Nicholas Fandorine est un historien britannique d’origine russe (sa grand-mère a fuit la Russie en 1920). A la fin des années 90 il met pour la première fois le pied sur la terre de ses ancêtres. Il vient pour entreprendre des recherches sur Cornelius Von Dorn, le fondateur de la lignée des Fandorine en Russie au 17° siècle. Il est muni d’un demi-parchemin hérité de Cornelius et compte consulter aux archives à Moscou l’autre moitié de ce document. Cette tâche en apparence facile ne sera pas de tout repos. Vol de ses affaires, poursuites, tentatives d’assassinat : il semble que les mafias russes s’interressent aux recherches de Fandorine. Notre héros traverse tout cela en Candide que sa fraîcheur sauve de bien des situations périlleuses.
Boris Akounine alterne un chapitre des aventures de Nicholas Fandorine et un chapitre de celles de son ancêtre Cornelius Von Dorn. Ainsi on apprend comment s’organisait la vie autour du tsar à la fin du 17° siècle, on découvre les manoeuvres de palais. L’ouvrage est très bien documenté et on retrouve toujours cet humour fin et jubilatoire qui caractérise l’auteur. Un régal.
Edition actualisée et définitive d’un essai paru d’abord en 1981.
En s’appuyant sur des sources nombreuses, l’auteur montre que la guerre a toujours existé et existera toujours. Trop de personnes y trouvent leur intérêt pour qu’il puisse en être autrement. D’abord les dirigeants politiques dont elle musèle l’opposition en même temps qu’elle résoud les problèmes de chômage ou de délinquance. Bien sur les marchands d’armes et les divers profiteurs de guerre.
C’est pourquoi, malgré les apparences (traités de paix, de désarmement, de non prolifération…) personne ne souhaite réellement la paix durable et « les hauts personnages qui éclairent notre route, nos respectables chefs, chefs de tout poil, chefs de gouvernement, chefs d’état-major, chefs de parti, chefs syndicalistes, chefs de rubrique, chefs de bureau, (…) sur les ondes, dans la presse, dans les conversations, dans les réunions diplomatiques défendent avec un ensemble impressionnant le principe qui sape à la base tout projet de coopération efficace entre les peuples : celui de la souveraineté nationale. »
L’auteur rappelle aussi le caractère injuste et brutal de la guerre. Des extraits de lettres de soldats de différentes époques et de différents pays montrent la même horreur face à la violence aveugle. Mais ce n’est que au coeur de la tuerie monstrueuse que ces vérités apparaissent car quelques mois plus tôt, les mêmes hommes (ou leurs frères) sont partis la fleur au fusil et quelques mois plus tard, s’ils en réchappent, ils feront d’excellents anciens combattants, prêts à éduquer les générations suivantes.
Enfin, l’épilogue est effrayant. Jean Bacon y explore les formes que pourrait prendre (fatalement) la 3° guerre mondiale. Guerre atomique, guerre bactériologique ou guerre des étoiles ?
« Désormais, il est en notre pouvoir de construire une machine qui constituerait le point culminant de la course aux armements, l’aboutissement de la logique dissuasive. Son action ne comporte aucune parade, il ne peut exister aucun missile, aucun satellite d’interception, aucun rayon de la mort qui ait la moindre emprise sur elle, pour la bonne raison qu’elle est au-delà de tout marchandage, de toute menace de représailles, qu’elle représente l’engagement suprême, irrévocable : le pays qui en dispose se suicide sur place, détruisant avec lui le reste du monde. Les Américains l’ont plaisamment baptisée « la machine du jugement dernier ». Elle coûterait au bas mot une centaine de millions de dollars – une bagatelle ! Ce serait le dernier mot de la science. »
Au total une thèse plutôt convaincante (hélas !) et une vision très pessimiste des hommes et de leur avenir. Moi qui suis d’une nature plus optimiste j’objecterai que les raisons d’espérer ont été moins creusées que celles de désespérer. Et je terminerai en citant le rapport « guerre et paix au 21° siècle » (Le Monde du 19 octobre 2005) qui montre que depuis la fin de la guerre froide les guerres dans le monde sont moins nombreuses (« le nombre de conflits armés a été réduit de 40% depuis 1992« ) et moins meurtrières (« en 1950 une guerre faisait en moyenne 38 000 morts, en 2002 cette moyenne chute à 600 morts« ).
