« Ce qui ne m’a pas tuée ne m’a pas rendue plus forte. Le temps n’a pas guéri toutes mes blessures. Mais je peux constater que malgré tout je suis encore vivante »
Julie Delporte a découvert à 35 ans qu’elle était lesbienne. Cette prise de conscience tardive est accompagnée d’un travail sur des traumatismes de son passé et sa relation aux autres, notamment aux hommes. L’autrice réalise que, pendant toute la première partie de sa vie, elle n’a pas tenu compte -et ses partenaires non plus- de son désir ou de son absence de désir. « Ce n’est pas que je n’osais pas dire que je n’avais pas envie, c’est que je ne pouvais même pas me l’avouer » Elle a fait l’amour pour faire plaisir à ses amants. Elle fait le parallèle avec une enfance où on ne lui a pas permis de dire « non », où on lui a imposé des choix « pour son bien ».
C’est la réflexion sur le désir féminin et le consentement qui m’intéresse le plus. Dans notre société patriarcale où les envies des hommes passent souvent avant celles des femmes nul doute que plus d’une se sentira concernée, pas besoin d’être lesbienne. Julie Delporte se met à nu dans un ouvrage qui aborde des sujets très personnels et intimes. Elle cite aussi les autrices et les œuvres qui ont nourri son cheminement. Un témoignage courageux et intéressant.
Rangé au rayon BD de ma médiathèque, l’ouvrage est plutôt un récit autobiographique illustré. Des portraits des personnes citées, quelques esquisses de scènes de sexe lesbien mais surtout beaucoup de dessins abstraits, représentant des objets, des fleurs ou des plantes dans lesquelles peuvent se deviner des formes de vulves.
Sergueï Shikalov est né en 1986 en Russie. Il est homosexuel. Il a fait des études de linguistique et de traductologie à Moscou avant de s’installer en France en 2016. Il écrit Espèces dangereuses en français. Dans ce roman en partie autobiographique l’auteur se souvient de la période de 2003 à 2012, quand un vent de liberté a soufflé sur la Russie et que les personnes homosexuelles ont cru qu’elles pourraient enfin vivre sans se cacher.
L’ouvrage se présente sous la forme de courts paragraphes qui sont comme des tranches de vie de jeunes homosexuels russes. Je sens l’enthousiasme d’une génération, la volonté de penser que les choses vont continuer à progresser même si cela ne va pas assez vite et le refus de croire que les manifestations d’homophobie puissent être autres que résiduelles. Il y a des passages émouvants.
La narration emploie beaucoup le pronom « on » dont l’auteur nous dit qu’il n’a pas d’équivalent en russe. Il explique au début du livre qu’il s’agit pour lui de se mettre à l’abri en évitant le « je » et d’« esquiver le « nous », pour ne pas prétendre parler au nom d’une communauté ». Ce portrait d’une Russie disparue est une lecture que j’ai appréciée.
En 2013 la Russie a interdit la « propagande LGBT » auprès des mineurs. En 2022 cette interdiction concerne tout le monde. Il est interdit de faire « la promotion de l’homosexualité » ou du « changement de sexe ». Selon Amnesty International, en 2024-2025 les persécutions visant la communauté LGBT se sont multipliées en Russie. Des personnes sont accusées d’avoir mené des activités en lien avec « l’extrémisme » ou arrêtées au titre de la loi sur la « propagande LGBT ».
Didier Eribon est né en 1953 à Reims dans une famille ouvrière pauvre. Il est le premier de sa famille à avoir poussé ses études au-delà de la scolarité obligatoire. A vingt ans il s’installe à Paris et cesse de fréquenter ses parents et ses frères. Il ne reprend contact avec sa mère que des années plus tard, quand son père, atteint d’Alzheimer, est placé en ehpad. Ce Retour à Reims est l’occasion pour l’auteur d’analyser son rapport à sa classe sociale d’origine. Lui qui pensait que c’était l’homophobie de son père qui l’avait fait fuir sa famille prend conscience que son milieu a aussi à voir avec son départ.
Sur le récit autobiographique de son ascension sociale, Didier Eribon greffe plusieurs sujets de réflexion : – L’histoire de sa famille. J’ai plus particulièrement retenu celles de sa grand-mère, tondue à la Libération, et de sa mère, abandonnée par la précédente à dix ans, dans l’obligation de travailler très jeune alors qu’elle souhaitait poursuivre ses études pour devenir institutrice.
