Le docteur Farrokh Daruwalla est né à Bombay, a fait ses études à Vienne (il a épousé une Autrichienne) et vit maintenant à Toronto. Il a la nationalité canadienne mais ne se sent nulle part vraiment chez lui. Pas totalement intégré au Canada -élément de la « minorité visible » il est à l’occasion victime d’insultes racistes. Et trop étranger en Inde. Médecin orthopédiste il séjourne cependant régulièrement dans sa ville natale où il officie à l’hôpital des enfants infirmes. Il s’intéresse particulièrement au cas des nains achondroplases (handicap provoqué par une mutation génétique). En Inde ceux-ci trouvent souvent à s’embaucher comme clowns dans des cirques. L’un d’eux, Vinod, est devenu un ami de Farrokh.
Par ailleur, Farrokh est secrètement le scénariste d’une série de films à succès à Bombay : les aventures de l’inspecteur Dhar. L’acteur principal des films n’est autre que le fils adoptif de Farrokh, John D, lui aussi un expatrié qui vit entre Bombay et la Suisse. A Bombay Dhar-John D que tout le monde reconnaît est « un personnage que l’on adore haïr ». Son célèbre sourire narquois, ses répliques cultes témoignant de son sentiment de supériorité sont attendus et conspués.
Et voici que débarque un missionnaire américain qui se trouve être le frère jumeau de John D. Voici qu’un membre du club que fréquentent les époux Daruwalla à Bombay est assassiné. Il y a aussi une jeune prostituée et un petit mendiant que nos héros veulent sauver de la rue. Un transexuel qui s’est fait opérer pour devenir une « femme-femme ».
L’histoire part dans tous les sens avec des personnages originaux et bien analysés. Au début j’ai eu parfois un peu de mal à m’y retrouver mais petit à petit les éléments se mettent en place et, à partir du chapitre 9 (il y en a 27), j’ai été prise, emballée par les nombreuses péripéties qui permettront finalement à Farrokh de trouver « d’où il est ». Les personnages sont sympathiques (Farrokh est un modèle d’honnête homme), il y a de l’humour et la philosophie de la vie qui se dégage de ce roman me convient tout à fait. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu de John Irving, le dernier (Une veuve de papier) m’avais moins plu, si je me souviens bien.
Satyajit Ray, Affaires de bijoux, Kailash
Ce court ouvrage se compose de deux petites aventures du détective Feluda à la poursuite de pierres précieuses dérobées. Dans la première histoire le descendant d’un colon britannique ramène en Inde un rubis volé par son ancêtre. Dans la deuxième le propriétaire d’une pierre remarquable reçoit des lettres de menaces.
C’est gentil mais pas vraiment palpitant. Plutôt facile à lire mais je me suis demandé si c’était toujours bien traduit. En tout cas il y a de nombreuses coquilles qui confinent parfois à la faute de Français : « Nous ne perdîmes pas de temps et grimpèrent quatre à quatre l’escalier menant à l’étage ». Donc des choses à revoir du côté de la maison d’édition.
Par la fenêtre de ma chambre d’hôtel -1
L’occasion de séjourner en hôtels ces derniers temps m’a donné l’idée de cette série pour laquelle j’ai repris aussi des clichés plus anciens.
Awabai mansion, Bombay, Inde
Hotel Imperial supreme, Chennaï, Inde
Novotel Bronowice, Cracovie, Pologne
Sultan Hostel, Istanbul, Turquie
Bastoncu Pension, Safranbolu, Turquie
Akya Otel, Ankara, Turquie
Jacques Higelin
L’occasion fait le larron : j’étais en vacances pour une semaine à Mende, Lozère et justement Jacques Higelin y passait en concert cette même semaine. Nous décidons d’y aller en famille. Le concert a lieu au théâtre municipal de Mende. Ouverture des portes à 20 heures. Il pleut. Une petite queue de spectateurs s’abrite en attendant de pouvoir entrer. Nos enfants font plutôt baisser la moyenne d’âge. Par une fenêtre Jacques Higelin salue les gens mais là où nous sommes nous ne pouvons voir que sa main. cependant ça met déjà un peu de mouvement dans la file.
