Ce recueil rassemble trois nouvelles, trois récits noirs.
Journal d’un tueur sentimental : le narrateur est un tueur à gages qui se croit sentimental parce qu’il a une femme « dans la peau » et qu’il a, par amour pour elle violé plusieurs règles de sécurité des tueurs professionnels. La chute est assez prévisible et le personnage ne m’est pas sympathique.
J’aime beaucoup mieux le héros de Hot line, un policier mapuche à la gâchette facile, muté à la capitale par mesure disciplinaire. Il est question d’un tortionnaire de l’époque de la dictature qui finira par payer ses crimes.
Dans Yacaré l’enquête porte sur la mort suspecte d’un dirigeant d’une grosse compagnie de maroquinerie italienne. Derrière la façade respectable, le pillage du territoire d’un peuple autochtone brésilien.
La deuxième et la troisième nouvelles me plaisent mieux. J’y retrouve les préoccupations de Luis Sepúlveda pour le sort des Amérindiens. L’ensemble se lit facilement mais ne me laissera pas un souvenir impérissable.
En juin c’est le mois des Fiertés : « Le mois des fiertés LGBTQ +, plus souvent appelé mois de la Fierté en Amérique du nord, est une célébration internationale qui a lieu en de chaque année afin de rappeler le combat pour les droits LGBT+. Lié à la Marche des fiertés, le mois des fiertés est également un évènement issu des émeutes de Stonewall du 28 juin 1969 à New York. Pendant ce mois ont lieu des marches des fiertés dans différentes villes du monde, ainsi que des évènements autour de la communauté LGBT. » (Wikipédia)
A cette occasion je vous propose un défi Juin, mois des Fiertés en juin 2025. Du 1er au 30 juin lisons des ouvrages consacrés à la question LGBTQI, regardons des films ou des documentaires, assistons à des manifestations (Marche des Fiertés près de chez vous)… C’est une grande première pour moi qui n’ai jamais organisé de défi lecture. Si vous voulez participer vous pouvez vous pré-inscrire en commentaire à cet article mais aussi simplement me signaler le moment venu quand vous aurez mis votre compte-rendu en ligne.
Puisque c’est le mois des Fiertés je demande : – que la question LGBTQI soit centrale : l’ami homosexuel à l’arrière-plan ne me suffit pas, – que les personnes LGBTQI soient traitées positivement : je refuse le tueur en série trans du Seigneur des agneaux.
Je vous propose ci-dessous des idées de lectures tirées de mon blog, n’hésitez pas à m’en indiquer d’autres.
Le 10 juin je vous propose une lecture commune croisée LGBT/Chili avec Je lis je blogue qui organise le printemps latino du 20 mars au 20 juin. D’autres lectures communes sont possibles, faites-moi part de vos suggestions si vous le souhaitez.
En 1996 Luis Sepúlveda et son ami le photographe argentin Daniel Mordzinski voyagent ensemble en Patagonie, aux confins de l’Argentine et du Chili. L’un prend des notes et l’autre des photos. En 2011 Luis Sepúlveda s’avise que la culture populaire de cette région mythique est menacée par la mondialisation, le tourisme de masse et les privatisations. Ce que les deux amis ont découvert quinze ans plus tôt est en voie de disparition, il est temps de le mettre par écrit pour au moins en conserver le souvenir.
Chacun des onze chapitres de ce livre est un récit indépendant tournant autour de personnes rencontrées sur place. Dans cette région rude et isolée l’hospitalité apparaît comme naturelle. Partout on offre le maté aux voyageurs. Luis Sepúlveda rappelle les méfaits de la colonisation qui a fait disparaître des populations autochtones entières et qui aujourd’hui continue d’acculturer et de spolier les survivants. L’essentiel du voyage se déroule en Argentine mais le dernier chapitre nous emmène à Porvenir près de Punta Arenas, au Chili. C’est là qu’au début du 20° siècle deux jeunes migrants, Antonio Radonic, un Croate, et José Böhr, un Allemand, ont ouvert Le cinéma du bout du monde et tourné des films pour l’alimenter. Mariage Yamaná est le premier documentaire chilien et l’unique témoignage sur les Yamanás, ethnie aujourd’hui disparue. Un billet de loterie est le premier film de fiction réalisé au Chili.
