A Istanbul un tueur en série assassine des travestis portant des prénoms de prophètes en s’inspirant de l’histoire des prophètes en question (Jonas est noyé). Le narrateur, gérant d’un club de travestis sous son identité féminine, informaticien sous son identité masculine, mène l’enquête.
Cela me fait penser à Millénium chez les Turcs, le suspense en moins. C’est sympathique et pas déplaisant à lire mais l’enquête policière offre bien peu de surprises et le roman ne me laissera sans doute pas un souvenir impérissable.
Ayse Gül Altinay et Fethiye Cetin, Les petits-enfants, Actes sud
Le livre de ma grand-mère où Fethiye Cetin racontait sa découverte de ses origines arméniennes et l’histoire de sa grand-mère a eu, nous dit-on, un fort retentissement en Turquie. Sa lecture a amené un certain nombre de Turcs à s’interroger sur leurs origines et, éventuellement, à découvrir l’existence d’ancêtres arméniens. Les petits-enfants est un recueil d’entretiens avec 24 Turcs ayant des origines arméniennes. Ils disent comment ils l’ont appris, ce que ça a changé pour eux, comment ils vivent leur situation dans la Turquie d’aujourd’hui qui nie toujours le génocide des Arméniens. En lisant ces témoignages j’ai eu le sentiment de comprendre un peu la mentalité turque.
Je découvre que dans l’est du pays beaucoup de familles ont des origines arméniennes. D’abord il y avait des unions mixtes ensuite, pendant le génocide, des jeunes filles ont été prises comme épouses, des enfants, plus souvent des filles, ont été recueillis et adoptés. Ces convertis à l’islam ont parfois gardé des relations avec des membres de leur famille dans la diaspora arménienne.
Les témoignages sont suivis d’une analyse par Ayse Gül Altinay, sociologue, qui s’interroge sur le silence qui recouvre les survivants arméniens. Pourquoi leur existence a-t-elle été éludée, autant par les Turcs que par les Arméniens ? Des réponses très convaincantes sont proposées par des universitaires féministes. Les survivants sont majoritairement des femmes (et des enfants) définis par rapport aux hommes auxquels elles « appartiennent ». Ces femmes ne sont pas considérées comme protagonistes de l’histoire mais confondues dans la masse des victimes du génocide et elles « disparaissent ».
Une autre explication c’est, du côté turc, le mythe de la pureté ethnique et du côté arménien, la difficulté à ne pas mettre tous les Turcs dans le même sac, responsables en bloc des massacres.
C’est le genre de livre dont la lecture donne l’impression d’être plus intelligent. Je l’ai trouvé passionnant.
Par la fenêtre de ma chambre d’hôtel -1
L’occasion de séjourner en hôtels ces derniers temps m’a donné l’idée de cette série pour laquelle j’ai repris aussi des clichés plus anciens.
Awabai mansion, Bombay, Inde
Hotel Imperial supreme, Chennaï, Inde
Novotel Bronowice, Cracovie, Pologne
Sultan Hostel, Istanbul, Turquie
Bastoncu Pension, Safranbolu, Turquie
Akya Otel, Ankara, Turquie
Louis Gardel, L’aurore des bien-aimés, Seuil
L’aurore des bien-aimés est l’histoire d’amitié entre Soliman le Magnifique, sultan de l’empire ottoman de 1520 à 1566 et Ibrahim, un esclave grec qui devint grand vizir. Soliman et Ibrahim se rencontrent alors qu’ils ont une vingtaine d’années et deviennent vite comme des frères. Cette amitié dura des années, les amena à exercer conjointement le pouvoir et se termina de façon dramatique. L’autre intime de Soliman est Hürem ou Roxelane, sa concubine devenue sultane.
Avec des personnages aussi extraordinaires voilà un roman qui aurait pu être passionnant. C’est raté hélas et je le trouve plutôt mal écrit. Je découvre (ou redécouvre) cependant le personnage de Soliman, conquérant de territoires en Europe de l’est et en Anatolie. Il s’opposa à Charles Quint et traumatisa l’Europe en s’avançant jusqu’à Vienne.
Depuis janvier la télévision turque diffuse une série sur la vie de Soliman qui a fait grand scandale auprès des intégristes car on y voit le sultan buvant et couchant. En attendant il semble que le public soit au rendez-vous.
