L’histoire se déroule au Bengale, au début du 20° siècle. Nikhil et Bimala sont mari et femme. Nikhil est ouvert aux idées modernes. Il offre des vêtements occidentaux à sa femme, a engagé une gouvernante anglaise pour lui apprendre la langue et la pousse à lire des oeuvres d’auteurs contemporains. Très amoureux de sa femme il aimerait avoir la certitude que Bimala l’aime pour lui-même et non pas par devoir. Pour cela il pense que si elle menait une vie moins recluse, qu’elle sorte et qu’elle rencontre des personnes extérieures, elle pourrait le choisir vraiment. Mais Bimala se satisfait de son sort de servante de son seigneur et maître.
Arrive Sandip, ami de Nikhil et agitateur nationaliste. Bimala l’a toujours considéré comme un pique-assiette mais après avoir assisté à un de ses discours elle est séduite par son énergie. Elle demande alors à son mari à rencontrer Sandip avec lui. Nikhil est d’abord content de cette manifestation d’indépendance puis assiste à l’émergence d’une passion entre Bimala et Sandip qui s’est installé sous son toit et ne semble pas pressé de repartir.
Nikhil et Sandip sont deux personnages aux caractères très différents. Nikhil est un modéré à la recherche de la vérité et des nuances qui permettent de l’atteindre. Pour lui rien n’est jamais tout noir ou tout blanc. C’est un seigneur local mais il refuse de se servir de son pouvoir pour imposer ses idées même s’il est persuadé qu’elles sont justes. De même dans ses relations avec sa femme : il ne fait rien pour l’éloigner de Sandip alors qu’il en aurait la possibilité. Pour cela son entourage, et Bimala la première, le considère parfois comme un mou.
Sandip pense au contraire que pour obtenir ce que l’on souhaite tous les moyens sont bons -le mensonge, la violence, car le monde se donne à ceux qui savent le prendre :
« Ma théorie de la vie m’oblige à croire que tout ce qui est grand est cruel. La justice convient aux hommes du commun; aux grands hommes seuls est réservée l’injustice. La surface de la terre était plate : le volcan l’a percée de sa corne enflammée et s’est créé lui-même sa montagne; sa justice ne s’est pas exercée envers ce qui lui faisait obstacle, mais envers lui-même. La réussite dans l’injustice et dans la cruauté, voilà la seule force qui a donné fortune et pouvoir aux individus et aux nations. »
Sandip s’entoure d’adolescents qu’il subjugue par son charisme et qui lui servent d’hommes de main. Ses idées et son comportement m’ont parus dignes d’un fasciste et je me suis souvenue que certains nationalistes indiens avaient été attirés par le nazisme.
J’ai trouvé ce livre intéressant. Rabindranath Tagore montre bien que les hommes doivent passer avant les idées et quels sont les dangers d’un nationalisme qui prétend lutter pour le pays tout en piétinant son peuple. « Tyranniser pour le pays, c’est tyranniser le pays » dit Sandip à Bimala qui veut le convaincre de faire confisquer les marchandises étrangères vendues sur son marché. Un autre personnage dit aussi que « le pays, ce n’est pas la terre, ce sont les hommes que cette terre nourrit ».
La narration alterne les récits des trois personnages principaux, Bimala, Nikhil et Sandip, chacun analysant les événements tels qu’il les a perçus et dévoilant ainsi sa conception profonde de la vie. J’ai mis un certain temps à me faire au style que j’ai trouvé souvent alambiqué, peut-être vieilli ? A moins que ce ne soit dû à la traduction qui ne semble pas dater d’hier non plus.
Rohinton Mistry, L’équilibre du monde, Le livre de poche
Après un court mariage Dina s’est retrouvée veuve et elle cherche un moyen de subvenir à ses besoins afin de ne pas dépendre de la charité de son frère. Elle engage d’abord deux tailleurs, Ishvar et son neveu Om, pour travailler chez elle à façon. Dina sert d’intermédiaire entre ses employés et un grossiste. Ishvar et Om sont des Chamaars, des basses-castes astreints au dépeçage des animaux morts qui se sont élevés en apprenant -contre les traditions et non sans difficultés- un autre métier.