S’agit-il d’un épiphénomène ou d’une tendance de fond ? Là est la question.
J’ai longtemps hésité à lire ce livre car je n’avais pas bien aimé Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part (recueil de nouvelles, du même auteur, chez le même éditeur) mais on me l’a tant de fois recommandé et finalement l’affirmation : « Comme tu as de la chance de ne pas l’avoir encore lu ! » m’a convaincue.
Ne pas se laisser impressionner par ce pavé de 600 pages. Il se lit très facilement car la narration est essentiellement composée de dialogues rapides.
C’est l’histoire de trois dépressifs, trois adultes qui ont été mal aimés par leurs parents et qui ont bien des difficultés à digérer cette enfance douloureuse. Camille, artiste peintre, a cessé de créer par manque de confiance en elle et travaille dans une entreprise de nettoyage de bureaux. Franck, cuisinier, cache sa sensibilité en grognant et en roulant des mécaniques. Et Philibert de la Durbelière, élevé dans la nostalgie de la chevalerie, est totalement inadapté à la vie dans le monde contemporain. Une improbable rencontre va réunir ces trois personnages, ils vont habiter ensemble, se lier d’amitié (et d’amour), s’épauler et apprendre, ensemble, à apprécier la vie.
Un livre et des personnages sympathiques cependant, d’après moi, on reste ici dans de la littérature à l’eau de rose car il manque une profondeur de réflexion. Je ne peux m’empêcher de comparer avec Paul Auster qui traite des mêmes sujets (l’amitié et les rencontres salvatrices) avec en plus, justement, cette profondeur qui amène le lecteur à réfléchir sur lui-même.
Narendra Jadhav est économiste de formation. Il a travaillé comme cadre dirigeant du FMI puis comme haut fonctionnaire au ministère des finances du gouvernement indien. Il est issu d’une famille très modeste (parents illettrés), des dalits, des intouchables.
Dans le système indien des castes, les dalits sont placés si bas que leur seul contact provoque la souillure. Ce sont littéralement des intouchables. Quand on leur fait l’aumône, on leur jette la nourriture ou on leur verse l’eau dans les mains pour éviter de les toucher. Autrefois, leurs ancêtres portaient un pot attaché autour du cou pour que leurs crachats ne souillent pas le sol sur lequel marchent les hautes castes.
Le système des castes repose sur la croyance en la réincarnation : les Hindous croient que si on est né intouchable c’est en raison de ses mauvaises actions dans une vie antérieure. C’est donc un sort mérité et se révolter contre ce système serait contester une organisation décrétée par Dieu lui-même.
Ce livre raconte l’histoire de Damu, le père de l’auteur, premier de sa famille à avoir, à partir des années 1920, lutté contre l’exclusion dont il était victime. Le chemin de Damu croise celui du Dr Babasaheb Ambedkar, intouchable lui-même, défenseur de l’égalité entre les hommes et qui a lutté pour l’abolition des castes. Le Dr Ambedkar est aussi le principal rédacteur de la constitution indienne. Constitution qui ne reconnaît pas la division en castes.
Fervent partisan du Dr Ambedkar, Damu conduit sa famille sur la voie de l’émancipation en poussant ses enfants à faire des études.
Bien que les castes aient été officiellement abolies en 1950, le livre montre qu’aujourd’hui encore elles jouent un rôle entre les personnes, particulièrement à la campagne.
Un livre intéressant, un personnage volontaire et intègre qui ne dévie pas de la voie qu’il s’est fixée, malgré les difficultés.
J’ai découvert Paul Auster l’été dernier avec la lecture de l’excellent Léviathan et j’ai été conquise. Depuis j’ai placé Paul Auster au rang de mes auteurs favoris et j’ai entrepris de combler mon retard dans la lecture de son oeuvre.
Le voyage d’Anna Blume n’est pas un livre dans lequel on entre facilement mais une fois qu’on a fait cet effort il se révèle finalement prenant. Ce n’est cependant pas l’ouvrage de Paul Auster que j’ai préféré.
L’histoire étrange se passe dans une ville en partie détruite, une ville d’après la fin du monde, une ville ghetto. Les habitants survivent d’expédients, la violence règne. Anna Blume est venue dans cette ville chercher son frère qui a disparu. Elle rencontre diverses personnes. Des relations d’amitié et de solidarité se nouent malgré l’extrême précarité des conditions de vie.
