L’écrivaine irlandaise Edna O’Brien est morte le 27 juillet 2024. Elle était née en 1930 dans une famille à la mère d’une religiosité « médiévale » et au père alcoolique et violent, milieu qu’elle a quitté sans regret. Ses livres traitent souvent de la condition des femmes dans une société conservatrice.
Tu ne tueras point. Irlande. Mary, une adolescente de 13 ans, est régulièrement violée par son père. Quand elle se retrouve enceint elle convainc une voisine de l’emmener en Grande-Bretagne pour se faire avorter. Mais la fuite est déjouée et Mary est livrée à une opinion publique anti-avortement.
Cette histoire sordide est l’occasion pour Edna O’Brien de tracer le portrait attachant d’une jeune fille volontaire. Incapable d’empêcher les agressions dont elle est victime, silencieuse et discrète, Mary est taraudée par la honte de ce qui lui arrive cependant elle ne renonce jamais à lutter pour son émancipation, multipliant les tentatives d’évasion. Ce roman est aussi une charge contre une société rurale rétrograde où le patriarcat et le catholicisme intégriste imposent leur loi. La clique des bigotes anti-avortement, prêtes à tout pour que Mary garde son bébé, est particulièrement effrayante. Le roman est paru en 1996 et l’action, non datée, se déroule bien dans les années 1990 comme le montrent une ou deux informations d’actualité cependant j’ai tout du long l’impression que cela se passe dans les années 1950.
J’ai apprécié l’écriture qui a des aspects poétiques malgré le sujet douloureux. Il y a de belles descriptions de paysages où les couleurs sont mises en avant, particulièrement le rouge qui réapparaît tout au long du récit. Les viols sont décrits de façon fragmentée, mettant l’accent sur la dissociation que subit Mary lors des agressions. Un livre pas toujours facile à lire mais rudement bien mené et efficace.
L’écrivaine canadienne Alice Munro est morte le 14 mai 2024. Elle était née en 1931 dans l’Ontario. Elle écrivait des nouvelles et a été la première autrice de nouvelles à recevoir le prix Nobel pour son oeuvre, en 2013.
Rien que la vie. Les 14 nouvelles qui composent ce recueil sont autant de tranches de vie de leurs personnages ou de l’autrice, pour les quatre dernières qui sont présentées comme étant autobiographiques. Dans Rien que la vie Alice Munro décrit de façon émouvante sa relation à ses parents, la ferme familiale, son environnement et son attachement à ces lieux.
La plupart de ces nouvelles racontent un moment charnière dans une vie. Dans La gravière une enfant de sept ans est la protagoniste d’un drame familial. Devenue adulte, elle tente de comprendre l’événement et son propre comportement. Poignant. La narratrice de Havre raconte comment sa tante a consacré sa vie à faire de son foyer un havre pour son mari. Jusqu’à l’erreur d’appréciation. Dans Train un jeune homme qui revient de la guerre saute du train qui le ramenait chez lui. Il s’installe dans une ferme délabrée qu’il remet en état. C’est l’histoire d’un homme qui aime réparer des choses et qui souhaite demeurer sans attaches.
J’ai aimé le rythme lent de la vie quotidienne dont les principales péripéties sont les relations humaines sur le long terme, et les concessions qu’on fait : « Je n’étais pas retournée chez nous pour la dernière maladie de ma mère ni pour son enterrement. J’avais deux jeunes enfants et personne à qui les confier à Vancouver. Nous n’avions guère les moyens de nous offrir le voyage et mon mari méprisait tout ce qui relevait des convenances, mais pourquoi lui faire porter la responsabilité ? Je partageais son sentiment. De certaines choses on dit qu’elles sont impardonnables, ou qu’on ne se les pardonnera jamais. Mais c’est ce qu’on fait -on le fait tout le temps. »
Les sentiments et les motivations des personnages sont analysées de façon fine, c’est une lecture que j’ai appréciée.
L’écrivain écossais john Burnside est mort le 29 mai 2024, il était né en 1955. Il a vécu une enfance défavorisée auprès d’un père mythomane, affabulateur compulsif. Il en a parlé dans Un mensonge sur mon père. Si ce sont essentiellement ses romans qui sont traduits en français, il était aussi poète et a écrit de la non-fiction.
