L’histoire se déroule à Pont-Aven en 1886. Clémence de Rosmadec, jeune fille de bonne famille, vient passer l’été chez sa grand-mère, dans la maison familiale de la Josselière. Clémence est peintre et compte bien profiter de son séjour pour perfectionner son art -peut-être au contact de M. Gauguin, encore peu connu mais dont elle admire le travail.
Mais voilà que dès les premier jours Clémence découvre le cadavre d’une jeune femme, modèle peu farouche qui posait nue -et plus si affinités- pour les peintres des environs. C’est Gildas, ami d’enfance de Clémence, qui est désigné comme le parfait suspect pour ce crime. Mais notre héroïne ne croit pas à la culpabilité du jeune marin et va tout mettre en oeuvre pour l’innocenter.
Avec ce roman Yves Josso a manifestement voulu instruire le lecteur sur les peintres de Pont-Aven, la querelle des académiques et des impressionnistes; les us et moeurs de la Bretagne et même la musique classique puisque la mère de Clémence se trouve être une concertiste internationale. Tout ceci fait un peu beaucoup d’autant plus que les personnages ont trop souvent tendance à s’écouter parler et à réciter leur leçon : le style est parfois lourdement didactique, les informations, sans doute intéressantes, arrivent de façon peu naturelle. Cette maladresse n’est guère rattrapée par l’intrigue criminelle mollasse. Cela se laisse lire finalement mais il est peu probable que je lise le deuxième épisode de cette série que l’on m’a prêté avec le premier.
Hélène Berr, Journal, Tallandier
En 1942 Hélène Berr avait 21 ans, elle était issue d’une famille de la bourgeoisie intellectuelle parisienne, elle était étudiante en Anglais à la Sorbonne et elle était Juive. En avril 1942 elle commence son journal et le tient jusqu’en novembre. En août 1943, après une interruption de neuf mois, elle reprend la plume jusqu’au 8 mars 1944, date à laquelle elle est arrêtée avec son père et sa mère. Déportée à Auschwitz, transférée à Bergen-Belsen par une « marche de la mort », elle y meurt en avril 1945.
Le journal montre bien comment l’étau qui se referme petit à petit sur Hélène et sa famille affecte son caractère. En 1942 il y a encore de l’insouciance, du plaisir à se promener dans les rues de Paris. Hélène rencontre un jeune homme, Jean Morawiecki, et en tombe amoureuse. A partir du lundi 8 juin il lui faut porter l’étoile jaune (elle dit l’insigne) et elle s’interroge sur le comportement à avoir :
« A ce moment-là, j’étais décidée à ne pas le porter. Je considérais cela comme une infamie et une preuve d’obéissance aux lois allemandes.
Ce soir, tout a changé à nouveau : je trouve que c’est une lâcheté de ne pas le faire, vis-à-vis de ceux qui le feront.
Seulement, si je le porte, je veux toujours être très élégante et très digne, pour que les gens voient ce que c’est. Je veux faire la chose la plus courageuse. Ce soir, je crois que c’est de le porter. »
Dans la rue on la regarde parfois de travers mais il y a aussi des manifestations de sympathie. Elle dit que c’est difficile puis donne l’impression de surmonter cette épreuve et n’en parle plus. Des fois elle porte l’étoile, des fois elle ne la porte pas. Le 26 novembre 1942, Jean quitte Paris pour gagner la France libre, Hélène arrête d’écrire.
Quand elle se remet à son journal en 1943 l’ambiance a complètement changé. Autour d’elle des amis, des connaissances, de plus en plus nombreux, sont déportés. Hélène s’occupe, à l’UGIF, d’enfants dont les parents ont été arrêtés. Il n’y a plus d’insouciance. Elle traverse des moments d’abattement, elle a le sentiment que les autres (les non-Juifs) ne peuvent pas comprendre ce qu’elle ressent. Encore une fois, elle veut être courageuse.
La famille évoque la possibilité de quitter Paris, de se cacher, mais redoute la séparation tout en sachant que la déportation entraînerait une séparation. Il y a aussi une répugnance à quitter des lieux familiers, le refus de laisser penser que l’on a fuit. Ils se résolvent cependant à ne plus coucher chez eux. Ils sont arrêtés au matin de la première nuit où ils ont rompu avec cette décision.
