Une enfance en Turquie Née en 1975 Özge Samancı est une artiste multimédia turque installée aux Etats-Unis. Dans ce roman graphique elle raconte son enfance et son adolescence en Turquie depuis ses six ans. Özge Samancı grandit à Izmir, sa ville natale, auprès de Pelin, sa soeur aînée et de parents enseignants. Le père veut que ses filles soient ingénieures pour gagner correctement leur vie et être indépendantes. Pour cela il faut intégrer un lycée de prestige puis une université de prestige ce qui passe par des cours du soir privés. Özge a bien du mal à se plier aux injonctions de son père. Elle s’imagine en nageuse olympique, en plongeuse comme le commandant Cousteau, en actrice, jamais en ingénieure. Comment être soi-même sans décevoir ceux que l’on aime ?
J’ai beaucoup apprécié cet excellent ouvrage. Quand Özge Samancı raconte sa scolarité primaire au début des années 1980 avec la figure d’Atatürk omniprésente, l’embrigadement des enfants, les punitions corporelles, cela me fait penser à ce que vit Riad Sattouf en Syrie à peu près à la même époque, toutes proportions gardées car Özge vit dans une famille libérale. J’aime la façon dont elle restitue l’innocence de l’enfance et le cadre matériel de la vie à cette époque. En grandissant elle garde intacte sa capacité à s’enthousiasmer ce que je trouve très plaisant. Elle m’apparaît très sympathique et son livre aussi où le dessin s’accompagne de photos d’objets, papiers collés et autres inventions plastiques. Une très bonne découverte due à Masse critique.
Quand il travaillait sur Retour à Lemberg, Philippe Sands a fait la connaissance de Horst Wächter, fils de Otto von Wächter, et il a commencé à enquêter sur ce dernier. Autrichien, Otto von Wächter (1901-1949) a adhéré au parti nazi dès 1923. Après l’Anschluss il monte rapidement en grade et occupe différents postes de commandement, à Vienne, à Cracovie puis à Lemberg où il est chaque fois chargé des politiques anti-juives et s’en acquitte avec efficacité. Après la défaite des nazis Otto von Wächter se cache dans les Alpes autrichiennes pendant près de trois ans. Il est à cette époque l’un des chefs nazis les plus recherchés par les Alliés. En 1949 il passe en Italie grâce à des faux papiers fournis par sa femme. A Rome il bénéficie de complicités et prépare son départ pour l’Amérique du Sud mais meurt avant de pouvoir réaliser ce projet.
Pour écrire la biographie d’Otto von Wächter Philippe Sands a eu accès aux archives personnelles de Charlotte, la femme d’Otto. Journaux intimes, courriers entre les époux, bandes enregistrées, tous ces précieux documents ont été confiés à l’auteur par Horst Wächter avec qui Philippe Sands a noué une relation de confiance. Charlotte von Wächter apparaît comme une parfaite femme de nazi, parfaite nazie elle-même. Elle est tellement représentative que j’ai cru un moment la reconnaître comme une des protagonistes de Femmes de nazis. Mais non. Elle me fait aussi penser à Josée Laval, seulement intéressée par la vie mondaine qu’elle mène grace à la position de son mari (son père dans le cas de la fille Laval) : « Les déjeuners de vingt personnes étaient parfois suivis de thés où se retrouvaient quarante invités. Dans la mesure où la ville [Lemberg] était sur la route du front russe, les gens pouvaient faire une halte chez eux : la guerre devenait ainsi un catalyseur d’événements mondains ».
Charlotte est par ailleurs très amoureuse de son mari ce qui contribue aussi à la rendre totalement aveugle aux crimes auxquels il participe.
Philippe Sands a mené l’enquête à Rome sur les filières d’exfiltration de nazis. Il y met à jour le rôle actif de l’Eglise catholique, notamment en la personne de l’évêque nazi Aloïs Hudal. Après la guerre cet Autrichien a fourni gîte, argent et faux papiers aux nazis réfugiés à Rome, il en a aidé à passer en Amérique du Sud comme par exemple Franz Stangl, le commandant de Treblinka. Je découvre qu’à la fin des années 1940, dans le contexte des débuts de la guerre froide, des nazis sont aussi recrutés par les services du contre-espionnage américain. Dans l’optique de lutter contre le communisme (« Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ») on ferme les yeux sur leurs crimes et on leur fourni une nouvelle identité. Les Allemands appellent cela le Persilschein (du nom de la lessive) qui lave plus blanc que blanc. L’auteur prouve que les Américains ont été au courant de la présence d’Otto dès son arrivée à Rome mais qu’ils n’ont rien fait pour arrêter ce criminel de masse, en théorie activement recherché.