Dina décide aussi de sous-louer sa chambre à un étudiant, Manek, un Parsi comme elle, le fils d’une ancienne camarade de classe. Les quatre protagonistes vont se lier d’amitié et leur association improbable va durer pendant un an avant que les dures réalités de la vie ne viennent les séparer.
L’équilibre du monde est d’abord une histoire d’amitié avec une réflexion sur les souvenirs et la mémoire. Rohinton Mistry nous dit qu’il faut profiter de l’instant présent car le temps coule. Un personnage remarque que les souvenirs sont toujours tristes : des événements désagréables on se souvient sans joie et on regrette les moments heureux. Un autre dit que « l’ensemble est beaucoup plus important que chaque pièce qui le compose ».
Dans ce roman l’auteur donne toute leur place aux miséreux de l’Inde : basses-castes de la campagne assujettis à leur sort par les castes supérieures qui s’entendent pour les exploiter; petits métiers des grandes villes habitant les bidonvilles; mendiants. Ils sont victimes de toutes les injustices et de la corruption des puissants mais il existe une solidarité entre eux.
Enfin le cadre historique est celui de l’année 1975, quand le premier ministre Indira Gandhi, désavouée par le parlement a décrété l’état d’urgence pour se maintenir au pouvoir. Les brutalités policières s’accroissent, il y a une volonté de « nettoyer » les centres-villes : les bidonvilles sont rasés, les mendiants chassés et des campagnes de stérilisation forcée sont organisées.
Malgré quelques péripéties qui m’ont semblé peu vraisemblables j’ai trouvé ce roman sympathique et plaisant à lire.
Boualem Sansal, Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller, Gallimard
Rachid Helmut (Rachel) et Malek Ulrich (Malrich) sont deux frères de père allemand et de mère algérienne. Ils ont été élevés dans une cité de la banlieue parisienne par un ami de leur père tandis que leurs parents restaient dans leur village d’Aïn Deb. En 1994 26 habitants du village -dont les parents Schiller- sont massacrés par des terroristes. A cette occasion les deux frères découvrent le passé de leur père : un ancien SS réfugié en Algérie après la deuxième guerre mondiale.
Rachel, l’ancien bon élève, se sent responsable des actes de son père et se plonge dans les ouvrages sur la shoah, accumulant des informations techniques dans l’espoir de comprendre le rôle de celui-ci dans l’extermination des Juifs.
Malrich traine avec ses copains et vit de petits boulots épisodiques. Pour lui l’islamisme qui frappe l’Algérie et qui se répand dans sa cité fonctionne sur les mêmes ressorts que le totalitarisme et doit être combattu. Les autorités françaises (ici en la personne d’un commissaire de police) sont accusées d’aveuglement face à ce danger.
La découverte du secret paternel et les bouleversements que cela entraîne pour Rachel et Malrich sont présentés sous forme de journal. En variant les styles Boualem Sansal a habilement rendu les personnalités des deux frères. Le résultat est poignant.
D. H. Lawrence, L’amant de lady Chatterley, Folio
En 1917, à l’occasion d’une permission, Clifford Chatterley a épousé Constance. Ils ont connu une semaine de lune de miel puis il est reparti à la guerre. Moins d’un an plus tard il en revient grièvement blessé, paralysé de la moitié inférieure du corps. Clifford et Constance s’installent à Wragby, demeure familiale des Chatterley, située dans les Midlands, près de Sheffield. C’est une région industrielle, les Chatterley sont propriétaires de mines de charbon, depuis leur domaine on voit le puits de mine et les maisons des mineurs, on sent l’odeur du charbon qui brûle en permanence.
