Daniel Lee est un historien britannique de la seconde guerre mondiale, spécialiste de l’histoire des Juifs de France et d’Afrique du nord pendant la shoah. En 2011 il a connaissance d’une liasse de documents nazis -marqués de la croix gammée- cachés dans l’assise d’un fauteuil et découverts à l’occasion de son retapissage. Ces documents, qui lui sont confiés par la propriétaire du fauteuil (acheté à Prague en 1968) sont les papiers de Robert Griesinger (1906-1945). Daniel Lee décide de mener l’enquête sur ce nazi. Cet ouvrage présente les étapes, les difficultés et les résultats de cette recherche.
Né à Stuttgart dans une famille conservatrice et nationaliste, Robert Griesinger est longtemps un élève médiocre. Il fait des études de droit et commence à travailler dans l’administration allemande en 1933. Il est ambitieux et adhère à la SS pour booster sa carrière. J’apprends que la SS est un organisme complexe dont le fonctionnement est encore mal connu. Robert Griesinger fait partie de l’Allgemeine SS -la SS générale-, différente de la Waffen SS. L’organisation encadre de près sa vie et celle de sa famille. Quand il veut se marier sa fiancée doit présenter tout un dossier avec arbre généalogique et certificats médicaux avant d’être agréée. Leurs loisirs sont encadrés et il participe à des réunions hebdomadaires de formation idéologique. On touche du doigt ce qu’est un régime totalitaire.
Au fil de ses affectations, Robert Griesinger travaille à la Gestapo du Wurtemberg, est mobilisé à la frontière franco-allemande pendant la Drôle de guerre puis participe à l’invasion de l’URSS en 1941 avant d’être nommé à Prague au ministère de l’économie et du travail. L’auteur se questionne tout du long sur la participation de son personnage aux crimes du nazisme. S’il ne trouve aucune preuve que celui-ci ait directement tué sa conclusion est cependant que Robert Griesinger, au minimum, ne pouvait pas ignorer ce qui se passait à côté de lui ou sous ses ordres. A la Gestapo de Stuttgart il encadre l’arrestation des opposants, en Ukraine des hommes de son unité participent à l’assassinat de Juifs aux côtés de l’Einsatzgruppe C, à Prague il est chargé de réquisitionner pour le travail forcé. Aucun doute, il est mouillé jusqu’au cou. « Le rôle dans la guerre et le génocide de ces nazis semble avoir disparu des sources historiques. Redonner texture et autonomie à Griesinger, agent du crime, c’est lui permettre d’incarner les milliers de nazis anonymes dont la culpabilité est immense, qui ont détruit tant de vies, et sur lesquels on n’a jamais rien écrit ».
Lors de son enquête Daniel Lee a rencontré des membres de la famille de Robert Griesinger, dont ses deux filles. Âgées de 8 et 5 ans à la mort de leur père elles ont peu ou pas de souvenirs de lui. C’est l’auteur qui leur apprend qu’il était nazi, ce qu’elles ignoraient et sur lequel elles ne s’étaient, semble-t-il, pas interrogées. Ces femmes âgées semblent avoir bien du mal à intégrer cette information sur leur père.
Il m’a fallu un peu de temps pour entrer dans cette lecture. L’enquête démarre doucement, Daniel Lee tire tous les fils qu’il trouve et j’ai craint qu’il ne parte dans tous les sens pour peu de résultat. Et puis ce n’était peut-être pas une bonne idée de lire coup sur coup deux livres sur des nazis. Finalement j’y ai trouvé des choses qui m’ont bien intéressée, particulièrement les conditions de vie quotidienne d’une famille de fonctionnaire nazi.