C’est une lecture très émouvante qui, comme tous les récits individuels que j’ai lus sur le sujet, permet de mieux mettre le doigt sur la richesse des intelligences humaines et sur le gâchis effroyable qu’a été ce génocide. Je suis touchée aussi par le portrait en couverture. Elle avait un visage doux aux joues encore rondes de l’enfance et cette photo la fait paraître encore plus proche malgré toutes les années qui se sont écoulées depuis.
Stieg Larsson, La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette, Millénium 2, Actes sud
Dans ce deuxième épisode de la trilogie Millénium, c’est Lisbeth Salander qui se retrouve au coeur de l’action. Trois personnes ont été assassinées et les empreintes de Lisbeth retrouvées sur l’arme du crime. Elle devient alors l’ennemie publique n°1, traquée par toutes les polices du pays, présentée dans la presse à scandale comme une demeurée psychopathe. A Millénium Mikael Blomkvist (Super Blomkvist) ne croit pas à sa culpabilité et mène l’enquête. Il a en arrière-plan une investigation plus vaste sur le commerce du sexe et la traite des prostituées d’Europe de l’est.
Si on retrouve comme précédemment la même écriture parfois un peu fastidieuse, inutilement énumérative (Lisbeth fait ses courses : « Elle acheta du shampoing, du dentifrice, du savon, du lait caillé, du lait, du fromage, des oeufs, du pain, des petits pains à la cannelle congelés, du café, des sachets de thé, des cornichons, des pommes, un pack géant de Billys Pan Pizza et une cartouche de Marlboro light. Elle paya avec sa carte Visa. »), ce numéro 2 est un vrai thriller avec du suspens et un secret d’Etat. Je l’ai dévoré.
C’est intéressant aussi de découvrir en filigrane des aspects de la culture suédoise. J’ai remarqué ainsi que la question des éventuelles inégalités de traitement entre hommes et femmes était très présente. Je m’inscris illico pour le tome 3.
Albert Cossery, Mendiants et orgueilleux, Le livre de poche
Albert Cossery est mort en juin 2008. J’ai découvert son existence en lisant sa nécrologie dans Le Monde. C’était un personnage original qui se vantait de n’avoir jamais travaillé de sa vie (cela ne se faisait pas dans sa famille) et qui vivait à l’hôtel. Mendiants et orgueilleux était présenté comme son chef d’oeuvre et quand j’ai trouvé récemment chez mon bouquiniste cette vieille édition à un prix défiant toute concurrence j’ai donc sauté sur l’occasion.
Mendiants et orgueilleux, tels sont les héros de ce roman dont l’action se déroule au Caire dans les années 50. Il y a Gohar, un ancien professeur qui survit en faisant un peu de comptabilité pour un bordel de la ville indigène; Yéghen, petit escroc, petit trafiquant de drogue et El Kordi, employé aux écritures dans une administration dont la plus grande partie du salaire sert à rétribuer les collègues qui veulent bien faire son travail à sa place. Tous les trois se complaisent dans leur simplicité voire leur dénuement volontaire, se contentant de goûter la vie qui passe, de se réjouir des comportements absurdes de leurs contemporains.
« Devant une boutique vide il vit un homme d’un certain âge, aux vêtements soignés, assis dignement sur une chaise, et qui regardait passer la foule d’un air détaché et royal. L’homme avait une attitude majestueuse extraordinairement frappante. « Voilà un homme selon mon coeur », pensa-t-il. Cette boutique vide et cet homme qui ne vendait rien étaient pour lui une trouvaille inestimable. La boutique, Gohar le devinait, représentait simplement un décor ; elle lui servait pour recevoir ses amis et leur offrir une tasse de café. C’était là le comble de l’opulence et de la générosité. Gohar le salua comme une vieille connaissance et l’homme répondit à son salut avec un sourire suave, à peine perceptible, comme s’il comprenait qu’on l’admirait. »
Quand Gohar, en manque de hachisch, étrangle une jeune prostituée, il est ensuite fort surpris par son crime car il est étranger à toute violence. La mort de la pauvre fille est cependant vite oubliée, considérée comme une fatalité. En fait elle n’est que le prétexte pour faire entrer en scène l’officier de police Nour El Dine, chargé de l’enquête. Car il n’y a pas vraiment d’histoire dans ce roman, il s’agit seulement de nous présenter ces personnages qui ont fait de la paresse un art de vivre et qui fascinent Nour El Dine qui les considère comme des misérables et ne comprend pas comment ils peuvent avoir une si haute opinion d’eux-mêmes.
