La journaliste et romancière Claire Gallois est morte le 18 novembre 2024. Elle était née en 1937. A sa naissance elle est placée en nourrice dans la Creuse auprès de Yaya qu’elle considère comme sa mère. Elle en est retirée brutalement à six ans. Elle a grandit ensuite dans sa famille où elle n’était pas aimée. Elle était membre du jury Femina depuis 1984.
Alias. La narratrice, une femme de 50 ans, a gardé Alias, le fils de ses voisins depuis sa naissance. Elle aime le petit garçon comme son fils, elle qui n’a pas d’enfant. Les parents, Chouchou et Maxime, divorcent rapidement. Quand Alias accuse sa mère de violences à son encontre Maxime demande que celle-ci soit privée de la garde. Le père et le fils vont devoir affronter les services maltraitants de la protection de l’enfance.
Le roman décrit bien comment la remise en question de sa parole et la menace de placement en foyer impactent le comportement et la scolarité d’Alias. Le sentiment d’impuissance et la colère de la narratrice sont crédibles. On entend en effet régulièrement parler des dysfonctionnement de l’Aide Sociale à L’Enfance et il semble que les choses se soient aggravées avec le COVID (le roman date de 2021). Les services manquent de moyens et peinent à recruter, le secteur n’attire pas.
Si je suis globalement d’accord avec le propos il y a cependant des choses qui me gênent dans ce roman. Claire Gallois s’est documentée pour l’écrire et cite des enquêtes de presse (le Monde, Libération), les déclarations de tel ministre. Mais elle prend également ses informations sur les réseaux sociaux, comptes Facebook de parents en conflit avec l’administration. C’est sans doute plus vivant mais c’est aussi complètement subjectif. Je déplore enfin que cette lamentable histoire soit l’occasion de taper sur le féminisme : les travailleuses sociales qui considèrent que quand il y a violences c’est toujours le fait du père sont dites « hyper-féministes ». Il me semble que cette accusation de féminisme mal placé a déjà été utilisée par des pères souhaitant punir leur femme de les avoir quittés. Je suis donc très embarrassée pour donner un avis global sur ce livre.
Avec 125 pages, ce court roman participe au défi Bonnes nouvelles organisé par Je lis je blogue.
L’autrice britannique de best-sellers Barbara Taylord Bradford est morte le 24 novembre 2024. Elle était née en 1933. Elle a écrit une quarantaine de romans qui se sont vendus à plus de 91 millions d’exemplaires. La trame est toujours plus ou moins la même : une héroïne cherche à s’accomplir malgré les difficultés.
Là où la vie t’appelle. Val Denning, la narratrice, est une photo-reporter, correspondante de guerre. En 1998 -le roman date de 1999- elle est en mission au Kosovo quand elle est blessée par des tirs. A côté d’elle ses collègue set amis Tony Hampton et Jake Newberg sont touchés également. Tony, avec qui elle avait une relation amoureuse, meurt de ses blessures. Ce drame est le point de départ de nombreux bouleversements dans la vie de Val, sans qu’il y ait toujours un lien de cause à effet. Elle découvre que Tony lui mentait, connaît un amour sincère, affronte sa mère qui ne l’a jamais aimée, aide une femme battue harcelée par son mari et envisage une reconversion professionnelle.
Les rebondissements sont nombreux dans ce roman -c’est même parfois un peu trop- qui se lit donc sans trop d’ennui. C’est cependant une lecture qui ne m’a guère plu. J’ai regretté l’analyse psychologique superficielle et les jugements à l’emporte-pièce de la narratrice sur son entourage : un homme qui ment à sa maîtresse ? c’est un malade mental ; une mère qui n’aime pas sa fille ? c’est une malade mentale… J’ai trouvé très datées certaines descriptions : un homme à la virilité provocante auquel aucune femme ne peut résister, je me demande à quoi ça peut bien ressembler. Enfin j’ai été gênée par le train de vie des personnages. Ils habitent dans des logements aménagés par des décorateurs d’intérieur, où il y a toujours des bouquets de fleurs fraîches et sont servis par des domestiques à demeure ou présents trois fois par semaine. Ils achètent des babioles de grands couturiers pour faire des cadeaux de Noël de dernière minute et cette opulence n’est jamais interrogée, elle apparaît comme naturelle.