En sortant d’un concert à L’Académie de musique de Prague, Reinhard Heydrich lève la tête et remarque quelque chose qui le choque : « Mendelssohn est sur le toit ! ». En effet, la statue du compositeur d’origine juive est bien là, au milieu de celles d’autres musiciens célèbres. Le protecteur de Bohême-Moravie par intérim ordonne aussitôt qu’on la déboulonne sans tarder. Plus facile à dire qu’à faire…
Cette anecdote, traitée sur le mode comique, point de départ du roman, est en fait un prétexte pour nous présenter la vie à Prague sous l’occupation nazie. Jiří Weil convoque toute une galerie de personnages plus ou moins en lien avec cette histoire de statue et dont les trajectoires forment comme un patchwork. Ils sont de tous bords : Heydrich, organisateur de la « solution finale », que l’on suit jusqu’à son assassinat ; les soldats et administrateurs allemands qui s’empressent de s’en mettre plein les poches avant d’être envoyés sur le front de l’Est ; les Tchèques, victimes de cette occupation, rationnés, astreints au travail forcé, pire encore quand ils sont Juifs. Nous faisons la connaissance des sœurs Adéla et Gréta, enfants cachées, et du résistant Jan Kruliš qui s’occupe de leur trouver des planques. Il y a le Dr Rabinovič, « Juif savant » qui a accepté d’organiser pour les nazis un musée du judaïsme à partir d’objets spoliés, dans l’espoir de protéger sa famille de la déportation. Bien qu’il ait honte de son comportement et, qu’au fond, il ne soit pas dupe de son efficacité, il s’y tient, incapable d’envisager une autre stratégie. Jiří Weil montre, à travers ce cas et d’autres, comment le fait de laisser à certains un peu d’espoir les empêche de se révolter.
Si le récit commence sur un ton sarcastique, on ne va pas rire jusqu’au bout et le texte s’enfonce dans le tragique pour dénoncer les crimes de guerre et de génocide jusqu’à la résistance ultime de deux enfants, symbole d’humanité opposée à la barbarie. En cours de route on rencontre de belles descriptions de Prague et de ses faubourgs, la nostalgie de la vie tranquille qu’on y menait avant guerre. En cela Mendelssohn est sur le toit me rappelle Vivre avec une étoile, notamment par son personnage de Richard Reisinger qui ressemble beaucoup à Josef Roubiček, il me semble.
C’est une lecture que j’ai trouvée excellente. Dans mon édition le roman est précédé de Complainte pour 77 297 victimes, un court texte (20 pages), condensé de l’histoire de la shoah en Bohême-Moravie sous forme de collage de textes. Ecrit en 1958, envoyé à la composition en 1959, le roman est interdit par la censure qui reproche à Jiří Weil de ne pas avoir suffisamment insisté sur le rôle positif des communistes. L’auteur qui est alors en fin de vie accepte de modifier son texte. La version originale a été en partie perdue mais l’éditeur nous donne en annexe une partie du chapitre 13. La comparaison avec la version définitive est instructive. C’est pour moi un travail d’édition de qualité.
A Prague, sous l’occupation nazie, le narrateur, Josef Roubiček, Juif, ancien employé de banque, survit dans une mansarde en attendant la déportation. Il a brûlé tout ses meubles pour se chauffer et pour qu’Ils (l’occupant n’est jamais nommé) n’aient rien à lui prendre. Un acte de résistance à la mesure de ce doux. Seul, sans famille, sans amis, souffrant du froid et de la faim, soumis à des humiliations et à des interdictions toujours plus nombreuses il tient le coup en se réfugiant dans les rêves et les souvenirs de sa vie passée, particulièrement celui de Růžena, une femme mariée avec qui il eut une liaison. Malgré l’interdiction de posséder des animaux domestiques il se lie aussi d’amitié avec Thomas, un chat errant qu’il accueille dans sa chambre. Mais un jour, alors qu’il prend le soleil dans un terrain vague, Roubiček fait la connaissance de Materna, un ouvrier qui l’invite chez lui.