Pierre Loti, Aziyadé, Le livre de poche
En 1876, Loti, un jeune officier de marine britannique vit à Istanbul une histoire d’amour avec Aziyadé, une toute jeune femme, dernière épouse d’un vieil homme riche. Pour s’installer avec elle sans attirer l’attention, Loti a quitté le quartier de Péra où vivent les Européens et est allé habiter à Eyoub, lieu de pèlerinage pour les musulmans. Il a pris le costume turc, appris la langue et s’y fait passer pour Arif-Effendi. Il s’est lié à Samuel, un Grec et Achmet, un jeune Stambouliote qui sont à la fois ses amis et ses domestiques. Ayant beaucoup voyagé, Loti est à 27 ans un personnage désabusé qui affirme ne croire ni en l’amitié ni en l’amour. Commencée par désoeuvrement, par attrait du risque et rejet des convenances, sa relation avec Aziyadé le mènera beaucoup plus loin qu’il ne l’avait imaginé.
J’ai bien aimé cette histoire au rythme lent qui fait bien ressentir l’état d’esprit du narrateur. Elle se présente sous forme de paragraphes généralement courts qui sont des souvenirs de Loti, parfois un peu disparates. Il y a aussi des lettres que Loti échange avec sa soeur ou des amis. Ce que j’ai a reprocher à l’auteur c’est le conformisme de Loti quant il s’agit de juger ses inférieurs et sa facilité à verser dans le racisme : un juif prêt à vendre son fils, une négresse comparée à un macaque.
Aziyadé est en fait en grande partie autobiographique. Pierre Loti s’inspire fortement de sa relation avec une femme turque pour écrire ce roman. Comme je l’ai lu durant mon séjour en Turquie j’en ai profité pour aller faire un tour à Eyüp, le quartier où vivait Pierre Loti et où il situe l’action d’Aziyadé.
En Turquie
Je reviens de deux semaines de vacances en Turquie. Quelques photos de mes découvertes :
A Istanbul : Istanbul est une ville très touristique. Fin avril-début mai le vieux quartier de Sultanahmet est déjà plein de touristes et je pense qu’en pleine saison ça doit être parfois un peu pénible. Comme souvent dès que l’on s’éloigne un peu des circuits les plus courus on est plus tranquille.
A Ankara : Ankara attire moins les touristes. Du coup les prix sont divisés par deux et personne ne parle anglais (ou français). Nous y avons retrouvé notre fille qui y séjourne depuis 9 mois. Elle a pu nous faire la traduction.
A Safranbolu : C’est un charmant village situé à trois heures de route au nord d’Ankara où nous avons passé deux jours. Loin des grandes villes nous avons apprécié le calme.
Yachar Kémal, La légende du Mont Ararat, Gallimard
Un jour, un cheval s’arrête devant la porte du berger Ahmet. Selon la tradition c’est un don de Dieu et Ahmet doit garder le cheval. Il n’a pas le droit de le rendre à son propriétaire. Mais le cheval appartient à Mahmout Khan, un pacha sûr de son autorité. Il fait jeter Ahmet en prison. Il sera exécuté si le cheval n’est pas rendu. Gulbahar, la fille de Mahmout Khan, tombe amoureuse d’Ahmet. Son amour pourra-t-il sauver le jeune homme ?
Le Mont Ararat se situe tout à fait à l’est de la Turquie. Dans cette légende il est un personnage à part entière, se mettant en colère contre ceux qui le défient. A ses pieds s’affrontent deux volontés inflexibles. Les actes d’Ahmet sont guidés par la tradition. Sa marge de manoeuvre est étroite : il y a des choses qu’on NE PEUT tout simplement pas faire ou qu’on DOIT faire. C’est comme ça. En face, le pacha est très isolé. Nombreux sont ceux qui réprouvent ses exigences. Mais il est puissant.