L’été des noyés. Au nord de la Norvège, dans une île proche du cercle polaire, vit Liv, la narratrice. Elle habite avec sa mère, une peintre dont la notoriété lui permet de vivre de son art, elle vient de finir le lycée et se demande ce qu’elle va faire ensuite. Liv est une jeune fille solitaire dont le seul ami est Kyrre Opdahl, un vieux voisin attaché aux légendes locales de trolls et autres créatures fantastiques. En ce début d’été, deux frères de l’âge de Liv se noient à quelques jours d’intervalle dans les mêmes circonstances insolites. Liv les avait vus quelques jours plus tôt en compagnie de Maia, une autre camarade de classe. Maia est-elle la huldra, une incarnation féminine du Malin qui séduit les hommes pour les attirer à la mort ?
Difficile de savoir en lisant ce roman si on a affaire à un récit traversé de fantastique ou si Liv est « juste » perturbée. Quelque en soit la cause elle est victime de crises d’angoisse et semble à plusieurs reprises proche de la folie. Elle-même, en tant que narratrice qui relate les faits dix ans après leur survenue, ne sait pas trop comment interpréter ce à quoi elle a assisté. Ces événements semblent d’ailleurs se dérouler comme hors du monde. La mort des deux frères a-t-elle déclenché une enquête ? On ne le sait pas. Les épisodes étranges qui ont eu lieu ensuite ont-ils agité quelqu’un d’autre que Liv ? Elle ne le dit pas. La jeune fille vit dans son espace familier et s’en satisfait, sans désir d’en sortir. Attentive à la nature et aux variations de la lumière, elle m’apparaît comme une contemplative.
Mon avis sur ce roman est mitigé. J’ai apprécié la belle écriture aux accents poétiques et la description des paysages, notamment les nuits blanches de l’été nordique. J’ai apprécié aussi la fine analyse psychologique car Liv a le don de percer à jour ses interlocuteurs, de comprendre en profondeur comment ils fonctionnent et ce qu’ils voudraient cacher. Par contre j’ai mis du temps à entrer dans ma lecture car le rythme est lent et il ne se passe, en fait, pas grand-chose. Mon principal bémol c’est qu’à la fin je me demande où tout cela nous mène et où veut en venir l’auteur. Je crains que ce roman ne me laisse pas un long souvenir.
Le romancier et historien militaire américain Caleb Carr est mort le 23 mai 2024, il était né en 1955. Il a grandi dans la crainte que son père, qui le battait, ne le tue. Le poète Lucien Carr avait en effet fait de la prison pour homicide involontaire. Le roman le plus connu de Caleb Carr est L’Aliéniste.
New York, 1896. Un tueur en série assassine de jeunes garçons prostitués puis mutile atrocement leurs cadavres. Le préfet de police Theodore Roosevelt charge le journaliste John Moore, narrateur du roman, et le médecin aliéniste (psychiatre) Laszlo Kreizler de débusquer le criminel. Ils s’adjoignent la collaboration des frères Lucius et Marcus Isaacson, deux policiers incorruptibles -espèce rare à l’époque- et de Sara Howard, secrétaire de Roosevelt, qui rêve d’enquêter -métier interdit aux femmes en cette fin du 19° siècle. Ils vont faire un travail de profileurs pour dresser un portrait de l’assassin et lui mettre la main dessus.
Laszlo Kreizler est un médecin en avance sur son temps qui pense que l’on peut trouver dans le passé -particulièrement l’enfance- des personnes déviantes des explications à leurs actes. Ces vues originales lui valent la réprobation de la communauté médicale établie. Les frères Isaacson s’intéressent aux plus récentes découvertes de la criminologie comme l’utilisation des empreintes digitales. Leur intérêt pour la science ne frappe pas toujours juste. Ainsi ils photographient l’oeil d’une victime avec l’espoir qu’on pourra y voir le visage de son meurtrier. Sara Howard est une femme décidée, prête à forcer les circonstance pour ne pas rester secrétaire. Elle sait manier le pistolet et n’hésite pas à tenir tête à Kreizler quand elle estime qu’il se trompe dans ses analyses. Le narrateur est lui aussi légèrement marginal. J’ai trouvé cette petite équipe fort sympathique.