Quant à moi je n’ai été qu’à moitié convaincue par ma lecture. J’ai apprécié certaines descriptions pittoresques avec parfois une pointe d’humour. Par contre j’ai trouvé que pour des gens qui rejetaient tout ce qu’il est convenu de considérer comme un mode de vie bourgeois les personnages avaient parfois des opinions bien stéréotypées, notamment sur les femmes :
« Elle avait une mine revêche et l’air arrogant d’une femme pourvue d’un mâle ».
« Gohar était reconnaissant aux femmes, à cause de l’énorme somme de bêtise qu’elles apportaient dans les relations humaines ».
Je termine avec le pompon, à propos de Nour El Dine : « Il avait été habitué à plus de soumission de la part de ses jeunes amis ; mais aussi, c’étaient, pour la plupart, des êtres veules et sans caractère. Ils n’avaient pour eux que leur beauté : c’étaient presque des femmes ».
Pascale Haag et Blandine Ripert, L’Inde, idées reçues, Le cavalier bleu
Ce petit livre reprend un certain nombre d’idées reçues sur l’Inde et les analyse : d’où viennent ces idées, qu’ont-elles de vrai, en quoi sont-elles fausses ? Les auteures, chercheuses spécialistes de l’Inde, s’attaquent ainsi à « les Indiens sont fatalistes », « Gandhi est le père de la non-violence », « le système des castes paralyse la société indienne » et d’autres encore.
Plus facile d’accès que L’Inde, continent rebelle; L’Inde, idées reçues se situe un peu sur le même créneau et vient bien en compléter la lecture.
J’avais d’abord écrit que [Pascale Haag et Blandine Ripert n’étaient pas elle-mêmes à l’abri des idées reçues : « le cinéma bollywoodien présente, le plus souvent, ses héroïnes en position de victimes ». J’ai en mémoire certains personnages de mères vengeresses, incarnations de Kali, poursuivant les méchants jusqu’à la mort qui sera forcément violente.] mais Joël m’invite à nuancer mon propos (voir commentaires). Je retire donc le reproche que je faisais aux auteures d’être tombées dans l’idée reçue. Mais elles auraient écrit plus justement « le cinéma bollywoodien présente, de moins en moins souvent, ses héroïnes en position de victimes ».
Guy Deleury, L’Inde, continent rebelle, Seuil
Guy Deleury est un spécialiste de l’Inde où il a séjourné et voyagé tout au long de sa vie. Dans ce livre il fait le point sur un certain nombre d’idées fausses ou tronquées qu’on a de ce pays et de sa culture. La véritable culture indienne a été transformée (et pas en bien) par la colonisation. C’est à dire que pour gouverner, le colonisateur britannique s’est appuyé sur une fraction de la population, les brahmanes, leur donnant ainsi une prépondérance qui était loin d’être la leur auparavant. Guy Deleury développe donc sur une tradition mystique indienne selon laquelle chaque homme a la même valeur pour Dieu. Dans cette partie je n’ai pas tout saisi. A la fois parce que c’est un sujet qui ne me concerne guère et aussi j’ai eu l’impression que l’auteur était parfois un peu confus. (Mais peut-être que ceci explique cela).
Par contre j’ai trouvé beaucoup plus intéressant le chapitre « Le poids des castes ». Guy Deleury y décrit l’organisation traditionnelle villageoise avec les différentes jâti (on parle parfois de sous-castes) qui ont chacune leur rôle économique ou religieux à jouer. Enfin ce que j’ai appris sur la marche à l’indépendance de l’Inde m’a passionnée. J’ai réalisé que je n’avais encore rien lu de spécifique sur ce sujet et ça m’a donné envie de m’y mettre en commençant par une biographie de Gandhi. Guy Deleury présente de façon très vivante les grandes figures de l’indépendance : Gandhi, Jinnah, Nehrou, Ambedkar.
V. S. Naipaul, La moitié d’une vie, 10-18
Willie Somerset Chandran est le fils d’un brahmane et d’une mère de basse caste. Par rejet de l’avenir tout tracé que lui préparait sa famille, attiré par les discours des chefs du mouvement pour l’indépendance, le père de Willie a renoncé à ses études et a épousé la personne la plus humble qu’il a pu trouver. Cependant il méprise sa compagne pour ses origines et du coup ses enfants aussi :
« Je songeais : « Petit Willie, petit Willie, qu’est-ce que je t’ai fait là ? Pourquoi t’ai-je infligé cette souillure ? » Puis je me reprenais : « Mais non, c’est absurde. Il n’est ni toi ni l’un des tiens. Il n’y a qu’à voir son visage. Tu ne lui as infligé aucune souillure. Ce que tu as pu lui transmettre a disparu dans l’ensemble de son héritage. »
Cette idée de souillure, et de pureté qui va avec, me fait vraiment penser aux conceptions nazies sur la race.