Après le père et la mère Philippe Sands côtoie -et lui en chair et en os- un fils de la famille Wächter, Horst. Ce vieux monsieur affable et accueillant avec qui l’auteur a sympathisé a très peu connu son père. Il a été élevé par sa mère et son grand-père -qui a fait office de père de substitution- tous deux convaincus de l’innocence d’Otto. Aussi, tout en affirmant vouloir connaître toute la vérité sur les crimes dont son père est accusé -et sans doute le croit-il vraiment- Horst s’est enfermé dans un déni de plus en plus profond, assez fascinant à observer. Il arrive à trouver une explication édulcorante à toutes les preuves, même les plus incriminantes, que lui présente l’auteur. J’admire ce dernier qui reste très patient -il confesse cependant s’être énervé une fois.
L’enquête menée par Philippe Sands sur plusieurs années a débouché (avant le livre) sur un documentaire -What our fathers did. A nazi legacy- que je n’ai pas vu et un podcast disponible sur Radio France -que j’ai écouté en suivant la lecture du livre. J’ai trouvé l’un et l’autre passionnants et se complétant bien. Ce ne sont pas les mêmes points qui sont détaillés dans le podcast que dans le livre, il n’y a pas de redondance. Si Retour à Lemberg qui traite de points de droit international était parfois un peu technique, La filière est d’une lecture beaucoup plus accessible.
Une jeunesse au Moyen-Orient (1994- 2011). En 1994 Riad Sattouf a 16 ans et vit à Rennes avec sa mère et son frère Yahya. Cela fait deux ans que le père a enlevé Fadi, le cadet de la fratrie. Pour retrouver son fils la mère s’en remet à divers charlatans et escrocs : voyante, avocat véreux, soi-disant ex des services secrets. Après le bac Riad Sattouf étudie les arts appliqués à Rennes puis à Paris. Dans le même temps il cherche à se faire éditer et commence une psychothérapie dans le but de se débarrasser de ses angoisses et de l’image de son père qui l’obsède.
Dans ce dernier tome de L’Arabe du futur on assiste à l’émancipation du héros. L’adolescent complexé devient petit à petit un adulte autonome. J’ai beaucoup apprécié cette évolution qui m’a fait plaisir. Bravo à Riad Sattouf pour le travail qu’il a fait pour en arriver là, bravo à sa psy. Autour j’apprécie aussi de suivre l’histoire de cette famille : les grands-parents qui vieillissent, le devenir des parents syriens.
Après les chaussettes et les bonnets je tricote cette année des moufles pour mon entourage. Comme vous pouvez le constater ci-dessus j’ai déjà bien avancé la réalisation de mes cadeaux de Noël et je continue. Difficile de résister aux modèles somptueux que contient ce livre. Elles sont toutes en jacquard.
Dans l’introduction j’apprends qu’en Lettonie les moufles faisaient traditionnellement partie du trousseau de la mariée, les plus riches d’entre eux pouvant en comprendre plusieurs centaines de paires ! Je me demande ce qu’on pouvait bien faire de tout ça. On nous annonce en quatrième de couverture qu’on va découvrir « l’histoire fantastique des moufles lettones » mais je trouve en ce qui me concerne que les explications historiques sont bien trop rapides.
Ce qui me manque aussi ce sont des explications claires pour tricoter en jacquard avec plus de deux laines. Certains des modèles proposés ici sont réalisés avec quatre couleurs différentes de laine sur le même rang. Pour l’instant je ne me suis pas encore lancée dedans et je n’ai pas trouvé de tuto sur internet qui me montre comment gérer tous ces fils en même temps.
Chaque modèle est illustré d’une photo et d’une grille jacquard et est donné en une seule taille. J’ai du parfois modifier un peu la grille pour adapter le modèle à la taille que je souhaitais.
L’autrice préconise d’utiliser un jeu de cinq aiguilles double pointe, je fais ça très bien avec mes aiguilles circulaires et je trouve même que c’est plus facile.
J’ai appris comment on faisait une ouverture pour le pouce.
