Le narrateur est un journaliste de Delhi qui tente de faire survivre le magazine d’investigation qu’il a monté avec un associé. Un jour, il apprend par la télé qu’on vient d’arrêter cinq hommes qui avaient été engagés pour l’assassiner. Petit à petit, sans l’avoir cherché, il découvre les existences de ces cinq hommes et les circonstances qui ont fait d’eux des repris de justice.
Tous ont connu la violence depuis leur enfance. Violences des propriétaires terriens à l’encontre des paysans de caste inférieure. Violences inter-religieuses et violences policières. Violence quotidienne de la vie des enfants des rues de la gare de Delhi qui retrouvent des souvenirs de chaleur familiale en sniffant du Tipp-Ex. Ce sont toutes les plaies de l’Inde contemporaine qui nous sont présentées là, couronnées par celle qui leur permet de s’épanouir : la corruption généralisée.
Le résultat est prenant, triste et noir. L’auteur ne laisse aucune place à l’espoir. Dans ce monde c’est chacun pour soi même chez les privilégiés : le narrateur est un personnage peu sympathique, très méprisant pour toutes les personnes qu’il fréquente, même ses proches. Le seul à trouver grâce à ses yeux est son guru sans l’avis duquel il ne prend aucune décision.
Les avis de Lounima et Joël.
Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts, Points
Philip K. Dick, 1928-1982
Philip K. Dick, je connaissais par oui-dire : mon fils en est fan. L’été dernier j’ai lu La vérité avant dernière, surtout parce que je n’avais rien d’autre sous la main et je n’ai pas été particulièrement emballée. Si je me suis attaquée à sa biographie c’est en fait d’abord pour Emmanuel Carrère et ça m’a permis de découvrir ce personnage torturé, certes bien apte à intéresser Carrère.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, Philip K. Dick est un écrivain de science-fiction qui a eu un peu de mal à percer. Aujourd’hui il est reconnu comme un des maîtres du genre par les amateurs. Il était très perturbé et a été frappé à plusieurs reprises pendant son existence par des sortes de crises de folie paranoïaque. Alors il avait des visions qui le terrorisaient ou bien une révélation qui remettait tout à sa place. Le fond était toujours le même : nous ne vivons pas dans le monde où nous croyons vivre. On nous trompe d’une façon ou d’une autre : drogue dans l’eau du robinet ou émissions de télé qui nous endorment. Qui est ce « on » ? Les communistes, le FBI, l’empire romain, Dieu… et Dick est celui qui doit révéler aux autres la réalité. Ces livres ne sont donc pas des romans mais des rapports qui doivent éveiller nos consciences.
La vie de ce personnage frapadingue est proprement hallucinante (Dick avait d’ailleurs un peu forcé sur les substances prohibées) et Emmanuel Carrère le raconte beaucoup mieux que moi. Il nous présente aussi les principales oeuvres du maître. Cette lecture m’a donné envie de lire autre chose de Philip K. Dick, ne serait-ce que pour vérifier si par hasard Carrère ne raconte pas mieux les histoires de Dick que Dick lui-même. Et puis je crois que forcément, je ne lirai pas cela de la même façon maintenant que je connais un peu le fonctionnement de l’auteur.
Anna Funder, Stasiland, 10-18
Anna Funder est Australienne. En 1996 elle a vécu à Berlin où elle travaillait pour une radio. C’est alors qu’elle a commencé à s’intéresser à ce qu’avait été la vie dans l’ex-RDA, sous le regard de la stasi. Elle rencontre et interroge des victimes de cet Etat policier mais aussi des acteurs de la surveillance et de l’intimidation, à plusieurs niveaux de responsabilité.
J’ai beaucoup apprécié cette lecture que j’ai trouvé très intéressante. Certaines des histoires racontées m’ont fait froid dans le dos, notamment celle de Julia, la logeuse d’Anna Funder. Lycéenne brillante, particulièrement en langues, Julia voit les portes se fermer devant elle : elle n’est pas acceptée à la faculté de traduction et d’interprétariat et ne trouve aucun travail. Tout cela parce qu’elle a un petit ami italien et petit ami étranger = envie de quitter le pays. Convoquée pour un entretien elle découvre que presque toute sa vie est connue, toutes ses lettres ont été lues. Ce qui est bien montré c’est la torture qu’entraîne ce genre de procédé : si je ne suis pas admise, est-ce politique ou parce que je ne suis pas assez douée ?