Dans ce cadre peu réjouissant Constance se fait la garde-malade de Clifford. Ils font chambre à part et la seule intimité physique qu’ils ont c’est quand elle le lave. Certes il est impuissant mais on pourrait imaginer une tendresse et un contact autre que directement sexuel. Cela n’existe pas entre eux. Ce que j’ai compris c’est que Clifford est naturellement peu chaleureux et que même s’il n’avait pas été blessé il n’aurait pas été très proche de sa femme. Celle-ci tombe petit à petit dans la dépression et dépérit. Quand sa soeur s’en aperçoit elle oblige Clifford à prendre une infirmière à domicile, Mrs Bolton, qui va aussi se charger de requinquer Constance. Elle la pousse à sortir prendre l’air, à se promener dans le bois qui entoure la maison. C’est ainsi que Constance rencontre Olivier Mellors, le garde-chasse de son mari, dont elle devient la maîtresse.
Voilà un livre où il ne se passe pas grand chose. Le but de Lawrence c’est de disserter sur le monde moderne et sur les relations entre hommes et femmes.
Le monde moderne : Lawrence déplore l’industrialisation croissante des campagnes anglaises. Dans le même temps les hommes sont de plus en plus attachés à l’argent. En gagner plus devient le but de la vie. Ce qui fait le malheur des ouvriers, pense Olivier Mellors, c’est qu’ils sont attachés à satisfaire des besoins artificiels. S’ils pouvaient se contenter de vivre selon la nature, ils s’apercevraient qu’ils sont beaucoup plus riches qu’ils ne croient. Et il imagine une société utopique dans laquelle les hommes porteraient des pantalons rouges moulants qui leur rappelleraient les vraies valeurs (!)
J’ai été surprise de découvrir la description d’une société qu’on peut déjà, par certains aspects, qualifier de société de consommation. Dans la préface il est dit qu’en 1930 il n’y avait plus que 5% d’actifs dans l’agriculture en Grande-Bretagne. En France on a du arriver à ce chiffre à la fin des années 1980. C’est cet aspect du roman qui m’a le plus intéressée.
Les relations entre hommes et femmes (le sexe) : Lawrence reproche aux femmes modernes de vouloir se donner du plaisir par elles-mêmes en étant actives pendant l’acte sexuel. C’était le travers de Constance (elle a eu d’autres amants avant Mellors). Mais avec lui (qui est un vrai homme, pas domestiqué) elle découvre qu’en se laissant faire, en abandonnant toute volonté, elle retourne à l’état de nature et atteint à une jouissance supérieure. Je ne suis pas d’accord avec Lawrence et je me demande de quelle autorité il vient nous faire des leçons sur le plaisir féminin. On en apprend beaucoup moins sur le plaisir masculin.
Au total un roman qui adopte un point de vue réactionnaire, glorifiant un mythique passé, forcément supérieur au temps présent; peu d’action; des théories fumeuses assénées sans nuances. Et pourtant ça m’a pris ! J’ai apprécié le témoignage sur une société en pleine mutation. Il montre très bien aussi à quel point la première guerre mondiale a traumatisé toute une génération.
Rohinton Mistry, Une simple affaire de famille, Le livre de poche
L’histoire se déroule de nos jours à Bombay, dans la communauté parsie. Quand le vieux monsieur Nariman Vakeel se casse la cheville en tombant dans la rue et doit garder le lit il est accueilli dans la famille de sa file Roxanna. Commence alors une cohabitation difficile, l’appartement de deux pièces étant déjà trop petit en temps normal et le salaire de Yezad, le mari de Roxanna, tout juste pour faire vivre quatre personnes. Yezad vit difficilement ces difficultés financières. Cela entraîne des disputes avec sa femme et le pousse à essayer de trouver de l’argent par différents moyens qui ne donnent pas les résultats escomptés.
