Gyeongha, la narratrice, est chargée par son amie Inseon, hospitalisée, d’aller chez elle pour prendre soin de son perroquet blanc. Le trajet vers la maison isolée de l’île de Jeju prise dans une tempête de neige est une véritable épreuve pour Gyeongha. Elle se souvient d’épisodes antérieurs de son amitié avec Inseon et d’un projet artistique conçu ensemble et dont la réalisation est repoussée d’année en année : une installation commémorant les massacres de Jeju en 1948-1949. La description de la tempête de neige est particulièrement réaliste : j’ai eu froid pour la narratrice. J’ai trouvé par contre cette première partie un peu longue.
La narration de Gyeongha dans le temps présent du roman s’entrecroise avec ses souvenirs, ses cauchemars et, finalement, un long passage où Inseon lui apparaît et lui raconte son histoire familiale. Pas toujours évident de savoir si on est dans le rêve ou la réalité.
C’est ce que j’ai appris sur la répression « anti-communiste » à Jeju et en Corée du Sud à la fin des années 1940 et pendant la guerre de Corée qui m’a le plus intéressée. A Jeju on estime à 30 000 le nombre de civils de tous âges exécutés. Dans le reste du pays on a fiché des personnes classées à gauche, leurs familles et même des gens choisis au hasard pour atteindre les quotas, c’est la ligue Bodo. Pendant la guerre de Corée ils sont arrêtés et fusillés. Il y aurait eu 100 000 victimes. Je ne connaissais pas grand-chose de l’histoire de la Corée et je suis choquée par ce que j’apprends. C’est une répression aveugle qui n’a rien à envier à celle des régimes communistes. En Corée du Sud ce n’est que depuis le début du 21° siècle que la vérité est faite sur ces horreurs, attribuées pendant longtemps aux forces communistes.
J’ai apprécié la façon dont l’autrice croise informations historiques et histoire de la famille d’Inseon. Cela donne du corps aux événements. Elle fait bien ressentir le traumatisme des survivants et la façon dont il peut affecter une famille sur plusieurs générations.
Bruno Combes, Il existera toujours un chemin, Michel Lafon
Le romancier Bruno Combes est mort le 13 avril 2024. Il était né en 1962. Ingénieur chimiste, il publie son premier roman en 2014. Les trois premiers romans ont été publiés en auto-édition puis le succès lui a ouvert les portes de la maison Michel Lafon. Ses romans se classent dans la catégorie feel good et, à l’occasion de sa mort, je découvre à ma bibliothèque un rayon de romans feel good sous la côte RFG.
Il existera toujours un chemin. Margot, 32 ans, est mariée à un pervers narcissique alcoolique qui la bat. Un soir qu’il frappe plus fort que d’habitude elle craint de mourir et fuit le domicile conjugal. Elle se réfugie à Saint Jean Pied de Port dans la gîte tenu par Elaïa.
Alexandra, 25 ans, est une influenceuse basée à Dubaï. Elle se pose de plus en plus de questions sur le sens de son activité aussi, quand elle est trahie par son agent et compagnon, elle décide de rentrer en France. Direction Saint Jean Pied de Port et le gîte tenu par son amie Elaïa.
Fils d’un gros viticulteur du Bordelais Mathieu, 37 ans, a rompu avec ses parents mais pas totalement puisqu’il a acheté un domaine viticole en Espagne. Quand il fait faillite il plaque tout et s’en va sur le chemin de Compostelle.
Les trois personnages vont se rencontrer, se lier d’amitié et trouver ensemble le courage de faire de nouveaux choix.
Que dire ? Le style est plat, les dialogues sonnent faux et les réactions des personnages ne sont pas crédibles. Chaque chapitre est introduit par un court paragraphe, conseil de développement personnel à deux balles. Un exemple (j’ai choisi le plus problématique, à mon avis) :
« On peut rejeter notre éducation, notre enfance, nos origines, rendre responsables nos parents de tous les malheurs qui se présentent sur notre route. Les accuser de tous les maux, de nos hésitations, nos trahisons, nos faiblesses.