Anna Funder s’investit personnellement dans son travail. Elle raconte ce qu’elle ressent et aussi des épisodes de sa vie personnelle qui interfèrent avec ses recherches. Au début j’ai trouvé que c’était de trop et qu’on n’en avait rien à faire mais finalement ça contribue à rendre l’ouvrage vivant et sympathique.
Baronne Orczy, Le serment, Presses de la cité
A la veille de la Révolution le jeune vicomte de Marny a provoqué en duel Paul Delatour et en est mort. Le soir même son vieux père impotent a fait jurer à sa fille Juliette, 14 ans, de venger la mort de son frère.
5 ans ont passé, la Terreur bat son plein. Juliette Marny n’a pas oublié son serment, Paul Delatour est devenu un député modéré de la Convention, apprécié du peuple dont il a à coeur de soulager les misères. Juliette va se retrouver écartelée entre son devoir familial et ses sentiments amoureux.
Ah ! Ah ! Je pensais attendre un peu avant d’attaquer cette deuxième aventure du Mouron Rouge mais je n’ai pas pu résister et je ne regrette pas. C’est le tribunal révolutionnaire qui condamne sur dénonciation anonyme qui est dans le collimateur ici. Il faudra encore l’intervention de l’intrépide Anglais, as du déguisement, pour arracher à la Révolution ses victimes innocentes.
L’image est une fleur de mouron rouge, bien sur.
Baronne Orczy, Le Mouron Rouge, Presses de la cité
Dans la collection Omnibus, ce gros bouquin (1238 pages) comprend l’intégrale des aventures du Mouron Rouge traduites en Français. 9 romans. Je crois que je vais les lire un par un.
Le premier épisode, Le Mouron Rouge, date de 1905. La baronne Orczy (1865-1947) est née en Hongrie. Elevée à Bruxelles et à Paris elle s’installe ensuite en Grande-Bretagne où elle se marie. Elle est l’auteur de romans policiers très populaires au début du 20° siècle mais c’est le Mouron Rouge qui fait sa célébrité. Plus d’infos sur la baronne et son oeuvre par ici. Quand j’étais adolescente j’ai lu avec plaisir ces aventures dans de vieilles éditions de la bibliothèque verte héritées de ma mère dont elles avaient fait les délices avant moi. Les vacances de Noël ont été l’occasion d’emprunter la présente édition chez mes parents. Je l’avais trouvée il y a bien 20 ans chez un bouquiniste.
Mais place à l’action. 1792, Marguerite Saint-Just, femme élégante et fine, fut la coqueluche du tout-Paris avant d’épouser Sir Percy Blakeney et de devenir un élément incontournable de la bonne société londonienne. En ces temps troublés un mystérieux Anglais qui signe le Mouron Rouge (une petite fleur) accomplit des exploits incroyables en arrachant à la guillotine des aristocrates français victimes de la Terreur. La malheureuse Marguerite est alors soumise à un horrible chantage : son frère chéri Armand, resté en France, républicain modéré, s’est compromis. Qu’elle livre des informations permettant de démasquer le Mouron Rouge sinon Armand sera exécuté. Que faire ? Trahir sa famille ou trahir l’honneur ? Marguerite ne sait auprès de qui chercher de l’aide et surement pas auprès de ce grand crétin de Sir Percy qui ne pense qu’à sa garde-robe…
Quel suspense ! Quelle tension ! Les excès de la Terreur sont de plus l’occasion de superbes descriptions de la populace parisienne : « Une foule grouillante, bruissante et houleuse d’êtres qui n’ont d’humain que le nom, car à les voir et les entendre, ils ne paraissent que des créatures féroces, animées par de grossières passions et par des appétits de vengeance et de haine. » Ca, c’est la première phrase du roman, la suite permettra de détailler plus sur la malpropreté et la grossièreté des partisans de la Révolution. A côté le peuple britannique est beaucoup plus sympathique, composé de « rustres vêtus de blouses brodées et à la physionomie joyeuse et colorée. »
Je me régale aussi à lire les tourments de cette pauvre Marguerite qui manque défaillir à plusieurs reprises. Quant au Mouron Rouge, c’est Zorro avant l’heure, ma parole ! Rien d’impossible pour ce héros qui une fois sa mission accomplie rentre dans l’ombre et devient totalement insoupçonnable dans son personnage de tous les jours.