Une famille dans la tourmente de l’histoire. Les Mitford sont une famille de la noblesse britannique, le père siégeait à la chambre des lords. La fratrie Mitford comptait sept enfants dont six filles. Nancy (1904-1973) fréquente de riches mondains dont elle se fait la chroniqueuse dans ses romans. Elle est une écrivaine à succès de son époque, je me demande si elle est encore lisible aujourd’hui. Elle aime les potins. Avec l’âge son ton caustique tourne à la méchanceté et elle devient franchement réactionnaire. Diana (1910-2003) a épousé Oswald Mosley, fondateur du parti fasciste britannique, interdit en 1940. Diana est une admiratrice d’Hitler, admiration qu’elle n’a jamais reniée. Unity (1914-1948), quant à elle, est plus qu’une admiratrice: une groopie inconditionnelle d’Hitler. A partir de 1933 elle fait des séjours réguliers en Allemagne où elle devient une proche d’Hitler qu’elle fréquente assidument au point que certains ont pensé qu’elle était sa maîtresse -il semble que non. Diana et Unity sont toutes deux des antisémites virulentes. Elles ont de qui tenir, leurs parents et leur frère Tom étaient aussi des sympathisants nazis. Sur la tombe de Unity sa mère a fait inscrire: « Ne dites pas que la lutte n’a servi à rien ».
C’est peu de dire que ces gens ne me sont pas sympathiques. Ils sont cependant intéressants car représentatifs d’une classe sociale qui a commencé à perdre ses privilèges après la première guerre mondiale, qui se sent menacée et qui espère qu’un régime autoritaire pourrait lui rendre sa position. Je n’ai aucune compassion pour leurs problèmes de pauvres riches toujours à court d’argent: « Le manoir, avec ses larges baies vitrées et son parc immense, coûte si cher à entretenir qu’elle [Diana] doit donner son congé à sa femme de chambre pour pouvoir garder plusieurs jardiniers ». Pamela (1907-1994) et Deborah (1920-2014) sont les deux soeurs qui font le moins parler d’elles. Elles ont fait de riches mariages.
Jessica (1917-1996) est la seule qui m’est sympathique. Elle a émigré aux Etats-Unis, épousé un Américain (juif !), pris la nationalité américaine et adhéré au parti communiste -qu’elle quitte en 1957. Elle lutte pour les droits des Noirs puis contre la guerre du Vietnam. Elle devient journaliste d’investigation et dénonce dans ses livres les profits exorbitants des entreprises funéraires ou des cliniques d’esthétique, le système carcéral américain, la médicalisation des accouchements.
Si je trouve qu’Annick le Floc’hmoan est parfois un peu indulgente avec ses personnages, il me semble cependant qu’elle en a bien compris les motivations et les contradictions. Je ne dirais pas néanmoins que les soeurs Mitford étaient extravagantes. D’abord je ne crois pas qu’être une nazie ce soit de l’extravagance, surtout quand on accepte, en connaissance de cause, d’être logée dans un appartement spolié à des Juifs. Il y a enfin chez certains des membres de cette famille un sentiment de leur supériorité qui les incite à des comportements provoquant. Ca marche sur moi. Je suis régulièrement choquée par des attitudes qui me pousseraient plutôt à les qualifier de parasites. L’intérêt majeur de cet ouvrage réside pour moi dans la description d’une période où l’aristocratie britannique a petit à petit perdu ses privilèges liés à la naissance. L’exemple de la famille Mitford montre que ce n’est pas la fin de tout. Il reste les privilèges des relations et de l’argent qui permettent de surmonter beaucoup de choses. De façon plus ponctuelle j’ai apprécié aussi ce que j’ai lu sur l’entourage d’Hitler ou sur le combat pour les droits des Noirs aux Etats-Unis. Si c’est un ouvrage dont la lecture m’a un peu agacée au début j’ai été de plus en plus accrochée à mesure que j’avançais.
L’écrivaine québécoise Marie-Claire Blais est morte le 30 novembre 2021. Elle était née en 1939 au sein d’une famille ouvrière et a quitté l’école à 15 ans pour travailler. Elle publie son premier roman à 20 ans et s’impose bien vite comme une femme libre à l’homosexualité assumée.
Petites Cendres ou la capture. Une nuit dans une île des Caraïbes. Le vieux Grégoire, un homme noir, invective un policier blanc. Il lui lance à la face tous les crimes des Blancs contre les Noirs depuis l’esclavage jusqu’aux « bavures » policières. Petites Cendres, un travesti métis qui voit que le policier a sorti une arme, s’interpose pour protéger Grégoire. Marie-Claire Blais nous donne à lire les pensées de ces trois personnages, représentatifs de leurs communautés. Grégoire est la voix des souffrances des Noirs aux Etats-Unis et le policier celle du déni des Blancs. Petits Cendres quant à lui représente la communauté LGBTQI. Le parallèle est fait entre les violences que subissent les personnes noires ou queer: on brûle des églises où viennent prier les Noirs ou des cabarets qui présentent des spectacles de travestis, on retrouve dans un fossé le cadavre d’une avocate noire ou d’une femme trans.