Omegus Jones donne une réception dans sa propriété de campagne. Parmi les invités Bertie Rosythe un célibataire convoité par deux jeunes veuves, Gwendolen Kilmuir et Isobel Alvie. Les tensions sont vives entre ces deux femmes, impatientes de se « caser » mais dans cette haute société corsetée par les conventions, elles ne s’expriment qu’à fleurets mouchetés. Cependant, entraînée par ses sentiments, Isobel s’exprime trop violemment et, quand, le lendemain, on retrouve Gwendolen noyée dans l’étang de la propriété, chacun accuse sa rivale de l’avoir poussée au suicide. Les invités décident alors qu’Isobel ira en pélerinage expiatoire informer la mère de Gwendolen de ce qui s’est passé. Seule son amie, lady Vespasia Cumming-Gould, soutient Isobel et lui promet de l’accompagner dans ce difficile voyage.
Cette lady Vespasia est la même, un peu plus âgée, quelques années plus tard, que l’on retrouve dans les aventures de William Monk et d’Esther latterly, du même auteur. On est bien ici dans la ligne des autres ouvrages d’Anne Perry : même milieu « convenable » et hypocrite, même époque victorienne. Cependant, vu la minceur du livre (125 pages) l’étude des personnages est forcément moins fouillée que ce à quoi elle nous a habitués. J’imagine que vu son succès l’éditeur s’empresse de publier tout ce qu’elle a écrit.
Le septième épisode des aventures du médecin Isaac de Gérone.
La série débute vers 1350 et a pour principal personnage un médecin juif aveugle qui vit dans le call (le quartier juif) de Gérone en Espagne. Isaac est le médecin attitré de Berenguer de Cruilles, évêque de Gérone et protecteur des Juifs de sa ville. Pour l’assister dans ses soins aux malades, Isaac est secondé par sa fille Raquel et son apprenti Yusuf. Lors de leurs consultations et visites, il leur arrive fréquemment de rencontrer des cas de maladie ou de mort suspectes. En travaillant auprès de l’évêque ils sont amenés à avoir connaissance de secrets politiques. Leur sagacité est mise à l’épreuve mais bien sur la vérité finit toujours par triompher.
Cette série est particulièrement réussie car elle allie à de bonnes enquêtes policières une description précise et vivante de la vie dans le call de Gérone (quand Isaac passe à table, on en a l’eau à la bouche). Les personnages sont attachants. Isaac est un homme tolérant et ouvert, Raquel une jeune fille vive et enjouée. Quant à Yusuf, s’il rechigne à accomplir des tâches fastidieuses, c’est avant tout un grand coeur.
Cet épisode commence par un raid de pirates sur le village de Sant Feliu de Guixols. Lors de l’attaque, un jeune homme, qui s’était présenté comme Ruben, fils de Faneta de Majorque, disparaît. Quelques mois plus tard, un autre jeune homme arrive à Gérone en prétendant lui aussi être Ruben, le fils de Faneta. Dans le même temps, plusieurs personnes meurent d’empoisonnement. Comment les deux affaires sont-elles liées ? Qui est -où est- le vrai Ruben ? Quel est le mobile de ces crimes ? Isaac devra utiliser toutes ses alliances -dont Daniel, le fiancé de Raquel- pour résoudre ces énigmes.
