Antan est un village polonais situé au centre de l’univers et dont les quatre frontières, nord, sud, ouest et est, sont gardées par les archanges Raphaël, Gabriel, Michel et Uriel. Le roman suit la vie du village et de ses habitants de 1914 jusque vers la fin du 20° siècle. La narration tourne beaucoup autour de Misia, née au début de la Première Guerre Mondiale, et de ses proches. Chaque chapitre raconte une petite tranche de vie, le temps d’un personnage, ou d’un animal, ou d’une plante, ou d’un objet, ou… Certains de ces chapitres pourraient presque se lire comme de petites histoires indépendantes.
Il est question de la naissance, de l’amour et de la mort; de comment un brave hommes devient un criminel de guerre; du rôle ou de l’existence de Dieu; du sens de la vie, en fait. Le tout est empreint de merveilleux, l’écriture poétique avec de belles descriptions d’une nature vivante où les arbres et les bêtes pensent et ressentent à leur façon. L’autrice fait preuve d’une grande imagination, il y a des choses très bien vues, de l’humour fin : c’est un régal de lecture.
Cerise sur le gâteau, ce que je lis sur Wikipédia sur Olga Tokarczuk me la rend très sympathique. C’est une belle découverte pour moi et je remercié Eva, Patrice et Goran de l’avoir provoquée avec leur mois de l’Europe de l’est.
En ces temps de confinement, quand les cinémas sont fermés et que la sortie de l’adaptation de La Daronne est remise à une date ultérieure, qu’est-ce qu’on peut faire ? Patienter en lisant le dernier ouvrage de Hannelore Cayre !
Blanche de Rigny, la narratrice, est une jeune femme handicapée après un grave accident à l’adolescence. Elle est employée à la reprographie judiciaire du palais de justice de Paris. Fortuitement, Blanche découvre qu’elle est apparentée, par son arrière-grand-père à la très riche famille des de Rigny, chefs d’entreprise voyous, artistes usurpateurs, riches qui se croient tout permis et qui en veulent toujours plus. Elle va utiliser les informations qui passent entre ses mains dans le cadre de son travail pour débarrasser la terre de ces malfaisants qui contribuent activement à la destruction de l’environnement.
En parallèle Blanche enquête sur l’ancêtre commun, Auguste de Rigny et l’histoire de ce jeune homme né en 1845, fils de famille bourgeoise, nous est racontée. En 1870, alors que la guerre avec la Prusse menace, Auguste tire un mauvais numéro à la conscription. Son père se met alors en charge de lui trouver un remplaçant. C’est difficile car l’éventualité d’un conflit a fait monter le cours de l’homme et que des escrocs essaient de profiter de la situation. J’ai découvert avec intérêt ce trafic de remplaçants encadré par la loi. Avec Auguste on suit aussi, rapidement, le siège de Paris et la Commune. Départ des Parisiens qui le peuvent vers leurs résidences secondaires, ruée sur les provisions alimentaires : ça rappelle des choses. C’est la partie historique de l’ouvrage que j’ai le plus appréciée.
L’objectif de Hannelore Cayre c’est de montrer les points communs entre la fin du 19° siècle et le début du 21° : « Il suffisait d’avoir lu Balzac, Zola ou Maupassant pour ressentir dans sa chair que ce début de XXI° siècle prenait des airs de XIX°. Il y avait bien sûr la disparition progressive des services publics, mais pas seulement. Après un XX° siècle qui avait connu deux conflits mondiaux et glorifié l’aventure entrepreneuriale et les diplômes, la part des revenus du travail dans les ressources dont une personne disposait au cours de sa vie s’était mise à reculer pour arriver exactement au même niveau qu’à l’époque de mon ancêtre Auguste. On se surprenait à nouveau à attendre le décès de papa-maman pour s’acheter un logement ou payer les études et l’installation de ses enfants ».
Elle dit qu’elle s’est inspirée du Capital au XXI° siècle de Thomas Piketty.
Il est aussi question des dégâts sur la planète qu’entraîne la course effrénée au profit et de la condition animale , la meilleure amie de Blanche étant une militante de L214.