Poétesse, résistante, journaliste, Madeleine Riffaud est morte le 6 novembre 2024. Elle avait cent ans ! Elle a 18 ans en 1942 quand elle s‘engage dans un groupe de Francs-tireurs et partisans (FTP) sous le nom de code de Rainer. Elle est d’abord agente de liaison puis passe au combat armé. En 1944 elle tue un sous-officier allemand à Paris. Prise en flagrant délit, elle est torturée pendant trois semaines et condamnée à mort mais libérée lors d’un échange de prisonniers. Elle participe aux combats de la libération de Paris. Après la guerre elle devient journaliste. Elle fréquente Eluard, Aragon, Vercors, Picasso, Ho Chi Minh. Elle suit en tant que journaliste pour l’Humanité les guerres du Vietnam et d’Algérie. Au début des années 1970 elle se fait embaucher comme aide-soignante dans un hôpital parisien et écrit Les linges de la nuit qui dénonce les carences du système hospitalier français (déjà…).
On l’appelait Rainer. Ce livre est paru en 1994 à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Libération. Le résultat est un objet un peu hétéroclite et inégal. Après une introduction signée Madeleine Riffaud vient la biographie proprement dite. Elle est écrite à la troisième personne ce qui surprend au départ vu que la couverture n’indique qu’un seul nom d’autrice. A la première page on voit cependant que ce livre a été écrit «avec la collaboration de Gilles Plazy » que Madeleine Riffaud remercie dans son introduction. Cette biographie qui forme le gros de l’ouvrage couvre la période 1940-1945. La résistance telle qu’on la voyait en 1994 c’est celle où une majorité de Français s’est opposée à l’Occupation dès le début, à commencer par les communistes. On sait aujourd’hui que la réalité a été plus nuancée. Chacun des chapitres est suivi de cinq à dix poèmes écrits par Madeleine Riffaud au moment des événements racontés.
Les 50 dernières pages comportent un entretien avec Gilles Plazy, bien identifié comme tel, sous forme de questions-réponses ; trois textes écrits par Madeleine Riffaud en 1957, 1970 et 1946 qui évoquent des épisodes de son engagement dans la résistance et dont on ne nous dit pas s’ils avaient été précédemment publiés ; un poème de Manouchian, sa dernière lettre à sa femme, la dernière lettre de France Bloc-Sarrazin et une chronologie 1940-1945. Cette fin fait un peu bric-à-brac.
Les passages qui m’ont le plus touchée sont ceux où Madeleine Riffaud évoque son difficile retour à la vie civile. En 1944 elle a vingt ans et est toujours mineure aux yeux de la loi et à ceux de ses parents, semble-t-il. Elle laisse entendre qu’elle s’est brouillée avec eux. Elle est traumatisée par les tortures qu’elle a subies et le complexe de la survivante, elle envisage le suicide. Ce sont Paul et Nusch Eluard qui la prennent sous leur aile et lui sauvent la vie. D’une première lecture qui doit dater de la fin du 20° siècle je n’ai gardé aucun souvenir. C’est un livre inégal, daté dans sa façon de voir les choses.
L’écrivain et critique musical Benoît Duteurtre est mort le 16 juillet 2024. Il était né en 1960. Ses romans mêlent souvent satire de l’époque, nostalgie et ironie.
Le retour du général. Un soir à 20 heures, voici que les télés de France se brouillent et qu’apparaît le Général (de Gaulle). Il est revenu pour lancer un nouvel appel à la résistance : assez des normes européennes qui, sous couvert de principe de sécurité, américanisent notre mode de vie, assez de la mondialisation qui crée du chômage, assez de la perte d’influence de la France dans le monde. Cette apparition fédère rapidement des mécontents de tous bords qui rêvent que de Gaulle revienne au pouvoir. Et si c’était vrai ?