Les nombreuses photos en noir et blanc illustrent les belles rencontres faites par les deux amis. C’est une lecture plaisante et que j’ai appréciée.
L’histoire du dernier esclave américain Barracoon : le baraquement où sont enfermés les Africains capturés avant leur déportation comme esclaves vers l’Amérique. Zora Neale Hurston (1891-1960) était une écrivaine et anthropologue afro-américaine. En 1928 elle mène une série d’entretiens avec Cudjo Lewis, alias Olualé Kossola, son nom africain, dernier survivant africain connu du dernier navire négrier américain, la Clotilda. Elle en tire Barracoon qu’elle ne parvient pas à faire éditer. Il l’est pour la première fois en 2018.
Kossola est capturé à 19 ans en 1859 et déporté vers les Etats-Unis. L’esclavage n’y est pas aboli mais la traite atlantique est illégale depuis 1808. Cependant elle perdure clandestinement. En 1928 Kossola se souvient bien de sa jeunesse africaine et les récits qu’il en fait occupent la majeure partie de Barracoon. Il reste esclave cinq ans avant que la guerre de Sécession ne lui rende sa liberté. Son désir, et celui des autres Africains libérés avec lui, est de rentrer en Afrique. Ils commencent à mettre de l’argent de côté dans ce but mais réalisent vite qu’ils ne pourront pas se payer ce retour. Ils se résolvent alors à s’installer sur place -en Alabama. Sur des terres achetées à leur ancien maître (!) ils reconstituent une petite Afrique en construisant le village d’Africatown. Ce sont ces derniers aspects qui m’ont le plus intéressée. Ils sont cependant peu développés.
Alors que cinq ans après sa capture Kossola aurait pu refaire sa vie en Afrique, retrouver des proches sans doute, rien n’est mis en place localement pour aider les anciens esclaves désireux de rentrer chez eux. 70 ans après sa déportation Kossola exprime la douleur commune à beaucoup d’exilés quand ils pensent à leur terre natale. C’est pourquoi il est important pour lui de parler de l’Afrique à Zora Neale Hurston. Il se considère d’abord comme un Africain c’est pourquoi il est assez peu question de ses conditions de vie comme esclave. Ce livre n’est pas un document sur l’esclavage mais un document sur l’état d’esprit d’un ancien esclave.
Sur un ouvrage de 245 pages le récit de Kossola rapporté par Zora Neale Hurston en compte un peu plus de 100. Le reste est occupé par des préface, introductions (de l’autrice, de l’éditrice), postface et annexes. Je comprends que ce texte et Zora Neale Hurston sont importants dans l’histoire et la culture des afro-américains. Cette lecture m’a donné envie d’en savoir plus sur l’histoire de la fin de l’esclavage aux Etats-Unis.
Descendant : les héritiers d’Africatown. En cherchant des informations sur Africatown je découvre qu’il existe sur Netflix un documentaire de Margaret Brown paru en 2022. Entre 2018 et 2020, Margaret Brown est allé interroger les habitants d’Africatown, descendants des fondateurs, sur leur héritage. Cudjo Lewis et les autres fondateurs d’Africatown étaient tous des anciens esclaves déportés aux Etats-Unis sur la Clotilda. Au moment où ils ont obtenu leur liberté ils avaient passé la majeure partie de leur vie en Afrique et se considéraient comme des Africains. Cet héritage africain s’est transmis à leurs descendants. Africatown forme un quartier de la ville de Mobile. Il est entouré par des industries polluantes qui affectent la santé de ses habitants. Ces industries ont été construites sur des terrains appartenant à la famille Meaher dont les membres sont des descendants des frères Meaher qui avaient affrété la Clotilda, dernier navire négrier américain. Ainsi, aujourd’hui encore, la famille Meaher pourrit la vie des habitants d’Africatown comme autrefois ses ancêtres ont pourri la vie des ancêtres des habitants d’Africatown. Les Meaher n’ont pas répondu aux demandes de la réalisatrice. A son arrivée aux Etats-Unis la Clotilda a été coulée par les Meaher pour effacer cette preuve de leur crime. Depuis la fin du 20° siècle des historiens ont cherché à retrouver l’épave mais la famille Meaher a tenté de les en empêcher. Ce documentaire aborde aussi la question de la mémoire de l’esclavage : comment faire vivre cette mémoire sans qu’elle devienne une attraction touristique vidée de son sens et sans que les Afro-américains soient dépossédés de cette mémoire.