J’ai trouvé excellent ce roman, fort bien écrit, qui fait bien ressentir comment l’accumulation successive d’interdictions parfois contradictoires, sans signification, englue petit à petit les victimes et les amène à considérer la déportation comme une solution de facilité. Jiří Weil montre aussi les événements qui rattachent Roubiček et l’amènent à envisager la possibilité de s’en sortir : un inconnu croisé dans la rue qui lui suggère d’enlever son étoile pour pouvoir prendre le tram, un miracle qui lui permet d’échapper à une rafle, un morceau de musique écouté dans un sanatorium.
Keisha, Ingannmic et Passage à l’Est proposent aussi des lectures à l’occasion du 27 janvier, journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la shoah.
En 2003 la mère d’Anne Berest, Lélia, a reçu une carte postale anonyme sur laquelle étaient inscrits quatre prénoms : « Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques ». Il s’agit des grands-parents maternels de Lélia et de sa tante et son oncle, tous quatre assassinés à Auschwitz. Dix ans plus tard, enceinte de sa fille, Anne Berest interroge sa mère sur l’histoire de sa famille.Nous découvrons ainsi le destin des Rabinovitch, Juifs de Russie qui quittent Moscou pour Riga à cause de la révolution, puis Riga pour la Palestine à cause de l’antisémitisme, avant de s’installer en France. Cette première partie annonce ce que sera le reste du livre : un mélange de documentation historique et de roman puisque sont reconstituées les paroles, les sensations et les pensées intimes des personnages que l’autrice suit quasiment jusque dans la chambre à gaz. J’ai lu sur Babélio que ce procédé avait incommodé certains lecteurs. Ce n’est pas mon cas mais je trouve parfois qu’elle en fait trop.
La seule survivante de la famille est Myriam, mère de Lélia, soeur aînée de Noémie et Jacques, sauvée de la déportation par son mariage avec Vicente Picabia, le fils du peintre.
En 2019 Anne Berest décide d’enquêter sur la carte postale anonyme et d’en retrouver l’auteur. C’est un moment où elle se pose des questions sur sa judéité. Qu’est-ce que cela veut dire être Juif aujourd’hui en France quand on a grandi dans une famille non croyante et non pratiquante ? Qu’est-ce qui se transmet de cet héritage malgré les silences et les non-dit ? Qu’est-ce que cela signifie être une descendante de survivante ? Je trouve cette réflexion intéressante même si il m’arrive de ne pas la suivre dans ses analyses, notamment quand elle explore l’influence qu’ont eu sur elle et sa soeur les prénoms cachés qu’on leur a donnés. Il me semble que je connais des gens qui ont les mêmes traits de caractère que décrits ici sans avoir les mêmes antécédents. L’enquête sur la carte postale est aussi l’occasion de présenter l’engagement des Picabia dans la résistance. Jeanine Picabia, soeur de Vicente, a dirigé le réseau Gloria et y a fait participer mère, frère, belle-soeur.
J’ai écouté ce texte lu par Ariane Brousse de façon vivante. Elle a une voix claire mais est capable d’en changer pour jouer les différents personnages qui interviennent. Elle prend ainsi une voix rauque pour incarner Lélia, grande fumeuse. Au total c’est un livre que j’ai trouvé intéressant et émouvant et qui m’a donné envie de lire autre chose de l’autrice.Peut-être le livre qu’elle a écrit avec sa soeur, Claire Berest, sur Gabrielle Picabia, leur arrière-grand-mère qui intervient dans La carte postale.
A l’habitude chez Audiolib le texte est suivi d’un entretien avec l’autrice où elle donne quelques explications sur son travail et notamment sur l’articulation entre faits réels et romancés.
En 1942 Hélène Berr avait 21 ans, elle était issue d’une famille de la bourgeoisie intellectuelle parisienne, elle était étudiante en Anglais à la Sorbonne et elle était Juive. En avril 1942 elle commence son journal et le tient jusqu’en novembre. En août 1943, après une interruption de neuf mois, elle reprend la plume jusqu’au 8 mars 1944, date à laquelle elle est arrêtée avec son père et sa mère. Déportée à Auschwitz, transférée à Bergen-Belsen par une « marche de la mort », elle y meurt en avril 1945.
