Après la mort de son bébé à la naissance, Jeanne est devenue folle et son mari l’a fait interner. En septembre 1939, quand la France déclare la guerre à l’Allemagne, les pensionnaires des asiles de la région parisienne sont mis à l’abri dans le sud de la France. Jeanne est transférée à Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère. Là elle découvre un lieu où, sous l’impulsion du directeur, le docteur Balvet, les fous ne sont pas enfermés ni soumis aux douches froides mais traités comme des êtres humains et incités à créer. Au contact de la nature, en travaillant dans les champs pour aider les paysans des alentours, Jeanne va peu à peu sortir de son délire.
L’histoire de Jeanne, personnage fictif, est ici un moyen pour nous présenter l’histoire réelle de l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole de 1940 à 1945. Début 1940 le docteur Balvet fait venir auprès de lui le psychiatre François Tosquelles, républicain espagnol réfugié en France, qui systématise l’usage du travail et des activités manuelles pour soigner les patients -ergothérapie. Certains de ces derniers sont aujourd’hui reconnus comme des artistes de l’art brut : Jeanne rencontre Auguste Forestier et Marguerite Sirvins. Pendant l’occupation l’hôpital de Saint-Alban est aussi un lieu de refuge pour des résistants ou des Juifs.
Le romancier et historien militaire américain Caleb Carr est mort le 23 mai 2024, il était né en 1955. Il a grandi dans la crainte que son père, qui le battait, ne le tue. Le poète Lucien Carr avait en effet fait de la prison pour homicide involontaire. Le roman le plus connu de Caleb Carr est L’Aliéniste.
New York, 1896. Un tueur en série assassine de jeunes garçons prostitués puis mutile atrocement leurs cadavres. Le préfet de police Theodore Roosevelt charge le journaliste John Moore, narrateur du roman, et le médecin aliéniste (psychiatre) Laszlo Kreizler de débusquer le criminel. Ils s’adjoignent la collaboration des frères Lucius et Marcus Isaacson, deux policiers incorruptibles -espèce rare à l’époque- et de Sara Howard, secrétaire de Roosevelt, qui rêve d’enquêter -métier interdit aux femmes en cette fin du 19° siècle. Ils vont faire un travail de profileurs pour dresser un portrait de l’assassin et lui mettre la main dessus.
Laszlo Kreizler est un médecin en avance sur son temps qui pense que l’on peut trouver dans le passé -particulièrement l’enfance- des personnes déviantes des explications à leurs actes. Ces vues originales lui valent la réprobation de la communauté médicale établie. Les frères Isaacson s’intéressent aux plus récentes découvertes de la criminologie comme l’utilisation des empreintes digitales. Leur intérêt pour la science ne frappe pas toujours juste. Ainsi ils photographient l’oeil d’une victime avec l’espoir qu’on pourra y voir le visage de son meurtrier. Sara Howard est une femme décidée, prête à forcer les circonstance pour ne pas rester secrétaire. Elle sait manier le pistolet et n’hésite pas à tenir tête à Kreizler quand elle estime qu’il se trompe dans ses analyses. Le narrateur est lui aussi légèrement marginal. J’ai trouvé cette petite équipe fort sympathique.
Le cadre historique et géographique est celui de New York à la fin du 19° siècle. La corruption règne dans les administration et la police où le préfet Roosevelt essaie de faire le ménage. Nos héros vont trouver en travers de leur chemin des chefs de gang qui n’apprécient pas qu’on intervienne sur leur terrain -prostitution et maisons closes- et même les autorités religieuses, désireuses que l’ordre social ne soit pas perturbé. L’auteur s’est bien documenté sur cette période et le résultat est vivant avec de nombreux détails sur la vie sociale et culturelle. Plus que l’enquête elle-même ce sont ce cadre ainsi que les enquêteurs qui me plaisent et qui m’intéressent dans ce roman. Ce que j’ai lu de la biographie de Caleb Carr me laisse penser qu’il a mis des éléments personnels dans ce policier.
La première de couverture nous parle d’un « scénario teinté de Silence des agneaux », affirmation qui m’a inquiétée car j’ai le souvenir d’une lecture qui m’avait horrifiée. En fait l’époque et le personnage de psychiatre éclairé me font plutôt penser à la série des enquêtes de Max Liebermann que j’avais beaucoup appréciée. J’ai trouvé cette lecture plaisante, l’auteur ne s’appesantit pas sur les horreurs commises par son assassin. Je vois qu’il existe un second épisode avec les mêmes enquêteurs, je le lirai sans doute.
Marguerite est folle, internée depuis l’âge de 40 ans, en 1931, à l’asile de Saint Alban sur Limagnole en Lozère. A Saint Alban pas d’eau courante, pas d’égouts, pas de chauffage en hiver et, dans le pavillon des agitées où Marguerite est enfermée, des dortoirs de femmes en uniformes gris qui se tapent dessus lors de leurs crises. On mange mal et l’occupation aggrave la situation, de nombreux malades meurent de faim.