Un intéressant documentaire qui permet d’aborder la mémoire de l’esclavage du point de vue des principaux intéressés. Il montre bien que cet héritage est encore très vif aux Etats-Unis.
La journaliste et romancière Claire Gallois est morte le 18 novembre 2024. Elle était née en 1937. A sa naissance elle est placée en nourrice dans la Creuse auprès de Yaya qu’elle considère comme sa mère. Elle en est retirée brutalement à six ans. Elle a grandit ensuite dans sa famille où elle n’était pas aimée. Elle était membre du jury Femina depuis 1984.
Alias. La narratrice, une femme de 50 ans, a gardé Alias, le fils de ses voisins depuis sa naissance. Elle aime le petit garçon comme son fils, elle qui n’a pas d’enfant. Les parents, Chouchou et Maxime, divorcent rapidement. Quand Alias accuse sa mère de violences à son encontre Maxime demande que celle-ci soit privée de la garde. Le père et le fils vont devoir affronter les services maltraitants de la protection de l’enfance.
Le roman décrit bien comment la remise en question de sa parole et la menace de placement en foyer impactent le comportement et la scolarité d’Alias. Le sentiment d’impuissance et la colère de la narratrice sont crédibles. On entend en effet régulièrement parler des dysfonctionnement de l’Aide Sociale à L’Enfance et il semble que les choses se soient aggravées avec le COVID (le roman date de 2021). Les services manquent de moyens et peinent à recruter, le secteur n’attire pas.
Si je suis globalement d’accord avec le propos il y a cependant des choses qui me gênent dans ce roman. Claire Gallois s’est documentée pour l’écrire et cite des enquêtes de presse (le Monde, Libération), les déclarations de tel ministre. Mais elle prend également ses informations sur les réseaux sociaux, comptes Facebook de parents en conflit avec l’administration. C’est sans doute plus vivant mais c’est aussi complètement subjectif. Je déplore enfin que cette lamentable histoire soit l’occasion de taper sur le féminisme : les travailleuses sociales qui considèrent que quand il y a violences c’est toujours le fait du père sont dites « hyper-féministes ». Il me semble que cette accusation de féminisme mal placé a déjà été utilisée par des pères souhaitant punir leur femme de les avoir quittés. Je suis donc très embarrassée pour donner un avis global sur ce livre.
Avec 125 pages, ce court roman participe au défi Bonnes nouvelles organisé par Je lis je blogue.
L’auteur nous raconte 17 histoires de rencontres entre « sauvages » et « civilisés », classées par ordre chronologique. Nous commençons en 1527 quand le conquistadores Cabeza de Vaca, naufragé sur une île du golfe du Mexique, fut secouru par des Indiens, devint leur esclave puis un guérisseur réputé dans toute la région où il officia pendant des années. J’avais déjà rencontré ce personnage dans L’exploration du monde et j’ai apprécié de le retrouver ici et d’en apprendre plus sur son devenir. Le recueil se termine avec le séjour d’écotouristes en Nouvelle-Guinée. Entre ces deux histoires j’ai fait la connaissance de Frank Hamilton Cushing, jeune ethnologue qui, en 1879, s’installa chez les Zuñi, des Indiens Pueblo, et devint un chef guerrier. Ou de Diawné Diamanka, griot peul invité à Bologne en 1988 par un groupe d’anthropologues européens pour y faire des observations sur les us et coutumes de notre monde.
J’ai été globalement déçue par cette lecture qui aurait pourtant dû me plaire vu son sujet. Il m’a semblé que l’auteur se contentait de raconter des anecdotes d’un intérêt inégal sans faire de lien entre elles ou contextualiser et plus j’avançais plus je trouvais ça ennuyeux. Il y a des passages amusants mais il manque pour moi d’avoir été plus explicite sur la responsabilité du colonialisme dans la construction des images de « sauvage » et de « civilisé ».
Je lis je blogue me propose de faire entrer cette lecture dans son défi Bonnes nouvelles -avec un peu d’avance.