– Le système scolaire inégalitaire qui ne permet pas aux enfants des classes populaires de s’élever par les études mais qui mène au contraire à la reproduction des élites. Exception à la règle, l’auteur se considère comme un « miraculé ». Il suppose que son homosexualité lui a imposé de s’extraire de son milieu pour ne pas étouffer, ce qui a permis qu’il s’astreigne aux efforts nécessaires pour se plier à la culture scolaire.
– Un sentiment d’appartenance à la classe ouvrière remontant à sa petite enfance. C’est l’occasion de dire tout le mal qu’il pense de Raymond Aron pour qui les classes ne sont pas conscientes d’elles-mêmes. C’est sans doute vrai pour les enfants de la bourgeoisie dit Didier Eribon, de même que les Blancs n’ont pas conscience de leur couleur de peau ni les hétérosexuels de leur orientation sexuelle. Il aurait pu ajouter les hommes de leur genre. J’ai moi-même compris très tôt que ce n’était pas la même chose d’être une fille plutôt qu’un garçon. Transfuge de classe, l’auteur explique les efforts qu’il a fait pour gommer les signes de son origine sociale.
– Le vote populaire, hier largement en faveur du parti communiste, aujourd’hui pour le RN. D’après lui la gauche a trahi le peuple qui ne se sent plus représenté par elle. En quoi a consisté cette trahison ? Je ne l’ai pas bien compris. Sur ce point particulier je dois dire que l’auteur m’a perdue.
– La socialisation dans la sous-culture gay, point que j’ai trouvé particulièrement intéressant, et les solidarités communautaires.
J’ai trouvé que c’était un livre bien écrit, intelligent et plutôt accessible parce que l’auteur illustre son propos de son cas personnel.
Adèle Yon pique des colères terribles. Elle est en couple avec un homme toxique pour elle. Elle craint de devenir folle, d’autant plus qu’il y a dans sa famille, dit-on, une hérédité psychiatrique qui frappe les jeunes femmes. Elle décide alors d’enquêter sur son arrière-grand-mère Elisabeth dite Betsy, diagnostiquée schizophrène dans les années 1950. Betsy (1916-1990) est née dans une famille bourgeoise nombreuse (elle a dix frères et sœurs) très catholique. En 1940 elle épouse André qui lui fait six enfants en sept ans. A chaque accouchement Betsy s’enfonce un peu plus dans la dépression avec des crises violentes contre son mari qui décident celui-ci à la faire interner.
Pour son enquête Adèle Yon a interrogé des membres de sa famille qui avaient connu Betsy ou en avaient entendu parler. Elle a eu accès à la correspondance échangée entre Betsy et André durant leurs fiançailles. Elle s’est intéressée au traitement de la folie dans les années 1950 et a cherché à retrouver le dossier médical de son arrière-grand-mère. Le résultat est un livre riche et fort intéressant qui mélange documents familiaux, entretiens avec les témoins, informations sur l’histoire de la psychiatrie, présentation de l’avancée des recherches et des difficultés rencontrées et réflexions que l’autrice tire de tous ces éléments.
Dans les lettres qu’il adresse à Betsy André m’apparaît comme un homme pétri d’une religiosité doloriste. Leur mariage sera pur et les aidera à s’approcher de Dieu. Quand Betsy évoque sa volonté d’indépendance il lui répond que « le Seigneur a voulu qu’un mari conduise sa femme. Sans doute vous êtes libre, mais jusqu’à un certain point seulement, car je suis votre chef. La Providence m’a institué tel. » La lobotomie de Betsy est l’occasion de nous présenter cette opération pratiquée pour la première fois en 1935 et très à la mode dans les années 1950, surtout aux Etats-Unis où elle est popularisée par le psychiatre Walter Freeman. Les praticiens pensent d’abord que la lobotomie pourra guérir des troubles psychiatriques avant de constater qu’elle ne fait que rendre le comportement des malades socialement plus acceptable. L’autrice interroge alors cette norme sociale et familiale qui justifie de mutiler les personnes, de diminuer leurs capacités mentales, de mettre leur vie en danger. Elle constate que la grande majorité des lobotomisées sont des femmes (85% ?). Pourquoi, quand Betsy frappe André, est-elle qualifiée de folle alors que sa violence à lui est acceptée ?