Face au despotisme qui ne connaît que sa volonté, la tradition c’est au moins une forme de loi. Mais moi la tradition, je n’aime pas trop non plus. J’aime mieux un peu de libre arbitre. Alors bien sûr, c’est une légende, il y a la fatalité qui intervient, un amour très romantique. Quand même je n’ai pu m’empêcher de trouver que les relations étaient pas mal régies par la rigueur ou la violence. Il reste que c’est écrit de façon très poétique. J’ai particulièrement apprécié les descriptions de paysages de montagne, dont celui sur lequel le roman débute :
« Il est un lac sur le flan du Mont Ararat, à quatre mille deux cents mètres d’altitude. On l’appelle le lac de Kup, le lac de la Jarre, car il est extrêmement profond, mais pas plus grand qu’une aire de battage. A vrai dire, c’est plus un puits qu’un lac. Il est entouré de toutes parts par des rochers rouges, étincelants, acérés comme la lame du couteau. Le seul chemin menant au lac est un sentier, creusé par les pas dans la terre battue, moelleuse, et qui descend, de plus en plus étroit, des rochers jusqu’à la rive. Des plaques de gazon vert s’étalent çà et là sur la terre couleur de cuivre. Puis commence le bleu du lac. Un bleu différent de tous les autres bleus; il n’en est pas de semblable au monde, on ne le trouve dans aucune eau, dans aucun autre bleu. Un bleu marine moelleux, doux comme le velours. »
L’avis de Katell.
L’année de la Turquie
Le 15 août (plus d’un mois déjà) ma fille cadette, bac en poche, s’est envolée pour Ankara, Turquie, où elle va passer l’année scolaire grâce à l’association YFU. Elle réside dans une famille turque, elle est scolarisée dans un lycée turc et le but est de découvrir la langue et la culture locales. C’est pour moi l’occasion de m’intéresser à ce pays dont je connais très peu la littérature. J’ai déjà glané sur les blogs quelques titres, si vous avez des suggestions à me faire elles seront les bienvenues.
Et comme YFU cherche aussi des familles d’accueil pour les jeunes qui arrivent en France nous recevons pendant ce temps Ivana de l’Equateur. Et la littérature équatorienne, quelqu’un connait ?
Au fait, YFU a besoin encore en ce moment même de familles d’accueil. Alors, pourquoi pas vous ?
Giles Milton, Le paradis perdu, Noir sur blanc
1922, la destruction de Smyrne la tolérante
Au début du 20° siècle Smyrne, plus grande ville et ville la plus prospère de l’empire Ottoman était aussi une ville cosmopolite. On y trouvait des Turcs, des Grecs, des Arméniens, des Juifs et des Levantins : des Européens d’origine (Britanniques, Français, Italiens…) dont les familles s’étaient installées là depuis plus d’un siècle et qui s’étaient enrichis dans le commerce et l’industrie grâce à des avantages fiscaux. Mais tout ceci n’allait pas tarder à disparaître.
La première guerre mondiale change peu de choses aux conditions de vie des Smyrniotes. Les affaires ralentissent un peu mais chacun continue de manger à sa faim. Dans les villas du riche faubourg de Bournabat on donne des réceptions comme auparavant. Le génocide de 1915 ne touche pas les Arméniens de Smyrne grâce à la protection de Rahmi Bey, le gouverneur éclairé de la ville.
C’est à la fin de la guerre que les difficultés commencent. L’empire Ottoman fait partie des vaincus et la Grèce profite de sa place aux côtés des alliés pour envahir le pays dans le but de restaurer un empire chrétien en Asie mineure. C’est la Grande Idée de Vénizelos, le premier ministre grec de l’époque. La responsabilité des grandes puissances réunies en conférence de la paix à Paris, particulièrement de Lloyd George pour la Grande-Bretagne, est bien montrée. Ils laissent faire, convaincus que les Turcs sont des barbares. Le débarquement des troupes grecques à Smyrne en 1919 se solde par un massacre dans le quartier turc. La population civile grecque se joint aux soldats pour faire violence à ses concitoyens. Après cela le calme revient sous l’autorité d’un gouverneur grec impartial, Aristide Sterghiades.
En 1922 les troupes grecques sont vaincues par l’armée nationaliste de Mustapha Kemal qui entre dans Smyrne le mercredi 6 septembre. Le cauchemar commence. D’abord la ville est pillée. Un pillage en règle, comme au Moyen-âge : vols, viols, massacres. Arméniens et Grecs sont les premiers visés. Les malheureux habitants essaient de se réfugier dans des bâtiments portant pavillon américain, britannique ou français : écoles, hôpitaux, consulat. Puis, le 13 septembre, les troupes turques mettent le feu à la ville. Les maisons sont systématiquement aspergées de pétrole. Le vent aidant, bientôt tout flambe (sauf le quartier turc). Les réfugiés, près de 500 000 personnes, s’entassent alors sur le port, coincés entre la mer et le feu. Les Turcs continuent de les harceler.