Le roman alterne deux narrations. Une partie est en focalisation interne avec un narrateur qui ressemble fort à l’auteur : c’est un écrivain spécialiste de musique né en 1960. Il est horrifié de découvrir qu’une directive européenne impose désormais aux restaurateurs français de servir de la mayonnaise industrielle (une rapide enquête lui permet de préciser que la vérité est beaucoup plus nuancée mais l’Europe a le dos large, autant taper dessus plutôt qu’accuser un restaurateur de servir de la merde pour augmenter sa marge). Les autres chapitres sont en focalisation externe. Nous y suivons les tribulations du Général et faisons la connaissance de Mustapha Zeggaï, infirmier à Marseille et neo-gaulliste de la première heure en mémoire de son grand-père, résistant dès 1940.
Voici un roman qui me laisse très dubitative. J’ai apprécié la belle écriture, l’humour, l’auto-dérision dont fait preuve le narrateur-auteur. Benoît Duteurtre est un fin observateur de la vie politique française au point que certaines situations qu’il invente paraissent prémonitoires lues quinze ans plus tard (le roman est paru en 2010). J’ai particulièrement apprécié la dissolution de l’Assemblée Nationale pour « que le peuple français s’exprime sans tabous, dans le respect de la démocratie » -sauf qu’ici le président de la république accepte le verdict des urnes. Je suis cependant beaucoup plus réservée quant à la nostalgie gaulliste qui suinte de ce livre.
C’est à un de Gaulle fantasmé que nous avons affaire ici, celui auquel les amateurs d’autorité de droite comme de gauche font appel régulièrement comme panacée aux maux contemporains. En ce qui me concerne il me semble que pour affronter les défis du 21° siècle -je pense notamment au changement climatique- nous avons besoin d’idées nouvelles plutôt que de réchauffer les vieilles recettes d’autrefois. Je ne regrette pas la grandeur passée de mon pays qui a fait bien du mal à l’extérieur de la France métropolitaine -n’oublions pas que de Gaulle c’est aussi les essais nucléaires dans le Sahara et en Polynésie ou la Françafrique. Si l’auteur a des mots justes et touchants pour décrire où se niche pour lui le sentiment d’être Français, pourquoi ce sentiment devrait-il être uniforme comme la mayonnaise industrielle ? Ce n’est pas parce que ses références sont dépassées pour d’autres qu’ils ne sentent pas pour autant Français. La langue française évolue, je ne crois pas qu’elle s’abâtardit et qu’en 2030 on parlera un sabir franco-américain. Je ne vois pas ce qu’il y a de risible à souhaiter la parité pour nommer les rues de nos villes. Bref, je trouve que ce roman est traversé par une vision réactionnaire qui me déplaît.
L’écrivain albanais Ismaïl Kadaré est mort le 1er Juillet 2024. Il était né en 1936 à Gjirokastër qui était aussi la ville natale du dictateur Enver Hodja (1908-1985). Il écrit ses premiers vers à 12 ans puis étudie les lettres à Tirana et Moscou. Il a écrit une cinquantaine de titres (romans, nouvelles, poèmes, essais, théâtre) traduits en plus de 45 langues. Au long de sa carrière on lui a reproché d’être trop complaisant envers la dictature communiste. Lui disait qu’il voulait seulement écrire « dans des conditions horriblement difficiles » une littérature « normale ». Dans le numéro de septembre 2024 de La Chronique d’Amnesty International, Pierre Haski raconte que Kadaré a très peu publié dans les années 1980 en raison de la censeure qui l’aurait contraint à trop de coupes. Il avait fait passer ses manuscrits à son éditeur parisien, Fayard, dont le patron, Claude Durand, était venu en vacances en famille en Albanie et avait ramené les textes cachés dans le double fond de sa valise. C’était au cas où il arriverait quelque chose à l’écrivain.