Le journal montre bien comment l’étau qui se referme petit à petit sur Hélène et sa famille affecte son caractère. En 1942 il y a encore de l’insouciance, du plaisir à se promener dans les rues de Paris. Hélène rencontre un jeune homme, Jean Morawiecki, et en tombe amoureuse. A partir du lundi 8 juin il lui faut porter l’étoile jaune (elle dit l’insigne) et elle s’interroge sur le comportement à avoir :
« A ce moment-là, j’étais décidée à ne pas le porter. Je considérais cela comme une infamie et une preuve d’obéissance aux lois allemandes. Ce soir, tout a changé à nouveau : je trouve que c’est une lâcheté de ne pas le faire, vis-à-vis de ceux qui le feront. Seulement, si je le porte, je veux toujours être très élégante et très digne, pour que les gens voient ce que c’est. Je veux faire la chose la plus courageuse. Ce soir, je crois que c’est de le porter. »
Dans la rue on la regarde parfois de travers mais il y a aussi des manifestations de sympathie. Elle dit que c’est difficile puis donne l’impression de surmonter cette épreuve et n’en parle plus. Des fois elle porte l’étoile, des fois elle ne la porte pas. Le 26 novembre 1942, Jean quitte Paris pour gagner la France libre, Hélène arrête d’écrire.
Quand elle se remet à son journal en 1943 l’ambiance a complètement changé. Autour d’elle des amis, des connaissances, de plus en plus nombreux, sont déportés. Hélène s’occupe, à l’UGIF, d’enfants dont les parents ont été arrêtés. Il n’y a plus d’insouciance. Elle traverse des moments d’abattement, elle a le sentiment que les autres (les non-Juifs) ne peuvent pas comprendre ce qu’elle ressent. Encore une fois, elle veut être courageuse.
La famille évoque la possibilité de quitter Paris, de se cacher, mais redoute la séparation tout en sachant que la déportation entraînerait une séparation. Il y a aussi une répugnance à quitter des lieux familiers, le refus de laisser penser que l’on a fuit. Ils se résolvent cependant à ne plus coucher chez eux. Ils sont arrêtés au matin de la première nuit où ils ont rompu avec cette décision.
C’est une lecture très émouvante qui, comme tous les récits individuels que j’ai lus sur le sujet, permet de mieux mettre le doigt sur la richesse des intelligences humaines et sur le gâchis effroyable qu’a été ce génocide. Je suis touchée aussi par le portrait en couverture. Elle avait un visage doux aux joues encore rondes de l’enfance et cette photo la fait paraître encore plus proche malgré toutes les années qui se sont écoulées depuis.
Quand il était petit Daniel Mendelsohn aimait beaucoup écouter son grand-père maternel lui raconter les histoires de sa famille venue presque au complet d’Ukraine aux Etats-Unis dans les années 1920. Ses deux soeurs fiancées (« vendues ») successivement au même cousin bossu et hideux. L’aînée d’abord puis, après sa mort (« une semaine avant son mariage »), la cadette. Son frère émigré en Israël juste à temps, au début des années 30, sous la pression de sa femme, « une sioniste ». Un seul frère était resté en Ukraine dans le village natal de Bolechow, Shmiel, l’aîné, celui dont le grand-père parlait le moins. Tout ce que Daniel Mendelsohn savait c’est qu’il avait été « tué par les nazis » avec sa femme et ses « quatre filles superbes ».
En grandissant Daniel Mendelsohn a voulu en savoir plus sur son oncle Shmiel Jäger. Après la mort de son grand-père il a recherché des survivants de Bolechow de la shoah par balles dont plus d’un million et demi de Juifs ont été victimes en Ukraine. Pour les interroger il a voyagé jusqu’en Australie, en Israël et en Suède. Il est allé à Bolechow retrouver les témoins de ce qui s’était passé 60 ans plus tôt.