La salle est petite et guère remplie à notre arrivée. Nous nous installons juste sous la scène. Entrée de l’artiste vers 21 heures 15 et c’est parti pour plus de 2 heures 30 de spectacle. Il tient la forme le Jacques ! C’est dynamique et sans temps mort du début à la fin. Et nous sommes particulièrement bien placés, ce qui nous permet d’en profiter en gros plan.
Ambiance chaleureuse. La salle reprend en coeur les classiques, particulièrement « tombé du ciel ». Jacques Higelin joue du piano et de la guitare, il chante et il raconte des histoires, il plaisante à propos des prochaines élections présidentielles. Il apparaît comme une personne sympathique, proche du public et de son équipe, musiciens et régisseurs. C’est véritablement un artiste qui mérite d’être vu. Le spectacle apporte un plus que les seuls disques ne peuvent pas rendre. (Peut être que c’est vrai pour tous les chanteurs ce que je dis ? En fait je n’ai pas été souvent à des concerts). Je suis rentrée chez moi un peu moulue mais bien contente de ma soirée.
Bapsi Sidhwa, La fiancée pakistanaise, Babel
Né en 1910 au Kohistan, une région du nord du Pakistan actuel, Qasim a quitté ses montagnes après la mort de sa femme et de ses enfants. En 1947 il échappe à un massacre inter-religieux de la Partition et recueille à cette occasion une fillette dont les parents ont été assassinés. Il l’adopte et la prénomme Zaïtoon, comme sa propre fille disparue. A Lahore, Qasim se lie d’amitié avec Nikka et Miriam. Le couple n’a pas d’enfant et Zaïtoon va être comme une fille pour eux aussi.
Zaïtoon grandit heureuse. Lorsqu’elle atteint 16 ans Qasim, qui a toujours gardé la nostalgie de ses montagnes, la donne en mariage au fils d’un cousin. Séparée de ceux qu’elle aime elle découvre une vie rude. Alors que l’organisation tribale paraît menacée par l’avancée du monde moderne sur leur territoire, les hommes des montagnes se replient sur une application rigide des traditions. Sakhi, le mari de Zaïtoon, considère que son honneur serait bafoué s’il ne dominait pas sa femme aux yeux de tous.
Ici le faible opprime le plus faible. Les perdantes sont toujours les femmes. Bien peu de solidarité entre elles. Sous les coups on se range vite du côté du manche. Zaïtoon n’est certainement pas une rebelle. Elle accepte le choix de son père et est prête à beaucoup pour plaire à Sakhi mais, parce qu’elle vient de la plaine et de la ville, elle symbolise pour cet homme aigri la modernité qu’il faut mettre au pas.
Je n’ai pas trouvé que ce roman soit très bien écrit (ou est-ce un problème de traduction ?). D’un paragraphe à l’autre il y a des changements de temps qui m’ont surprise. Cependant je l’ai lu sans difficulté car il s’y passe plein de choses. L’histoire de Zaïtoon est un prétexte pour tracer un large portrait du Pakistan de cette époque. Dans ces hommes des montagnes arc-boutés sur leurs traditions je retrouve aussi un lien avec ma précédente lecture.
Yachar Kémal, La légende du Mont Ararat, Gallimard
Un jour, un cheval s’arrête devant la porte du berger Ahmet. Selon la tradition c’est un don de Dieu et Ahmet doit garder le cheval. Il n’a pas le droit de le rendre à son propriétaire. Mais le cheval appartient à Mahmout Khan, un pacha sûr de son autorité. Il fait jeter Ahmet en prison. Il sera exécuté si le cheval n’est pas rendu. Gulbahar, la fille de Mahmout Khan, tombe amoureuse d’Ahmet. Son amour pourra-t-il sauver le jeune homme ?
Le Mont Ararat se situe tout à fait à l’est de la Turquie. Dans cette légende il est un personnage à part entière, se mettant en colère contre ceux qui le défient. A ses pieds s’affrontent deux volontés inflexibles. Les actes d’Ahmet sont guidés par la tradition. Sa marge de manoeuvre est étroite : il y a des choses qu’on NE PEUT tout simplement pas faire ou qu’on DOIT faire. C’est comme ça. En face, le pacha est très isolé. Nombreux sont ceux qui réprouvent ses exigences. Mais il est puissant.
