En 1913 Mieczysław Wojnicz, jeune étudiant polonais de l’Empire austro-hongrois, atteint de tuberculose, séjourne au sanatorium de Göbersdorf, en Basse-Silésie. Il est logé à la pension pour messieurs gérée par Wilhelm Opitz. Là un petit groupe d’hommes venus de tout l’Empire tue le temps, entre deux soins et une randonnée, en buvant de la Schwärmerei, eau de vie locale, et en discutant politique, philosophie ou art. Quelque soit le sujet, ils dérivent souvent sur les femmes qu’ils connaissent peu et dont ils pensent beaucoup de mal. Olga Tokarczuk met dans la bouche de ses personnages un florilège de propos misogynes inspirés de textes d’auteurs anciens, classiques ou plus récents.
Mieczysław est un garçon doux et sensible dont la mère est morte en le mettant au monde. Il a été élevé par un père rigide incapable de signes d’affection qui l’a éduqué dans la honte de ce qu’il était et qu’il tache de dissimuler aux autres. A Göbersdorf Mieczysław dispose de temps à lui pour réfléchir à ce qu’il est et à ce qu’il veut être, ce qui lui permet peu à peu de s’émanciper de l’autorité paternelle.
Et puis il y a les Empouses, narratrices du roman, sortes de démons féminins, esprits de la nature, qui observent tout ce qui se passe dans la vallée et particulièrement Mieczysław.
J’ai apprécié cette lecture que j’ai trouvé plaisante mais il me semble que les précédents romans de l’autrice que j’ai lus m’avaient fait plus forte impression. Il y a de belles descriptions de la nature, comme Olga Tokarczuk sait le faire, et une intéressante réflexion sur la réalité du monde et ce que nos sens nous permettent d’en percevoir.
Olga Tokarczuk, Récits ultimes, Le livre de poche
Trois récits, trois femmes confrontées à la solitude.
Après un accident de voiture, Ida trouve refuge chez un couple de personnes âgées qui habitent une maison isolée et l’hébergent le temps qu’elle reprenne ses esprits. Dans ce lieu comme hors du temps Ida revoit des épisodes de sa vie. En rêve elle croise sa mère et sa fille. Elle pense à son mariage raté, à son ex-mari qu’elle revoit de loin en loin malgré leur divorce, non par envie mais par habitude et faute d’avoir su lui dire non.
Paraskewia, dite Parka, la mère d’Ida, vit dans une maison isolée au dessus d’un village de montagne et aujourd’hui coupée du monde par la neige alors que son mari, Petro, vient de mourir. Tout en s’activant pour signaler la situation au village, Parka se souvient du passé. Parka et Petro sont des exilés qui ont dû quitter leur région d’origine suite aux changements de frontières de la Pologne après la seconde guerre mondiale. Enceinte jeune fille Parka a dû épouser un homme qu’elle n’aimait pas. Ses sentiments pour le mort sont un mélange de colère, d’agacement mais aussi une forme de tendresse due à une longue vie commune.
Maya, la fille d’Ida, séjourne en Malaisie avec son fils de onze ans. Officiellement c’est pour écrire un guide touristique mais Maya semble surtout tenter de fuir un grand mal être.
Même si ces trois femmes sont liées par des relations de parenté, les trois récits sont indépendants et pourraient se lire séparément. Le point commun ici est la réflexion sur le sens de la vie. L’autrice excelle à transcrire les pensées de ses personnages, la façon dont elles vagabondent. Il y a aussi de très belles descriptions des paysages et de la nature, nature enneigée de Pologne, fonds sous-marins de Malaisie. Ida et Parka sont plus attachantes que Maya dont le lecteur reste un peu à distance. Son récit est d’ailleurs rédigé en focalisation externe alors que celui de ses mère et grand-mère l’est en focalisation interne. C’est un ouvrage que j’ai apprécié, plus particulièrement les deux premiers récits, donc.
L’avis de Keisha.
Olga Tokarczuk, Histoires bizarroïdes, Noir sur blanc
Ce recueil regroupe dix nouvelles, histoires bizarroïdes, étranges, parfois un peu inquiétantes avec des personnages propulsés soudain dans une réalité parallèle. Les nouvelles sont de longueur variable, certaines très courtes (3 pages), d’autres plus développées. L’intérêt aussi m’a paru inégal. Parfois je n’ai pas bien compris où l’autrice voulait en venir, voire même je n’ai pas compris la chute -s’il y en avait une. Celles que j’ai préféré font partie des plus longues.