Louis de Bernières, La mandoline du capitaine Corelli, Folio
A travers l’histoire de Pélagia, la fille du médecin de Lixouri, ville de l’île de Céphalonie en Grèce, c’est l’histoire de l’île (et de la Grèce) qui nous est racontée, pendant et après la deuxième guerre mondiale. Occupation italienne, occupation allemande, guerre civile, tremblement de terre, les malheurs se succèdent. Au milieu de tout cela, malgré les difficultés, les héros tentent de survivre en restant fidèles à leurs convictions.
Dans son style La mandoline du capitaine Corelli fait assez penser à Des oiseaux sans ailes, du même auteur et que j’avais beaucoup aimé: grande fresque sur fond d’histoire pas forcément très connue (en tout cas pas par moi), nombreux personnages, narration multiple laissant à l’occasion la parole à des personnages historiques. Mais là je suis plus réservée (déçue, peut-être, à la hauteur de mes attentes). J’ai trouvé certains personnages caricaturaux ou stéréotypés. Les soldats italiens sont de joyeux drilles amateurs de musique, de bon vin et de belles filles. Il n’y a qu’un seul fasciste en Italie, c’est Mussolini. Les soldats allemands, par contre, sont beaucoup plus rigides. Tous de bons nazis, ils ne plaisantent pas avec la supériorité de la race aryenne et les Grecs n’en font pas partie. Quant au communiste, c’est l’homme au couteau entre les dents. Le résultat c’est que si j’ai lu tout le début facilement, à la fin j’ai commencé à trouver ça fastidieux.
Restent des personnages attachants et sympathiques, un réel talent d’écriture et une histoire d’amour charmante et romantique qui m’a arraché une ou deux larmes. Ca m’a aussi donné une idée de l’histoire de la Grèce à cette époque. Un sujet à explorer plus à fond.
Bonne année
Un camélia, photo prise aujourd’hui dans mon jardin. L’hiver est doux. Que 2010 le soit à tous points de vue pour vous.
Bonne et heureuse année 2010 à tous ! Excellentes lectures!
Et j’en profite pour vous indiquer mon best-of de 2009 :
Louis de Bernières, Des oiseaux sans ailes, Folio
MG Vassanji, La troublante histoire de Vikram Lall, Rivages
Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, POL
Kazuo Ishiguro, Les vestiges du jour, 10-18
Frank Tallis, Du sang sur Vienne, 10-18
Emmanuel Carrère, La moustache, Folio
Un soir le personnage principal de ce roman décide de se raser la moustache pour faire une surprise à sa femme. Mais elle n’est pas surprise, même, elle fait comme si de rien n’était. Puis pressée de mettre fin à cette plaisanterie, elle prétend qu’il n’a jamais porté la moustache. Les amis, les collègues, adoptent la même attitude.
Imaginez, vous faites un acte en apparence anodin et soudain votre vie bascule. Vous entrez dans une sorte de dimension parallèle où votre réalité n’est plus celle des autres, où tout ce qui vous paraissait acquis s’effondre. Folie ? Complot ?
Voilà une lecture très prenante et dérangeante. La narration a fait que je me suis identifiée au personnage. C’est forcément lui qui a raison, pense-t-on. Puis on commence à se poser des questions. « L’histoire, en tout cas, finit forcément très mal » nous avertit la quatrième de couverture. Quant à moi j’ai trouvé la fin atroce. C’est le genre de chose qui me fait mal à le lire. Je l’ai terminé hier matin et j’en ai des flash qui me sont revenus régulièrement dans la journée. A déconseiller absolument à qui a les idées noires ou doute à l’occasion de sa santé mentale.
