La femme et les deux jeunes enfants du narrateur, David Zimmer, sont morts dans un accident d’avion. Après cette catastrophe, David traverse une période de profonde dépression. Un jour, en regardant un documentaire à la télévision, il découvre l’existence d’Hector Mann. Hector Mann était un acteur comique de l’époque du cinéma muet. Il a eu un certain succès avant de disparaître en 1929 : il est parti de chez lui, abandonnant toutes ses affaires et personne n’a plus jamais entendu parler de lui. Un extrait d’un film d’Hector Mann fait rire David Zimmer et c’est la première fois qu’il rit depuis des mois.
Dans un sursaut vital pour échapper au désespoir il décide d’écrire un livre consacré à l’oeuvre d’Hector Mann. Après la parution du livre David Zimmer reçoit une lettre d’une femme qui se prétend l’épouse d’Hector Mann. Celui-ci serait encore vivant, 60 ans après sa disparition, et souhaiterait rencontrer Zimmer. David croit d’abord à un canular et temporise mais un soir une jeune femme se présente à sa porte : elle est envoyée par l’épouse d’Hector Mann pour le convaincre de se rendre au chevet de ce dernier.
Voilà un très bon Paul Auster que j’ai lu d’une seule traite. Comme toujours c’est bien écrit et les personnages ont des vies hors du commun avec de nombreux rebondissements. Les détails sont tellement précis que je me suis demandé un moment si Hector Mann n’avait pas existé pour de vrai.
On retrouve dans le livre des illusions des thèmes chers à Paul Auster : un personnage disparaît et tout le monde le croit mort (comme dans Leviathan ou dans Moon Palace). Un artiste crée des oeuvres que personne ne verra jamais (comme dans Moon Palace).
Il est aussi question de responsabilité et de comment expier ce dont on est coupable.
Samina Ali, Jours de pluie à Madras, Mercure de France
La narratrice, Layla, est une Indienne musulmane de 19 ans. Ses parents ont émigré aux Etats-Unis quand elle était petite et depuis elle a vécu entre ce pays et l’Inde, six mois ici et six mois là-bas. Ce perpétuel déracinement lui a été imposé par son père par crainte qu’elle n’oublie ses traditions et qu’elle ne s’occidentalise trop. La surveillance constante dont elle a été l’objet depuis sa puberté n’a pas empêché qu’elle aie une relation sexuelle avec Nate et cela juste avant de repartir une nouvelle fois en Inde où elle doit épouser Samir, choisi par sa famille.
Pour Layla, ce mariage est l’occasion de quitter un père qui la bat et une mère pour qui elle est une charge malfaisante, peut-être de connaître enfin l’affection en famille. Cependant elle craint la réaction de Samir quand il découvrira qu’il n’est pas le premier. La chassera-t-il comme il en a le droit ou pourront-ils s’entendre ? Les choses se compliquent au-delà de ce que Layla pouvait imaginer car Samir cache lui aussi un difficile secret.
Après le mariage, le jeune couple habite dans la famille de Samir. Dans cette maison de trois pièces où vivent six adultes (Ibrahim et Zeba, les parents de Samir; Samir et Layla; Feroz, le frère de Samir et Nafiza, la nourrice de Layla venue comme domestique) les jeunes mariés ont peu d’intimité bien que Ibrahim et Zeba leur aient abandonné leur chambre. Difficile de faire connaissance quand en plus la religion s’en mèle : il faut se lever tôt pour la première prière de la journée, il faut respecter des jours d’abstinence. A cette occasion Zeba, très pratiquante, impose à Layla de dormir avec elle tandis que Samir dort avec son père.
On comprend que Samir soit impatient d’émigrer vers les Etats-Unis où il espère pouvoir vivre plus librement. Mais avant que ce projet ne se réalise, la violence contenue surgit dans une agression meurtrière de fanatiques hindous contre la communauté musulmane. Samir et Layla, chacun de leur côté, vont devoir affronter leur destin.
C’est bien écrit, le style retranscrit bien l’ambiance en apparence nonchalante de la vie de recluses des femmes de cette communauté et la violence sous-jacente. On comprend l’enfermement qui pèse sur tous, le poids d’une religion et d’une existence vécues sous l’oeil des voisins et qui n’offrent que fort peu de place pour les libertés individuelles.