J’ai été choquée de découvrir que Betsy était une victime du patriarcat, que la façon dont elle a été traitée a manifestement aggravé ses symptômes. J’ai trouvé très convaincante la façon dont Adèle Yon montre que la mémoire de l’histoire de Betsy a été dans sa famille bourgeoise un moyen de contrôle sur les corps des femmes. C’est une lecture que j’ai beaucoup appréciée.
Georges-Arthur Goldschmidt est né près de Hambourg en 1928 d’une famille protestante d’origine juive. En 1938 les parents mettent leurs deux fils à l’abri des nazis en Italie puis, quand Mussolini installe des lois antisémites, en France. La France va devenir le pays d’adoption de Georges-Arthur Goldschmidt, le français sa deuxième langue.
Dans ce récit autobiographique l’auteur détaille son rapport à ses deux langues et ses deux cultures, l’allemande et la française. Il est question aussi de la judéité qui lui a été assignée par les nazis. Lui qui ne se savait pas Juif, qui était un protestant pratiquant, a intégré une nouvelle dimension à son identité. Je retrouve dans ce texte ce que j’ai déjà lu dans d’autres récits d’exilés : le mal du pays perdu. Ici il est particulièrement torturé car l’Allemagne les a rejetés, lui et son frère, et la France cachés et sauvés. Parler allemand c’était à la fois parler la langue maternelle mais aussi celle du bourreau et, en France, de l’occupant. Ce conflit est marqué dans la façon dont l’auteur parle de lui-même alternativement à la première et à la troisième personne, parfois dans la même phrase.
Si je suis intéressée par l’histoire personnelle de l’auteur et sa réflexion sur l’exil, la langue et l’identité, je suis beaucoup plus réservée quand il s’aventure à aborder des questions contemporaine. Je pense particulièrement à un commentaire xénophobe concernant les migrants actuels qui rejetteraient de plus en plus l’État laïque. Il y a là une généralisation abusive qui me déplaît et qui est contredite plus loin par Georges-Arthur Goldschmidt lui-même : « Chacun n’est jamais que ce qu’il est et qu’il est le seul à connaître, d’où le caractère sacré de l’existence humaine, l’unicité irremplaçable de chaque être humain qui, seul, n’est pourtant que celui qu’il est, et dont personne d’autre ne peut sentir comment il est, lui, lui-même ».
Retisser nos liens dans un monde désuni. Loretta Napoleoni est une journaliste italienne spécialisée dans le financement du terrorisme. Peu avant d’écrire le présent ouvrage, elle découvre que son mari a investi inconsidérément l’argent du ménage et qu’ils sont ruinés. Elle doit vendre sa maison des Etats-Unis, hypothéquer et louer celle de Londres. Elle divorce. Cette trahison a beaucoup affecté l’autrice. Pour calmer ses angoisses et penser à autre chose elle se remet au tricot qu’elle a pratiqué depuis l’enfance et décide d’écrire ce livre. Le résultat est un mélange de récit autobiographique, d’informations historiques et scientifiques et de considérations sur le « pouvoir » du tricot.
Loretta Napoleoni a appris à tricoter avec sa grand-mère qui profitait de ces séances privilégiées pour lui raconter sa vie et lui faire part de ses considérations sur le monde. J’ai tendance à penser que l’important dans cette relation ce n’était pas le tricot mais la grand-mère et que celle-ci aurait fait passer les mêmes notions via une autre activité (la cuisine, le jardinage?) Ce qui m’a le plus intéressée ce sont les informations factuelles, particulièrement historiques. J’apprends ainsi que l’ancêtre du tricot était le nalbinding qui se pratique avec une seule aiguille à chas. Vers 400 av. JC il est remplacé par le tricot à deux aiguilles que nous connaissons. Il est question aussi des effets positifs de l’activité tricot sur le cerveau : lutte contre le stress et développement des connexions neuronales.
Je suis plus dubitative concernant le tricot comme moyen de lutte politique : des activistes se réunissent pour tricoter ou réalisent une œuvre collective afin d’attirer l’attention sur un problème environnemental ou de gouvernance. L’autrice a à ce sujet des accents exaltés : « A l’heure où de nouveaux défis s’annoncent pour notre avenir, le tricot peut s’allier à la politique pour recoudre les fractures et reconstruire les ponts de la communication ; il peut purifier l’air pollué, assainir l’eau et faire revivre les liens sociaux ». Les liens sociaux, je veux bien ; faire prendre conscience des problèmes, aussi ; mais pour sauver la planète, à mon avis, on ne pourra pas se contenter du tricot. Il va falloir passer à autre chose.
