Le défi Juin, mois des fiertés consacré aux ouvrages abordant la question LGBTQI commence bientôt ! Retrouvez par ici toutes les informations nécessaires et des idées de lectures.
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Adèle Yon pique des colères terribles. Elle est en couple avec un homme toxique pour elle. Elle craint de devenir folle, d’autant plus qu’il y a dans sa famille, dit-on, une hérédité psychiatrique qui frappe les jeunes femmes. Elle décide alors d’enquêter sur son arrière-grand-mère Elisabeth dite Betsy, diagnostiquée schizophrène dans les années 1950. Betsy (1916-1990) est née dans une famille bourgeoise nombreuse (elle a dix frères et sœurs) très catholique. En 1940 elle épouse André qui lui fait six enfants en sept ans. A chaque accouchement Betsy s’enfonce un peu plus dans la dépression avec des crises violentes contre son mari qui décident celui-ci à la faire interner.
Pour son enquête Adèle Yon a interrogé des membres de sa famille qui avaient connu Betsy ou en avaient entendu parler. Elle a eu accès à la correspondance échangée entre Betsy et André durant leurs fiançailles. Elle s’est intéressée au traitement de la folie dans les années 1950 et a cherché à retrouver le dossier médical de son arrière-grand-mère. Le résultat est un livre riche et fort intéressant qui mélange documents familiaux, entretiens avec les témoins, informations sur l’histoire de la psychiatrie, présentation de l’avancée des recherches et des difficultés rencontrées et réflexions que l’autrice tire de tous ces éléments.
Dans les lettres qu’il adresse à Betsy André m’apparaît comme un homme pétri d’une religiosité doloriste. Leur mariage sera pur et les aidera à s’approcher de Dieu. Quand Betsy évoque sa volonté d’indépendance il lui répond que « le Seigneur a voulu qu’un mari conduise sa femme. Sans doute vous êtes libre, mais jusqu’à un certain point seulement, car je suis votre chef. La Providence m’a institué tel. » La lobotomie de Betsy est l’occasion de nous présenter cette opération pratiquée pour la première fois en 1935 et très à la mode dans les années 1950, surtout aux Etats-Unis où elle est popularisée par le psychiatre Walter Freeman. Les praticiens pensent d’abord que la lobotomie pourra guérir des troubles psychiatriques avant de constater qu’elle ne fait que rendre le comportement des malades socialement plus acceptable. L’autrice interroge alors cette norme sociale et familiale qui justifie de mutiler les personnes, de diminuer leurs capacités mentales, de mettre leur vie en danger. Elle constate que la grande majorité des lobotomisées sont des femmes (85% ?). Pourquoi, quand Betsy frappe André, est-elle qualifiée de folle alors que sa violence à lui est acceptée ?
J’ai été choquée de découvrir que Betsy était une victime du patriarcat, que la façon dont elle a été traitée a manifestement aggravé ses symptômes. J’ai trouvé très convaincante la façon dont Adèle Yon montre que la mémoire de l’histoire de Betsy a été dans sa famille bourgeoise un moyen de contrôle sur les corps des femmes. C’est une lecture que j’ai beaucoup appréciée.
Près de Kiruna se trouve la plus grande mine de fer d’Europe, la première souterraine au monde. Exploitée dès le 17° siècle mais surtout depuis la fin du 19°, cette mine a permis au 20° siècle le décollage économique de la Suède au détriment des éleveurs samis qui ont été chassés de leurs pâturages ancestraux. Récemment on a découvert un important gisement de terres rares. Alors que le marquage des faons se prépare, dans un court laps de temps et sur un espace resserré, un troupeau de rennes est percuté par un train de minerai, un loup et un glouton, espèces protégées, sont abattus, un éleveur est retrouvé mort d’une balle dans le coeur et une portion de voie ferrée détruite à l’explosif. Nina et Klemet mènent l’enquête tous azimuts. Et si ces affaires étaient liées ?
Ce cinquième épisode de la série de la police des rennes est l’occasion pour l’auteur de continuer à explorer l’histoire et la situation contemporaine des Samis. Ici l’exploitation prochaine d’un gisement de terres rares, nécessaires à la fabrication de batteries et donc à la transition énergétique, est présentée comme une évidence, utilisée comme argument pour priver les éleveurs de leurs droits d’usage. En avançant dans ma lecture je comprends que l’élevage des rennes est une profession très réglementée par l’État suédois. Il faut être d’origine samie pour l’exercer, être membre d’un sameby (un groupement d’éleveurs et son territoire) où le nombre de places et de rennes est limité, posséder une marque. Déposées à l’Office de gestion des rennes les marques sont le système d’encoches découpées dans les oreilles des faons qui permettent de reconnaître leur propriétaire. Ces règles sont génératrices de conflits entre éleveurs ou aspirants éleveurs. Je trouve très intéressant de découvrir tous ces aspects légaux qui sont un élément du contrôle et de la normalisation du mode de vie et de la culture samie.
