Dans le Kansas, en 1959, une famille de quatre personnes est abattue froidement par deux petits malfrats. Ceux-ci s’enfuient en laissant peu d’indices derrière eux. Un mois et demi plus tard ils sont cependant arrêtés.
De sang froid est inspiré d’un fait divers réel. Truman Capote nous présente de façon approfondie et précise toute cette affaire, depuis la journée du meurtre jusqu’au châtiment des assassins. Chaque personnage, même le moins important, est fouillé et détaillé. Le passé de l’un des deux tueurs, Perry Smith, est particulièrement décortiqué. Le résultat est que les protagonistes apparaissent ainsi comme très humains. J’ai sympathisé bien sur avec les malheureuses victimes mais j’ai aussi ressenti de la pitié pour Perry Smith.
Truman Capote fait aussi bien comprendre tout le gâchis de cette affaire. Gâchis du massacre d’une famille bien intégrée dans sa communauté et appréciée de tous. Gâchis de l’existence de Perry Smith, enfant maltraité et délaissé. A plusieurs moments il laisse apercevoir qu’il aurait suffit de peu pour que les choses tournent différemment. Enfin la lecture amène à se poser la question de la réponse à un tel crime. Les coupables peuvent-ils se racheter ou la peine de mort est-elle la seule solution ?
Toutes ces raisons plus le fait que De sang froid est fort bien écrit en font un très bon roman.
« C’était un temps idéal pour manger des pommes ; la lumière la plus blanche descendait du ciel le plus pur, et un vent d’est faisait bruire les dernière feuilles des ormes chinois sans les arracher. Les automnes récompensent le Kansas de l’ouest pour les maux que les autres saisons imposent : les grands vents d’hiver du Colorado et les neiges à hauteur de hanche où périssent les moutons ; la neige fondue et les étranges brouillards des prairies au printemps ; et l’été, où même les corbeaux recherchent l’ombre rare et où la multitude fauve des tiges de blé se hérisse, flamboie. Enfin, après septembre, un autre climat arrive, l’été de la Saint-Martin qui dure parfois jusqu’à Noël. »
Ce roman nous raconte les histoires croisées d’Arthur Conan Doyle et de George Edalji. Le premier célèbre écrivain, le second malheureuse victime d’une erreur judiciaire, accusé à tort qui s’adresse à l’auteur de Sherlock Holmes pour lui demander de mener l’enquête.
Julian Barnes suit ses héros depuis leur enfance à la fin du 19° siècle jusqu’à la mort de Conan Doyle en 1930 en passant par les événements qui les ont réunis. Cela nous vaut une intéressante biographie d’Arthur qui apparaît comme un personnage fort sympathique. Médecin de formation , grand sportif, auteur, redresseur de torts et spirite convaincu à la fin de sa vie.
C’est le troisième livre que je lis récemment et qui parle de spiritisme. Il en était aussi question dans Southampton row de Anne Perry et dans Le chromosome de Calcutta de Amitav Gosh. Le spiritisme semble avoir été très à la mode en Angleterre à la fin du 19° siècle.
Arthur et George est un livre plaisant. Il y a de l’humour. Les personnages sont attachants et réfléchissent sur le monde qui les entoure.
Dans ce roman Nancy Huston nous montre comment un secret de famille empoisonne successivement plusieurs générations. Pour cela elle nous fait suivre, en remontant dans le temps, quatre enfants de la même famille à l’âge de six ans. Chacun d’eux est le narrateur d’une des quatre parties du livre.
Nous rencontrons d’abord Sol, petit garçon imbu de lui même. Viennent ensuite Randall, le père de Sol, Sadie la mère de Randall puis Erra la mère de Sadie. Mis à part Sol que nous ne croisons que comme enfant les autres personnages apparaissent d’abord comme adultes avant que nous ne les suivions à l’âge de six ans. Ainsi Randall intervient dans la première partie comme père de Sol puis dans la deuxième partie en protagoniste principal.
Pour les trois aînés six ans est l’âge-clef, le moment où le traumatisme familial (personnel pour Erra) les frappe et inscrit le malheur dans leurs existences. J’ai trouvé poignant le fait que l’auteur nous montre des adultes perturbés, incapable de s’occuper de leur propre enfant puis les enfants encore heureux dont sont sortis ces adultes. J’ai ressenti fortement le gâchis de ces existences. Le petit Sol est le personnage avec lequel j’ai le moins sympathisé car dès son plus jeune âge il apparaît comme froid, calculateur et dissimulateur. Il faut dire à sa décharge qu’il est manifestement issu de deux parents névrosés.