Pendant cette recherche qui s’est étalée sur 5 ans il est accompagné très souvent par son frère cadet Matt, auteur de la plupart des photographies qui illustrent l’ouvrage. C’est l’occasion pour Daniel de faire enfin la connaissance de Matt car, lorsqu’ils étaient enfants, Daniel n’aimait guère Matt auquel il a même un jour cassé un bras dans un accès de rage. Cette découverte de son frère n’est pas la moindre des belles rencontres faites par Mendelsohn lors de son périple. Un aspect important Des disparus c’est tout ce pan autobiographique. En même temps qu’il enquête sur sa famille l’auteur se dévoile, interroge ses souvenirs, compare les relations qu’il imagine entre Shmiel et ses parents à celles qu’il avait lui-même enfant avec ses frères et soeur.
Les événements qui touchent la famille Jäger sont aussi mis en relation avec des passages de la Genèse analysée par deux commentateurs de la Torah, Rachi (né à Troyes en 1040) et Friedman, un contemporain, plus les commentaires personnels de l’auteur qui permettent de le connaître mieux. Enfin les retrouvailles de Daniel Mendelsohn avec une partie du passé de sa famille sont aussi des retrouvailles avec une culture disparue, la culture juive d’Europe centrale.
Pour toutes ces raisons cet ouvrage foisonnant est un ouvrage passionnant. Daniel Mendelsohn apparaît comme quelqu’un d’intelligent, qui réfléchit, quelqu’un de bien.
Agée d’environ 45 ans Julia Jarmond, américaine et mariée à un Français, vit à Paris depuis 25 ans. Elle est journaliste pour un magazine destiné aux expatriés américains en France. En 2002 elle est chargée de couvrir la commémoration des 60 ans de la rafle du Vel’ d’hiv’. Son travail prend une tournure plus personnelle alors qu’elle découvre les liens inattendus de la famille de son mari avec cet événement. En même temps son mariage traverse une crise difficile.
Née en France de parents juifs polonais, Sarah, 10 ans, est raflée avec eux le 16 juillet 1942. Avant de quitter l’appartement familial elle a eu le temps de cacher son petit frère de quatre ans, Michel, dans un placard secret. Elle a fermé la porte et a emporté la clef en lui promettant de revenir vite. Emmenée au vélodrome d’hiver puis internée à Beaune-la-Rolande, Sarah ne pense qu’à une chose : Michel l’attend, elle doit tenir sa promesse.
Cet émouvant roman raconte en parallèle l’histoire de Julia qui mène l’enquête sur la rafle du Vel’ d’hiv’ et celle de Sarah, victime de cette même rafle. Dans la première moitié du livre Tatiana de Rosnay alterne un chapitre de l’histoire de Sarah puis un de celle de Julia, procédé qui accroit toujours le suspense. Ensuite on ne suit plus directement que Julia et on apprend en même temps qu’elle ce qu’il est advenu de Sarah.
Tatiana de Rosnay présente de façon bien documentée la façon dont s’est déroulée la rafle du Vel’ d’hiv’ et comment la déportation des Juifs de France a été organisée et exécutée par le gouvernement collaborationiste de Vichy (la zone sud « dite libre » est le seul endroit non-occupé d’Europe d’où on a déporté des Juifs pendant la guerre). Elle montre aussi que des Français ont résisté en cachant et en sauvant des Juifs (grâce à leur action la France est le pays d’où le moins de Juifs ont été déportés).
J’ai dévoré ce livre d’une traite. J’avais du mal à le lâcher quand je devais me consacrer à autre chose. Pendant toute la période de ma lecture j’ai aussi été habitée par la musique de la chanson de Jean-Jacques Goldman du même titre.