Le personnage d’Anja, une jeune Samie marginalisée, rebelle à l’autorité patriarcale sur le sameby local, est le symbole d’une jeune génération qui cherche à reprendre en main son destin, nous dit Olivier Truc dans les remerciements. Ann-Helén Laestadieus est citée. L’auteur ne me convainc pas cependant quand il prête à Anja, chamane qui s’ignore, des propos peu compréhensibles qu’on veut nous faire passer pour profonds. L’arrivée d’un éleveur de brebis depuis les Alpes de Haute-Provence permet de faire un parallèle entre les difficultés des éleveurs en France et en Suède mais me paraît aussi un peu tirée par les cheveux. Malgré ces bémols c’est une lecture que j’ai globalement appréciée. J’ai fini les épisodes sortis, il ne reste plus qu’à attendre la parution d’un nouveau volume.
Je retrouve Nina et Klemet -affectés dans deux services différents mais amenés à travailler ensemble- à Kirkenes, tout à fait au nord-est de la Norvège, à la frontière avec la Russie. Cela circule beaucoup entre les deux pays : des rennes passent de Norvège en Russie et des chiens ensauvagés de Russie en Norvège. Pour régler ces questions délicates il faut faire preuve de diplomatie et respecter tout un protocole lors des rencontres entre police des rennes et garde-frontière du FSB. Cette zone frontalière est aussi un lieu propice pour divers trafics.
Ce quatrième tome des enquêtes de la police des rennes se déroule dans une région où les frontières ont souvent bougé à travers l’histoire. Peuple d’éleveurs nomades, les Samis ont régulièrement été victimes de ces changements : des familles ont été divisées, des clans samis se sont retrouvés relégués sur des territoires trop petits, en conflit avec d’autres. En 1929, lors de la collectivisation agricole, les Samis d’URSS sont sommés d’entrer dans des kolkhozes avec leurs rennes. Ceux qui refusent sont accusés d’être des koulaks et déportés au goulag. L’auteur montre bien comment ces bouleversements ont laissé un souvenir traumatique dans les familles samies. Son roman est un plaidoyer contre les frontières. J’ai trouvé tous ces aspects historiques très intéressants. Il me semble que la série s’améliore au fur et à mesure, cet épisode est mon préféré.
D’origine ivoirienne, Machérie vit à Paris où elle est en couple avec un Français. Depuis Abidjan sa famille la presse de régulariser enfin cette union. C’est peu après que son compagnon l’a quittée que Machérie est sommée de venir célébrer au pays un mariage coutumier. Pour ne pas dire la vérité à ses parents, notre héroïne recrute en bas de chez elle un SDF, Julio Iglasis, pour jouer le rôle de son fiancé. Une douche, des vêtements propres, une perruque blonde et le tour est joué : de toute façon « pour mes parents, tous les Blancs se ressemblent ». En route pour la Côte-d’Ivoire !
Sur un scénario de romcom éculé (le recrutement d’un.e fiancé.e pour tromper la famille) Marguerite Abouet, autrice de Aya de Yopougon, s’essaie ici au roman photo. Elle en reprend les invariants pour les pasticher. J’apprécie la façon dont Julio semble s’intégrer sans efforts à la société locale sous le regard circonspect de Machérie. Les photographies sont de Kader Diaby.
Il y a quelques bonnes trouvailles comme l’apparition d’un album d’Aya dans un cliché
. Quelques photos pleine page sont retouchées comme à la peinture. Le résultat est sympathique et amusant mais il me semble qu’on aurait pu avoir quelque chose de plus décalé.
Else-Maj, Jon-Ante, Marge, Anne-Risten… sont des enfants samis. Dans les années 1950, à l’âge de sept ans, on les a arrachés à leur famille pour les scolariser à l’école des nomades, un internat dirigé par « la sorcière », une femme haineuse et brutale qui bat les enfants au moindre prétexte. Pour l’État il s’agit de suédiser ces enfants : on leur interdit de parler leur langue ou de chanter des joïk (chant traditionnel sami), on modifie leur prénom. Par contre il est bienvenu qu’ils portent le costume traditionnel lors de la visite d’inspecteurs à l’école : on a voulu vider leur culture de sa substance et la transformer en folklore. Trente ans plus tard, dans les années 1980, nous suivons les mêmes personnages devenus adultes. En apparence leurs vies ont été peu impactées par les violences dont ils ont été victimes. Petit à petit, cependant, des traumatismes profonds se révèlent.