En remontant le temps et les générations on découvre petit à petit des éléments qui nous permettent de comprendre quel est le point de départ du drame familial lié à l’histoire de l’Allemagne nazie. C’est toute l’habileté de Nancy Huston de construire son histoire comme à l’envers, de nous mener lentement vers la source du mal. Ce n’est que dans les dernière pages du livre que tous les éléments se mettent enfin en place.
Ce nouvel épisode des enquêtes de Thomas Pitt est la suite du précédent. Dans La conspiration de Whitechapel, notre héros avait sauvé la couronne d’Angleterre d’un complot diabolique. Le revoilà aux prises avec les machinations du cercle intérieur et la perfidie de son chef Voisey. Mais cette fois c’est seul que Thomas doit enquêter et supporter la pression de l’affaire car Charlotte, Gracie et les enfants sont à la campagne en vacances et pour les protéger des ennemis de Thomas.
Comme toujours chez Anne Perry, la société victorienne est décortiquée et les sentiments des personnages analysés à fond. On rencontre ainsi Isadora Underhill, femme d’évêque qui s’aperçoit après trente ans de mariage qu’elle n’aime pas son mari. Pire encore, elle n’arrive même pas à se souvenir si elle l’a jamais aimé. Aussi, tout en assistant aux sermons de l’évêque, elle rêve qu’elle part sur la mer avec l’amiral Cornwallis. C’est aussi le talent d’Anne Perry de savoir camper des personnages secondaires attachants.
J’ai trouvé ce livre, état neuf, pour un euro quatre-vingt-dix chez un bouquiniste. C’est un bouquiniste associatif. Les livres sont donnés par ceux qui veulent s’en débarrasser et revendus très peu cher.
Emmanuel Carrère part en Russie, à Kotelnitch, pour y tourner un documentaire sur un prisonnier de guerre hongrois qui y a passé 53 ans, d’abord dans un camp puis dans un hôpital psychiatrique et qui vient enfin, en 2000, d’être rendu à son pays. Après ce premier documentaire Emmanuel Carrère retourne à Kotelnitch pour y tourner un deuxième documentaire sur Emmanuel Carrère à Kotelnitch et les rencontres qu’il y fait.
Si l’auteur est aussi irrépressiblement attiré par ce trou perdu de Kotelnitch c’est que l’histoire du Hongrois retentit pour lui de façon personnelle. Son grand-père maternel, Georges Zourabichvili, un émigré géorgien, a travaillé comme interprète pour les Allemands, à Bordeaux, les deux dernières années de l’occupation. Le 10 septembre 1944 des inconnus sont venu l’arrêter et on n’a plus jamais entendu parler de lui. Longtemps la mère d’Emmanuel (Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’académie française) a attendu le retour de son père, comme la famille du Hongrois avait dû l’attendre. L’enfance d’Emmanuel Carrère s’est bâtie sur cette disparition tue, sur un vide qu’il veut combler car il a fait de lui un adulte perturbé, inapte au bonheur.
A la même époque où se déroulent ces voyages-thérapie Emmanuel Carrère vit avec Sophie dont il est très amoureux. Il écrit pour elle une nouvelle érotique dans le Monde. Mais, alors qu’il croit tout contrôler, les choses lui échappent et dérapent dans une toute autre direction que celle qu’il avait imaginée.
Ces trois histoires s’entrecroisent tout au long du récit qui est aussi voulu par l’auteur comme une thérapie. Une thérapie pour lui et pour sa mère qui lui a demandé de ne pas écrire sur son père avant sa mort. Mais il est persuadé que sa mère a besoin que la souffrance familiale soit dite et il écrit aussi pour elle. Le livre se termine d’ailleurs par une très belle lettre d’amour à sa mère.
Un roman russe est l’occasion pour Emmanuel Carrère de se mettre à nu. Il nous révèle ses pensées et ses fantasmes, nous raconte comment il s’est comporté en telle ou telle circonstance. Ainsi il n’apparait pas toujours à son avantage. J’ai découvert un personnage assez égocentrique, capable d’un comportement destructeur qui le fait souffrir et fait souffrir la femme qu’il aime. Mais son honnêteté et le regard lucide qu’il porte sur lui-même me l’ont rendu sympathique. Tout ceci pour dire que j’ai beaucoup apprécié ce livre que j’ai de plus trouvé bien écrit.