Le cadre historique et géographique est celui de New York à la fin du 19° siècle. La corruption règne dans les administration et la police où le préfet Roosevelt essaie de faire le ménage. Nos héros vont trouver en travers de leur chemin des chefs de gang qui n’apprécient pas qu’on intervienne sur leur terrain -prostitution et maisons closes- et même les autorités religieuses, désireuses que l’ordre social ne soit pas perturbé. L’auteur s’est bien documenté sur cette période et le résultat est vivant avec de nombreux détails sur la vie sociale et culturelle. Plus que l’enquête elle-même ce sont ce cadre ainsi que les enquêteurs qui me plaisent et qui m’intéressent dans ce roman. Ce que j’ai lu de la biographie de Caleb Carr me laisse penser qu’il a mis des éléments personnels dans ce policier.
La première de couverture nous parle d’un « scénario teinté de Silence des agneaux », affirmation qui m’a inquiétée car j’ai le souvenir d’une lecture qui m’avait horrifiée. En fait l’époque et le personnage de psychiatre éclairé me font plutôt penser à la série des enquêtes de Max Liebermann que j’avais beaucoup appréciée. J’ai trouvé cette lecture plaisante, l’auteur ne s’appesantit pas sur les horreurs commises par son assassin. Je vois qu’il existe un second épisode avec les mêmes enquêteurs, je le lirai sans doute.
L’écrivaine Claude Pujade-Renaud est morte le 18 mai 2024, elle était née en 1932. Issue d’une famille bourgeoise, elle refuse la voie qui lui était tracée et s’oriente vers des étude d’éducation physique. Elle a été danseuse et enseignante en sciences de l’éducation.
Dans l’ombre de la lumière. Avant d’être chrétien et évêque, saint Augustin (354-430) a été manichéen et en couple. La narratrice de ce roman est Elissa, ancienne concubine d’Augustinus, qu’il répudia dans l’intention de se marier avant de se convertir au christianisme. Installé à Carthage (Tunisie actuelle), Elissa travaille pour un potier et fréquente un couple don le mari est copiste. Par lui elle a connaissance de la carrière et des écrits de celui qui est à présent évêque d’Hippo Regio (Hippone, Annaba dans l’Algérie actuelle).
Le roman entremêle épisodes de la vie d’Elissa, pendant et après sa vie avec Augustinus, et réflexions sur la pensée de ce dernier. Ce n’est pas une biographie de saint Augustin à proprement parler cependant j’ai appris des choses sur lui dont j’avais de vagues souvenirs pour avoir travaillé sur des extraits des Confessions quand j’étudiais le latin (Je me souviens de mon maître, un vieux prêtre érudit. Quand il me posait une question et que je répondais juste, il me disait : « Intuition féminine ». Et quand je répondais faux : « Vous me dites, avec une inconséquence toute féminine… »). Saint Augustin pensait que les bonne œuvres ne sont rien sans la grâce accordée par Dieu. Il a inspiré Luther sur ce point. Après ma lecture de Bélibaste je découvre aussi que les cathares étaient des manichéens.
J’ai trouvé intéressant le cadre historique du roman qui est celui des derniers temps de l’empire romain en Afrique du nord. On passe, vers 370, moment de la rencontre entre Elissa et Augustinus, d’une époque de multi confessionnalisme et de tolérance religieuse où païens, chrétiens, manichéens et autres sectes se fréquentent, à l’hégémonie chrétienne à la toute fin du 4° siècle quand les cultes païens sont interdits et les sanctuaires détruits. Après la chute de Rome en 410 les réfugiés affluent à Carthage.
Elissa est une femme forte qui aspire à l’autonomie mais qui en est en partie empêchée à cause de son incapacité à faire son deuil de sa relation avec Augustinus. C’est un personnage attachant auquel on peut en partie s’identifier du fait de ses questionnements universels. Ainsi, témoin du passage du rouleau au codex (le livre) comme support d’écriture elle s’interroge sur les changements que cela induit dans la façon de lire, d’écrire, de réfléchir. Une autre protagoniste reproche à Augustinus d’avoir, dans les Confessions, révélé une faiblesse de sa mère : « Est-ce qu’on a le droit, en évoquant des épisodes de sa propre vie, de mettre ainsi en cause des proches ? »
Le romancier Bruno Combes est mort le 13 avril 2024. Il était né en 1962. Ingénieur chimiste, il publie son premier roman en 2014. Les trois premiers romans ont été publiés en auto-édition puis le succès lui a ouvert les portes de la maison Michel Lafon. Ses romans se classent dans la catégorie feel good et, à l’occasion de sa mort, je découvre à ma bibliothèque un rayon de romans feel good sous la côte RFG.