Chaque chapitre du roman suit alternativement un personnage différent. Au départ un chapitre sur deux se déroule dans les années 1950, l’autre dans les années 1980. Il m’a semblé que cette alternance avait tendance à casser le rythme. Quand je commence à m’intéresser à une situation, on passe à une autre époque et à un autre personnage. A mesure qu’on avance dans la lecture cependant, l’action se concentre de plus en plus sur les années 1980 et la tension augmente.
Anne-Helén Laestadius est une autrice suédoise d’origine samie qui s’est inspirée pour écrire son roman de l’histoire de sa mère qui a fréquenté une école pour nomades. C’est une lecture qui m’a plutôt intéressée et qui complète bien ma précédente. Ici aussi je retrouve, à l’époque contemporaine, un sentiment diffus de racisme à l’égard des Samis et l’emploi du mot « lapon » avec une volonté d’insulter.
Depuis leur précédente enquête Nina et Klemet de la police des rennes ont été mutés en Suède, au sud de la Laponie. En fait on doit plutôt dire Sapmi, le territoire des Samis car, on l’apprend ici, le terme Lapon est insultant. Au pied de la Montagne rouge, par une pluie battante, des éleveurs procèdent à l’abattage de rennes. Les fortes précipitations mettent à jour un squelette humain sans tête, celui d’un homme enterré là depuis le 17° siècle. Le mort pourrait-il être Sami ? Cela permettrait aux éleveurs de prouver l’ancienneté de leur présence sur ces terres car ils sont en procès avec des forestiers suédois pour l’usage des lieux, les derniers prétendant que leurs ancêtres « étaient là avant ». Mais sans le crâne, comment prouver que le squelette est bien celui d’un Sami ?
La recherche du crâne disparu est l’occasion d’aller fouiller dans les réserves des musées d’ethnologie du pays et d’ailleurs (le musée de l’Homme à Paris) où sont encore entreposées des collections datant du 19° siècle et qui devaient permettre de classifier l’espèce humaine. C’est le Suédois Anders Retzins (1796-1860) qui a défini l’indice céphalique, lequel est utilisé dans les années 1920-1930 pour montrer que les Samis sont une « race inférieure ». On va chez les gens pour leur mesurer le crâne et les prendre en photos, nus, de face et de profil. Aujourd’hui ce sont les jeunes mineurs isolés qui sont mesurés et auscultés pour les déclarer majeurs et leur refuser la protection à laquelle ils ont droit. Entre 1935 et 1975 les mêmes convictions racistes et eugénistes ont conduit à des stérilisations forcées de personnes handicapées, épileptiques ou socialement « indésirables » : adolescentes révoltées ou trop libres. On rencontre des victimes de ces pratiques, durablement traumatisées.
J’ai beaucoup apprécié cette lecture. Je ne suis pas sûre que l’enquête policière tienne vraiment la route mais c’est tout le contexte historique et social qui m’a intéressée. Olivier Truc montre que les violences institutionnelles dont ont été victimes les Samis perdurent encore aujourd’hui sous la forme d’une sorte de racisme ou nationalisme suédois. Un intéressant article pour en savoir plus sur le sujet.
« Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme ». Cathy Bernheim au premier plan à gauche avec le blouson clair
L’écrivaine et activiste féministe Cathy Bernheim est morte le 8 avril 2025. Elle était née le 10 avril 1946. Le 26 août 1970, elle fait partie des 9 femmes qui déroulent une bannière sous l’arc de triomphe : « Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme ». En 1971 elle est une des co-rédactrices de l’Hymne des femmes et une des signataires du Manifeste des 343 : elle était une des grandes figures du féminisme français mais méconnue car elle ne cherchait pas à se mettre en avant.
Mary Shelley, Au-delà de Frankenstein. Mary Wollstonecraft Godwin (1797-1851) est la fille de deux grands intellectuels : Mary Wollstonecraft, philosophe féministe, et William Godwin, écrivain politique. Elle a 16 ans quand elle fuit le domicile paternel (sa mère est morte en la mettant au monde) avec son amoureux, le poète Percy B. Shelley (1792-1822), alors marié à une autre. Les deux amants voyagent à travers l’Europe accompagnés de Claire Clairmont, fille de la seconde épouse du père de Mary : France, Suisse, Italie. Ils vivent selon leurs idées romantiques, toujours à court d’argent. Ils admirent de beaux paysages, fréquentent d’autres artistes dont Byron, écrivent et lisent énormément. Nous connaissons leurs lectures car Mary en note les titres dans son journal.
