui l’écoeurent. On parle ici de sexe car Célestine est aux premières loges pour juger des pratiques sexuelles de ses maîtres. On comprend qu’elle même a été victime d’abus dans l’enfance et que, soumise aux sollicitations de ses patrons ou de collègues, elle en est venue à confondre le désir des hommes et le sien propre. Au travers de ce que Célestine dit du sexe c’est aussi la conception qu’Octave Mirbeau se faisait de la sexualité féminine qui transparaît : quand une femme dit non, elle veut en fait dire oui. Le roman suinte de misogynie, les violences contre les femmes sont minimisées.
Le personnage de Célestine ne m’est pas très sympathique. Homophobe et antisémite elle a aussi un goût pour la brutalité qui est peu plaisant. Si l’auteur me semble pertinent sur « l’enfer des bureaux de placement » ou l’esclavage moderne qu’est trop souvent la condition de domestique, son désir de dézinguer la bourgeoisie sans nuances l’amène à illustrer les scandales qu’il dénonce par des anecdotes caricaturales et de moins en moins crédibles à mesure que j’avance dans ma lecture.
Biographie romancée d’Albert Speer (1905-1981), architecte puis ministre de l’armement d’Hitler, ce livre est aussi une tentative de comprendre le fonctionnement de cet homme et de déconstruire l’image de lui-même qu’il a créée après guerre à ses yeux et à ceux de ses contemporains. Pour cela l’auteur s’appuie essentiellement, à ce que j’ai compris, sur l’autobiographie de Speer : Au coeur du Troisième Reich, et sur Albert Speer, son combat avec la vérité de Gitta Sereny. Les sources ne sont pas citées, il y en a sans doute d’autres.
D’origine bourgeoise, fils d’un architecte, Albert Speer a entretenu une relation particulière avec Hitler, une sorte d’amitié privilégiée. Ils parlaient d’art ensemble et Hitler qui avait voulu être un artiste semblait apprécier ce jeune architecte correspondant bien aux canons physiques de la « race aryenne ». Albert Speer devient l’architecte du Führer. C’est lui qui scénarise les grandes manifestations du Parti à Nuremberg, c’est lui qui prépare les plans et les maquettes de la future Germania, lui qui fait construire la nouvelle chancellerie du Reich. En 1942 il est nommé ministre de l’armement et de la production du Reich. Jugé à Nuremberg il prétend, contre toute évidence, avoir tout ignoré de la shoah. Son habileté tient à ce que, en même temps, il en accepte la culpabilité. Il échappe à la peine de mort et est condamné à une peine de prison pendant et à l’issue de laquelle il va s’attacher à réécrire son histoire et à en faire accepter la nouvelle version par ses contemporains. Il est assez efficace, se liant d’amitié avec le rabbin Raphael Geis, fréquentant Simon Wiesenthal et embobinant la journaliste et historienne Gitta Sereny.
De Gitta Sereny j’avais lu et apprécié Au fond des ténèbres, son travail sur un autre criminel nazi. A l’époque j’avais cherché en vain son livre sur Speer. Plus tard j’ai lu qu’elle s’était laissée manipuler par lui. Jean-Noël Orengo le pense aussi et en raconte les circonstances. Il dresse de Gitta Sereny un portrait mitigé, beaucoup moins positif que l’idée que je m’en faisais.
J’ai mis du temps à apprécier cette lecture que j’ai longtemps trouvé ennuyeuse. Je crois que c’est dû au style de l’auteur avec de nombreuses répétitions. J’ai trouvé intéressant ce que j’ai appris sur le travail de Speer à Nuremberg mais c’est rapide. Le dernier quart m’a mieux plu à partir du moment où Speer, sorti de prison, entreprend de réécrire son histoire. C’est aussi le moment où je comprends l’objectif de l’auteur de mettre à jour ces mensonges. J’ai trouvé ça bien fait mais ça met du temps à arriver.
Originaire de la cité des Buers à Lyon, François Feldman n’est pas aidé : un nom de Juif, une tête d’Arabe et le physique de Philip Seymour Hoffman. A 39 ans, pourtant, il vient d’avoir la révélation qui lui permettra, il en est sûr, de s’enrichir enfin. Reste plus qu’à convaincre sa banquière, Juliane Bacardi, une bourgeoise coincée, de lui accorder un prêt. Quand cette dernière se trouve, par un concours de circonstances inattendu, dépendre de François pour sa survie, le rapport de force s’inverse. En cavale ensemble François et Juliane vont devoir unir leurs compétences pour s’en sortir. C’est l’occasion de dépasser leurs préjugés et de faire vraiment connaissance de l’autre.
Après la découverte de Jacky Schwartzmann grâce à Bastion j’explore l’oeuvre de cet auteur disponible à ma bibliothèque. Ce sont les même ressorts ici : une histoire rocambolesque présentée par un narrateur qui à son franc-parler ; une critique de la société française contemporaine et de ses fractures sociales ; cela peut paraître caricatural mais c’est drôle et plaisant à lire. Par certains côtés cela me fait penser au travail d’Hannelore Cayre.