Il existera toujours un chemin. Margot, 32 ans, est mariée à un pervers narcissique alcoolique qui la bat. Un soir qu’il frappe plus fort que d’habitude elle craint de mourir et fuit le domicile conjugal. Elle se réfugie à Saint Jean Pied de Port dans la gîte tenu par Elaïa. Alexandra, 25 ans, est une influenceuse basée à Dubaï. Elle se pose de plus en plus de questions sur le sens de son activité aussi, quand elle est trahie par son agent et compagnon, elle décide de rentrer en France. Direction Saint Jean Pied de Port et le gîte tenu par son amie Elaïa. Fils d’un gros viticulteur du Bordelais Mathieu, 37 ans, a rompu avec ses parents mais pas totalement puisqu’il a acheté un domaine viticole en Espagne. Quand il fait faillite il plaque tout et s’en va sur le chemin de Compostelle. Les trois personnages vont se rencontrer, se lier d’amitié et trouver ensemble le courage de faire de nouveaux choix.
Que dire ? Le style est plat, les dialogues sonnent faux et les réactions des personnages ne sont pas crédibles. Chaque chapitre est introduit par un court paragraphe, conseil de développement personnel à deux balles. Un exemple (j’ai choisi le plus problématique, à mon avis) :
« On peut rejeter notre éducation, notre enfance, nos origines, rendre responsables nos parents de tous les malheurs qui se présentent sur notre route. Les accuser de tous les maux, de nos hésitations, nos trahisons, nos faiblesses. Mais, au fond, qui sommes nous pour ne rien assumer et pour faire preuve d’une telle lâcheté ? Rien n’est écrit à l’avance, nous deviendrons ce que nous déciderons d’être. Notre existence n’est dictée que par une seule chose : notre volonté ! »
Enfants battus ou victimes d’inceste, arrêtez de vous plaindre et faites preuve de volonté ! Vous l’avez compris, c’est du feel good pour ceux qui vont déjà bien. Et si nos personnages ont décidé de changer de vie, il ne s’agit pas de tout foutre en l’air : on respecte ses parents et on ne divorce pas quand on a un enfant en bas âge.
Malgré tout cela se lit sans difficulté et même avec l’envie de savoir où va me mener ce chemin : vers un monde sans chômage où une caissière de supermarché devient facilement salariée d’une ONG, une influenceuse productrice de fromage et un viticulteur failli photographe pour un éditeur. Du moment qu’on a la volonté. Et les bonnes relations…
L’écrivain occitan Henri Gougaud est mort le 6 mai 2024 (comme Bernard Pivot). Il était né en 1936. Il a commencé par composer des chansons et s’est produit dans des cabarets parisiens mais il a surtout écrit pour les autres : Serge Reggiani, Juliette Gréco, Jean Ferrat… Dans les années 1970 il tient une chronique sur la science fiction sur France Inter avant de se consacrer exclusivement à l’écriture. Il était anarchiste et pacifiste.
Bélibaste. Corbières, 1305. Parce qu’il a tué un homme lors d’une bagarre, le berger Guillaume Bélibaste (1280-1321), 25 ans, doit quitter son village et sa famille. La famille Bélibaste est cathare et Guillaume suit le parfait Philippe d’Alayrac à Rabastens (Tarn actuel). Les parfaits sont les « prêtres » cathares. Ils ont reçu le consolamentum et ne doivent pas consommer de viande ni avoir de relations sexuelles. Au prix d’une période de jeûnes et de mortifications, Bélibaste va devenir lui aussi un parfait. Quand la chasse aux hérétiques commence dans la région, les deux parfaits fuient vers la Catalogne.
L’histoire de Bélibaste racontée par Henri Gougaud c’est l’histoire d’un homme entraîné par les circonstances dans une aventure qui le dépasse. Parfait imparfait, Bélibaste n’a en rien choisi de se consacrer à la prédication. Il alterne les phases d’exaltation où il est porté par l’accueil que lui font ses coreligionnaires et celles d’abattement quand il doute de tout et insulte Dieu. Travaillé par la culpabilité d’avoir tué un homme il aspire à rejeter son vieux moi pour atteindre la pureté et la grâce. C’est le talent d’Henri Gougaud de rendre de façon crédible les contradictions de ce personnage très humain. Cela passe aussi par la belle écriture qui permet presque à la lectrice de s’imaginer au 14° siècle. J’aime beaucoup les descriptions de paysages. C’est donc une lecture que j’ai grandement appréciée.