Mary et Percy se marient en 1816, après le suicide de la première femme de Shelley. C’est cette même année que Mary Shelley commence la rédaction de son premier roman : Frankenstein. A 22 ans Mary Shelley a déjà eu trois enfants, tous morts jeunes et elle est enceinte du quatrième. A 25 ans, elle est veuve. Après la mort de Shelley, elle retourne en Angleterre où elle se consacre à l’éducation de son seul fils survivant. Elle écrit d’autres romans mais ils ont moins de succès que Frankenstein.
Après avoir, dans la première moitié du livre, présenté la biographie de Mary Shelley ainsi que l’histoire et les personnages de Frankenstein, Cathy Bernheim explore diverses thématiques plus ou moins en rapport avec ce roman. Je trouve intéressante la réflexion sur la traduction littéraire (Cathy Bernheim a traduit l’Autobiographie d’Angela Davis et L’épopée d’une anarchiste d’Emma Goldman) et sur les différentes versions de Frankenstein. Je suis plus réservée quant à la tentative d’analyser Mary Shelley à partir de son œuvre : dès que le dr Frankenstein parle de son père ou la Créature de son concepteur Cathy Bernheim y voit des éléments autobiographiques concernant le propre père de Mary Shelley. Enfin j’ai parfois l’impression que l’autrice est en roue libre et oublie son sujet de départ quand elle s‘engage dans des considérations sur les dérives de la science contemporaine, les robots, l’ADN, l’Intelligence Artificielle ou le transhumanisme. Mon avis sur cette lecture est donc mitigé.
J’achète l’ouvrage chez un bouquiniste en ligne. A la réception je découvre que mon exemplaire est dédicacé par l’autrice !
Les archives Arolsen (International Tracing Service jusqu’en 2019) sont un centre de documentation et de recherche sur les persécutions nazies (travail forcé, déportation, shoah) situé dans la ville de Bad Arolsen (Allemagne). Irène, une Française installée en Allemagne, travaille dans ce centre. A partir d’objets ayant appartenu à des déportés et conservés là elle est chargée de retrouver d’éventuels survivants ou leurs proches pour leur restituer ces biens.
Deux objets sur lesquels on héroïne enquête permettent à l’autrice de ratisser large et d’évoquer le camp de Ravensbrück, le centre de mise à mort de Treblinka et les enfants polonais de « type aryen » enlevés par les nazis. Pour avoir pas mal lu sur ces sujets, je constate qu’elle s’est bien documentée. C’est à peut près tout ce que je peux dire de positif sur ce roman dont les péripéties m’apparaissent comme artificielles. Pas un instant je ne suis entrée dans ma lecture. Le pire c’est l’histoire privée d’Irène qui peine à m’intéresser et dont je finis par lire les passages en diagonale.
80 ans plus tard, rendez-vous avec un père déporté. M le magazine du Monde du 29 mars 2025 raconte la restitution du portefeuille de son père, résistant mort en déportation, à Marie-Hélène Sagaspe, 80 ans. Ce sont surtout des bénévoles qui enquêtent pour retrouver les traces des propriétaires des quelques 2000 objets encore stockés par les archives Arolsen. Ici Georges Sougné, présent à la restitution avec Florence Azoulay, directrice du centre Arolsen.
Le 21 mars, à la mairie de Camou-Cihigue, Floriane Azoulay (à droite), la directrice des Archives Arolsen, a remis à Marie-Hélène Sagaspe le portefeuille de son père, Jean Iribarne.
Le narrateur, Gaby Aspinall, est acheteur chez Arema, une grosse entreprise basée à Lyon. Son travail consiste à convaincre les fournisseurs de concéder des prix toujours pus serrés à Arema. Il sait quels arguments utiliser et tire un certain plaisir à humilier ses interlocuteurs.
Au moment de la rédaction de ce livre, Jacky Schwartzmann travaille à Lyon dans une multinationale, expérience dont il s’est inspiré, paraît-il, pour écrire son roman. C’est une plongée grinçante dans l’univers impitoyable de ces grandes boîtes mondialisées où les cadres gagnent des fortunes pendant que les sous-traitant sont pressurisés. Il s’agit de faire de l’argent au mépris des personnes. Le narrateur est un rouage de ce système, très lucide sur tout ce qu’il a de détestable mais y participant volontiers. L’intérêt du roman réside dans cette satire du capitalisme.
Comme les narrateurs des précédents romans de Jacky Schwartzmann que j’ai lus Gaby Aspinall a son franc-parler et est volontiers grossier. Il peut aussi être ordurier quand il parle des femmes. L’auteur nous balade un peu et on peut croire un moment que le personnage connaîtra une rédemption mais la fin est totalement immorale où le crime paie. Cette fin m’a déplu. Du même auteur mieux vaut lire Bastion ou Demain c’est loin.