Des tranches d’histoire de trois générations d’une famille de Vienne entre 1938 et 2001 s’entremêlent de façon désordonnée. En 2001 Philipp est le point fixe du roman qui revient régulièrement à ce personnage. Cet homme légèrement déprimé a entrepris de vider la maison héritée de ses grands-parents, Alma et Richard. Richard a fait une carrière d’homme politique chez les chrétiens-sociaux, il a été ministre. Il a une conception très rigide de son rôle de pater familias et s’est brouillé avec sa fille adolescente, Ingrid. Celle-ci a épousé Peter qui, à la fin de la guerre, a été un jeune combattant des jeunesses hitlériennes. Alma et Ingrid expérimentent toutes les deux les désillusions de la femme mariée. Mère au foyer, Alma est traitée en mineure par son mari qui prend des décisions la concernant sans lui en expliquer la raison. Ingrid est médecin dans un hôpital mais assume à la maison le gros de la charge des enfants.
Chronique de la vie d’une famille, des souvenirs des moments passés ensemble qui en attachent les membres les uns aux autres, ce roman explore de façon particulièrement juste les sentiments des personnages. J’ai été touchée aussi par l’expression dune nostalgie liée à la prise de conscience de leur vieillissement par certains personnages.
Le narrateur est un homme de 55 ans, au chômage depuis cinq ans. Auparavant il était archiviste dans un journal mais, avec la numérisation des documents, son service a été fermé. Au moment de son licenciement il a obtenu que les archives papier lui soient confiées et il les stocke dans sa cave, complétant les dossiers au fil du temps. Il sort peu et vit dans ses souvenirs, surtout ceux de Franziska, une amie d’enfance devenue chanteuse sous le nom de Fabienne. Amoureux de Franziska depuis l’adolescence, il s’imagine la fréquenter régulièrement alors qu’il ne l’a pas vue depuis des années. Un jour, sans qu’il y ait vraiment d’événement déclencheur, peut-être juste une météo favorable, une sortie l’emmène hors de ses circuits habituels. Une petite modification de sa routine qui va petit à petit en entraîner de plus grande.
S’il n’a pas toujours vécu en ermite, le narrateur semble n’avoir jamais été quelqu’un pour qui les relations sociales étaient faciles. Au début de ma lecture je me reconnais parfois dans son mode de fonctionnement ce qui me met un peu mal à l’aise. Dans son cheminement vers l’ouverture au reste du monde, le narrateur entreprend d’inventorier les objets de son passé qu’il a conservés en souvenirs. Cela donne des passages nostalgiques que je trouve plaisants. Il y a aussi des aspects poétiques dans sa manie de constituer des dossiers sur tout. Finalement c’est une lecture que j’ai trouvée plutôt plaisante même si je ne suis pas sûre qu’elle me laissera un long souvenir.
Dans les années 1950, le narrateur, Michaël Berg, un lycéen de 15 ans, fait la connaissance de Hanna Schmitz, contrôleuse de tramway de 35 ans. Ils deviennent amants. Michaël rejoint Hanna chez elle tous les jours en sortant du lycée. Il lui fait la lecture d‘un livre qu’il a choisi puis ils font l’amour. Michaël dissimule cette relation à ses parents et à ses camarades de classe. Un jour Hanna disparaît sans prévenir. Sept ans plus tard Michaël est étudiant en droit. Il suit un séminaire organisé autour d’un procès de gardiennes d’Auschwitz. C’est là qu’il retrouve Hanna : elle est l’une des principales accusées.
Ce roman est d’abord une histoire d’amour et, vu la différence d’âge entre les protagonistes, un roman d’apprentissage pour le narrateur qui prend de l’assurance par rapport à ses camarades qui n’ont pas son expérience. La deuxième partie, le récit du procès, est l’occasion d’une réflexion sur la responsabilité collective des Allemands face à la shoah. La génération de Michaël confronte celle de ses parents à son comportement sous le nazisme : avez-vous participé, avez-vous fermé les yeux, si non pourquoi n’avez-vous pas exigé des procès dès la fin de la guerre ? Michaël se demande aussi si cette attitude critique n’est pas, pour sa génération, une façon de se dédouaner de sa propre responsabilité, celle d’avoir aimé ces parents forcément coupables. Je trouve qu’il y a là des questionnements intéressants.
