En sortant d’un concert à L’Académie de musique de Prague, Reinhard Heydrich lève la tête et remarque quelque chose qui le choque : « Mendelssohn est sur le toit ! ». En effet, la statue du compositeur d’origine juive est bien là, au milieu de celles d’autres musiciens célèbres. Le protecteur de Bohême-Moravie par intérim ordonne aussitôt qu’on la déboulonne sans tarder. Plus facile à dire qu’à faire…
Cette anecdote, traitée sur le mode comique, point de départ du roman, est en fait un prétexte pour nous présenter la vie à Prague sous l’occupation nazie. Jiří Weil convoque toute une galerie de personnages plus ou moins en lien avec cette histoire de statue et dont les trajectoires forment comme un patchwork. Ils sont de tous bords : Heydrich, organisateur de la « solution finale », que l’on suit jusqu’à son assassinat ; les soldats et administrateurs allemands qui s’empressent de s’en mettre plein les poches avant d’être envoyés sur le front de l’Est ; les Tchèques, victimes de cette occupation, rationnés, astreints au travail forcé, pire encore quand ils sont Juifs. Nous faisons la connaissance des sœurs Adéla et Gréta, enfants cachées, et du résistant Jan Kruliš qui s’occupe de leur trouver des planques. Il y a le Dr Rabinovič, « Juif savant » qui a accepté d’organiser pour les nazis un musée du judaïsme à partir d’objets spoliés, dans l’espoir de protéger sa famille de la déportation. Bien qu’il ait honte de son comportement et, qu’au fond, il ne soit pas dupe de son efficacité, il s’y tient, incapable d’envisager une autre stratégie. Jiří Weil montre, à travers ce cas et d’autres, comment le fait de laisser à certains un peu d’espoir les empêche de se révolter.
Si le récit commence sur un ton sarcastique, on ne va pas rire jusqu’au bout et le texte s’enfonce dans le tragique pour dénoncer les crimes de guerre et de génocide jusqu’à la résistance ultime de deux enfants, symbole d’humanité opposée à la barbarie.
En cours de route on rencontre de belles descriptions de Prague et de ses faubourgs, la nostalgie de la vie tranquille qu’on y menait avant guerre. En cela Mendelssohn est sur le toit me rappelle Vivre avec une étoile, notamment par son personnage de Richard Reisinger qui ressemble beaucoup à Josef Roubiček, il me semble.
C’est une lecture que j’ai trouvée excellente. Dans mon édition le roman est précédé de Complainte pour 77 297 victimes, un court texte (20 pages), condensé de l’histoire de la shoah en Bohême-Moravie sous forme de collage de textes.
Ecrit en 1958, envoyé à la composition en 1959, le roman est interdit par la censure qui reproche à Jiří Weil de ne pas avoir suffisamment insisté sur le rôle positif des communistes. L’auteur qui est alors en fin de vie accepte de modifier son texte. La version originale a été en partie perdue mais l’éditeur nous donne en annexe une partie du chapitre 13. La comparaison avec la version définitive est instructive. C’est pour moi un travail d’édition de qualité.