Devenu jeune homme Willie a donc une bien piètre idée de lui même quand son père l’envoie à Londres pour y poursuivre ses études. Il s’y lie avec des « sang-mêlés » comme lui : Jamaïcains, métis africains. Il tombe amoureux d’Ana qu’il convainc de retourner avec lui dans son pays d’origine, une colonie portugaise d’Afrique de l’est. Là ils s’installent dans la plantation qu’Ana a hérité de sa famille, ils fréquentent d’autres planteurs « moitié-moitié » ou « Portugais de deuxième classe » : métis!
La moitié d’une vie est l’histoire d’un homme à qui il a fallu 41 ans (la moitié d’une vie) pour digérer l’humiliation de sa naissance et découvrir qui il était au fond. A 41 ans, il recommence de zéro.
J’ai trouvé tout le début du livre -une bonne moitié en fait- relativement ennuyeux à lire. Les personnages -le père puis Willie- semblent ballottés par les circonstances. Ils prennent des décisions dont les suites leur échappent et subissent les événements de leurs vies. J’ai plus apprécié la description de la société coloniale que fréquente Willie en Afrique et du lent délitement qui accompagne le pays vers son indépendance.
Jhumpa Lahiri, L’interprète des maladies, Folio
L’interprète des maladies c’est Mr. Kapasi, interprète pour un médecin dont un grand nombre de patients sont Gujaratis et qui ne parle pas cette langue. Le week-end Mr. Kapasi, qui parle aussi l’Anglais, est guide pour des touristes étrangers. Il emmène ainsi la famille Das, des Indiens expatriés, et Mrs. Das lui fait des confidences sur son mariage malheureux, pensant qu’il a l’habitude d’entendre les maux des autres.
A l’image de la famille Das, les personnages de ce recueil de nouvelles sont le plus souvent des Indiens (des Bengalis) expatriés en Angleterre ou aux Etats-Unis. Je suis très partagées en ce qui concerne la nouvelle comme genre littéraire. A la fois son format court m’attire mais en même temps je le trouve souvent aussi frustrant. Là, j’ai apprécié la plupart des histoires.
Le troisième et dernier continent est une de celles que j’ai préférées. A la fin le narrateur se souvient de ses premiers pas aux Etats-Unis où il arriva le jour où les hommes ont marché sur la lune et où il prit pension chez une très vieille dame. Il se souvient des premiers temps de son mariage, quand sa femme et lui étaient encore des étrangers l’un pour l’autre et du moment où ils commencèrent à se rapprocher.
« Alors que les astronautes, héros à jamais, n’ont passé que quelques heures sur la Lune, cela fera bientôt trente ans que je vis dans ce Nouveau Monde. Je sais que cela n’a rien d’extraordinaire ; bien d’autres avant moi, et après, sont allés chercher fortune loin de chez eux. Et pourtant il y a des moments où je suis frappé d’étonnement en pensant à tous les miles que j’ai parcourus, tous les repas que j’ai mangés, tous les gens que j’ai connus, toutes les pièces où j’ai dormi. Si ordinaire que tout cela paraisse, il y a des moments où cela dépasse mon imagination ».
Il y a une nostalgie de moments que le temps a adoucis en gommant les anxiétés dues à l’incertitude du lendemain et en ne laissant que les souvenirs les plus doux. Et en même temps que j’écris cela je repense avec plaisir à des repas que j’ai mangés, à des gens que j’ai connus, à des pièces où j’ai dormi.
Paul Harding, La taverne aux oubliés, 10-18
A La Nuit de Jérusalem, taverne du quartier de Southwark à Londres, en cette année 1380, les morts violentes se succèdent. Il semble que tout cela ait un lien avec le vol d’un trésor 20 ans plus tôt. Frère Athelstan, le secrétaire du coroner de Londres sir John Cranston, mène l’enquête.
J’ai été prise d’une soudaine envie de lire un livre dont l’action se déroule au Moyen-âge. J’avais laissé de côté ce dernier épisode d’une série qui ne me convainc qu’à moitié et j’ai rattrapé mon retard. Mon opinion n’a pas changé. C’est facile à lire mais pas vraiment palpitant. Voilà toujours mon envie de Moyen-âge étanchée pour le moment.