Siri Hustvedt, Tout ce que j’aimais, Babel
Léo, le narrateur, un homme vieillissant, se penche sur son passé et égrène ses souvenirs depuis l’époque de son mariage. Léo et Erica, sa femme, vivent à New-York et sont tous les deux professeurs d’université. Léo se lie d’amitié avec Bill, un artiste peintre. Bill est marié à Lucille, puis ils divorcent et Bill épouse Violet. Après ce deuxième mariage, les deux couples deviennent très proches. Ils habitent dans le même immeuble, déjeunent régulièrement les uns chez les autres, passent leurs vacances ensemble. Comme Léo et Bill, Erica et Violet sont très proches l’une de l’autre.
Toute la première partie est empreinte d’une nostalgie douce, de l’amitié vraie, de l’heureux temps passé.
Mais le malheur va frapper durement ces deux familles et les événements prennent petit à petit une tournure inquiétante.
Dans ce livre, comme dans le précédent que j’ai lu (La fille qui marchait sur l’eau) il est question de la mort d’un enfant et de ses parents qui s’éloignent l’un de l’autre après cette tragédie, incapables de continuer à vivre ensemble mais incapables aussi de se séparer complètement. Mais il est question aussi d’une situation même plus difficile pour des parents que la mort d’un enfant.
L’action s’accélère et s’éloigne de la tranquillité du début pour atteindre à une forme d’angoisse. La note positive c’est que l’amitié survit aux coups du destin et est une aide pour les encaisser.
J’ai beaucoup aimé ce livre. Il est bien écrit et de plus en plus prenant à mesure qu’on avance dans sa lecture. Siri Hustvedt est la femme de Paul Auster et par sa qualité d’écriture, par le fait que l’action se situe dans le même milieu intellectuel new-yorkais, ce livre m’a parfois fait penser à du Paul Auster. J’ai l’intention de me procurer d’autres livres de cet Siri Hustvedt.
Siddarth Dhanvant Shanghvi, La fille qui marchait sur l’eau, 10-18
L’histoire se passe à Bombay, dans l’Inde britannique du début du 20° siècle.
Au début de leur mariage, Anuradha et Vardhmaan Gandharva ont connu quelques années d’amour intense. Amants et amis, ils ont partagé des moments précieux. Mais la mort accidentelle de leur fils Mohan dresse entre eux un mur d’incompréhension. Alors qu’ Anuradha surmonte sa douleur grâce à une chanson, Vadhmaan reste traumatisé et s’éloigne petit à petit de sa femme.
Le livre raconte aussi l’histoire de personnages secondaires intéressants. Ainsi Nandini Hariharan, femme extravagante et provocatrice. Elle choque et fascine le tout-Bombay par son comportement violent qui n’est en fait pour elle qu’une façon d’essayer d’oublier son enfance douloureuse.
C’est un livre qui parle d’amour. Amour éternel, amour qui est le but de la vie, amour qui peut tuer celui qui n’arrive pas à le donner.
C’est un livre dans lequel les élèments et les choses ont une vie propre. Une chanson est si belle qu’elle peut faire s’allumer toutes les lumières d’une maison. Une maison protège le souvenir de son premier occupant en jetant ses maléfices à tous ceux qui essaient de s’y installer ensuite. Un son est tellement âpre qu’il altère la texture de la peau des humains.
C’est un livre prenant. La fin est poignante (j’ai pleuré).
Boris Akounine, Altyn Tolobas, 10-18
Nicholas Fandorine est un historien britannique d’origine russe (sa grand-mère a fuit la Russie en 1920). A la fin des années 90 il met pour la première fois le pied sur la terre de ses ancêtres. Il vient pour entreprendre des recherches sur Cornelius Von Dorn, le fondateur de la lignée des Fandorine en Russie au 17° siècle. Il est muni d’un demi-parchemin hérité de Cornelius et compte consulter aux archives à Moscou l’autre moitié de ce document. Cette tâche en apparence facile ne sera pas de tout repos. Vol de ses affaires, poursuites, tentatives d’assassinat : il semble que les mafias russes s’interressent aux recherches de Fandorine.
Notre héros traverse tout cela en Candide que sa fraîcheur sauve de bien des situations périlleuses.
Boris Akounine alterne un chapitre des aventures de Nicholas Fandorine et un chapitre de celles de son ancêtre Cornelius Von Dorn. Ainsi on apprend comment s’organisait la vie autour du tsar à la fin du 17° siècle, on découvre les manoeuvres de palais.
L’ouvrage est très bien documenté et on retrouve toujours cet humour fin et jubilatoire qui caractérise l’auteur. Un régal.
Jean Bacon, Les saigneurs de la guerre, Brève histoire de la guerre et de ceux qui la font, Phébus
Edition actualisée et définitive d’un essai paru d’abord en 1981.