Face au despotisme qui ne connaît que sa volonté, la tradition c’est au moins une forme de loi. Mais moi la tradition, je n’aime pas trop non plus. J’aime mieux un peu de libre arbitre. Alors bien sûr, c’est une légende, il y a la fatalité qui intervient, un amour très romantique. Quand même je n’ai pu m’empêcher de trouver que les relations étaient pas mal régies par la rigueur ou la violence. Il reste que c’est écrit de façon très poétique. J’ai particulièrement apprécié les descriptions de paysages de montagne, dont celui sur lequel le roman débute :
« Il est un lac sur le flan du Mont Ararat, à quatre mille deux cents mètres d’altitude. On l’appelle le lac de Kup, le lac de la Jarre, car il est extrêmement profond, mais pas plus grand qu’une aire de battage. A vrai dire, c’est plus un puits qu’un lac. Il est entouré de toutes parts par des rochers rouges, étincelants, acérés comme la lame du couteau. Le seul chemin menant au lac est un sentier, creusé par les pas dans la terre battue, moelleuse, et qui descend, de plus en plus étroit, des rochers jusqu’à la rive. Des plaques de gazon vert s’étalent çà et là sur la terre couleur de cuivre. Puis commence le bleu du lac. Un bleu différent de tous les autres bleus; il n’en est pas de semblable au monde, on ne le trouve dans aucune eau, dans aucun autre bleu. Un bleu marine moelleux, doux comme le velours. »
L’avis de Katell.
L’année de la Turquie
Le 15 août (plus d’un mois déjà) ma fille cadette, bac en poche, s’est envolée pour Ankara, Turquie, où elle va passer l’année scolaire grâce à l’association YFU. Elle réside dans une famille turque, elle est scolarisée dans un lycée turc et le but est de découvrir la langue et la culture locales. C’est pour moi l’occasion de m’intéresser à ce pays dont je connais très peu la littérature. J’ai déjà glané sur les blogs quelques titres, si vous avez des suggestions à me faire elles seront les bienvenues.
Et comme YFU cherche aussi des familles d’accueil pour les jeunes qui arrivent en France nous recevons pendant ce temps Ivana de l’Equateur. Et la littérature équatorienne, quelqu’un connait ?
Au fait, YFU a besoin encore en ce moment même de familles d’accueil. Alors, pourquoi pas vous ?
Abha Dawesar, L’Inde en héritage, Héloïse d’Ormesson
A travers l’histoire d’une famille L’Inde en héritage nous présente l’Inde contemporaine et les maux qui la rongent. Le personnage principal est un petit garçon maladif. Il habite avec ses parents, médecins généralistes, dans leur maison-dispensaire composée de quatre pièces dont trois à usage professionnel. La pièce d’habitation sert à la fois de chambre, cuisine, salle à manger… L’enfant et ses parents couchent dans le même lit.
Comme sa santé fragile l’empêche souvent d’aller à l’école, l’enfant reste à la maison et écoute les patientes de sa mère à travers la mince cloison. Il se constitue ainsi tout un bagage de mots techniques et de noms de maladies qu’il cherche dans le dictionnaire. Il entend aussi parler de femmes maltraitées par leur mari ou leur belle-mère, d’enfants qui disparaissent, de reins volés. C’est un petit garçon intelligent et ses parents discutent beaucoup avec lui, n’hésitant pas à lui expliquer la marche du monde.
La famille paternelle de l’enfant est aussi un des centres importants de sa vie. Ses oncle et tante Six-doigts attendent avec impatience la mort du grand-père dont ils espèrent détourner l’héritage. L’enfant est encore confronté à la corruption généralisée : la police qui ferme les yeux sur des crimes, des politiciens compromis avec un trafiquant d’armes, les dessous de table qu’il faut payer pour la moindre formalité administrative (l’enfant constate que la pratique est tellement admise que ce n’est plus sous mais sur la table qu’ils se paient, aux vues et sus de tout le personnel présent).
Au milieu de toutes ces magouilles les parents de l’enfant ont de solides principes moraux et s’y tiennent quelques soient les circonstances. J’ai trouvé très sympathique ce couple qui essaie de progresser honnêtement et ce n’est pas toujours la solution la plus facile. J’ai été touchée aussi par la façon dont ils élèvent leur fils en lui transmettant leurs valeurs. Elle s’oppose de façon radicale à l’éducation qu’ont reçue les deux cousins, un drogué et un jeune malfrat à qui leurs mères ont toujours tout passé. Malgré une description assez sombre de la société indienne Abha Dawesar montre donc qu’il y a matière à espérer. Un regard un peu détaché sur les événements et une note d’humour font aussi que j’ai beaucoup apprécié ce roman.