Mais, au fond, qui sommes nous pour ne rien assumer et pour faire preuve d’une telle lâcheté ?
Rien n’est écrit à l’avance, nous deviendrons ce que nous déciderons d’être.
Notre existence n’est dictée que par une seule chose : notre volonté ! »
Enfants battus ou victimes d’inceste, arrêtez de vous plaindre et faites preuve de volonté ! Vous l’avez compris, c’est du feel good pour ceux qui vont déjà bien. Et si nos personnages ont décidé de changer de vie, il ne s’agit pas de tout foutre en l’air : on respecte ses parents et on ne divorce pas quand on a un enfant en bas âge.
Malgré tout cela se lit sans difficulté et même avec l’envie de savoir où va me mener ce chemin : vers un monde sans chômage où une caissière de supermarché devient facilement salariée d’une ONG, une influenceuse productrice de fromage et un viticulteur failli photographe pour un éditeur. Du moment qu’on a la volonté. Et les bonnes relations…
Bernard Pivot, … mais la vie continue, Albin Michel
Le journaliste Bernard Pivot est mort le 6 mai 2024 au lendemain de son anniversaire : il était né le 5 mai 1935 à Lyon où ses parents tenaient une épicerie. Il avait la passion des mots et a travaillé au Figaro littéraire, animé des émissions de télévision littéraires (Ouvrez les guillemets, Apostrophe, Bouillon de culture), lancé le magazine Lire avec Jean-Louis Servan-Schreiber, créé le championnat de France d’orthographe (et la fameuse dictée) et été membre du jury Goncourt.
… mais la vie continue. Âgé de 82 ans, le narrateur est un double de Bernard Pivot. Ancien éditeur, il profite d’une retraite sans engagements en prenant le temps de goûter la vie et en fréquentant un groupe d’amis fidèles qui s’est baptisé les JOP : les Jeunes Octogénaires Parisiens.
Dans cet ouvrage Bernard Pivot nous livre ses réflexions sur le vieillissement et le bien vieillir : les maux de la vieillesse, souvent physiques et de santé, mais aussi les avantages qu’il y a à être âgé. Le narrateur prend des engagements autour desquels il veut construire sa fin de vie et qui peuvent être, pourquoi pas, des conseils pour le lecteur. Rien de révolutionnaire là-dedans si vous avez déjà réfléchi à la question : ne pas se plaindre, être de bonne humeur, entretenir sa curiosité, ne pas s’isoler, découvrir des nouveautés… L’auteur analyse aussi avec lucidité les entraves à la réalisation de ces bonnes résolutions.
Le ton est léger, c’est bien écrit, plaisant à lire et ça m’a rendu Bernard Pivot sympathique.
Khaled Hosseini, Les cerfs-volants de Kaboul, 10-18
Le narrateur est Amir, né en 1963, Afghan réfugié aux Etats-Unis, écrivain. Dans les années 1970 quand Amir était enfant, à Kaboul, son père était alors un riche commerçant, protecteur admiré de tout son entourage. Amir avait pour camarade de jeu Hassan, jeune serviteur Hazara. Les Hazaras sont une ethnie afghane d’origine mongole. Ils ont les yeux bridés et le nez plat. Ils sont par ailleurs chiites. Pour ces raisons ils sont méprisés et condamnés aux basses tâches. Hassan suivait partout Amir, l’aimait et le protégeait contre les méchants garçons du quartier. Mais quand Amir a la possibilité de rendre la pareille, il laisse Hassan se faire agresser puis met fin à leur relation. Des années plus tard la possibilité lui est donnée de se racheter.
J’ai beaucoup aimé ce roman, très mélodramatique, il faut le dire. Tous les malheurs qui peuvent frapper quelqu’un touchent Hassan et sa famille. En même temps cela se passe en Afghanistan, pays sur lequel d’immenses malheurs se sont abattus dans la période concernée (années 1970- 2001). Quand le narrateur retourne à Kaboul à l’été 2001, après 20 ans d’absence, il découvre une ville ravagée. Sous la violence délirante des talibans les valeurs ont changé. Un directeur d’orphelinat vend à l’occasion un enfant (à des talibans pédophiles) pour pouvoir nourrir les autres. Ses interlocuteurs sont d’abord choqués et horrifiés puis obligés d’admettre qu’il n’y a pas d’autre solution.