En s’appuyant sur des sources nombreuses, l’auteur montre que la guerre a toujours existé et existera toujours. Trop de personnes y trouvent leur intérêt pour qu’il puisse en être autrement. D’abord les dirigeants politiques dont elle musèle l’opposition en même temps qu’elle résoud les problèmes de chômage ou de délinquance. Bien sur les marchands d’armes et les divers profiteurs de guerre.
C’est pourquoi, malgré les apparences (traités de paix, de désarmement, de non prolifération…) personne ne souhaite réellement la paix durable et « les hauts personnages qui éclairent notre route, nos respectables chefs, chefs de tout poil, chefs de gouvernement, chefs d’état-major, chefs de parti, chefs syndicalistes, chefs de rubrique, chefs de bureau, (…) sur les ondes, dans la presse, dans les conversations, dans les réunions diplomatiques défendent avec un ensemble impressionnant le principe qui sape à la base tout projet de coopération efficace entre les peuples : celui de la souveraineté nationale. »
L’auteur rappelle aussi le caractère injuste et brutal de la guerre. Des extraits de lettres de soldats de différentes époques et de différents pays montrent la même horreur face à la violence aveugle. Mais ce n’est que au coeur de la tuerie monstrueuse que ces vérités apparaissent car quelques mois plus tôt, les mêmes hommes (ou leurs frères) sont partis la fleur au fusil et quelques mois plus tard, s’ils en réchappent, ils feront d’excellents anciens combattants, prêts à éduquer les générations suivantes.
Enfin, l’épilogue est effrayant. Jean Bacon y explore les formes que pourrait prendre (fatalement) la 3° guerre mondiale. Guerre atomique, guerre bactériologique ou guerre des étoiles ?
« Désormais, il est en notre pouvoir de construire une machine qui constituerait le point culminant de la course aux armements, l’aboutissement de la logique dissuasive. Son action ne comporte aucune parade, il ne peut exister aucun missile, aucun satellite d’interception, aucun rayon de la mort qui ait la moindre emprise sur elle, pour la bonne raison qu’elle est au-delà de tout marchandage, de toute menace de représailles, qu’elle représente l’engagement suprême, irrévocable : le pays qui en dispose se suicide sur place, détruisant avec lui le reste du monde. Les Américains l’ont plaisamment baptisée « la machine du jugement dernier ». Elle coûterait au bas mot une centaine de millions de dollars – une bagatelle ! Ce serait le dernier mot de la science. »
Au total une thèse plutôt convaincante (hélas !) et une vision très pessimiste des hommes et de leur avenir. Moi qui suis d’une nature plus optimiste j’objecterai que les raisons d’espérer ont été moins creusées que celles de désespérer. Et je terminerai en citant le rapport « guerre et paix au 21° siècle » (Le Monde du 19 octobre 2005) qui montre que depuis la fin de la guerre froide les guerres dans le monde sont moins nombreuses (« le nombre de conflits armés a été réduit de 40% depuis 1992« ) et moins meurtrières (« en 1950 une guerre faisait en moyenne 38 000 morts, en 2002 cette moyenne chute à 600 morts« ).
S’agit-il d’un épiphénomène ou d’une tendance de fond ? Là est la question.
Anna Gavalda, Ensemble, c’est tout, Le dilletante
J’ai longtemps hésité à lire ce livre car je n’avais pas bien aimé Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part (recueil de nouvelles, du même auteur, chez le même éditeur) mais on me l’a tant de fois recommandé et finalement l’affirmation : « Comme tu as de la chance de ne pas l’avoir encore lu ! » m’a convaincue.
Ne pas se laisser impressionner par ce pavé de 600 pages. Il se lit très facilement car la narration est essentiellement composée de dialogues rapides.
C’est l’histoire de trois dépressifs, trois adultes qui ont été mal aimés par leurs parents et qui ont bien des difficultés à digérer cette enfance douloureuse.
Camille, artiste peintre, a cessé de créer par manque de confiance en elle et travaille dans une entreprise de nettoyage de bureaux.
Franck, cuisinier, cache sa sensibilité en grognant et en roulant des mécaniques.
Et Philibert de la Durbelière, élevé dans la nostalgie de la chevalerie, est totalement inadapté à la vie dans le monde contemporain.
Une improbable rencontre va réunir ces trois personnages, ils vont habiter ensemble, se lier d’amitié (et d’amour), s’épauler et apprendre, ensemble, à apprécier la vie.
Un livre et des personnages sympathiques cependant, d’après moi, on reste ici dans de la littérature à l’eau de rose car il manque une profondeur de réflexion. Je ne peux m’empêcher de comparer avec Paul Auster qui traite des mêmes sujets (l’amitié et les rencontres salvatrices) avec en plus, justement, cette profondeur qui amène le lecteur à réfléchir sur lui-même.