A Tokyo il y a un petit centre de documentation sur la shoah. Sa directrice, Fumiko Ishioka, se consacre à informer les jeunes Japonais sur le génocide des Juifs. Dans ce but elle a constitué une petite exposition et s’est fait prêter une valise par le mémorial d’Auschwitz. Sur cette valise, un nom : Hana Brady ; une date de naissance : 16 mai 1931 et un mot : orphelin. Qui était Hana Brady ? Quelle a été son histoire ? A partir de ces maigres indices, Fumiko Ishioka va mener l’enquête.
Un centre de documentation sur la Shoah au Japon, en voilà une chose surprenante! Et leurs propres crimes de guerre, ils les enseignent à leurs enfants, les Japonais ? Ceci dit, informer les jeunes sur la shoah, oui, c’est une bonne chose.
J’ai ressorti ce petit livre de ma bibliothèque après avoir entendu M. Sarkozy annoncer que chaque enfant de CM2 devrait porter le souvenir d’un enfant juif victime des nazis. Cette nouvelle m’a fait me poser beaucoup de questions. D’abord sur le fond : c’est compatible, cette idée, avec le fait de rechercher jusque dans les écoles les enfants de sans-papiers pour les renvoyer vers un pays où ils seront persécutés ? Ensuite sur la forme : je pense que c’est trop personnaliser le travail de mémoire et qu’une formule plus légère, un enfant « parrainé » par une classe, serait plus approprié (il semble que ce soit ce vers quoi on se dirige finalement).
Bon, je parle du livre maintenant. C’est une histoire vraie. L’ouvrage raconte deux histoires qui se déroulent en parallèle. Celle d’Hana, Juive de Tchécoslovaquie et celle de l’enquête menée par Fumiko. Il est illustré de documents, des photos d’Hana et de sa famille notamment. Le ton se veut positif : les atrocités vécues par les Juifs sont exposées mais l’accent est mis aussi sur le courage des victimes. La fin délivre un message d’espoir : les jeunes doivent lutter pour que cela ne se reproduise plus. Je pense que La valise d’Hana peut être un bon instrument pour une première approche du génocide des Juifs.
Un ouvrage très controversé et un gros pavé (900 pages). Je m’interrogeais un peu à son sujet. On me l’a prêté. Je l’ai lu et je ne l’ai pas regretté.
Le narrateur, Max Aue, est un Allemand, un nazi, un SS. Ayant réussi à changer d’identité à la fin de la guerre il a survécu à ses crimes et refait sa vie comme honnête industriel français. Plus tard il a éprouvé le besoin d’écrire ses souvenirs, d’abord pour lui, dit-il. Le roman est composé de ces souvenirs et des réflexions du narrateur sur ce qu’il a vécu. Car Max Aue est un intellectuel qui analyse la portée de ses actes, recherche le sens de la vie et se pose la question de la responsabilité. Dans la première partie du roman qui constitue une sorte d’introduction il s’adresse au lecteur : « Je suis coupable, vous ne l’êtes pas, c’est bien. Mais vous devriez quand même pouvoir vous dire que ce que j’ai fait, vous l’auriez fait aussi. Avec peut-être moins de zèle, mais peut-être aussi moins de désespoir, en tout cas d’une façon ou d’une autre. Je pense qu’il m’est permis de conclure comme un fait établi par l’histoire moderne que tout le monde, ou presque, dans un ensemble de circonstances donné, fait ce qu’on lui dit; et, excusez-moi, il y a peu de chances pour que vous soyez l’exception, pas plus que moi. Si vous êtes né dans un pays ou dans une époque ou non seulement personne ne vient tuer votre femme, vos enfants, mais ou personne ne vient vous demander de tuer les femmes et les enfants des autres, bénissez Dieu et allez en paix. mais gardez toujours cette pensée à l’esprit : vous avez peut-être eu plus de chance que moi mais vous n’êtes pas meilleur. »
C’est une question que je me suis déjà posée : qu’aurais-je fait dans les mêmes circonstances ? Il n’est pas sur que je me sois comportée en héroïne car je constate que dans des situations quotidiennes nettement moins dramatiques je manque parfois de courage. Aussi je me félicite de n’avoir pas connu ces temps troublés. Cependant je veux croire que d’autres choix personnels que ceux de Max Aue sont possibles. Car, malgré son insistance à affirmer le contraire, Max Aue n’est pas tout à fait M. Tout-le-monde. C’est un homme profondément perturbé, traumatisé par des épisodes douloureux de son enfance et jamais digérés qui remontent parfois en bouffées délirantes ou en crise de violence démente. Son père a quitté le domicile familial quand lui-même était encore petit. Il rend sa mère responsable de cet abandon et voit dans le Führer un substitut paternel.