L’autre intérêt du roman ce sont les difficiles relations entre Amir et son père. Depuis son plus jeune âge Amir se sent mal aimé. Il a l’impression que le garçon timoré qu’il est déçoit son père qu’il voit comme un héros qui n’hésite jamais à affirmer ses convictions. Il cherche l’affection de celui-ci par tous les moyens. Devenu adulte il découvre finalement que son père avait ses failles comme tout être humain. Son retour à Kaboul est aussi l’occasion de regagner son estime de soi.
Un auteur que j’ai eu plaisir à découvrir. J’envisage de lire son autre roman très prochainement. J’ai vu qu’il était aussi à ma bibliothèque.
Hans Peter Richter, Mon ami Frédéric, Le livre de poche
L’histoire se déroule en Allemagne des années 30 à la deuxième guerre mondiale. Le narrateur et Frédéric, tous les deux nés en 1925, sont voisins et amis depuis l’âge de quatre ans. Frédéric est Juif et, petit à petit, les interdits le frappent ainsi que sa famille. Le père de Frédéric, M. Schneider, fonctionnaire, est mis à la retraite d’office à 32 ans. Frédéric doit changer d’école puis les cinémas sont interdits aux Juifs. Dans un jardin public les bancs verts sont réservés aux non-Juifs et les bancs jaunes aux Juifs et il faut porter l’étoile jaune.
Ce roman pour enfants montre très bien comment, petit à petit, l’Etat nazi exclu les Juifs. Les personnages offrent une palette de comportements nuancés. Il y a M. Resch, le propriétaire de la maison où vivent les deux familles, membre du Parti et tout boursouflé de son importance, pour qui l’antisémitisme est une occasion de se donner un peu plus de pouvoir. Il y a le maître d’école des deux enfants qui explique à ses élèves que les Juifs sont des êtres humains comme les autres et termine son discours par « Heil Hitler ! ». Enfin il y a la famille du narrateur (son père adhère au Parti). Ils restent amis des Schneider jusqu’au bout, les aidant chaque fois que cela ne met pas leur propre sécurité en danger.
Fred Uhlman, L’ami retrouvé, Folio
Ce court récit est l’histoire de l’amitié, en Allemagne, au début des années 30, entre deux jeunes gens de 16 ans, Hans Schwarz, le narrateur, fils d’un médecin juif et Conrad von Hohenfels, rejeton d’une illustre famille de la noblesse souabe.Quand Conrad arrive au lycée, Hans est aussitôt séduit par sa prestance et ses origines et n’a de cesse d’attirer son attention. Les deux garçons deviennent très vite inséparables mais la montée du nazisme va mettre fin à leur relation. Hans découvre d’abord que la mère de Conrad est une antisémite convaincue qui garde la photo d’Hitler dans sa chambre. Puis ses parents l’envoient aux Etats-Unis pour le mettre à l’abri de brimades croissantes. Il ne rentrera jamais.
J’aime beaucoup ce petit livre fort bien écrit. 30 ans après le narrateur se retourne sur son passé pour se souvenir de cette amitié qui l’a marqué à jamais. Il me semble que les sentiments de l’adolescence sont bien rendus comme les exigences qu’on peut avoir à cet âge là dans ses relations avec ses pairs. En toile de fond se dessine l’Allemagne de 1933. L’auteur montre de façon poignante comment le père de Hans, croix de fer de la première guerre mondiale, persuadé que la culture allemande détournera ses compatriotes du nazisme, perd cruellement ses illusions. La dernière page qui justifie le titre est particulièrement émouvante.
Siri Hustvedt, Tout ce que j’aimais, Babel
Léo, le narrateur, un homme vieillissant, se penche sur son passé et égrène ses souvenirs depuis l’époque de son mariage. Léo et Erica, sa femme, vivent à New-York et sont tous les deux professeurs d’université. Léo se lie d’amitié avec Bill, un artiste peintre. Bill est marié à Lucille, puis ils divorcent et Bill épouse Violet. Après ce deuxième mariage, les deux couples deviennent très proches. Ils habitent dans le même immeuble, déjeunent régulièrement les uns chez les autres, passent leurs vacances ensemble. Comme Léo et Bill, Erica et Violet sont très proches l’une de l’autre.