Le héros et narrateur, Marco Stanley Fogg n’a jamais connu son père. Sa mère est morte quand il était encore enfant et il a été ensuite élevé par son oncle. L’histoire commence à la mort de l’oncle. M. S. Fogg se retrouve seul au monde. Mais laissons plutôt Paul Auster nous raconter lui-même ce qui va se passer, il le fait si bien. Le livre débute ainsi :
« C’était l’été où l’homme a pour la première fois posé le pied sur la Lune. J’étais très jeune en ce temps-là, mais je n’avais aucune foi dans l’avenir. Je voulais vivre dangereusement, me pousser aussi loin que je pourrais aller, et voir ce qui se passerait une fois que j’y serais parvenu. En réalité j’ai bien failli ne pas y parvenir. Petit à petit, j’ai vu diminuer mes ressources jusqu’à zéro; j’ai perdu mon appartement; je me suis retrouvé à la rue. Sans une jeune fille du nom de Kitty Wu, je serais sans doute mort de faim. Je l’avais rencontrée par hasard peu de temps auparavant, mais j’ai fini par m’apercevoir qu’il s’était moins agi de hasard que d’une forme de disponibilité, une façon de chercher mon salut dans la conscience d’autrui. Ce fut la première période. A partir de là, il m’est arrivé des choses étranges. J’ai trouvé cet emploi auprès du vieil homme en chaise roulante. J’ai découvert qui était mon père. J’ai parcouru le désert, de l’Utah à la Californie. Il y a longtemps, certes, que cela s’est passé, mais je me souviens bien de cette époque, je m’en souviens comme du commencement de ma vie. »
Cette première page est à relire après avoir tourné la dernière car c’est seulement alors qu’on sait que ce résumé qui semblait au départ un peu étrange dit parfaitement ce qu’est le livre. L’auteur nous parle de genèse, de rencontres et de voyage initiatiques. On retrouve ici des thèmes assez récurents chez Paul Auster, il me semble. Tout ceci est fort bien écrit et jamais ennuyant : il y a de l’aventure et une réflexion philosophique.
Voici le 19° épisode des aventures de Charlotte et Thomas Pitt.
Londres, à la fin du 19° siècle, on découvre un cadavre sur le perron de la maison du général Balantyne, un ami de Charlotte. L’homme a été assassiné. Qui est le mort ? Pourquoi a-t-il été assassiné et par qui ? Le général est-il coupable ou a-t-on amené le corps là pour le compromettre ? En menant l’enquête Charlotte et Thomas découvrent que le général était victime d’un étrange chantage : on l’a menacé de le calomnier mais sans rien exiger en échange qu’un objet de modeste valeur (retrouvé dans la poche du mort). De toute évidence les deux affaires sont liées, mais comment ? Nos héros apprennent petit à petit que d’autres personnalités de la haute société sont victimes du même chantage.
Comme toujours chez Anne Perry, l’enquête est prétexte à sonder les âmes et les coeurs. dans cet épisode on fait un peu plus connaissance avec l’inspecteur Tellman, adjoint de Pitt. D’origine modeste, celui-ci professe un solide mépris pour cette haute société qui se considère supérieure aux autres. Dès le début, la culpabilité de Balantyne ne fait aucun doute pour lui. Il devra admettre que lui-même n’est pas exempt de préjugés ni d’un sentiment de supériorité.
Le narrateur, Paul Blick, né en 1950, raconte sa vie de 1958 à 2003. Le temps se mesure aux mandats présidentiels successifs qui donnent leurs noms aux chapitres : Charles de Gaulle, Georges Pompidou, … L’histoire du personnage suit et recoupe l’histoire de la V° République.
Le livre est fort bien écrit. Tout le début -la jeunesse du narrateur jusqu’à son mariage- est excellent. Ensuite ça m’a moins plu, notament pour des raisons politiques. Le narrateur est un gauchiste indécrottable et ses prises de position théoriques ne collent pas toujours avec ses choix de vie (si choix il y a car cela semble souvent plutôt subi). La fin est dramatique.
Au total une réflexion sur la vie oscillant entre le doux-amer et le désespéré.
Attention, ça commence très fort :
« Et ma mère tomba à genoux. Je n’avais jamais vu quelqu’un s’affaisser avec autant de soudaineté. Elle n’avait même pas eu le temps de raccrocher le téléphone. J’étais à l’autre bout du couloir, mais je pouvais percevoir chacun de ses sanglots et les tremblements qui parcouraient son corps. Ses mains sur son visage ressemblaient à un pansement dérisoire. Mon père s’approcha d’elle, raccrocha le combiné et s’effondra à son tour dans le fauteuil de l’entrée. Il baissa la tête et se mit à pleurer. Silencieux, terrifié, je demeurais immobile à l’extrémité de ce long corridor. En me tenant à distance de mes parents, j’avais le sentiment de retarder l’échéance, de me préserver encore quelques instants d’une terrible nouvelle dont je devinais pourtant la teneur. Je restais donc là, debout, en lisière de la douleur, la peau brûlante et l’oeil aux aguets, observant la vitesse de propagation du malheur, attendant d’être soufflé à mon tour. Mon frère Vincent est mort le dimanche 28 septembre, à Toulouse, en début de soirée. La télévision venait d’annoncer que 17 668 790 Français avaient finalement adopté la nouvelle Constitution de la V° République.«