Narendra Jadhav, Intouchable, Une famille de parias dans l’Inde contemporaine, Hachette
Narendra Jadhav est économiste de formation. Il a travaillé comme cadre dirigeant du FMI puis comme haut fonctionnaire au ministère des finances du gouvernement indien. Il est issu d’une famille très modeste (parents illettrés), des dalits, des intouchables.
Dans le système indien des castes, les dalits sont placés si bas que leur seul contact provoque la souillure. Ce sont littéralement des intouchables. Quand on leur fait l’aumône, on leur jette la nourriture ou on leur verse l’eau dans les mains pour éviter de les toucher. Autrefois, leurs ancêtres portaient un pot attaché autour du cou pour que leurs crachats ne souillent pas le sol sur lequel marchent les hautes castes.
Le système des castes repose sur la croyance en la réincarnation : les Hindous croient que si on est né intouchable c’est en raison de ses mauvaises actions dans une vie antérieure. C’est donc un sort mérité et se révolter contre ce système serait contester une organisation décrétée par Dieu lui-même.
Ce livre raconte l’histoire de Damu, le père de l’auteur, premier de sa famille à avoir, à partir des années 1920, lutté contre l’exclusion dont il était victime. Le chemin de Damu croise celui du Dr Babasaheb Ambedkar, intouchable lui-même, défenseur de l’égalité entre les hommes et qui a lutté pour l’abolition des castes. Le Dr Ambedkar est aussi le principal rédacteur de la constitution indienne. Constitution qui ne reconnaît pas la division en castes.
Fervent partisan du Dr Ambedkar, Damu conduit sa famille sur la voie de l’émancipation en poussant ses enfants à faire des études.
Bien que les castes aient été officiellement abolies en 1950, le livre montre qu’aujourd’hui encore elles jouent un rôle entre les personnes, particulièrement à la campagne.
Un livre intéressant, un personnage volontaire et intègre qui ne dévie pas de la voie qu’il s’est fixée, malgré les difficultés.
Paul Auster, Le voyage d’Anna Blume, Actes sud
J’ai découvert Paul Auster l’été dernier avec la lecture de l’excellent Léviathan et j’ai été conquise. Depuis j’ai placé Paul Auster au rang de mes auteurs favoris et j’ai entrepris de combler mon retard dans la lecture de son oeuvre.
Le voyage d’Anna Blume n’est pas un livre dans lequel on entre facilement mais une fois qu’on a fait cet effort il se révèle finalement prenant. Ce n’est cependant pas l’ouvrage de Paul Auster que j’ai préféré.
L’histoire étrange se passe dans une ville en partie détruite, une ville d’après la fin du monde, une ville ghetto. Les habitants survivent d’expédients, la violence règne. Anna Blume est venue dans cette ville chercher son frère qui a disparu. Elle rencontre diverses personnes. Des relations d’amitié et de solidarité se nouent malgré l’extrême précarité des conditions de vie.
Anne Perry, La disparue de Noël, 10-18
L’histoire se passe vers 1850 en Grande-Bretagne.
Omegus Jones donne une réception dans sa propriété de campagne. Parmi les invités Bertie Rosythe un célibataire convoité par deux jeunes veuves, Gwendolen Kilmuir et Isobel Alvie. Les tensions sont vives entre ces deux femmes, impatientes de se « caser » mais dans cette haute société corsetée par les conventions, elles ne s’expriment qu’à fleurets mouchetés. Cependant, entraînée par ses sentiments, Isobel s’exprime trop violemment et, quand, le lendemain, on retrouve Gwendolen noyée dans l’étang de la propriété, chacun accuse sa rivale de l’avoir poussée au suicide. Les invités décident alors qu’Isobel ira en pélerinage expiatoire informer la mère de Gwendolen de ce qui s’est passé. Seule son amie, lady Vespasia Cumming-Gould, soutient Isobel et lui promet de l’accompagner dans ce difficile voyage.
Cette lady Vespasia est la même, un peu plus âgée, quelques années plus tard, que l’on retrouve dans les aventures de William Monk et d’Esther latterly, du même auteur.
On est bien ici dans la ligne des autres ouvrages d’Anne Perry : même milieu « convenable » et hypocrite, même époque victorienne. Cependant, vu la minceur du livre (125 pages) l’étude des personnages est forcément moins fouillée que ce à quoi elle nous a habitués. J’imagine que vu son succès l’éditeur s’empresse de publier tout ce qu’elle a écrit.