La Libération va être aussi celle des malades. Avec l’arrivée de médecins qui ont connu les camps de concentration les portes s’ouvrent et les murs qui enfermaient disparaissent. Il y a encore des pénuries mais c’est une période d’intense réflexion en ce qui concerne la psychiatrie. A Saint Alban on met les malades à l’art. Marguerite brode. Des tableaux de couleur -comme celui qui est reproduit en couverture du roman- et puis la robe de mariée, en dentelle faite du fil des draps usés de l’hôpital.
Jean Dubuffet, en visite à Saint Alban, est enthousiasmé par l’art des fous et crée la notion d’art brut. Il acquiert des tableaux de Marguerite. Cinq ans après la mort de cette dernière il obtient des religieuses qui s’occupent de l’asile qu’elles lui cèdent la robe de mariée. Depuis la création du musée de l’art brut à Lausanne elle y est exposée de façon permanente.
Marguerite Sirvins (1890-1957) était la soeur de la grand-mère maternelle de mon mari. Dans la famille son existence était passée sous silence. Pendant la guerre ma belle-mère, séjournant chez ses grands-parents (les parents de Marguerite) les voyait préparer des colis « pour une dame ». Ce n’est que lorsque Anne-Claire Decorvet a commencé à enquêter pour son roman que nous avons découvert que Marguerite était une artiste de l’art brut, exposée à Lausanne sous le pseudonyme de Marguerite Sir -pour préserver le secret des familles on ne mentionne que les trois lettres initiales du nom des artistes fous. Au passage le secret de la famille Sirvins a tellement bien été protégé que personne n’a songé à les informer qu’on disposait de l’oeuvre de leur parente.
Mais à part l’intérêt personnel ce roman, il vaut le coup ? Anne-Claire Decorvet varie les points de vue. Elle raconte alternativement depuis la place de divers protagonistes, notamment Marguerite. Et là je trouve que c’est tout à fait réussi parce que cela donne l’impression de se retrouver dans la tête de Marguerite, de façon convaincante et parfois un peu inquiétante, je dois le dire. Vu les titres de ses précédents ouvrages (En habit de folie et L’instant limite) il semble que l’auteur avait déjà réfléchi à la question de la folie.
J’ai apprécié aussi de découvrir l’histoire et le fonctionnement de l’asile de Saint Alban, avant, pendant et après la seconde guerre mondiale. Pour toutes ces raisons, ce roman m’a touchée.
Philip K. Dick, 1928-1982 Philip K. Dick, je connaissais par oui-dire : mon fils en est fan. L’été dernier j’ai lu La vérité avant dernière, surtout parce que je n’avais rien d’autre sous la main et je n’ai pas été particulièrement emballée. Si je me suis attaquée à sa biographie c’est en fait d’abord pour Emmanuel Carrère et ça m’a permis de découvrir ce personnage torturé, certes bien apte à intéresser Carrère.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, Philip K. Dick est un écrivain de science-fiction qui a eu un peu de mal à percer. Aujourd’hui il est reconnu comme un des maîtres du genre par les amateurs. Il était très perturbé et a été frappé à plusieurs reprises pendant son existence par des sortes de crises de folie paranoïaque. Alors il avait des visions qui le terrorisaient ou bien une révélation qui remettait tout à sa place. Le fond était toujours le même : nous ne vivons pas dans le monde où nous croyons vivre. On nous trompe d’une façon ou d’une autre : drogue dans l’eau du robinet ou émissions de télé qui nous endorment. Qui est ce « on » ? Les communistes, le FBI, l’empire romain, Dieu… et Dick est celui qui doit révéler aux autres la réalité. Ces livres ne sont donc pas des romans mais des rapports qui doivent éveiller nos consciences.
La vie de ce personnage frapadingue est proprement hallucinante (Dick avait d’ailleurs un peu forcé sur les substances prohibées) et Emmanuel Carrère le raconte beaucoup mieux que moi. Il nous présente aussi les principales oeuvres du maître. Cette lecture m’a donné envie de lire autre chose de Philip K. Dick, ne serait-ce que pour vérifier si par hasard Carrère ne raconte pas mieux les histoires de Dick que Dick lui-même. Et puis je crois que forcément, je ne lirai pas cela de la même façon maintenant que je connais un peu le fonctionnement de l’auteur.
Un soir le personnage principal de ce roman décide de se raser la moustache pour faire une surprise à sa femme. Mais elle n’est pas surprise, même, elle fait comme si de rien n’était. Puis pressée de mettre fin à cette plaisanterie, elle prétend qu’il n’a jamais porté la moustache. Les amis, les collègues, adoptent la même attitude.