Chronique de la ville de pierre. La ville de pierre c’est Gjirokastër, ville natale d’Ismaïl Kadaré, jamais nommée ici. Une ville où même les toits sont « couverts de plaques de pierre, grise, semblables à de gigantesque écailles ». Le narrateur est un jeune garçon qui passe encore beaucoup de temps en compagnie des femmes. Avec la ville de pierre elles sont les personnages principaux de ce roman en partie autobiographique. Mère, grand-mère, tantes, voisines, elles se réunissent chez les unes et les autres pour échanger nouvelles et ragots qui montrent généralement que rien ne va plus. La mère Pino ponctue chaque information de « C’est la fin de tout ». Il y a beaucoup d’humour dans les répétitions ressassées de cette vieille commère : « C’est fou, dit la mère Pino. On ne sait plus de qui se méfier d’abord ».
Le récit se déroule pendant la seconde guerre mondiale, quand la ville est occupée alternativement par les Italiens et les Grecs avant de passer aux mains des Allemands. Les forces d’occupation imposent le black out et placardent des avis d’interdiction. La cave de la grande maison familiale sert d’abri contre les bombardements à tout le quartier. A la fin de la guerre ce sont les jeunes maquisards communistes qui prennent le pouvoir, remettant en cause le pouvoir traditionnel des anciens : « Il paraît qu’on fait maintenant une nouvelle sorte de guerre dit [Djedjo]. Je ne sais pas comment ils appellent ça, la lutte aux classes ou la lutte des classes. Ca, pour une guerre, oui, que c’en est une, ma bonne Selfidjé. Pas comme les autres. Les frères s’entre-tuent et le fils abat son père. Et dans sa maison même, à table. Il le fixe un moment dans les yeux, puis lui dit qu’il ne le reconnaît plus comme son père, et lui loge une balle dans la tête. – C’est la fin de tout ! dit la mère Pino (…) – Voilà, ma chère Selfidjé, dit Djedjo. Nous croyions en avoir fini avec tous ces troubles, mais à ce qu’il semble, le plus pénible reste encore à endurer. Tu te souviens d’Enver, le fils des Hodja ? – Celui qui est allé étudier dans le pays des Francs ? Bien sûr que je m’en souviens. – Moi aussi, dit la mère Pino. – Eh bien, on dit que c’est lui qui dirige maintenant le combat. Et c’est lui aussi qui a, paraît-il, inventé cette nouvelle guerre dont je te parlais tout à l’heure. – J’ai de la peine à y croire, dit grand-mère. C’était un garçon si bien élevé ».
Le narrateur vit dans un environnement traversé de merveilleux : les femmes craignent les jeteurs de sorts, prédisent l’avenir à l’occasion ; la ville, la maison, des objets du quotidien sont doués d’une volonté propre. Avec son ami Illyr ils arpentent le quartier tachant de comprendre les événements à l’aune de ce qu’ils voient et entendent. Le jeune garçon est un amoureux des mots attaché à percer leur sens profond. Grâce au frère aîné d’Illyr, un étudiant, il a accès à des livres.
Gjirokastër
J’ai beaucoup apprécié cette lecture que j’ai trouvée souvent drôle même si les événements décrits ne le sont pas toujours. J’ai apprécié ce petit aperçu sur l’histoire albanaise que je connais fort peu. Le texte est par enfin fort bien écrit avec des accents poétiques : « Le dimanche était uniformément étendu sur la ville. On eût dit que le soleil, projeté sur la terre, avait volé en éclats et que partout, dans les rues, sur les vitres des fenêtres, dans les flaques d’eau et sur les toits, étaient retombés des morceaux de lumière humides. Il me revenait à la mémoire un jour lointain où grand-mère avait écaillé un gros poisson. Ses avants-bras étaient couverts d’écailles. J’avais eu alors l’impression que tout son corps était dimanche. Par contre, quand mon père se mettait en colère, il était mardi ».
Bien que certains quartiers de Gjirokastër aient encore un aspect très rural cette lecture me permet de participer au défi Sous les pavés les pages, organisé par Ingannmic et Athalie.
L’écrivaine irlandaise Edna O’Brien est morte le 27 juillet 2024. Elle était née en 1930 dans une famille à la mère d’une religiosité « médiévale » et au père alcoolique et violent, milieu qu’elle a quitté sans regret. Ses livres traitent souvent de la condition des femmes dans une société conservatrice.