Dans une petite ville insulaire de Croatie habitants et gens de passage se préparent pour la grande fête locale de Sainte Marguerite : la fanfare municipale répète de nouveaux morceaux, un couple en mal d’enfant espère que Sainte Marguerite lui permettra de concevoir et, tandis que le baudet de Mikula brait, dit-on, chaque fois que quelqu’un fait « la chose », un jeune migrant syrien s’échoue sur une plage habituellement fréquentée par des homosexuels. Mon préféré dans cette galerie de personnages c’est le sympathique Krste, commandant de la police de l’île, jamais à court d’idées pour arrondir les fins de mois : « Durant son temps libre, il posait du parquet, collait des carreaux de céramique, construisait des murs en pierre, cultivait l’épinard et la bette, élevait des lapins et des dindons, salait les anchois, séchait les poulpes, divertissait les touristes avec son accordéon sur les croisières pique-nique ; l’une de ses plus singulières idées de business avait été la tyrolienne qu’il avait installé l’année précédente entre deux collines ».
Des situations loufoques, un roman sympathique et bienveillant qui nous dit que la vie n’est pas si compliquée que ça quand on a compris l’importance de l’amour, que la Méditerranée est un creuset culturel dont les peuples ont beaucoup en commun. Une lecture plaisante.
En juin c’est le mois des Fiertés : « Le mois des fiertés LGBTQ +, plus souvent appelé mois de la Fierté en Amérique du nord, est une célébration internationale qui a lieu en de chaque année afin de rappeler le combat pour les droits LGBT+. Lié à la Marche des fiertés, le mois des fiertés est également un évènement issu des émeutes de Stonewall du 28 juin 1969 à New York. Pendant ce mois ont lieu des marches des fiertés dans différentes villes du monde, ainsi que des évènements autour de la communauté LGBT. » (Wikipédia)
A cette occasion je vous propose un défi Juin, mois des Fiertés en juin 2025. Du 1er au 30 juin lisons des ouvrages consacrés à la question LGBTQI, regardons des films ou des documentaires, assistons à des manifestations (Marche des Fiertés près de chez vous)… C’est une grande première pour moi qui n’ai jamais organisé de défi lecture. Si vous voulez participer vous pouvez vous pré-inscrire en commentaire à cet article mais aussi simplement me signaler le moment venu quand vous aurez mis votre compte-rendu en ligne.
Puisque c’est le mois des Fiertés je demande : – que la question LGBTQI soit centrale : l’ami homosexuel à l’arrière-plan ne me suffit pas, – que les personnes LGBTQI soient traitées positivement : je refuse le tueur en série trans du Seigneur des agneaux.
Je vous propose ci-dessous des idées de lectures tirées de mon blog, n’hésitez pas à m’en indiquer d’autres.
Le 10 juin je vous propose une lecture commune croisée LGBT/Chili avec Je lis je blogue qui organise le printemps latino du 20 mars au 20 juin. D’autres lectures communes sont possibles, faites-moi part de vos suggestions si vous le souhaitez.
Jean-Marc, le narrateur, est un jeune retraité. Quand il apprend que Bernard, son ami depuis la maternelle, s’est engagé dans leur ville de Lyon dans l’équipe de campagne d’Eric Zemmour pour la présidentielle de 2027, il est inquiet. Bernard a en effet le chic pour se mettre dans des situations problématiques. N’est-ce pas le cas ici ? Pour protéger son ami Jean-Marc s’engage à ses côtés. Avec lui nous découvrons les composantes de la fachosphère lyonnaise, des petites mains aux donneurs d’ordres. Au programme : une action éclatante qui devrait assurer la victoire du Z à la présidentielle.
J’ai trouvé ce roman noir très plaisant à lire. Les personnages sont parfois caricaturaux mais l’auteur a le sens de la formule qui touche juste et est souvent drôle. Ce sont les dysfonctionnements de notre société actuelle qui sont dans la ligne de mire : la consommation présentée comme un but, le racisme comme soupape aux frustrations des petits Blancs, le cynisme de la grande bourgeoisie qui n’hésite pas à utiliser le peuple à ses propres fins. Néanmoins Jacky Schwartzmann ne porte pas le même regard sur tous ses protagonistes : Kevin, le nervi fasciste, a, du fait de ses origines et de sa situation sociale, des excuses que n’a pas le grand patron du BTP qui est aux manettes.
Deux filles nues est un tableau du peintre allemand Otto Mueller (1874-1930). Dans cette bande dessinée Luz nous raconte l’histoire de ce tableau depuis les premiers coups de pinceau en 1919 jusqu’en 2001. Et c’est passionnant parce que cette œuvre est loin d’avoir eu une existence plan-plan. Acheté à son auteur en 1925 par Ismar Littman, un avocat juif, le tableau est volé par les nazis et participe à leur exposition sur l’art dégénéré. J’ai été particulièrement intéressée par tout ce que j’ai appris sur cette exposition.
L’idée géniale de Luz c’est de présenter les événements dont il est question comme vus par le tableau lui-même. A la lecture il me faut un peu de temps pour comprendre ce point de vue original. Une fois que j’ai saisi le procédé, tout s’éclaire. En feuilletant l’ouvrage au moment d’écrire mon compte-rendu je prends conscience d’autres détails qui m’avaient échappé. C’est très bien fait, bravo à l’auteur !