Maintenant suivons un peu Max Aue dans sa descente aux enfers car sa carrière s’est déroulée dans tous les lieux où un SS pouvait jouer son rôle. Le premier poste auquel Aue est affecté est celui d’officier d’un einsatzgruppe en Ukraine. Les einsatzgruppen suivent l’armée allemande qui envahit l’URSS, massacrant derrière elle les populations juives. Aue est choqué par ce qui se passe là et par certaines scènes auxquelles il assiste. Cela le rend malade (il fait des cauchemards, il vomit) cependant il estime qu’il doit être là (alors qu’il aurait la possibilité de se faire muter ailleurs) car une fois qu’on a admis que ces mesures sont nécessaires (jamais il ne remet en cause le point de départ dévoyé, l’antisémitisme qui condamne les Juifs) on se doit d’y participer. Il se veut un homme responsable : « Si la valeur suprême c’est le Volk, le peuple auquel on appartient, et si la volonté de ce Volk s’incarne bien dans un chef, alors, en effet, Führerworte haben gesetzeskraft. Mais il était quand même vital de comprendre en soi-même la nécessité des ordres du Führer : si l’on s’y pliait par simple esprit prussien d’obéissance, par esprit de Knecht, sans les comprendre et sans les accepter, c’est-à-dire sans s’y soumettre, alors on n’était qu’un veau, un esclave et pas un homme. »
Il a aussi le sentiment qu’approcher la mort lui permettra de saisir le sens de la vie : « Même les boucheries démentielles de la Grande Guerre, qu’avaient vécues nos pères ou certains de nos officiers plus âgés, paraissaient presque propres et justes à côté de ce que nous avions amené au monde. Je trouvais cela extraordinaire. Il me semblait qu’il y avait là quelque chose de crucial, et que si je pouvais le comprendre alors je comprendrais tout et pourrais enfin me reposer. »
Après ce premier poste particulièrement éprouvant Aue est envoyé se refaire une santé en Crimée, au bord de la mer Noire. A la fin de sa convalescence il reste sur place comme agent d’information. Il est chargé de collecter des renseignements sur les nombreuses minorités ethniques du Caucase, leurs relations entre elles et au pouvoir soviétique. C’est dans le cadre de cette tâche qu’il rencontre le dr Voss avec qui il sympathise immédiatement. Le dr Voss est un linguiste spécialisé dans les peuples du Caucase. C’est l’occasion pour l’auteur de nous donner un exposé passionnant sur ces peuples et leurs langues. Sur un point Voss s’oppose à Aue : il sait que les races n’existent pas, il le lui dit et il le lui démontre (sans le convaincre). Pour lui l’anthropologie raciale est une pseudo-science et une fumisterie. Ces propos semblent faire de Voss un personnage plutôt sympathique cependant ce scientifique suit pas à pas l’avancée de l’armée allemande attendant avec impatience la prise de nouvelles villes soviétiques dont il pourra enfin exploiter les bibliothèques. Ici la guerre se met au service d’une science stérile, la connaissance des langues se fait en même temps qu’on massacre les peuples qui les parlent.