Tu ne tueras point. Irlande. Mary, une adolescente de 13 ans, est régulièrement violée par son père. Quand elle se retrouve enceint elle convainc une voisine de l’emmener en Grande-Bretagne pour se faire avorter. Mais la fuite est déjouée et Mary est livrée à une opinion publique anti-avortement.
Cette histoire sordide est l’occasion pour Edna O’Brien de tracer le portrait attachant d’une jeune fille volontaire. Incapable d’empêcher les agressions dont elle est victime, silencieuse et discrète, Mary est taraudée par la honte de ce qui lui arrive cependant elle ne renonce jamais à lutter pour son émancipation, multipliant les tentatives d’évasion. Ce roman est aussi une charge contre une société rurale rétrograde où le patriarcat et le catholicisme intégriste imposent leur loi. La clique des bigotes anti-avortement, prêtes à tout pour que Mary garde son bébé, est particulièrement effrayante. Le roman est paru en 1996 et l’action, non datée, se déroule bien dans les années 1990 comme le montrent une ou deux informations d’actualité cependant j’ai tout du long l’impression que cela se passe dans les années 1950.
J’ai apprécié l’écriture qui a des aspects poétiques malgré le sujet douloureux. Il y a de belles descriptions de paysages où les couleurs sont mises en avant, particulièrement le rouge qui réapparaît tout au long du récit. Les viols sont décrits de façon fragmentée, mettant l’accent sur la dissociation que subit Mary lors des agressions. Un livre pas toujours facile à lire mais rudement bien mené et efficace.
L’écrivaine canadienne Alice Munro est morte le 14 mai 2024. Elle était née en 1931 dans l’Ontario. Elle écrivait des nouvelles et a été la première autrice de nouvelles à recevoir le prix Nobel pour son oeuvre, en 2013.
Rien que la vie. Les 14 nouvelles qui composent ce recueil sont autant de tranches de vie de leurs personnages ou de l’autrice, pour les quatre dernières qui sont présentées comme étant autobiographiques. Dans Rien que la vie Alice Munro décrit de façon émouvante sa relation à ses parents, la ferme familiale, son environnement et son attachement à ces lieux.
La plupart de ces nouvelles racontent un moment charnière dans une vie. Dans La gravière une enfant de sept ans est la protagoniste d’un drame familial. Devenue adulte, elle tente de comprendre l’événement et son propre comportement. Poignant. La narratrice de Havre raconte comment sa tante a consacré sa vie à faire de son foyer un havre pour son mari. Jusqu’à l’erreur d’appréciation. Dans Train un jeune homme qui revient de la guerre saute du train qui le ramenait chez lui. Il s’installe dans une ferme délabrée qu’il remet en état. C’est l’histoire d’un homme qui aime réparer des choses et qui souhaite demeurer sans attaches.
J’ai aimé le rythme lent de la vie quotidienne dont les principales péripéties sont les relations humaines sur le long terme, et les concessions qu’on fait : « Je n’étais pas retournée chez nous pour la dernière maladie de ma mère ni pour son enterrement. J’avais deux jeunes enfants et personne à qui les confier à Vancouver. Nous n’avions guère les moyens de nous offrir le voyage et mon mari méprisait tout ce qui relevait des convenances, mais pourquoi lui faire porter la responsabilité ? Je partageais son sentiment. De certaines choses on dit qu’elles sont impardonnables, ou qu’on ne se les pardonnera jamais. Mais c’est ce qu’on fait -on le fait tout le temps. »
Les sentiments et les motivations des personnages sont analysées de façon fine, c’est une lecture que j’ai appréciée.
L’écrivain écossais john Burnside est mort le 29 mai 2024, il était né en 1955. Il a vécu une enfance défavorisée auprès d’un père mythomane, affabulateur compulsif. Il en a parlé dans Un mensonge sur mon père. Si ce sont essentiellement ses romans qui sont traduits en français, il était aussi poète et a écrit de la non-fiction.