La troisième partie traite de la vie de Michaël adulte. On comprend que son existence est profondément marquée par ce premier amour. Le style du roman est sans fioritures, plat, correspondant bien à un narrateur qui semble avoir enfoui tous ses sentiments en lui. C’est une lecture que j’ai appréciée.
Le liseur a été adapté au cinéma par Stephen Daldry avec Kate Winslet dans le rôle d’Hanna, David Kross en Michaël jeune et Ralph Fiennes en Michaël adulte. J’avais vu ce film à sa parution en 2008 et je l’ai revu récemment à l’occasion de sa diffusion sur Arte. C’est ce visionnage qui m’a donné envie de lire le livre. Le film se concentre principalement sur l’histoire d’amour entre Michaël et Hanna. La réflexion sur la responsabilité allemande est rapidement expédiée. Je la découvre en lisant le roman. Le résultat est un film terriblement romantique avec cet amour impossible qui marque Michaël à tout jamais. Sa relation à sa fille, qui est absente du roman, vient renforcer cette impression. J’ai ressenti beaucoup de pitié pour le personnage, je ne me souvenais pas que le premier visionnage m’avait autant émue.
Ferdinand Goldberger, chef local du parti nazi de son village natal de l’Innviertel, en Autriche, a dénoncé trop de monde, semble-t-il. Parce qu’il recevait des menaces, il a du partir. Il a réussi à échanger sa grande exploitation forestière contre une ferme abandonnée à Rosental en Haute-Autriche. Il est accompagné de sa fille Martha, devenue mutique.
Entre la seconde guerre mondiale et la fin du 20° siècle, Lilas rouge raconte l’histoire d’une famille d’agriculteurs autrichiens sur quatre générations. La deuxième est représentée par Ferdinand, le fils. Revenu de la guerre il s’est mis à mépriser son père qu’il juge responsable de la perte de leur domaine forestier. Pourquoi son père a-t-il du quitter l’Innviertel ? Ferdinand ne le sait pas et ne veut pas le savoir. A son image les autres membres de la famille Goldberger évitent de se poser des questions sur le passé du vieux dont ils croient pourtant qu’il a attiré sur eux une malédiction. Ainsi Paul, fils aîné de Ferdinand, souffre de maladie mentale qu’il tente de soigner en s’alcoolisant. Bravo à l’auteur pour la description des hauts et des bas que traverse l’humeur de Paul.
La malédiction de la famille Goldberger c’est l’histoire de l’Autriche, de son déni de sa participation active aux crimes du nazisme. On peut aussi y voir une critique du patriarcat. Ferdinand a décidé seul que de ses deux fils Paul ferait des études et Thomas reprendrait la ferme. Paul est envoyé dans un internat religieux où il est très malheureux. Nul doute que les séances d’humiliation dont il est victime n’améliorent pas sa santé mentale. Plus tard Thomas, qui n’a pas eu d’enfant, choisit de même parmi ses neveux qui pourra lui succéder. Les désirs des enfants sont de peu de poids, tant mieux s’ils vont dans le sens de ce qu’on a décidé pour eux.
La gestion de l’exploitation agricole et le travail des champs sont un sujet majeur de ce roman. Après la guerre le travail est encore manuel. On pourrait aussi bien être une guerre plus tôt. Au fur et à mesure que le temps passe -mais il y a très peu de repères temporels, ce qui donne une impression d’immobilisme- on voit apparaître des machines agricoles, des objets de la société de consommation, de nouvelles cultures. Cependant toutes ces choses semblent rester à la périphérie tandis qu’au centre la vie de la famille s’écoule lentement, rythmée par les saisons, comme coupée du monde. Et en effet la ferme Goldberger se situe à l’écart du village et eux-mêmes fréquentent peu à l’extérieur.
C’est un long roman de 700 pages, ce qui laisse le temps de faire connaissance avec les personnages. J’ai grandement apprécié cette lecture. J’ai apprécié la belle écriture, l’analyse psychologique fine, la description de la nature et du quotidien de ces paysans attachés à leur terre. Reinhard Kaiser-Mühlecker est lui-même originaire de Haute-Autriche où il a repris l’exploitation agricole familiale en parallèle de son travail d’écrivain.