Pendant que cette scène de l’altercation est comme figée dans l’espace la nuit s’écoule et de nombreux autres personnages illustrent les malheurs des temps présents. Mark, un étudiant obèse, est moqué par d’autres jeunes et harcelé par un groupuscule néonazi. Lucie, une fillette de 9 ans, sert de garde-malade à son père, un vétéran grièvement blessé en Afghanistan. Love, une étudiante, fille de réfugiés vietnamiens, est violée par deux garçons qui étaient ses amis d’enfance. Alberto, migrant guatémaltèque sans papiers, est arraché à son mari pour être renvoyé dans son pays. Il y en a d’autres encore.
Les sujets abordés sont noirs, certains faits choquants et pourtant j’apprécie grandement ma lecture. J’aime d’abord que l’autrice prenne toujours le parti des faibles et des discriminés dont de nombreux personnages LGBTQI.
Je trouve ensuite des lueurs d’espoir. Il y a un policier à cheval qui est comme une figure de saint, il me semble, et qui traite avec compassion un SDF. Il y a l’idée que la famille, celle du sang ou celle qu’on se crée dans sa communauté, peut être un refuge. Ainsi Philli, jeune femme trans, et Lou, jeune homme trans, forment un couple adolescent, s’interrogent sur leur transition et s’épaulent.
Enfin il y a la langue, déroutante au début mais qui m’a finalement conquise. La ponctuation se limite aux virgules et points d’interrogation, les points sont rarissimes. Du coup les pensées des différents personnages se juxtaposent dans des télescopages souvent déconcertants mais aussi parfois très bien trouvés. Pas d’alinéa, de paragraphe ou de chapitre, l’aspect est dense et chaque fois que je reprenais mon livre après l’avoir posé il me fallait chercher un peu où je m’étais arrêtée, ce qui invite à lire sans trop de pauses. Et en effet, la lecture suivie m’a permis d’entrer dans le texte et de me laisser emporter par lui. Sur la forme comme sur le fond c’est de la grande littérature.
Kate Davies est une designeuse écossaise qui crée des modèles de tricot que j’ai découverts avec ce livre et que j’aime beaucoup. Dans cet ouvrage qui présente quinze modèles de bonnets tous superbes, elle s’est associée avec treize autres créatrices. J’ai acheté le livre sur mon site de laine favori qui propose aussi un fil équivalent à celui vendu par l’autrice. Après les chaussettes je suis donc passée aux bonnets et j’en ai tricoté pour tous mes proches, ça m’a fait une bonne série de cadeaux de Noël. Le livre est en anglais, j’ai donc tricoté en anglais! En plus des explications où il m’a fallu parfois chercher la traduction de termes techniques, chaque modèle est accompagné d’un diagramme très bien fait et quand on a déjà tricoté du jacquard, c’est facile de s’y retrouver. Grâce à cet ouvrage j’ai pu expérimenter plein de nouvelles techniques que je ne connaissais pas: le tricot double face réversible, le montage tubulaire et j’ai appris à tricoter en jacquard en tenant un fil dans chaque main. Pour m’aider j’ai eu recours à des tutos sur Youtube, il y en a de très bien faits.
Les bonnets sont tricotés à l’aiguille circulaire en partant du bas. Il m’a fallu parfois revenir sur le tour de tête trop serré ou trop large mais je suis très contente du résultat.
Dans l’ombre de Goebbels, Goering, Himmler… Dans cet ouvrage James Wyllie étudie les itinéraires des femmes des chefs nazis Goebbels, Goering, Himmler mais aussi Heydrich, Bormann et Hess depuis la rencontre avec leur futur époux jusqu’à leur mort. Certaines étaient des nazies de la première heure, d’autres sont venues au nazisme par amour ou se sont accommodées du nazisme de leur mari (Emmy Goering), mais aucune cependant ne pouvait ignorer les crimes dans lesquels trempaient leurs maris et dont elles se sont rendues complices en acceptant le train de vie qui allait avec. Ce qui me frappe en effet c’est la corruption de tous ces cadres du régime. Ils possèdent tous plusieurs résidences, souvent immenses, et des chalets sur l’Obersalzberg, certains financés par le « Fonds Adolf Hitler pour l’économie allemande ». Il s’agit d’un fonds alimenté par des capitaines d’industrie à partir de ponctions sur les salaires de leurs employés, offert en cadeau à Hitler et géré par Bormann. Les gratifications sont aussi celles du pouvoir absolu. Goering fait de ses événements privés -obsèques de sa première femme, mariage avec la seconde- de véritables fêtes nationales.