L’été des noyés. Au nord de la Norvège, dans une île proche du cercle polaire, vit Liv, la narratrice. Elle habite avec sa mère, une peintre dont la notoriété lui permet de vivre de son art, elle vient de finir le lycée et se demande ce qu’elle va faire ensuite. Liv est une jeune fille solitaire dont le seul ami est Kyrre Opdahl, un vieux voisin attaché aux légendes locales de trolls et autres créatures fantastiques. En ce début d’été, deux frères de l’âge de Liv se noient à quelques jours d’intervalle dans les mêmes circonstances insolites. Liv les avait vus quelques jours plus tôt en compagnie de Maia, une autre camarade de classe. Maia est-elle la huldra, une incarnation féminine du Malin qui séduit les hommes pour les attirer à la mort ?
Difficile de savoir en lisant ce roman si on a affaire à un récit traversé de fantastique ou si Liv est « juste » perturbée. Quelque en soit la cause elle est victime de crises d’angoisse et semble à plusieurs reprises proche de la folie. Elle-même, en tant que narratrice qui relate les faits dix ans après leur survenue, ne sait pas trop comment interpréter ce à quoi elle a assisté. Ces événements semblent d’ailleurs se dérouler comme hors du monde. La mort des deux frères a-t-elle déclenché une enquête ? On ne le sait pas. Les épisodes étranges qui ont eu lieu ensuite ont-ils agité quelqu’un d’autre que Liv ? Elle ne le dit pas. La jeune fille vit dans son espace familier et s’en satisfait, sans désir d’en sortir. Attentive à la nature et aux variations de la lumière, elle m’apparaît comme une contemplative.
Mon avis sur ce roman est mitigé. J’ai apprécié la belle écriture aux accents poétiques et la description des paysages, notamment les nuits blanches de l’été nordique. J’ai apprécié aussi la fine analyse psychologique car Liv a le don de percer à jour ses interlocuteurs, de comprendre en profondeur comment ils fonctionnent et ce qu’ils voudraient cacher. Par contre j’ai mis du temps à entrer dans ma lecture car le rythme est lent et il ne se passe, en fait, pas grand-chose. Mon principal bémol c’est qu’à la fin je me demande où tout cela nous mène et où veut en venir l’auteur. Je crains que ce roman ne me laisse pas un long souvenir.
Le romancier et historien militaire américain Caleb Carr est mort le 23 mai 2024, il était né en 1955. Il a grandi dans la crainte que son père, qui le battait, ne le tue. Le poète Lucien Carr avait en effet fait de la prison pour homicide involontaire. Le roman le plus connu de Caleb Carr est L’Aliéniste.
New York, 1896. Un tueur en série assassine de jeunes garçons prostitués puis mutile atrocement leurs cadavres. Le préfet de police Theodore Roosevelt charge le journaliste John Moore, narrateur du roman, et le médecin aliéniste (psychiatre) Laszlo Kreizler de débusquer le criminel. Ils s’adjoignent la collaboration des frères Lucius et Marcus Isaacson, deux policiers incorruptibles -espèce rare à l’époque- et de Sara Howard, secrétaire de Roosevelt, qui rêve d’enquêter -métier interdit aux femmes en cette fin du 19° siècle. Ils vont faire un travail de profileurs pour dresser un portrait de l’assassin et lui mettre la main dessus.
Laszlo Kreizler est un médecin en avance sur son temps qui pense que l’on peut trouver dans le passé -particulièrement l’enfance- des personnes déviantes des explications à leurs actes. Ces vues originales lui valent la réprobation de la communauté médicale établie. Les frères Isaacson s’intéressent aux plus récentes découvertes de la criminologie comme l’utilisation des empreintes digitales. Leur intérêt pour la science ne frappe pas toujours juste. Ainsi ils photographient l’oeil d’une victime avec l’espoir qu’on pourra y voir le visage de son meurtrier. Sara Howard est une femme décidée, prête à forcer les circonstance pour ne pas rester secrétaire. Elle sait manier le pistolet et n’hésite pas à tenir tête à Kreizler quand elle estime qu’il se trompe dans ses analyses. Le narrateur est lui aussi légèrement marginal. J’ai trouvé cette petite équipe fort sympathique.