Toute la première partie est empreinte d’une nostalgie douce, de l’amitié vraie, de l’heureux temps passé.
Mais le malheur va frapper durement ces deux familles et les événements prennent petit à petit une tournure inquiétante.
Dans ce livre, comme dans le précédent que j’ai lu (La fille qui marchait sur l’eau) il est question de la mort d’un enfant et de ses parents qui s’éloignent l’un de l’autre après cette tragédie, incapables de continuer à vivre ensemble mais incapables aussi de se séparer complètement. Mais il est question aussi d’une situation même plus difficile pour des parents que la mort d’un enfant.
L’action s’accélère et s’éloigne de la tranquillité du début pour atteindre à une forme d’angoisse. La note positive c’est que l’amitié survit aux coups du destin et est une aide pour les encaisser.
J’ai beaucoup aimé ce livre. Il est bien écrit et de plus en plus prenant à mesure qu’on avance dans sa lecture. Siri Hustvedt est la femme de Paul Auster et par sa qualité d’écriture, par le fait que l’action se situe dans le même milieu intellectuel new-yorkais, ce livre m’a parfois fait penser à du Paul Auster. J’ai l’intention de me procurer d’autres livres de cet Siri Hustvedt.
Anna Gavalda, Ensemble, c’est tout, Le dilletante
J’ai longtemps hésité à lire ce livre car je n’avais pas bien aimé Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part (recueil de nouvelles, du même auteur, chez le même éditeur) mais on me l’a tant de fois recommandé et finalement l’affirmation : « Comme tu as de la chance de ne pas l’avoir encore lu ! » m’a convaincue.
Ne pas se laisser impressionner par ce pavé de 600 pages. Il se lit très facilement car la narration est essentiellement composée de dialogues rapides.
C’est l’histoire de trois dépressifs, trois adultes qui ont été mal aimés par leurs parents et qui ont bien des difficultés à digérer cette enfance douloureuse.
Camille, artiste peintre, a cessé de créer par manque de confiance en elle et travaille dans une entreprise de nettoyage de bureaux.
Franck, cuisinier, cache sa sensibilité en grognant et en roulant des mécaniques.
Et Philibert de la Durbelière, élevé dans la nostalgie de la chevalerie, est totalement inadapté à la vie dans le monde contemporain.
Une improbable rencontre va réunir ces trois personnages, ils vont habiter ensemble, se lier d’amitié (et d’amour), s’épauler et apprendre, ensemble, à apprécier la vie.
Un livre et des personnages sympathiques cependant, d’après moi, on reste ici dans de la littérature à l’eau de rose car il manque une profondeur de réflexion. Je ne peux m’empêcher de comparer avec Paul Auster qui traite des mêmes sujets (l’amitié et les rencontres salvatrices) avec en plus, justement, cette profondeur qui amène le lecteur à réfléchir sur lui-même.
Paul Auster, Le voyage d’Anna Blume, Actes sud
J’ai découvert Paul Auster l’été dernier avec la lecture de l’excellent Léviathan et j’ai été conquise. Depuis j’ai placé Paul Auster au rang de mes auteurs favoris et j’ai entrepris de combler mon retard dans la lecture de son oeuvre.
Le voyage d’Anna Blume n’est pas un livre dans lequel on entre facilement mais une fois qu’on a fait cet effort il se révèle finalement prenant. Ce n’est cependant pas l’ouvrage de Paul Auster que j’ai préféré.
L’histoire étrange se passe dans une ville en partie détruite, une ville d’après la fin du monde, une ville ghetto. Les habitants survivent d’expédients, la violence règne. Anna Blume est venue dans cette ville chercher son frère qui a disparu. Elle rencontre diverses personnes. Des relations d’amitié et de solidarité se nouent malgré l’extrême précarité des conditions de vie.