Arnaldur Indridason, L’homme du lac, Points
En commençant à se vider le lac de Kleifarvatn a découvert un squelette qui reposait jusque là par 4 mètres de fond. Il était lesté par un vieil émetteur de radio d’origine soviétique. La police soupçonne que l’assassinat remonte à l’époque de la guerre froide et imagine que la victime avait pu être impliquée dans une affaire d’espionnage. C’est l’inspecteur Erlendur qui mène l’enquête. Il s’intéresse aux disparitions non élucidées de la fin des années 60, s’acharnant sur des détails qui paraissent anodins à ses collaborateurs, comme la perte de l’enjoliveur d’une Ford falcon noire en 1968.
Dans les années 50 des étudiants islandais membres du parti communiste obtiennent des bourses de la RDA pour poursuivre leurs études à l’université de Leipzig. Sur place ils découvrent la réalité du « paradis communiste ». Certains se voilent la face ou s’accommodent du décalage entre la théorie et la pratique, d’autres s’imaginent qu’ils peuvent manifester leur opposition. Mieux aurait valu pour eux ne pas quitter leur pays et conserver leurs illusions. « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru » dit Erlendur.
Voilà encore un excellent épisode des enquêtes d’Erlendur qui nous entraîne cette fois jusque dans une salle d’interrogation de la stasi. L’histoire des malheureuses victimes de l’idéologie communiste est passionnante et pathétique. Quant à notre héros, il fait connaissance avec son fils. J’ai beaucoup aimé et dès que possible je vais mettre la main sur le dernier épisode paru qu’il me reste à lire.
Boris Akounine, Bon sang ne saurait mentir, 10-18
Bon sang ne saurait mentir est le deuxième épisode des aventures de Nicholas Fandorine, le petit-fils d’Eraste Petrovitch Fandorine. Boris Akounine nous raconte deux histoires simultanément. Celle de notre héros se déroule dans la Russie d’aujourd’hui. Enlevé par des malfrats prêts à tout pour parvenir à leur but Nicholas se voit forcé de travailler pour eux en échange de la vie de ses enfants. Son éducation de gentleman britannique ne l’a guère préparé à la noirceur qu’il découvre au fur et à mesure qu’il perce à jour une machination diabolique. Heureusement il peut compter sur son intelligence et sur la chance héritée de son ancêtre.
Parallèlement nous suivons aussi les aventures de Mitia, un petit surdoué de six ans, placé à la cour de Catherine 2 pour la distraire. Ayant eu fortuitement connaissance d’un complot Mitia est obligé de fuir pour sauver sa vie. Le ressort comique est l’opposition entre la précocité intellectuelle de Mitia et sa naïveté face aux choses de la vie.
Boris Akounine découpe ses deux histoires en chapitres qui s’alternent, changeant de personnage toujours à un moment de forte tension. Le lien est fait par la fin de chaque chapitre dont l’idée est reprise dans le début du suivant : « Et que deviendrai-je après cela ? Si tant est qu’un cadavre puisse devenir quelque chose. Non, sérieusement, quand demain on l’emportera, que sera-t-il advenu de moi ? » « Nous verrons cela demain, déclara Danila en réponse à la question que venait de lui poser Mitia d’une voix misérable ».
Au début les deux histoires semblent n’avoir aucun rapport entre elles si ce n’est qu’elles se déroulent en Russie puis petit à petit on découvre ce qui unit les personnages en même temps que leurs aventures se ressemblent de plus en plus. Il y a beaucoup d’humour et on n’a jamais aucun doute sur le fait que les gentils vont gagner. La question est plutôt comment vont-ils se sortir de ce mauvais pas car l’auteur se plaît à semer des embûches sur leur route. Tout ceci fait de Bon sang ne saurait mentir un vrai roman-feuilleton que j’ai lu avec beaucoup de plaisir. C’est le genre de lecture qu’une fois commencée j’ai du mal à lâcher mais en même temps je redoute le moment où j’en aurai terminé. Heureusement, il y a deux tomes.