Je termine par la description de Kotelnitch : « Dépités, désoeuvrés, nous traînons en ville. D’un côté de la route, à l’entrée, il y a une sculpture en béton d’environ deux mètres figurant la faucille et le marteau de l’autre une marmite géante qui est depuis des temps beaucoup plus anciens l’emblème de Kotelnitch. C’est cela que veut dire kotel en russe, m’explique Sacha : une marmite ou un chaudron. Un séjour là-dedans, c’est une sorte de trois étoiles du dépaysement dépressif, et il y a tout lieu de penser que cette sensation d’encalminage au fond d’une marmite de soupe froide et figée d’où auraient depuis longtemps, à supposer qu’il y en ait jamais eu, disparu tous les bons morceaux, constitue l’ordinaire des villes de 20 000 habitants de la Russie profonde. On ne va pas dans ce genre de ville. On n’en parle pas. Un beau jour on apprend qu’il existait un bled appelé Tchernobyl, et c’est en moins terrible, en plus modeste, ce qui est arrivé à Kotelnitch depuis qu’on y a retrouvé le dernier prisonnier de la seconde guerre mondiale. »
Dans un futur non daté Antar, employé à domicile du Conseil international de l’eau, retrouve la trace de son collègue Murugan, disparu à Calcutta en 1995. Murugan était parti en Inde pour y enquêter sur Ronald Ross, prix Nobel de médecine en 1902 pour ses découvertes sur la transmission de la malaria. Murugan est convaincu que ses découvertes ont été soufflées à Ross (sans qu’il s’en rende compte) par des individus désireux de garder l’anonymat mais souhaitant aussi que la recherche avance pour pouvoir en profiter dans une toute autre optique que celle de soigner le paludisme.
Dans ce roman nous suivons différents personnages qui enquêtent en des époques et des lieux divers sur des sujets différents. Au 19° siècle, en Inde, Ross recherche le vecteur du paludisme. En 1995, en Inde, Murugan essaie de trouver ceux qui ont aidé Ross. Et, dans le temps présent du roman, à New-York, Antar est à la poursuite de son collègue. Les chapitres emmènent le lecteur alternativement sur les traces de ces différents personnages, plus d’autres encore qu’ils rencontrent dans leurs quêtes.
Il s’agit d’une histoire fantastique avec un complot, des individus mystérieux prêts à tout pour défendre leur secret, un secret incroyable bien sur, après lequel court l’humanité entière. Hélas, malgré tout cela je n’ai pas trouvé la lecture aussi palpitante qu’elle aurait pu. Il y a du suspens vers la fin mais il aboutit à une conclusion qui m’a déçue. Pas de révélation fracassante et je ne suis pas sure d’avoir tout bien compris. Il reste de bons passages sur la recherche scientifique au 19° siècle pour ceux que l’histoire de la médecine intéresse (c’est mon cas).
A l’âge de cinq ans Dolores Loveall se tue en tombant d’un arbre. Son frère Geoffroy, de sept ans son aîné, est profondément traumatisé par cet accident. Dolores était son amour, il s’occupait d’elle comme s’il avait été son père plutôt que son frère. Il se sent responsable de sa mort. Geoffroy s’enferme dans la grande demeure familiale de Love Hall, ne sortant que rarement, passant ses journées devant la maison de poupées de Dolores, réplique de Love Hall et où sa soeur lui apparaît.
Vingt ans plus tard Geoffroy souffre toujours autant de la mort de sa soeur quand, à l’occasion d’une sortie, il trouve un bébé abandonné sur un tas d’ordures. C’est une révélation pour Geoffroy qui décide d’élever cet enfant comme sa fille. Il la prénomme Rose et épouse Anonyma, la bibliothécaire de Love Hall qui fut la jeune gouvernante de sa soeur, pour servir de mère à l’enfant.
La seule ombre à ce bonheur naissant c’est que Rose est en fait… un garçon ! Cet aspect des choses ne tourmente pas Geoffroy qui est tout simplement incapable de l’admettre. Pour diverses raisons son entourage décide de le suivre dans son aveuglement. Et Rose grandit en petite fille heureuse, entourée de l’amour de ses parents. Mais, alors qu’elle entre dans l’adolescence, le secret devient de plus en plus difficile à cacher. Elle-même se doute de quelque chose. La découverte par Rose de sa vraie nature la bouleversera et bouleversera sa famille.