Les enfants verts. Au 17° siècle un médecin écossais qui a longtemps vécu en France est devenu le premier médecin du roi de Pologne. A l’occasion d’un séjour en Volhynie, deux enfants « sauvages » sont capturés. Ils ont, entre autres particularités, la peau légèrement verte. Cette nouvelle, rédigée sous la forme du journal du médecin, oppose la nature, représentée par les enfants verts, à la culture, représentée par le narrateur. Ici il apparaît que les enfants, quelque soit leur couleur, sont plus proche de la nature que les adultes.
Le transfugium. Dans un futur transhumaniste une femme accompagne sa soeur qui a décidé de subir un processus de transfugation. Je trouve un point commun avec Les enfants verts dans l’incompréhension des proches devant un désir de retour à la nature -ici très radical, il est vrai.
La montagne de Tous-les-Saints. La narratrice est une psychologue qui a mis au point de tests qui permettent de prédire de façon sûre ce qu’un adolescent deviendra. Elle est recrutée en Suisse par une organisation qui veut tester un groupe de jeunes. Sa mission est top-secret et elle ne sait pas quel est le but de la recherche.
J’ai lu ce recueil facilement et sans déplaisir. Olga Tokarczuk rend bien les sentiments de ses personnages, attire l’attention du lecteur sur les plaisirs simples de la vie et donne à réfléchir.
Olga Tokarczuk, Sur les ossements des morts, Libretto
« Un pays est à l’image de ses animaux. De la protection qu’on leur accorde. Si les gens ont un comportement bestial envers les animaux, aucune démocratie ne pourra leur venir en aide. Pas plus qu’autre chose d’ailleurs. »
Janina Doucheyko, la narratrice, vit dans un hameau isolé de Pologne, à la frontière avec la République tchèque. Cette retraitée est l’une des rares habitantes à l’année sur ce plateau où l’hiver dure sept mois.Les deux autres sont Matoga et Grand Pied -des surnoms qu’elle leur a donnés- également vieux célibataires. Quand Grand Pied est retrouvé mort, étouffé par un os de la biche qu’il était en train de manger, Janina ne regrette guère ce voisin déplaisant, grossier et braconnier. Mais voilà que d’autres hommes de la ville voisine sont retrouvés morts. Tous étaient chasseurs et il semblerait que des animaux étaient présents sur le lieu de chacune des morts. Les victimes ne sont certes pas des personnages positifs dans ce roman : ils sont violents et peu respectueux de la loi. Qu’ils se présentent en défenseurs de la culture et protecteurs des animaux excède Janina.
J’ai trouvé sympathique la narratrice, personnage excentrique qui place les êtres vivants à égalité, animaux ou humains et qui se passionne pour l’astrologie. Elle se procure les dates de naissance des victimes, dresse leur thème astral et en conclu qu’ils ont été tués par des animaux qui se vengeaient de ces chasseurs. Elle écrit de nombreuses lettres à la police pour lui signaler ses conclusions et passe bientôt pour une vieille folle. Elle a heureusement des amis fidèles qui savent la femme intelligente et attentive aux autres qu’elle est et sur lesquels elle peut compter.
J’ai apprécié la description de la nature dans laquelle vit Janina. Sa solitude face aux éléments me fait parfois penser à l’héroïne du Mur invisible. J’ai apprécié le regard ironique et intelligent que la narratrice porte sur elle-même. Il y a une réflexion sur les souvenirs et le vieillissement qui me touche. J’ai apprécié l’intérêt porté aux animaux et à la préservation de l’environnement. C’est donc un roman que j’ai apprécié.
Olga Tokarczuk, Dieu, le temps, les hommes et les anges, Robert Laffont
Antan est un village polonais situé au centre de l’univers et dont les quatre frontières, nord, sud, ouest et est, sont gardées par les archanges Raphaël, Gabriel, Michel et Uriel. Le roman suit la vie du village et de ses habitants de 1914 jusque vers la fin du 20° siècle. La narration tourne beaucoup autour de Misia, née au début de la Première Guerre Mondiale, et de ses proches. Chaque chapitre raconte une petite tranche de vie, le temps d’un personnage, ou d’un animal, ou d’une plante, ou d’un objet, ou… Certains de ces chapitres pourraient presque se lire comme de petites histoires indépendantes.