C’est l’intervention d’un Américain, Asa Jennings, qui permet de sauver beaucoup de monde. Il négocie avec les autorités turques l’autorisation d’emmener les femmes et les enfants et convainc ensuite la Grèce de fournir les bateaux nécessaires à cette opération de sauvetage. Les hommes sont déportés vers l’intérieur de l’Anatolie.
Le bilan de cette tragédie est estimé entre 190 000 et 250 000 victimes. Encore une horreur à porter au passif de la première guerre mondiale.
J’ai trouvé passionnant cet ouvrage qui m’a permis de découvrir un épisode historique que j’ignorais. Giles Milton présente les faits de façon claire et vivante. Il s’est appuyé pour cela sur de nombreuses archives, notamment sur des récits de survivants de diverses origines. J’ai retrouvé des choses que j’avais croisées dans Des oiseaux sans ailes. Tout cela m’a donné envie d’en savoir plus sur l’histoire de l’empire Ottoman. Dans l’année qui va venir je pense que je vais m’intéresser beaucoup plus à la Turquie. Je vous en reparlerai.
Louis de Bernières, Des oiseaux sans ailes, Folio
Ce passionnant roman raconte la fin de l’empire ottoman avant, pendant et peu après la première guerre mondiale. Ces événements terribles sont vus de façon vivante à partir de l’histoire de la petite ville d’Eskibahtché, en Anatolie, et de ses habitants.
Depuis très longtemps musulmans et Grecs plus quelques Arméniens, y vivent en bonne entente. Chacun traite l’autre d’infidèle mais les musulmans n’hésitent pas à adresser leurs prières à l’icône de la Vierge en cas de besoin et les mariages mixtes sont acceptés. Ainsi il est acquis pour tous dès leur plus tendre enfance que la belle Philothéi épousera Ibrahim qui la suit partout comme son ombre. On croise aussi Iskander le Potier qui fabrique des sifflets qui imitent le chant des oiseaux; l’imam Abdulhamid Hodja, homme doux amoureux de sa jument Nilüfer. Pour ne pas tuer les tortues qui dévorent ses légumes il les ramasse dans un sac et va les relâcher plus loin. Il y a de nombreux personnages pittoresques et attachants et aussi, en parallèle, la biographie de Mustapha Kémal.
La première guerre mondiale va mettre fin à cette vie paisible. Privé de ses jeunes hommes (enrôlés dans l’armée pour les musulmans, dans les commandos de travail pour les chrétiens) le village s’appauvrit. Les habitants sont victimes des attaques de bandes de hors-la-loi composées pour partie de déserteurs. C’est dans une quasi-indifférence que les Arméniens sont déportés.
Au front on tient aux jeunes gens un discours islamiste : cette guerre est une guerre sainte qui oppose les musulmans aux Francs. Pourtant l’empire est allié avec l’Allemagne alors que des Arabes combattent pour la Grande-Bretagne. Le gouvernement grec espère profiter du conflit pour réaliser son idée de Grande Grèce ou ressusciter l’empire byzantin au moins jusqu’à Istanbul. Les populations civiles sont les victimes de ces idées nationalistes : selon les aléas du combat les Grecs massacrent des musulmans puis les Turcs massacrent des Grecs.
Après la guerre les traités de paix prévoient l’échange des Grecs de Turquie contre les musulmans de Grèce. Ces déplacements de population provoquent encore de grandes douleurs. A Eskibahtché des amis de toujours se séparent sans espoir de se revoir. Les Grecs (qui ne parlaient que le Turc) doivent partir en abandonnant leurs biens sur place. Ils sont remplacés par des musulmans qui ne parlent que Grec. Surtout, on réalise alors que les chrétiens étaient aussi commerçants et artisans et le village s’appauvrit encore.
Louis de Bernières montre bien comment, à tous points de vue, économique et culturel, le passage de l’empire ottoman cosmopolite à la Turquie nationaliste a été un appauvrissement. Les délires nationalistes de certains ont souvent entraîné le malheur de beaucoup et l’auteur enfonce le clou là-dessus. Le petit bémol pour moi c’est la façon dont les Arméniens sont traités en victimes collatérales de tout cela. Il est question de « crimes de guerre tels que les marches mortelles des Arméniens et des prisonniers britanniques et les déportations de Grecs de la côte occidentale en 1914 ». Le mot génocide n’est employé que pour des massacres de musulmans par des Grecs.
Malgré cela j’ai trouvé ce roman excellent, bien écrit et avec souvent une pointe d’humour ironique. J’en ai lu facilement les 800 pages.