1922, la destruction de Smyrne la tolérante
Au début du 20° siècle Smyrne, plus grande ville et ville la plus prospère de l’empire Ottoman était aussi une ville cosmopolite. On y trouvait des Turcs, des Grecs, des Arméniens, des Juifs et des Levantins : des Européens d’origine (Britanniques, Français, Italiens…) dont les familles s’étaient installées là depuis plus d’un siècle et qui s’étaient enrichis dans le commerce et l’industrie grâce à des avantages fiscaux. Mais tout ceci n’allait pas tarder à disparaître.
La première guerre mondiale change peu de choses aux conditions de vie des Smyrniotes. Les affaires ralentissent un peu mais chacun continue de manger à sa faim. Dans les villas du riche faubourg de Bournabat on donne des réceptions comme auparavant. Le génocide de 1915 ne touche pas les Arméniens de Smyrne grâce à la protection de Rahmi Bey, le gouverneur éclairé de la ville.
C’est à la fin de la guerre que les difficultés commencent. L’empire Ottoman fait partie des vaincus et la Grèce profite de sa place aux côtés des alliés pour envahir le pays dans le but de restaurer un empire chrétien en Asie mineure. C’est la Grande Idée de Vénizelos, le premier ministre grec de l’époque. La responsabilité des grandes puissances réunies en conférence de la paix à Paris, particulièrement de Lloyd George pour la Grande-Bretagne, est bien montrée. Ils laissent faire, convaincus que les Turcs sont des barbares. Le débarquement des troupes grecques à Smyrne en 1919 se solde par un massacre dans le quartier turc. La population civile grecque se joint aux soldats pour faire violence à ses concitoyens. Après cela le calme revient sous l’autorité d’un gouverneur grec impartial, Aristide Sterghiades.
En 1922 les troupes grecques sont vaincues par l’armée nationaliste de Mustapha Kemal qui entre dans Smyrne le mercredi 6 septembre. Le cauchemar commence. D’abord la ville est pillée. Un pillage en règle, comme au Moyen-âge : vols, viols, massacres. Arméniens et Grecs sont les premiers visés. Les malheureux habitants essaient de se réfugier dans des bâtiments portant pavillon américain, britannique ou français : écoles, hôpitaux, consulat. Puis, le 13 septembre, les troupes turques mettent le feu à la ville. Les maisons sont systématiquement aspergées de pétrole. Le vent aidant, bientôt tout flambe (sauf le quartier turc). Les réfugiés, près de 500 000 personnes, s’entassent alors sur le port, coincés entre la mer et le feu. Les Turcs continuent de les harceler.
C’est l’intervention d’un Américain, Asa Jennings, qui permet de sauver beaucoup de monde. Il négocie avec les autorités turques l’autorisation d’emmener les femmes et les enfants et convainc ensuite la Grèce de fournir les bateaux nécessaires à cette opération de sauvetage. Les hommes sont déportés vers l’intérieur de l’Anatolie.
Le bilan de cette tragédie est estimé entre 190 000 et 250 000 victimes. Encore une horreur à porter au passif de la première guerre mondiale.
J’ai trouvé passionnant cet ouvrage qui m’a permis de découvrir un épisode historique que j’ignorais. Giles Milton présente les faits de façon claire et vivante. Il s’est appuyé pour cela sur de nombreuses archives, notamment sur des récits de survivants de diverses origines. J’ai retrouvé des choses que j’avais croisées dans Des oiseaux sans ailes. Tout cela m’a donné envie d’en savoir plus sur l’histoire de l’empire Ottoman. Dans l’année qui va venir je pense que je vais m’intéresser beaucoup plus à la Turquie. Je vous en reparlerai.