L’histoire de Rose se déroule dans l’Angleterre victorienne. Elle pose la question de l’identité sexuelle : inné ? acquis ? Combien de temps avant qu’un enfant découvre sa différence si personne ne lui en dit rien ? Et comment vivre ensuite ? L’idée était bonne, la réalisation un peu moins (l’écriture n’a rien d’inoubliable). Le résultat m’a moyennement plu.
Un ouvrage très controversé et un gros pavé (900 pages). Je m’interrogeais un peu à son sujet. On me l’a prêté. Je l’ai lu et je ne l’ai pas regretté.
Le narrateur, Max Aue, est un Allemand, un nazi, un SS. Ayant réussi à changer d’identité à la fin de la guerre il a survécu à ses crimes et refait sa vie comme honnête industriel français. Plus tard il a éprouvé le besoin d’écrire ses souvenirs, d’abord pour lui, dit-il. Le roman est composé de ces souvenirs et des réflexions du narrateur sur ce qu’il a vécu. Car Max Aue est un intellectuel qui analyse la portée de ses actes, recherche le sens de la vie et se pose la question de la responsabilité. Dans la première partie du roman qui constitue une sorte d’introduction il s’adresse au lecteur : « Je suis coupable, vous ne l’êtes pas, c’est bien. Mais vous devriez quand même pouvoir vous dire que ce que j’ai fait, vous l’auriez fait aussi. Avec peut-être moins de zèle, mais peut-être aussi moins de désespoir, en tout cas d’une façon ou d’une autre. Je pense qu’il m’est permis de conclure comme un fait établi par l’histoire moderne que tout le monde, ou presque, dans un ensemble de circonstances donné, fait ce qu’on lui dit; et, excusez-moi, il y a peu de chances pour que vous soyez l’exception, pas plus que moi. Si vous êtes né dans un pays ou dans une époque ou non seulement personne ne vient tuer votre femme, vos enfants, mais ou personne ne vient vous demander de tuer les femmes et les enfants des autres, bénissez Dieu et allez en paix. mais gardez toujours cette pensée à l’esprit : vous avez peut-être eu plus de chance que moi mais vous n’êtes pas meilleur. »
C’est une question que je me suis déjà posée : qu’aurais-je fait dans les mêmes circonstances ? Il n’est pas sur que je me sois comportée en héroïne car je constate que dans des situations quotidiennes nettement moins dramatiques je manque parfois de courage. Aussi je me félicite de n’avoir pas connu ces temps troublés. Cependant je veux croire que d’autres choix personnels que ceux de Max Aue sont possibles. Car, malgré son insistance à affirmer le contraire, Max Aue n’est pas tout à fait M. Tout-le-monde. C’est un homme profondément perturbé, traumatisé par des épisodes douloureux de son enfance et jamais digérés qui remontent parfois en bouffées délirantes ou en crise de violence démente. Son père a quitté le domicile familial quand lui-même était encore petit. Il rend sa mère responsable de cet abandon et voit dans le Führer un substitut paternel.