Il y a une volonté très américaine, il me semble -Loretta Napoleoni a passé une partie de sa vie aux Etats-Unis et le livre est traduit de l’américain- de tout positiver. Le résultat pour moi manque de nuances et m’a régulièrement agacée. Un dernier exemple : « Nous, les tricoteurs, sommes unis pour toujours, reliés les uns aux autres par des mailles à l’endroit et des mailles à l’envers, interconnectés par la beauté de cet artisanat. Assemblés autour des fibres naturelles dont ce fil est fait, nous sommes les témoins de ce que l’humanité a de meilleur en elle ». C’est donc un livre très inégal qui soulève des points de réflexion intéressants lesquels sont disqualifiés à mes yeux par ce genre d’élans mystiques sur le pouvoir du tricot. Comme s’il n’y avait pas des gens très peu recommandables qui tricotaient. Le texte est suivi d’un cahier des modèles cités, comme le coquelicot que vous voyez dans mon panier en tête d’article. J’ai utilisé un rouge trop foncé, le résultat n’est pas très réaliste.
Le témoignage exceptionnel d’une jeune autiste Donna Williams (1963-2017) était une écrivaine et artiste australienne porteuse d’autisme. Dès sa petite enfance la communication avec les autres la fait souffrir et ses parents la croient d’abord sourde. Elle est confiée à ses grands-parents jusqu’à la mort du grand-père. De retour dans sa famille elle est maltraitée par sa mère et son frère aîné : battue, traitée de tarée. Pour s’exprimer elle invente des personnages dont elle joue le rôle : Carol, une fille évaporée et expansive, et Willie, un garçon rationnel et responsable. Ces alias lui servent d’interface avec le monde mais coupent aussi la vraie Donna de la réalité. Elle vit des épisodes de dissociation. A la lecture j’ai l’impression qu’elle n’est pas loin de la folie à plusieurs moments. A l’adolescence Donna Williams est déscolarisée, couche souvent à la rue, se met en couple avec des marginaux qui l’utilisent comme esclave sexuelle et domestique et lui volent son argent. C’est la rencontre avec une psy qui s’intéresse à elle, Mary, qui lui permet de commencer à aller mieux. La découverte à 25 ans qu’elle est autiste est un deuxième moment important.
Dans ce récit autobiographique, Donna Williams raconte de l’intérieur ce que c’est que d’être une autiste. Elle insiste sur le fait que les mauvais traitements dont elle a été victime dans son enfance ne sont en rien responsables de son autisme. Une préface du docteur Lawrence Bartak, psychologue australien, va dans le même sens. Je trouve cela intéressant parce que c’est un livre qui est paru en 1992 -et sorti en France la même année- à une époque où, dans notre pays, on accusait encore, il me semble, les mères d’être responsables de l’autisme de leurs enfants. J’ai trouvé ce texte impressionnant. L’autrice fait preuve d’une grande intelligence et capacité d’analyse. Elle m’apparaît comme une femme remarquable et courageuse.
La sortie de Moi, Fadi, le frère volé par Riad Sattouf est l’occasion de relire toute la série de L’Arabe du futur. Tome 1 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) L’auteur de BD Riad Sattouf est né en 1978 d’un père Syrien, Abdel-Razak, et d’une mère française, Clémentine, qui se sont connus à l’université à Paris. A deux ans le petit Riad est un enfant charmant aux cheveux blonds, très vite considéré par son entourage comme doué en dessin. Après avoir obtenu son doctorat, Abdel enseigne d’abord à l’université de Tripoli puis à Damas. En cours de route la famille s’agrandit d’un petit frère, Yahya.
Dans ce premier tome l’auteur nous raconte sa petite enfance en Libye et en Syrie où la famille habite au village du père, près de Homs. Ce qui me frappe c’est la grande violence de la société syrienne. Les inégalités sociales sont grandes. Ceux qui ont un peu de pouvoir en profitent pour maltraiter ceux qui en ont moins. Celui qui a de l’autorité humilie celui qui est sous ses ordres, les adultes frappent les enfants, les enfants se battent entre eux et martyrisent les animaux. En sa qualité d’étranger aux cheveux blonds Riad est harcelé par ses cousins et traité de sale Juif sous l’oeil indifférent de sa famille paternelle.