Le journaliste Bernard Pivot est mort le 6 mai 2024 au lendemain de son anniversaire : il était né le 5 mai 1935 à Lyon où ses parents tenaient une épicerie. Il avait la passion des mots et a travaillé au Figaro littéraire, animé des émissions de télévision littéraires (Ouvrez les guillemets, Apostrophe, Bouillon de culture), lancé le magazine Lire avec Jean-Louis Servan-Schreiber, créé le championnat de France d’orthographe (et la fameuse dictée) et été membre du jury Goncourt.
… mais la vie continue. Âgé de 82 ans, le narrateur est un double de Bernard Pivot. Ancien éditeur, il profite d’une retraite sans engagements en prenant le temps de goûter la vie et en fréquentant un groupe d’amis fidèles qui s’est baptisé les JOP : les Jeunes Octogénaires Parisiens.
Dans cet ouvrage Bernard Pivot nous livre ses réflexions sur le vieillissement et le bien vieillir : les maux de la vieillesse, souvent physiques et de santé, mais aussi les avantages qu’il y a à être âgé. Le narrateur prend des engagements autour desquels il veut construire sa fin de vie et qui peuvent être, pourquoi pas, des conseils pour le lecteur. Rien de révolutionnaire là-dedans si vous avez déjà réfléchi à la question : ne pas se plaindre, être de bonne humeur, entretenir sa curiosité, ne pas s’isoler, découvrir des nouveautés… L’auteur analyse aussi avec lucidité les entraves à la réalisation de ces bonnes résolutions.
Le ton est léger, c’est bien écrit, plaisant à lire et ça m’a rendu Bernard Pivot sympathique.
L’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé est morte le 2 avril 2024. Elle était née en 1934 dans une famille de la bourgeoisie guadeloupéenne qui a élevé ses enfants dans l’amour de la culture française et l’ignorance de leur ascendance africaine. Elle découvre l’esclavage et la colonisation alors qu’elle est en classe préparatoire à Paris. Elle refusait les carcans identitaires et les étiquettes, en désaccord avec la créolité mais pour la liberté de création des auteurs antillais. Elle ne se considérait pas comme une romancière francophone, elle écrivait en « Maryse Condé ». En cela elle me fait penser à Mohamed Kacimi.
Les murailles de terre. A la fin du 18° siècle, Ségou (Mali actuel) est un royaume puissant le long du fleuve Joliba (Niger). C’est là que vit Dousika Traoré avec ses épouses, concubines et esclaves, ses fils. Conseiller du Mansa (le roi), Dousika est victime d’une cabale et disgracié au moment où son fils aîné se convertit à l’islam. Les Bambaras sont en effet des animistes et pratiquent traditionnellement une religion où l’on se méfie en permanence des esprits malfaisants. Ces derniers rodent principalement la nuit, moment de toutes les terreurs. On a affaire à des forgerons-féticheurs pour les empêcher de nuire, interpréter les signes de l’invisible et du visible et tenter de prévenir les événements défavorables.
Ce roman se déroule dans la période où l’islam s’impose peu à peu en Afrique de l’ouest et le lecteur suit les étapes de cette conquête, souvent très violente. L’autrice envoie les quatre fils de Dousika dans tout l’ouest de l’Afrique, du Maroc au golfe de Guinée et même au-delà, ce qui lui permet de présenter une grande fresque de l’histoire de ces régions entre 1797 et le milieu du 19° siècle.
Convertit à l’islam à l’adolescence, Tiékoro, devenu Oumar, part étudier à Tombouctou où il est maltraité car les Bambaras y ont la réputation d’être des musulmans mal dégrossis, encore imprégnés de superstitions animistes. Ce néo-musulman se sent donc obligé d’en rajouter dans ses démonstrations de foi. C’est un personnage rigide et facilement pontifiant qui agace vite son entourage -à part sa mère.
Capturé par des esclavagistes lors d’une chasse, Naba est déporté au Brésil. J’ai trouvé fort intéressant l’aperçu sur la culture que les esclaves ont développée dans ce pays. Convertie au christianisme, affranchie, Ayodélé, la femme de Naba, est revenue en Afrique où elle s’est installée au Nigéria dans une petite communauté d’anciens esclaves christianisés.
Devenu commerçant à Fès, Siga en a ramené à Ségou les techniques du travail du cuir inconnues dans sa ville natale. Il espérait y faire fortune grâce à ce nouveau savoir mais a dû déchanter.