En décembre 1942, alors que l’armée allemande s’enlise devant Stalingrad, Max Aue participe à une conférence suréaliste. On a fait venir des spécialistes de Berlin pour décider du cas des Bergjuden un peuple juif local qui prétend s’être converti récemment au judaïsme (ainsi, si cela est prouvé, il ne sont pas de race juive et donc n’encourent pas le génocide). Je trouve que cet épisode montre bien le délire nazi : du temps est gaspillé à discuter du sort d’une poignée de paysans dont il est évident qu’ils représentent bien moins de danger pour le Reich allemand que la progression des troupes soviétiques. Malgré les voeux de ses chefs Aue est honnête et plaide pour la conversion des Bergjuden. Cette prise de position lui vaut d’être muté à Stalingrad.
A Stalingrad Max Aue assiste à l’agonie de l’armée allemande. Il est lui-même grièvement blessé, ne survivant que par miracle après que la balle d’un sniper lui a traversé le crâne. Après sa convalescence dont il a profité pour renouer avec sa mère de façon particulièrement violente, Aue est nommé à Berlin comme responsable d’un service chargé de gérer au mieux la main d’oeuvre captive du Reich. Autrement dit il doit prendre des mesures pour que les déportés arrivent dans le meilleur état possible dans les camps pour pouvoir travailler avant d’être exterminés. Aue s’attelle à cette tâche avec toute la conscience professionnelle qui le caractérise. Hélas pour lui il s’avère que la plupart des officiers SS sont des corrompus qui utilisent le système à leur avantage personnel. Au milieu de tout cela quelques « honnêtes » nazis tentent de lutter contre la prévarication. Ainsi à Lublin Aue rencontre un juge qui poursuit des chefs de camp pour crime : « Si un membre de la SS fait tuer un Juif dans le cadre des ordres supérieurs, c’est une chose; mais s’il fait tuer un Juif pour couvrir ses malversations, ou pour son plaisir perverti, comme cela arrive aussi, c’en est une autre, c’est un crime. Et cela même si le Juif devait mourir par ailleurs. » (N’est-on pas ici en pleine schizophrénie ?) « La distinction doit être malaisée à faire » répond Aue sans rire.
L’armée soviétique avançant toujours Max Aue est chargé d’encadrer une marche de la mort qui évacue le camp d’Auschwitz. Plus tard il se retrouve coincé derrière les lignes soviétiques et, avec deux autres hommes, il doit marcher plusieurs jours en se cachant afin de rejoindre leurs troupes. Ils traversent des hameaux dont la population a été massacrée par les Soviétiques. Ils rencontrent une troupe d’enfants sauvages. Enfin, en avril 1945, Aue est dans Berlin encerclée par les alliés, bombardée en permanence.
J’ai trouvé cet ouvrage passionnant. Alors, bien sur, ce n’est pas toujours plaisant à lire car le narrateur nous décrit tout des atrocités auxquelles il a participé. Par ailleurs on a aussi droit à ses turpitudes et fantasmes sexuels. C’est un homosexuel et il a une sexualité assez perturbée. Mais les atouts de ce roman sont qu’il est hyper-bien documenté et qu’il donne à réfléchir. On entre dans la tête du personnage et on découvre comment une idéologie perverse a pu mener un peuple au crime contre l’humanité en s’appuyant sur des blessures personnelles.
Philippe Grimbert a vécu une enfance difficile. Perturbé par des insomnies et des cauchemars, souffreteux, il s’est inventé un frère, un double plus beau et plus fort qui lui permettait de supporter l’existence. Il a 15 ans quand il apprend le terrible secret que ses parents et sa famille lui ont caché : ce frère a bien existé et il a été emporté par les persécutions antisémites qui ont frappé les Juifs d’Europe lors de la seconde guerre mondiale.
Philippe Grimbert est psychanalyste et à travers l’histoire romancée de sa famille il explore les répercutions d’un secret de famille sur un enfant théoriquement ignorant et qui somatise ce qu’on cherche à lui cacher. En même temps, il reconstitue cette histoire familiale passée sous silence et rappelle la mémoire de ceux qui sont morts sans tombe.