Imaginez, vous faites un acte en apparence anodin et soudain votre vie bascule. Vous entrez dans une sorte de dimension parallèle où votre réalité n’est plus celle des autres, où tout ce qui vous paraissait acquis s’effondre. Folie ? Complot ?
Voilà une lecture très prenante et dérangeante. La narration a fait que je me suis identifiée au personnage. C’est forcément lui qui a raison, pense-t-on. Puis on commence à se poser des questions. « L’histoire, en tout cas, finit forcément très mal » nous avertit la quatrième de couverture. Quant à moi j’ai trouvé la fin atroce. C’est le genre de chose qui me fait mal à le lire. Je l’ai terminé hier matin et j’en ai des flash qui me sont revenus régulièrement dans la journée. A déconseiller absolument à qui a les idées noires ou doute à l’occasion de sa santé mentale.
« Une vieille légende hindoue raconte qu’il fut un temps où tous les hommes étaient des dieux. Comme ils abusèrent de ce pouvoir, Brahma, le maître des dieux, décida de le leur retirer et de le cacher dans un endroit où il leur serait impossible de le retrouver. Oui, mais où ? Brahma convoqua en conseil les dieux mineurs pour résoudre ce problème. – Enterrons la divinité de l’homme, proposèrent-ils. Mais Brahma répondit : – Cela ne suffit pas, car l’homme creusera et trouvera. Les dieux répliquèrent : – Dans ce cas, cachons-la tout au fond des océans. Mais Brahma répondit : – Non, car tôt ou tard l’homme explorera les profondeur de l’océan. Il finira par la trouver et la remontera à la surface. Alors, les dieux dirent : – Nous ne savons pas où la cacher, car il ne semble pas exister sur terre ou sous la mer d’endroit que l’homme ne puisse atteindre un jour. Mais Brahma répondit : – Voici ce que nous ferons de la divinité de l’homme : nous la cacherons au plus profond de lui-même, car c’est le seul endroit où il ne pensera jamais à chercher. Et depuis ce temps-là, conclut la légende, l’homme explore, escalade, plonge et creuse, à la recherche de quelque chose qui se trouve en lui. »
Régis Airault est psychiatre. Il a été en poste au consulat de France à Bombay. Là il a constaté que le séjour en Inde pouvait déclencher chez certains occidentaux des crises de délire. Souvent les victimes de ce « syndrome indien » sont des adolescents ou de jeunes adultes. Dans la plupart des cas le rapatriement dans le pays d’origine suffit à faire disparaître les troubles.
« L’Inde rend-elle fou, ou les fous vont-ils en Inde ? » Les deux réponses sont vraies. En Inde la folie n’a pas le même statut qu’en France. Le fou, tant que son comportement n’est pas agressif, est accepté. Des symptomes qui chez nous vous feraient enfermer sont considérés là-bas comme un signe de sainteté.
Régis Airault déplore que dans les société occidentales il n’existe pas ou plus de rites de passages entre l’enfance et l’âge adulte. « Notre civilisation laisse de moins en moins de place à cette période de fragilité et de maturation qu’est l’adolescence ». Le voyage peut tenir lieu d’initiation. Cette initiation implique une mise à mort symbolique à laquelle peut correspondre la crise délirante.
Voici un livre qui est parfois un peu technique -d’autant plus qu’en matière de psychiatrie et de psychanalyse je n’ai guère de références. Cependant il s’appuie sur des anecdotes et des histoires de cas nombreuses ce qui en facilite la lecture. Mère d’adolescents, j’ai trouvé plus particulièrement intéressant ce qui concerne les difficultés de l’adolescence.
Margaret Lea vend des livres anciens dans la librairie familiale. A ses heures perdues elle rédige aussi des biographies d’écrivains. Un jour elle reçoit une lettre de Vida Winter, romancière à succès, auteur de best-sellers, qui lui demande d’écrire sa biographie. Margaret se rend dans le Yorkshire, dans la grande propriété de Miss Winter. Petit à petit elle va découvrir la vérité de l’enfance tragique de Vida. En même temps ces récits vont l’obliger à affronter ses propres fantômes. Il est question de folie, d’enfants abandonnés et de soeurs jumelles séparées. Il est question de bibliothèques et de vieux livres, du plaisir de lire.
Je n’ai que moyennement apprécié Le treizième conte. Il y a plein de péripéties romanesques et je ne me suis pas ennuyée, j’ai même attendu certaines révélations avec impatience, et pourtant j’ai l’impression que je ne suis pas vraiment entrée dedans. Difficile à dire, ça tient peut-être à mon humeur du moment. Sur la fin, toutes ces happy end qui arrivent en même temps, c’était sympathique mais peut-être un peu trop. Ce que j’ai le mieux aimé c’est la description des jardins de la propriété de Miss Winter. Ca m’a rappelé Le jardin secret de Frances H. Burnett et redonné envie de le lire. Je crois que je vais bientôt m’y décider.