En s’appuyant sur leurs journaux intimes et leur correspondance, James Wyllie donne la parole à ses protagonistes. On voit ainsi Margarete Himmler souffrir de relations conjugales difficiles : « Aujourd’hui je suis fermement convaincue que j’ai mérité ma place au soleil, et l’amour et le bonheur »; Goebbels pleurer à la projection de Mutterliebe, un mélo nazi et j’apprends qu’Heydrich était un excellent violoniste dont les interprétations « témoignaient d’une sensibilité extrême et d’une gamme émotionnelle d’une étendue rare ». Tout cela les rattache à leur humanité et on pourrait de ce fait trouver l’auteur complaisant. Il me semble que ce n’est pas le cas. Les conditions de vie difficiles des Allemands de base avant et pendant la guerre sont décrites et les crimes nommés. Les femmes dont il est question n’ont pas rechigné à employer des travailleurs forcés à leur service et Lina Heydrich les faisait battre quand ils ne travaillaient pas assez vite. Même si certaines ont protégé un ou deux Juifs de leur entourage, elles sont pour laplupart des antisémites convaincues. Le contraste entre l’image qu’elles avaient d’elles-mêmes, leurs aspirations à une vie que j’ai envie de qualifier de petite bourgeoise et la réalité est vertigineux.
Enfin, celles qui ont survécu à la guerre n’ont jamais manifesté aucun regret de leurs choix de vie ou de leurs idées. Elles se sont réfugiées dans le déni ou sont restées des nazies convaincues jusqu’à la fin. James Wyllie s’interroge sur les peines relativement légères voire l’absence de poursuites dont elles ont bénéficié.
J’ai beaucoup apprécié cette lecture que j’ai trouvée plutôt facile d’accès. Encore une fois je me suis félicitée d’avoir lu auparavant la biographie d’Hitler par Joachim Fest. C’était un pavé mais un bon investissement qui m’a aidée à mieux suivre la trame chronologique. En plus de ses personnages principaux James Wyllie fait aussi de rapides biographies de seconds couteaux qui les ont côtoyés. Je découvre par exemple Otto Horcher, restaurateur préféré de Goering, qui fournissait ses réceptions. Il a ouvert des annexes dans plusieurs pays occupés par l’Allemagne nazie et repris le Maxim’s à Paris. En 1943 il quitte l’Allemagne pour Madrid où le restaurant existe toujours, tenu par les descendants d’Otto. La rubrique Histoire du site de la maison évité soigneusement cette période gênante. Je trouve tout cela passionnant.
Trois récits, trois femmes confrontées à la solitude. Après un accident de voiture, Ida trouve refuge chez un couple de personnes âgées qui habitent une maison isolée et l’hébergent le temps qu’elle reprenne ses esprits. Dans ce lieu comme hors du temps Ida revoit des épisodes de sa vie. En rêve elle croise sa mère et sa fille. Elle pense à son mariage raté, à son ex-mari qu’elle revoit de loin en loin malgré leur divorce, non par envie mais par habitude et faute d’avoir su lui dire non.
Paraskewia, dite Parka, la mère d’Ida, vit dans une maison isolée au dessus d’un village de montagne et aujourd’hui coupée du monde par la neige alors que son mari, Petro, vient de mourir. Tout en s’activant pour signaler la situation au village, Parka se souvient du passé. Parka et Petro sont des exilés qui ont dû quitter leur région d’origine suite aux changements de frontières de la Pologne après la seconde guerre mondiale. Enceinte jeune fille Parka a dû épouser un homme qu’elle n’aimait pas. Ses sentiments pour le mort sont un mélange de colère, d’agacement mais aussi une forme de tendresse due à une longue vie commune.
Maya, la fille d’Ida, séjourne en Malaisie avec son fils de onze ans. Officiellement c’est pour écrire un guide touristique mais Maya semble surtout tenter de fuir un grand mal être.
Même si ces trois femmes sont liées par des relations de parenté, les trois récits sont indépendants et pourraient se lire séparément. Le point commun ici est la réflexion sur le sens de la vie. L’autrice excelle à transcrire les pensées de ses personnages, la façon dont elles vagabondent. Il y a aussi de très belles descriptions des paysages et de la nature, nature enneigée de Pologne, fonds sous-marins de Malaisie. Ida et Parka sont plus attachantes que Maya dont le lecteur reste un peu à distance. Son récit est d’ailleurs rédigé en focalisation externe alors que celui de ses mère et grand-mère l’est en focalisation interne. C’est un ouvrage que j’ai apprécié, plus particulièrement les deux premiers récits, donc.