Le dessin est simple, en noir et blanc sur des aplats de couleur claire qui varie selon l’endroit où se déroule l’action : bleu pour la France, orange pour la Libye ou rose pour la Syrie. Des teintes plus vives, rouge ou vert, viennent attirer l’oeil sur des moments intenses. L’auteur se présente en enfant intelligent, portant un regard lucide sur les adultes, leurs agissements et leurs contradictions. Grâce à une bonne dose d’autodérision c’est drôle malgré des sujets qui ne le sont pas toujours.
Tome 2 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985) Dans ce tome le petit Riad commence sa scolarité en Syrie. C’est une école où on dresse les enfants à coups de bâton, de propagande pour le régime et de récitation du Coran. L’auteur se présente cependant comme un enfant doué de sens critique et qui se pose des questions. La cour de récréation est le lieu de violences des forts contre les faibles mais Riad s’y fait aussi des amis avec qui il joue à la guerre contre les Juifs. Pendant ce temps sa mère, confinée au foyer et ne parlant pas la langue, s’ennuie et déprime. Le père qui s’imaginait pouvoir incarner l’Arabe du futur, instruit et laïc, a dû déchanter. Pour parvenir en Syrie il faut en passer par le piston et il se replie petit à petit sur des valeurs traditionalistes qui ne risquent pas de choquer sa famille ou les puissants dont il espère le soutien.
Tome 3 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1985-1987) La vie en Syrie continue. Riad se prend de passion pour Conan le Barbare. A l’occasion de la naissance de son petit frère Fadi il séjourne chez sa grand-mère en Bretagne. Scolarisé à l’école française il y découvre des relations apaisées entre enfants et une maîtresse qui ne bat ni n’humilie les élèves.
Par un procédé de flèches qui indiquent ce que le dessin ne montre pas l’auteur attire l’attention sur les sensations, l’odeur, le goût, avec le regard d’un enfant dénué de préjugés.
Tome 4 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1987-1992) Ce quatrième tome est le plus épais de toute la série. Il faut dire que c’est là que se noue le drame qui va bouleverser la vie de toute la famille. Le dénouement poignant n’est plus une surprise pour moi mais m’émeut toujours.
Quand le père obtient un poste à l’université de Riyad en Arabie Saoudite, la mère refuse de le suivre et rentre en France avec ses enfants. Alors que la mésentente entre ses parents est de plus en plus flagrante, Riad grandit. Il raconte l’entrée dans l’adolescence et ses difficultés à s’intégrer parmi les enfants de son âge. Si la violence à l’école française est moins brutale qu’en Syrie elle est cependant bien présente à l’égard des élèves différents des autres comme lui, victime de harcèlement. Le père qui n’a pas réussit comme il le souhaitait -il n’est pas reconnu professionnellement, sa femme ne lui obéit pas- s’enferme dans le ressentiment et se replie sur la religion. Il a fait le pèlerinage à la Mecque qui lui vaut au village le respect qu’il n’a pas obtenu par ses études. Il professe un nationalisme arabe agressif.
Tome 5 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1992-1994) Après la disparition de son petit frère Fadi, le jeune Riad mène une vie clivée entre son domicile et l’école. A la maison où la télé est allumée en permanence la mère ne pense qu’à retrouver son fils. Sans soutien des autorités françaises, elle en est réduite à des expédients peu efficaces. Au collège puis au lycée aucun camarade de Riad n’est au courant du drame qui touche sa famille. Quand il sent assez en confiance pour en parler, il n’est pas cru.
On rit moins à la lecture de cet épisode, l’ambiance est pesante, un objet, une situation, font ressurgir à l’improviste le souvenir de Fadi et Riad fait des rêves où il croise son père ou son frère. Quant à moi je dois dire que mon sommeil a été perturbé la nuit qui a suivi la fin de la lecture de ce tome.
Tome 6 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1994-2011) Voir ici.
J’aime beaucoup cette série de BD et à la relecture c’est toujours un plaisir. La tension monte avec les épisodes alors que le drame familial se noue et que l’auteur vit une adolescence perturbée.
L’écrivaine canadienne Alice Munro est morte le 14 mai 2024. Elle était née en 1931 dans l’Ontario. Elle écrivait des nouvelles et a été la première autrice de nouvelles à recevoir le prix Nobel pour son oeuvre, en 2013.
Rien que la vie. Les 14 nouvelles qui composent ce recueil sont autant de tranches de vie de leurs personnages ou de l’autrice, pour les quatre dernières qui sont présentées comme étant autobiographiques. Dans Rien que la vie Alice Munro décrit de façon émouvante sa relation à ses parents, la ferme familiale, son environnement et son attachement à ces lieux.