Il est question de la naissance, de l’amour et de la mort; de comment un brave hommes devient un criminel de guerre; du rôle ou de l’existence de Dieu; du sens de la vie, en fait. Le tout est empreint de merveilleux, l’écriture poétique avec de belles descriptions d’une nature vivante où les arbres et les bêtes pensent et ressentent à leur façon. L’autrice fait preuve d’une grande imagination, il y a des choses très bien vues, de l’humour fin : c’est un régal de lecture.
Cerise sur le gâteau, ce que je lis sur Wikipédia sur Olga Tokarczuk me la rend très sympathique. C’est une belle découverte pour moi et je remercié Eva, Patrice et Goran de l’avoir provoquée avec leur mois de l’Europe de l’est.
L’avis de Kathel.
Je participe aussi au défi Voix d’autrices, catégorie Conte.
Par la fenêtre de ma chambre d’hôtel -2
Une amie s’inquiète auprès de moi du peu d’activité sur ce blog depuis quelque temps. C’est que je suis surchargée de travail (travail classique, si je puis dire, plus un examen que je prépare cette année) et que mon rythme de lecture en pâtit (La Révolution de Margerit compte 600 pages et je n’en lis que fort peu chaque jour). Fin mai, début juin les épreuves seront passées et je pourrai souffler. En attendant cette époque, quelques clichés qui me rappellent des vacances dans des lieux lointains ou plus proches mais où en tout cas on n’a pas de soucis de travail. Bon courage à tous ceux qui attendent les vacances !
Hôtel Campanile, Lublin, Pologne
Hôtel Italia, Cuenca, Equateur
La Barquita, Las Tunas, Equateur
Le Relais de poste, Arles, France
Le pêcheur matinal, La Roque, France
Crestfield Hotel, Londres, Royaume-Uni
Hôtel Beauséjour, Toulouse, France
Par la fenêtre de ma chambre d’hôtel -1
L’occasion de séjourner en hôtels ces derniers temps m’a donné l’idée de cette série pour laquelle j’ai repris aussi des clichés plus anciens.
Awabai mansion, Bombay, Inde
Hotel Imperial supreme, Chennaï, Inde
Novotel Bronowice, Cracovie, Pologne
Sultan Hostel, Istanbul, Turquie
Bastoncu Pension, Safranbolu, Turquie
Akya Otel, Ankara, Turquie
Christopher R. Browning, Des hommes ordinaires, Texto
Le101° bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne
La « solution finale » en Pologne c’est la shoah par balles, ce sont les ghettos, c’est la déportation vers les centres de mise à mort. Qui étaient les hommes qui ont été les exécutants de cette extermination? A partir de l’exemple du 101° bataillon de réserve de la police allemande Christopher R. Browning montre qu’il s’agissait rarement de nazis fanatiques avides de tuer des juifs mais la plupart du temps d’hommes ordinaires que les circonstances ont amenés à commettre le crime de génocide.
Au cours des années 1960 des hommes du 101° bataillon ont été jugés pour leur participation à la shoah. Une centaine ont été interrogés à cette occasion. C’est sur les archives de ce procès que Christopher R. Browning s’appuie pour rédiger son livre. J’ai trouvé ce livre très intéressant. A la fois par ce qu’il m’a appris sur le déroulement de la solution finale en Pologne et à la fois sur la question qu’il pose des responsabilités individuelles.
La présente édition est suivie d’une longue postface dans laquelle Christopher R. Browning répond à Daniel Jonah Goldhagen qui a travaillé peu après lui sur les mêmes documents et en a tiré des conclusions inverses : le 101° bataillon était composé de nazis convaincus qui ont volontiers participé à l’extermination des juifs. Cette postface permet de mieux comprendre la façon de travailler de l’auteur et ce qu’il entend par « hommes ordinaires ». Il y cite notamment les expériences de Milgram qui montrent comment, poussés par une autorité scientifique, des étudiants ont été prêts à infliger des chocs électriques à d’autres personnes. On a parlé récemment de cette expérience en France à propos d’une émission de télé qui s’en inspirait.