Ca a l’air très sérieux tout ça mais c’est traité sur le mode grinçant qui est celui de l’autrice et non dénué d’humour. Ca se lit facilement mais je l’ai trouvé un peu caricatural parfois et pas aussi bien réussi que La Daronne.
J’ai beaucoup tricoté étant plus jeune -j’ai commencé à l’adolescence- mais cela faisait un bout de temps que je n’avais pas pratiqué cette activité. Mes enfants sont maintenant trop grands pour porter les tricots de maman et puis aujourd’hui cela coûte moins cher de s’acheter un pull que de se le fabriquer. En même temps cela fait longtemps que j’avais envie de tricoter des chaussettes, ouvrage de petite taille donc rapide à terminer et qui n’utilise pas beaucoup de laine. Aussi j’ai été bien contente de tomber sur ce livre qui propose de superbes modèles. Pour les fournitures il y a l’adresse d’un site qui vend des laines auxquelles on peut difficilement résister, certaines à prix abordable.
Au moment où j’écris ces lignes je viens de terminer ma première paire, j’ai commencé la deuxième et j’ai commandé les laines pour en faire encore deux autres. Ca a un côté addictif et je reconnais que mon rythme de lecture en pâtit.
Mon avis sur la méthode et les explications :
Les chaussettes sont tricotées depuis la pointe à 5 aiguilles ou avec une aiguille circulaire. Pas si simple que ça : ça va pour quelqu’un qui a déjà de bonnes bases en tricot, il me semble. Le sous-titre parle de « techniques pour débuter », pour débuter en chaussettes, pas en tricot. Il m’a semblé que certaines explications étaient un peu rapides et, comme l’autrice le conseille elle-même, ça m’a aidé de visionner un ou deux tutos sur youtube. Les passages un peu complexes ce sont la pointe et le talon, le reste ça va tout seul si vous avez déjà tricoté des trous-trous.
Nous sommes plus de deux cents ans après Un monde sans fin. L’histoire débute en 1558 à Kingsbridge, petite ville autour de laquelle se sont déroulés les deux précédents épisodes et dont est originaire Ned Willard, le héros, mais nous nous en éloignons vite car Ned entre au service d’Elisabeth Tudor, prétendante au trône d’Angleterre. C’est alors Marie Tudor qui est reine. Elisabeth est sa demi-soeur mais elle est illégitime et protestante. Ned souhaite vivre dans un pays où chacun pourrait pratiquer en paix la religion de son choix et c’est pour cela qu’il soutient Elisabeth car il pense qu’elle est la mieux à même de réaliser ce projet. Quand Elisabeth accède au pouvoir Ned joue un rôle de plus en plus important auprès d’elle et devient un membre influent et efficace de ses services secrets. Sa mission : déjouer les nombreux complots fomentés par les ultra-catholiques contre sa souveraine.
Un autre personnage important du roman est le Français Pierre Aumande. Lui attache son destin à la famille de Guise. Il se révèle vite prêt à tout pour permettre l’ascension de ses maîtres et protecteurs. Et la sienne en même temps. C’est un personnage très déplaisant. A une époque où se succèdent sur le trône de France des rois mineurs et faibles les Guise souhaitent profiter de la situation pour obtenir plus de pouvoir voire gouverner de fait et imposer un catholicisme intransigeant. Pierre est leur âme damnée, il est partout où il y a un mauvais coup à faire au nom de Dieu. On nous le présente même comme l’organisateur de la Saint Barthélémy !