Maintenant suivons un peu Max Aue dans sa descente aux enfers car sa carrière s’est déroulée dans tous les lieux où un SS pouvait jouer son rôle. Le premier poste auquel Aue est affecté est celui d’officier d’un einsatzgruppe en Ukraine. Les einsatzgruppen suivent l’armée allemande qui envahit l’URSS, massacrant derrière elle les populations juives. Aue est choqué par ce qui se passe là et par certaines scènes auxquelles il assiste. Cela le rend malade (il fait des cauchemards, il vomit) cependant il estime qu’il doit être là (alors qu’il aurait la possibilité de se faire muter ailleurs) car une fois qu’on a admis que ces mesures sont nécessaires (jamais il ne remet en cause le point de départ dévoyé, l’antisémitisme qui condamne les Juifs) on se doit d’y participer. Il se veut un homme responsable : « Si la valeur suprême c’est le Volk, le peuple auquel on appartient, et si la volonté de ce Volk s’incarne bien dans un chef, alors, en effet, Führerworte haben gesetzeskraft. Mais il était quand même vital de comprendre en soi-même la nécessité des ordres du Führer : si l’on s’y pliait par simple esprit prussien d’obéissance, par esprit de Knecht, sans les comprendre et sans les accepter, c’est-à-dire sans s’y soumettre, alors on n’était qu’un veau, un esclave et pas un homme. »
Il a aussi le sentiment qu’approcher la mort lui permettra de saisir le sens de la vie : « Même les boucheries démentielles de la Grande Guerre, qu’avaient vécues nos pères ou certains de nos officiers plus âgés, paraissaient presque propres et justes à côté de ce que nous avions amené au monde. Je trouvais cela extraordinaire. Il me semblait qu’il y avait là quelque chose de crucial, et que si je pouvais le comprendre alors je comprendrais tout et pourrais enfin me reposer. »
Après ce premier poste particulièrement éprouvant Aue est envoyé se refaire une santé en Crimée, au bord de la mer Noire. A la fin de sa convalescence il reste sur place comme agent d’information. Il est chargé de collecter des renseignements sur les nombreuses minorités ethniques du Caucase, leurs relations entre elles et au pouvoir soviétique. C’est dans le cadre de cette tâche qu’il rencontre le dr Voss avec qui il sympathise immédiatement. Le dr Voss est un linguiste spécialisé dans les peuples du Caucase. C’est l’occasion pour l’auteur de nous donner un exposé passionnant sur ces peuples et leurs langues. Sur un point Voss s’oppose à Aue : il sait que les races n’existent pas, il le lui dit et il le lui démontre (sans le convaincre). Pour lui l’anthropologie raciale est une pseudo-science et une fumisterie. Ces propos semblent faire de Voss un personnage plutôt sympathique cependant ce scientifique suit pas à pas l’avancée de l’armée allemande attendant avec impatience la prise de nouvelles villes soviétiques dont il pourra enfin exploiter les bibliothèques. Ici la guerre se met au service d’une science stérile, la connaissance des langues se fait en même temps qu’on massacre les peuples qui les parlent.
En décembre 1942, alors que l’armée allemande s’enlise devant Stalingrad, Max Aue participe à une conférence suréaliste. On a fait venir des spécialistes de Berlin pour décider du cas des Bergjuden un peuple juif local qui prétend s’être converti récemment au judaïsme (ainsi, si cela est prouvé, il ne sont pas de race juive et donc n’encourent pas le génocide). Je trouve que cet épisode montre bien le délire nazi : du temps est gaspillé à discuter du sort d’une poignée de paysans dont il est évident qu’ils représentent bien moins de danger pour le Reich allemand que la progression des troupes soviétiques. Malgré les voeux de ses chefs Aue est honnête et plaide pour la conversion des Bergjuden. Cette prise de position lui vaut d’être muté à Stalingrad.
A Stalingrad Max Aue assiste à l’agonie de l’armée allemande. Il est lui-même grièvement blessé, ne survivant que par miracle après que la balle d’un sniper lui a traversé le crâne. Après sa convalescence dont il a profité pour renouer avec sa mère de façon particulièrement violente, Aue est nommé à Berlin comme responsable d’un service chargé de gérer au mieux la main d’oeuvre captive du Reich. Autrement dit il doit prendre des mesures pour que les déportés arrivent dans le meilleur état possible dans les camps pour pouvoir travailler avant d’être exterminés. Aue s’attelle à cette tâche avec toute la conscience professionnelle qui le caractérise. Hélas pour lui il s’avère que la plupart des officiers SS sont des corrompus qui utilisent le système à leur avantage personnel. Au milieu de tout cela quelques « honnêtes » nazis tentent de lutter contre la prévarication. Ainsi à Lublin Aue rencontre un juge qui poursuit des chefs de camp pour crime : « Si un membre de la SS fait tuer un Juif dans le cadre des ordres supérieurs, c’est une chose; mais s’il fait tuer un Juif pour couvrir ses malversations, ou pour son plaisir perverti, comme cela arrive aussi, c’en est une autre, c’est un crime. Et cela même si le Juif devait mourir par ailleurs. » (N’est-on pas ici en pleine schizophrénie ?) « La distinction doit être malaisée à faire » répond Aue sans rire.
L’armée soviétique avançant toujours Max Aue est chargé d’encadrer une marche de la mort qui évacue le camp d’Auschwitz. Plus tard il se retrouve coincé derrière les lignes soviétiques et, avec deux autres hommes, il doit marcher plusieurs jours en se cachant afin de rejoindre leurs troupes. Ils traversent des hameaux dont la population a été massacrée par les Soviétiques. Ils rencontrent une troupe d’enfants sauvages. Enfin, en avril 1945, Aue est dans Berlin encerclée par les alliés, bombardée en permanence.