Vikram Seth, Deux vies, Albin Michel
A l’âge de 17 ans Vikram Seth quitta son Inde natale pour aller poursuivre ses études en Grande-Bretagne. Il fut accueilli à Londres par son grand-oncle Shanti (le frère de son grand-père maternel) et la femme de celui-ci, Henny, une Juive allemande. Ils n’avaient pas d’enfant et s’attachèrent à lui comme à un fils. Des années plus tard, à la mort de Henny, Shanti traversa une période de dépression. Sur la suggestion de sa mère qui pensait que cela pourrait distraire l’oncle, Vikram Seth commença à l’interroger sur sa vie dans l’optique d’en faire un livre. La découverte au grenier d’une caisse de la correspondance de sa tante permit d’ajouter l’histoire de Henny à cette biographie.
Shanti Seth fit ses études de dentiste à Berlin dans les années 30. Il était logé en pension chez les Caro, la famille de Henny. Il se lia à leur cercle d’amis. En 1936 il doit quitter l’Allemagne, ne pouvant y exercer en tant qu’étranger. Il s’installe alors en Grande-Bretagne. Quand la guerre éclate il s’engage dans l’armée britannique. Il perd son bras droit en 1944 à la bataille de Monte-Cassino.
Pendant ce temps, ayant perdu son emploi parce qu’elle est Juive, Henny a eu la chance de pouvoir quitter l’Allemagne pour la Grande-Bretagne en 1939. Elle entretient une relation épistolaire avec Shanti, ils se revoient après la guerre et se marient finalement en 1951. Beaucoup d’éléments de son histoire manqueraient si Vikram Seth n’avait pas retrouvé toute une partie de la correspondance qu’elle eut après la guerre avec des amis restés en Allemagne (des chrétiens ou des membres de couples mixtes, les Juifs sont partis ou morts). Elle cherche à savoir ce que sont devenues sa mère et sa soeur. Puis, quand elle apprend qu’elles ont été victimes du génocide, elle veut savoir qui parmi leurs amis est resté proche d’elles, qui les a aidées, qui s’en est détourné. A travers ses courriers et leurs réponses j’ai découvert aussi les dures conditions de vie en Allemagne, et plus particulièrement à Berlin, jusqu’au début des années 50.
De l’histoire des deux personnages c’est celle de Henny qui m’a le plus intéressée quoique Vikram Seth ait un don pour accrocher le lecteur. Au moment où Shanti soutient son doctorat il y a un développement sur la dentisterie positivement passionnant. Je n’aurais pas cru ça possible.
Un autre grand intérêt de ce livre c’est qu’en présentant son oncle et sa tante l’auteur se dévoile aussi. Moi qui avais beaucoup aimé Un garçon convenable j’ai appris que les membres de la famille Seth avaient servi de modèles aux personnages du roman. Ainsi Mrs Rupa Mehra est inspirée par la grand-mère de l’auteur, veuve prématurément d’un employé des chemin de fer. Quant au père de Vikram Seth c’était un cadre de Bata-Inde, mâchant du pan et portant des chaussures voyantes…
Vikram Seth lui-même m’épate. Il écrit très bien (cela je le savais déjà) et manie divers genres (roman, poésie, récit de voyage, livret d’opéra), il parle quatre langues (Hindi, Anglais, Allemand, Chinois) et en plus il apparaît comme fort sympathique. Je suis conquise. Ma PAL vient de s’augmenter d’un autre de ses romans et cela tombe très bien.
En vrac, je cite pour terminer deux passages, un amusant et l’autre émouvant.
L’auteur étudie à Stanford. « Peu après avoir commencé le cycle de cours obligatoires en macro- et micro-économie, je découvris que je ne pourrais pas me maintenir à niveau sans gaspiller un temps considérable à étudier. »
L’auteur évoque la mort de son oncle et de sa tante. « Je me rendis compte qu’à un certain point de notre existence, quand elle est longue, notre entourage se réduit à la petite troupe de ceux que nous avons connus. J’entretiens une sorte de conversation avec quelque-uns de mes amis décédés, mais souvent, je n’obtiens aucune réponse, et je suis envahi de chagrin. Je persiste, cependant, afin qu’ils ne soient pas oubliés, et surtout pour ne pas me retrouver complètement privé d’eux. »