S’il y a un point faible à ce roman, il est là : Pierre et le Britannique Rollo Fitzgerald sont de tous les complots, Ned toujours présent pour les déjouer. Cela permet à l’auteur de faire participer son lecteur à tous les grands événements de l’époque jusqu’au naufrage de l’invincible armada et à la conspiration des poudres. Je trouve cependant qu’à force cela manque de crédibilité. Ceci mis à part j’ai beaucoup apprécié cette lecture que j’ai trouvée très intéressante. Plus j’avançais plus j’étais accrochée et plus j’avais du mal à lâcher mon livre. Ken Follett plaide pour la tolérance religieuse. Il est convaincant quand il montre comment les peuples commerçants ont intérêt à un cadre religieux moins pesant et donc choisissent le protestantisme. Derrière ses personnages principaux il propose aussi de nombreux personnages secondaires qui lui permettent d’évoquer l’inquisition en Espagne, la condition des esclaves ou la vie des entrepreneurs anversois. Encore une grande fresque bien réussie comme il sait le faire.
« Je peux me permettre d’écrire la vérité, tous ceux à qui j’ai menti pendant ma vie sont morts. »
Une femme d’une quarantaine d’années, la narratrice, se retrouve seule au monde dans un chalet des Alpes autrichiennes. Le roman est paru en 1963, à une époque où on craignait une guerre atomique. Marlen Haushofer a imaginé qu’une arme nouvelle avait pétrifié tous les êtres vivants, hommes et bêtes, sauf à l’intérieur d’un assez vaste périmètre délimité par un mur invisible. C’est là que se trouvait la narratrice quand la catastrophe est survenue. L’événement s’est déroulé dans la nuit. Au matin elle constate la situation. L’objet du roman n’est pas comment on en est arrivé là mais comment elle va y faire face.
Deux ans et demi après le début de son enfermement, la narratrice décide de mettre par écrit son histoire. On ne saura jamais son nom. Elle raconte comment elle a organisé sa vie avec un chien, une vache et un chat. Le bois à couper pour la cuisine et le chauffage -à cette altitude, il peut neiger jusqu’en mai-, la recherche de nourriture : chasse, pêche, agriculture, cueillette. C’est un labeur quasi permanent et qu’elle apprécie car il l’empêche d’être trop tourmentée par ses pensées. Les soins aux animaux sont aussi un bon dérivatif. Des être vivants dépendent d’elle et cela l’oblige à aller de l’avant.
Si le roman est un récit de vie en Robinson c’est surtout une réflexion sur le sens de la vie, la condition humaine, la condition féminine, la relation des êtres humains à la nature et aux animaux.
Je comprends que cette femme s’est souvent sentie contrainte dans ses relations aux autres, aux hommes notamment et que la situation est, d’une certaine façon, une libération pour elle. Enfin elle peut cesser de se conformer à ce que la société attendait d’elle et devenir elle-même. La transformation est douloureuse mais au moment où elle se met à écrire, elle constate le changement et s’en satisfait.
J’ai beaucoup apprécié ce roman que j’ai trouvé excellent. Je suis très admirative du travail de Marlen Haushofer, une autrice que je ne connaissais pas. C’est une lecture pas toujours gaie mais qui donne vraiment à réfléchir.
Christophe Leibowitz-Berthier, le narrateur, est un avocat qui n’a pas fait la belle carrière qu’il pensait mériter. Il est abonné aux rôles de commis d’office pour petits délinquants. C’est pourquoi il est un peu étonné d’être recruté par Dalil Lakdar, collègue sans scrupules, prêt à tout pour faire libérer ses clients trafiquants de drogue et s’en mettre plein les poches au passage.
Commis d’office est le premier roman de Hannelore Cayre. Il m’a semblé qu’elle avait écrit mieux depuis. Il y a déjà la critique des travers de la justice mais ici je trouve que c’est essentiellement grinçant et moins réjouissant que ce qu’elle a fait ensuite. J’ai retrouvé deux anecdotes qu’elles a reprises ensuite dans Comme au cinéma et j’ai trouvé cela un peu gênant. J’ai été intéressée cependant par ce que j’ai appris sur le sort des commis d’office et les magouilles de certains avocats.
Anne et Jean Bloyé, couple d’avocats, sont à Chaumont dans la Haute-Marne pour y défendre Abdelkader Fournier, jugé pour le braquage d’une douzaine d’agences bancaires. Les faits se sont déroulés sans violences mais le procès s’annonce difficile car le président de la cour d’assises est le juge Anquetin, surnommé le Boucher pour le plaisir qu’il prend à punir lourdement les prévenus, surtout quand ils sont noirs ou arabes.