J’ai trouvé cet ouvrage passionnant. Alors, bien sur, ce n’est pas toujours plaisant à lire car le narrateur nous décrit tout des atrocités auxquelles il a participé. Par ailleurs on a aussi droit à ses turpitudes et fantasmes sexuels. C’est un homosexuel et il a une sexualité assez perturbée. Mais les atouts de ce roman sont qu’il est hyper-bien documenté et qu’il donne à réfléchir. On entre dans la tête du personnage et on découvre comment une idéologie perverse a pu mener un peuple au crime contre l’humanité en s’appuyant sur des blessures personnelles.
C’était semaine indienne près de chez moi. Une semaine qui ne durait que deux jours aussi je me suis précipitée et j’ai fait de belles découvertes.
Le premier soir j’ai vu et entendu Ashok Pathak jouer du surbahar. le surbahar est un gros instrument à cordes avec un long manche. En haut du manche est fixée une calebasse qui sert de caisse de résonance. En jouant le musicien imprime des mouvements circulaires à son instrument et on entend alors le son résonner en tournant. Ashok Pathak a joué des ragas d’Inde du nord. Il s’agit de bases musicales sur lesquelles il improvise de façon méthodique. Je répète ici, simplifié à l’extrême, ce qu’on nous a expliqué le soir de l’audition. Je n’ai pas l’oreille assez exercée pour l’entendre moi-même mais j’ai apprécié cette musique que j’ai trouvé apaisante.
Le lendemain c’était la danse au programme. le bhârata natyam précisément, dansé par Priyadarsini Govind. La danseuse est accompagnée d’un petit orchestre composé d’une chanteuse et de trois musiciens. Preethi Mahesh chante superbement. Elle a une voix grave, à la fois douce et puissante, c’est un régal. Les instruments sont un violon -et à l’entendre sans le voir j’aurais juré que le violon est un instrument indien- un /des (?) nattuvangam (petites percussions métalliques) et un mrivangam, sorte de tambour.
Priyadarsini Govind est équipée de bracelets de chevilles à clochettes et danse en tapant des pieds. Ces frappements sont rythmés par le nattuvangam de façon parfaitement synchronisée. La danse raconte une histoire mais là aussi c’est parce qu’on nous l’avait dit avant que je le sais. Je me suis simplement laissée porter par le plaisir esthétique, l’adéquation parfaite entre la musique et la danse. Par moments la danseuse était totalement immobile et faisait seulement bouger sa tête latéralement, mouvement typiquement indien que j’adore. Elle avait un sourire radieux et c’était positivement jubilatoire à regarder.
Un vieil homme se trouve dans une chambre. Qui est-il ? Il ne le sait pas lui-même. On lui donnera le nom de M. Blank (= blanc, vide). Que fait-il ici ? Est-il séquestré ou pourrait-il sortir ? La fenêtre est condamnée et la porte fermée. A clef ? Des personnes vont entrer dans la chambre, des visiteurs qui interrogent ses souvenirs, des soignants qui lui parlent d’un traitement qu’il aurait lui-même sollicité. Il doit prendre des cachets dont on lui dit qu’ils font de l’effet.
Dans la chambre il y a un bureau, sur le bureau des photographies et des manuscrits. Les photos sont celles de personnes que M. Blank a connues sans qu’il puisse dire de qui il s’agit. certaines de ces personnes semblent faire partie de ses visiteurs. Le manuscrit est le témoignage d’un homme en prison dans un pays qui ressemble aux Etats-Unis mais est cependant autre.
Au début j’ai trouvé la lecture de ce roman très déconcertante et l’atmosphère me donnait un sentiment de malaise. Qui sont ces gens ? Quel est leur lien avec M. Blank ? On comprend qu’il leur a fait du mal. Certains semblent lui en vouloir, d’autres pas. La quatrième de couverture (éviter de la lire si vous voulez conserver tout le suspens) donne un sérieux indice pour comprendre où Paul Auster veut en venir et pourtant il est arrivé à me faire douter pendant un bon moment.
Je pense que la lecture de Dans le scriptorium est plutôt à réserver à ceux qui connaissent déjà un peu l’oeuvre de Paul Auster du fait des nombreuses allusion qu’on y trouve à ses précédents romans. Ce n’est pas celle de ses oeuvres que j’ai préférée.