Le cadet Malobali s’est fait soldat au service du royaume ashanti pour quitter une famille où il ne se sentait pas suffisamment considéré.
Car Ségou est aussi la critique d’une société patriarcale qui opprime les femmes, bien sûr, mais aussi les enfants et les cadets. La naissance du premier fils est une occasion de liesse. Les garçons sont gâtés, habitués à ce que les femmes fassent leurs quatre volontés. Cela donne des adultes impulsifs qui agissent avant de réfléchir et qui ne supportent pas la frustration. Les personnages masculins ne me sont pas sympathiques. Leurs rapports avec les femmes oscillent entre la prédation et l’idéalisation. Prédation quand il s’agit de femmes socialement inférieures (servantes, esclaves) ou d’étrangères ; idéalisation de l’amour pour celles qu’on peut épouser. Les déconvenues sont brutales et rapides.
J’ai apprécié la lecture de ce roman bien documenté sur un espace et une période que je connais peu. Je lirai prochainement le tome 2.
Albert Cossery est mort en juin 2008. J’ai découvert son existence en lisant sa nécrologie dans Le Monde. C’était un personnage original qui se vantait de n’avoir jamais travaillé de sa vie (cela ne se faisait pas dans sa famille) et qui vivait à l’hôtel. Mendiants et orgueilleux était présenté comme son chef d’oeuvre et quand j’ai trouvé récemment chez mon bouquiniste cette vieille édition à un prix défiant toute concurrence j’ai donc sauté sur l’occasion.
Mendiants et orgueilleux, tels sont les héros de ce roman dont l’action se déroule au Caire dans les années 50. Il y a Gohar, un ancien professeur qui survit en faisant un peu de comptabilité pour un bordel de la ville indigène; Yéghen, petit escroc, petit trafiquant de drogue et El Kordi, employé aux écritures dans une administration dont la plus grande partie du salaire sert à rétribuer les collègues qui veulent bien faire son travail à sa place. Tous les trois se complaisent dans leur simplicité voire leur dénuement volontaire, se contentant de goûter la vie qui passe, de se réjouir des comportements absurdes de leurs contemporains.
« Devant une boutique vide il vit un homme d’un certain âge, aux vêtements soignés, assis dignement sur une chaise, et qui regardait passer la foule d’un air détaché et royal. L’homme avait une attitude majestueuse extraordinairement frappante. « Voilà un homme selon mon coeur », pensa-t-il. Cette boutique vide et cet homme qui ne vendait rien étaient pour lui une trouvaille inestimable. La boutique, Gohar le devinait, représentait simplement un décor ; elle lui servait pour recevoir ses amis et leur offrir une tasse de café. C’était là le comble de l’opulence et de la générosité. Gohar le salua comme une vieille connaissance et l’homme répondit à son salut avec un sourire suave, à peine perceptible, comme s’il comprenait qu’on l’admirait. »
Quand Gohar, en manque de hachisch, étrangle une jeune prostituée, il est ensuite fort surpris par son crime car il est étranger à toute violence. La mort de la pauvre fille est cependant vite oubliée, considérée comme une fatalité. En fait elle n’est que le prétexte pour faire entrer en scène l’officier de police Nour El Dine, chargé de l’enquête. Car il n’y a pas vraiment d’histoire dans ce roman, il s’agit seulement de nous présenter ces personnages qui ont fait de la paresse un art de vivre et qui fascinent Nour El Dine qui les considère comme des misérables et ne comprend pas comment ils peuvent avoir une si haute opinion d’eux-mêmes.
Quant à moi je n’ai été qu’à moitié convaincue par ma lecture. J’ai apprécié certaines descriptions pittoresques avec parfois une pointe d’humour. Par contre j’ai trouvé que pour des gens qui rejetaient tout ce qu’il est convenu de considérer comme un mode de vie bourgeois les personnages avaient parfois des opinions bien stéréotypées, notamment sur les femmes :
« Elle avait une mine revêche et l’air arrogant d’une femme pourvue d’un mâle ».
« Gohar était reconnaissant aux femmes, à cause de l’énorme somme de bêtise qu’elles apportaient dans les relations humaines ».
Je termine avec le pompon, à propos de Nour El Dine : « Il avait été habitué à plus de soumission de la part de ses jeunes amis ; mais aussi, c’étaient, pour la plupart, des êtres veules et sans caractère. Ils n’avaient pour eux que leur beauté : c’étaient presque des femmes ».
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