L’acteur Etienne Marsant est une légende du cinéma français. Il a arrêté de tourner pour des raisons de santé et il s’ennuie ferme. C’est pourquoi il a accepté de présider le festival Résistances de Colombey-les-deux-églises, dans la Haute-Marne. C’est le hasard qui met en contact Marsant et les Bloyé, logés au même hôtel. Anne est une fan de Marsant, lequel n’a jamais joué de rôle d’avocat. Mais après tout, peut-être qu’il n’est pas trop tard car plaider au tribunal, c’est bien un peu jouer un rôle, non ?
Après La daronne qui m’avait réjouie, j’ai apprécié de tomber à ma bibliothèque sur cet ouvrage plus ancien de Hannelore Cayre. J’y ai retrouvé avec plaisir son humour grinçant, la peinture caustique de la société contemporaine : « Les hommes avaient remplacé Dieu par des idoles pour les adorer. Lorsque celles-ci avaient commencé à étaler leur humanité, à poser en tablier dans leur cuisine ou à déballer leur vie sexuelle comme le tripier, ses produits, elles s’étaient fait piétiner à leur tour. Alors, comme aucune star ne voulait plus jouer l’accessibilité que moyennant monnaie sonnante et trébuchante, on avait créé des célébrités à la chaîne comme ces vedettes de la téléréalité, glorifiées juste pour être immolées. Un peu comme ces vaches-aliments élevées sans voir la lumière dont la vie n’avait de sens que pour être jetées à la poubelle par les enfants des cantines boudant leur viande dégueulasse ».
Il y a aussi une description critique du déroulement de la justice en la personne du juge Anquetin qui embobine les jurés pour les amener où il l’a décidé avant même le début du procès. L’auteure étant elle-même avocate pénaliste il est probable, hélas, qu’il y ait une part de vérité dans cela. Enfin, au milieu de toute cette noirceur, j’ai apprécié le regard tendre porté sur la plupart des personnages, notamment secondaires voire très secondaires qui ont droit à quelques précisions sur leur vie ou leurs pensées qui les rendent vivants.
Patience Portefeux est traductrice français-arabe pour le ministère de la justice. Au tribunal pour les prévenus qui ne parlent pas le français, au commissariat lors des interrogatoires mais de plus en plus souvent pour la traduction des écoutes téléphoniques de petits dealers. C’est par ce biais qu’elle entre en possession d’une grande quantité de cannabis qu’elle va s’employer à vendre. Pour ses clients, elle devient alors La daronne.
J’ai beaucoup apprécié ce réjouissant policier et son personnage amoral. Patience est bien placée pour connaître les arrangements avec la loi de la police et de la justice et elle s’en donne à coeur joie pour rouler un employeur qui la fait travailler au noir :
« C’est d’ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là même qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu ni retraite. Franchement, comme incorruptibilité on fait mieux, non ? »
Hannelore Cayre est avocate pénaliste et elle aussi est bien placée pour connaître ce dont elle traite. C’est donc un ouvrage qui a la saveur du vécu, très crédible. Par ailleurs elle porte un regard très critique sur la société française et ses travers. Il est notamment question des conditions de fin de vie des personnes âgées dans des EPHAD qui ressemblent à des mouroirs faute de personnel mais aussi du peu de perspectives laissées aux jeunes, particulièrement quand ils sont issus de l’immigration :
« Malgré tous ses efforts, à la sortie des études, il avait pris en pleine face le Grand Mensonge français. La méritocratie scolaire -opium du peuple dans un pays où on n’embauche plus personne, encore moins un Arabe- ne lui apporterait pas les moyens de financer ses rêves ».
La critique est mordante, l’humour caustique et c’est très bien écrit : je me suis régalée.
J’aime bien aller à l’hôtel. On n’a besoin de s’occuper de rien. Anonyme dans un lieu inconnu on peut s’imaginer une autre vie pour une nuit ou pour quelques jours.