Arnaldur Indridason, Hypothermie, Métailié
Une femme est retrouvée pendue dans son chalet d’été près du lac de Thingvellir. Pas de traces de violences, elle s’était mal remise de la mort de sa mère deux ans plus tôt, le suicide paraît donc évident. Pourtant sa meilleure amie a des doutes qu’elle confie au commissaire Erlendur. Il n’en faut pas plus à ce dernier pour se lancer dans une enquête personnelle, à l’insu de ses collaborateurs. Dans le même temps Erlendur exhume aussi des cas de disparition vieux de 20 ans et tente de percer enfin le mystère.
En ce qui concerne sa vie privée, Erlendur a renoué avec ses enfants et arrive à évoquer avec eux la disparition de son propre frère qui l’obsède tant. Sa fille souhaiterait qu’il rencontre son ex-femme pour s’expliquer enfin sur leur séparation. Le moment n’est peut-être pas encore arrivé.
J’ai particulièrement apprécié ce dernier épisode des enquêtes d’Erlendur. Je trouve le personnage de plus en plus attachant. J’aime aussi l’évocation des paysages qui entourent Reykjavik. Et la gastronomie islandaise… !
« Tu ne me donnes plus aucune nouvelle, reprocha-t-elle tout en se servant un bol de gruau. Erlendur lui coupa un morceau de cette saucisse au foie pas assez surette à son goût. Il avait pourtant exigé qu’elle soit directement sortie de la saumure lorsqu’il l’avait achetée au comptoir du magasin. Le jeune homme qui l’avait servi s’était exécuté avec une mine dégoûtée qui indiquait clairement qu’il n’avait aucun plaisir à plonger la main dans ce liquide. Erlendur en avait profité pour prendre du macareux, des paupiettes et un peu de pâté de tête qu’il conservait dans du petit-lait sur son balcon ».
Antony Beevor, La chute de Berlin, Le livre de poche
Le constat qui domine tous les autres à la lecture de cet ouvrage c’est « mais quelle horreur que la guerre ! » Cela peut paraître un peu naïf comme découverte mais c’est d’abord le gâchis permanent que j’ai eu sous les yeux au fil des pages qui me frappe. Des millions de réfugiés allemands fuient devant l’avancée des troupes soviétiques dans l’est du pays. Ils sont 11 millions sur les routes le 10 mars 1945 et beaucoup d’entre eux vont se retrouver à Berlin, rendant encore plus difficile la survie dans la capitale. L’armée rouge commet des exactions à l’égard des civils. Des femmes de tous âges sont violées et sans distinction d’origine, même des travailleuses forcées « libérées », des femmes soviétiques déportées par les nazis y passent (à propos des viols et de la survie dans Berlin il y a l’excellent Une femme à Berlin).
Staline veut mettre la main sur les ressources industrielles de l’Allemagne, récupérer de l’uranium et les travaux des savants atomistes. Il s’agit donc pour lui d’arriver à Berlin avant les alliés occidentaux. Pendant ce temps Hitler n’est plus capable de juger de la réalité. Il se conduit comme si l’armée allemande disposait de ressources illimitées qu’elle pouvait encore mobiliser. Ses généraux ne le contredisent pas, désireux de le flatter ou aveuglés par leur admiration. Par derrière la lutte pour la succession est engagée, ce qui montre bien qu’eux non plus n’ont pas vraiment les pieds sur terre. Dans la description des derniers jours dans le bunker d’Hitler je retrouve exactement ce que j’avais vu dans le film La chute, notamment le personnage très présent de Traudl Junge, la secrétaire d’Hitler.
Antony Beevor présente de façon très détaillée les combats qui ont conduit à la chute de Berlin et du régime nazi, de janvier à mai 1945. Par moments c’est presque jour par jour qu’on suit les événements. Si tout ne m’intéresse pas de la même façon -les mouvements de troupes m’ennuient un peu, je dois le dire- il y a aussi de nombreuses anecdotes, des témoignages qui rendent l’histoire vivante et cela se lit plutôt bien. Je suis restée longtemps dessus parce que j’ai lu d’autres livres en même temps. Je lirai sans doute, mais pas tout de suite, Stalingrad du même auteur.