Le cadre historique et géographique est celui de New York à la fin du 19° siècle. La corruption règne dans les administration et la police où le préfet Roosevelt essaie de faire le ménage. Nos héros vont trouver en travers de leur chemin des chefs de gang qui n’apprécient pas qu’on intervienne sur leur terrain -prostitution et maisons closes- et même les autorités religieuses, désireuses que l’ordre social ne soit pas perturbé. L’auteur s’est bien documenté sur cette période et le résultat est vivant avec de nombreux détails sur la vie sociale et culturelle. Plus que l’enquête elle-même ce sont ce cadre ainsi que les enquêteurs qui me plaisent et qui m’intéressent dans ce roman. Ce que j’ai lu de la biographie de Caleb Carr me laisse penser qu’il a mis des éléments personnels dans ce policier.
La première de couverture nous parle d’un « scénario teinté de Silence des agneaux », affirmation qui m’a inquiétée car j’ai le souvenir d’une lecture qui m’avait horrifiée. En fait l’époque et le personnage de psychiatre éclairé me font plutôt penser à la série des enquêtes de Max Liebermann que j’avais beaucoup appréciée. J’ai trouvé cette lecture plaisante, l’auteur ne s’appesantit pas sur les horreurs commises par son assassin. Je vois qu’il existe un second épisode avec les mêmes enquêteurs, je le lirai sans doute.
L’écrivaine Claude Pujade-Renaud est morte le 18 mai 2024, elle était née en 1932. Issue d’une famille bourgeoise, elle refuse la voie qui lui était tracée et s’oriente vers des étude d’éducation physique. Elle a été danseuse et enseignante en sciences de l’éducation.
Dans l’ombre de la lumière. Avant d’être chrétien et évêque, saint Augustin (354-430) a été manichéen et en couple. La narratrice de ce roman est Elissa, ancienne concubine d’Augustinus, qu’il répudia dans l’intention de se marier avant de se convertir au christianisme. Installé à Carthage (Tunisie actuelle), Elissa travaille pour un potier et fréquente un couple don le mari est copiste. Par lui elle a connaissance de la carrière et des écrits de celui qui est à présent évêque d’Hippo Regio (Hippone, Annaba dans l’Algérie actuelle).
Le roman entremêle épisodes de la vie d’Elissa, pendant et après sa vie avec Augustinus, et réflexions sur la pensée de ce dernier. Ce n’est pas une biographie de saint Augustin à proprement parler cependant j’ai appris des choses sur lui dont j’avais de vagues souvenirs pour avoir travaillé sur des extraits des Confessions quand j’étudiais le latin (Je me souviens de mon maître, un vieux prêtre érudit. Quand il me posait une question et que je répondais juste, il me disait : « Intuition féminine ». Et quand je répondais faux : « Vous me dites, avec une inconséquence toute féminine… »). Saint Augustin pensait que les bonne œuvres ne sont rien sans la grâce accordée par Dieu. Il a inspiré Luther sur ce point. Après ma lecture de Bélibaste je découvre aussi que les cathares étaient des manichéens.
J’ai trouvé intéressant le cadre historique du roman qui est celui des derniers temps de l’empire romain en Afrique du nord. On passe, vers 370, moment de la rencontre entre Elissa et Augustinus, d’une époque de multi confessionnalisme et de tolérance religieuse où païens, chrétiens, manichéens et autres sectes se fréquentent, à l’hégémonie chrétienne à la toute fin du 4° siècle quand les cultes païens sont interdits et les sanctuaires détruits. Après la chute de Rome en 410 les réfugiés affluent à Carthage.
Elissa est une femme forte qui aspire à l’autonomie mais qui en est en partie empêchée à cause de son incapacité à faire son deuil de sa relation avec Augustinus. C’est un personnage attachant auquel on peut en partie s’identifier du fait de ses questionnements universels. Ainsi, témoin du passage du rouleau au codex (le livre) comme support d’écriture elle s’interroge sur les changements que cela induit dans la façon de lire, d’écrire, de réfléchir. Une autre protagoniste reproche à Augustinus d’avoir, dans les Confessions, révélé une faiblesse de sa mère : « Est-ce qu’on a le droit, en évoquant des épisodes de sa propre vie, de mettre ainsi en cause des proches ? »