La plupart de ces nouvelles racontent un moment charnière dans une vie. Dans La gravière une enfant de sept ans est la protagoniste d’un drame familial. Devenue adulte, elle tente de comprendre l’événement et son propre comportement. Poignant. La narratrice de Havre raconte comment sa tante a consacré sa vie à faire de son foyer un havre pour son mari. Jusqu’à l’erreur d’appréciation. Dans Train un jeune homme qui revient de la guerre saute du train qui le ramenait chez lui. Il s’installe dans une ferme délabrée qu’il remet en état. C’est l’histoire d’un homme qui aime réparer des choses et qui souhaite demeurer sans attaches.
J’ai aimé le rythme lent de la vie quotidienne dont les principales péripéties sont les relations humaines sur le long terme, et les concessions qu’on fait : « Je n’étais pas retournée chez nous pour la dernière maladie de ma mère ni pour son enterrement. J’avais deux jeunes enfants et personne à qui les confier à Vancouver. Nous n’avions guère les moyens de nous offrir le voyage et mon mari méprisait tout ce qui relevait des convenances, mais pourquoi lui faire porter la responsabilité ? Je partageais son sentiment. De certaines choses on dit qu’elles sont impardonnables, ou qu’on ne se les pardonnera jamais. Mais c’est ce qu’on fait -on le fait tout le temps. »
Les sentiments et les motivations des personnages sont analysées de façon fine, c’est une lecture que j’ai appréciée.
Un poète homosexuel et sa fille à San Francisco dans les années 1970
Née en 1970, Alysia Abbott est la fille de Steve Abbott, poète et écrivain. La mère d’Alysia meurt quand cette dernière a deux ans. Steve décide alors de vivre ouvertement son homosexualité et s’installe avec sa fille dans le quartier gay de San Francisco. Il est mort du sida en 1992. Dans ce récit à la fois biographique et autobiographique, Alysia Abbott entrecroise le parcours de vie de son père et le sien propre.
Steve Abbott veut vivre de et pour son art. Il fréquente des cercles de poètes et se fait connaître petit à petit dans sa communauté. Il travaille pour diverses revues littéraires et est reconnu dans les années 1980 comme « meilleur éditorialiste gay ». Il y a des précisions sur les différentes écoles de poésie de l’époque : L = A = N = G = U = A = G = E ou New Narrative. Je dois dire que ce sont des choses que j’ignore totalement et qui me passent un peu au-dessus. Malgré une relative notoriété et des emplois alimentaires, la famille tire souvent le diable par la queue.
Enfant unique et père célibataire, Alysia et Steve ont une relation très forte. Ce livre est aussi un message d’amour touchant au père disparu trop tôt. L’autrice est consciente cependant des manquements de son éducation : toute petite elle a été laissée seule à la maison ou confiée à la garde d’une adolescente fugueuse. Il me semble que c’était aussi une époque et un milieu où les enfants étaient laissés beaucoup plus libres qu’aujourd’hui. A l’école et au collège l’homosexualité de son père et sa pauvreté sont pour Alysia des sources de honte. Elle ne cache pas qu’elle a pu se comporter, à l’adolescence, de façon agressive. Très attachée à la communauté gay qu’elle considère comme la sienne bien qu’hétérosexuelle, elle a éprouvé le besoin de s’en éloigner au moment de ses études poursuivies à New York et Paris.
Ce récit est aussi une histoire de la communauté homosexuelle de San Francisco dans les années 1970 et 1980, de la lutte pour les droits à l’épidémie de sida. Sur ce dernier point Alysia Abbott raconte la haine homophobe qui s’exprime ouvertement, le refus du gouvernement Reagan d’utiliser des fonds publics pour la prévention et l’information et les conséquences meurtrières de ce désintérêt, la disparition des proches mais aussi l’organisation de la communauté pour prendre en charge les malades en fin de vie. J’ai trouvé ces rappels sur les débuts du sida fort intéressants.
C’est une lecture que j’ai apprécié. Je l’ai entamée en fin du mois des Fiertés et ça m’a donné l’idée que je pourrais, en juin 2025, organiser un mois thématique LGBTQI. Dites-moi ce que vous en pensez. Y en a-t-il parmi mes lecteur·ice·s qui seraient intéressé·e·s ?