Jehangir, le fils cadet de la famille, un garçon sensible, est heureux de la présence de son grand-père. il aime parler avec lui. Puis, à mesure que la santé du vieil homme décline, il le rassure dans ses périodes de cauchemars. Car Nariman revit des épisodes de son mariage malheureux. Amoureux d’une jeune femme chrétienne avec qui il a eu une liaison de plus de dix ans il a finalement été obligé, sous la pression continuelle de ses parents, d’épouser une parsie. Une simple affaire de famille est aussi une critique de l’extrémisme religieux et des pratiques bornées qui vont avec, à l’intérieur de la communauté parsie et à l’extérieur puisqu’un des personnages secondaires est une victime des émeutes anti-musulmans de 1993.
J’ai beaucoup aimé ce livre que j’ai trouvé très bien écrit. les personnages sont attachants et il y a de belles descriptions de la vile de Bombay. J’ai découvert les Parsis et certains aspects de leur religion et ça m’a donné envie d’en savoir plus sur ce sujet.
Julie Otsuka, Quand l’empereur était un dieu, 10-18
Pendant la deuxième guerre mondiale, après l’attaque américaine sur Pearl Harbour (décembre 1942) les Américains ont interné dans des camps de prisonniers les personnes d’origine japonaise vivant dans le pays. Ils étaient accusés d’être des espions à la solde de l’empereur, une cinquième colonne préparant l’invasion des Etats-Unis.
Dans Quand l’empereur était un dieu, Julie Otsuka raconte l’histoire d’une famille japonaise de Berkeley. Le père a été arrêté au lendemain de Pearl Harbour. La mère et ses deux enfants (11 et 8 ans) sont déportés quelques mois plus tard vers un camp situé dans le désert de l’Utah. Tous ne seront libérés qu’après la fin de la guerre, plus de trois ans plus tard.
Julie Otsuka écrit dans un style apparemment détaché. Les personnages ne sont jamais nommés. Ils sont désignés comme « la femme », « le père », « la fille », « le garçon ». Malgré cela ils apparaissent comme très vivants et il n’y a rien de froid dans la narration grâce notamment aux dialogues particulièrement bien observés entre le frère et la soeur ou entre les enfants et leur mère. Sans s’appesantir l’auteur dit très bien les difficultés de l’internement et de la séparation d’avec le père puis du retour à une vie normale, entourés de voisins qui vous regardent de travers. J’ai beaucoup aimé ce petit livre.
Timeri N. Murari, Taj, Picquier
Ce roman raconte l’histoire d’amour entre Shah Jahan, empereur moghol au début du 17° siècle et Arjumand, impératrice sous le nom de Mumtaz-i-Mahal. Après la mort de son épouse adorée, Shah Jahan fit construire pour elle le Taj Mahal. La narration alterne un chapitre de l’histoire d’amour et un chapitre de la construction du mausolée.
L’histoire d’amour : elle nous est racontée par la voix de trois narrateurs : Shah Jahan, Arjumand et Isa, fidèle serviteur d’Arjumand. Entre Shah Jahan et Arjumand, ce fut le coup de foudre au premier regard. Elle avait 12 ans, lui 16. Hélas des raisons politiques allaient retarder le mariage qu’ils souhaitaient tous les deux car Shah Jahan était prince héritier et son père voulait qu’il fasse des unions politiques. Enfin leur persévérance eut raison des obstacles bien qu’arjumand eut atteint l’âge limite de 17 ans. Commencent alors 18 ans de mariage qui pour Arjumand sont 18 ans de grossesses. A peine remise d’une fausse couche ou d’un accouchement, elle était de nouveau enceinte et c’est en donnant le jour à son quatorzième enfant qu’elle mourut. Pour le couple bientôt suivi d’une ribambelle d’enfants c’est aussi de longues pérégrinations à travers l’empire sur les ordres de l’empereur Jahangir, père de Shah Jahan, lequel n’accéda au trône que deux ans avant la mort de sa femme.
Arjumand était la nièce de Mehrunissa dont j’ai lu l’histoire précédemment dans La vingtième épouse. Dans Taj Mehrunissa apparaît comme une intrigante, uniquement intéressée par le pouvoir que lui confère son mariage avec Jahgangir.
La construction du Taj Mahal : elle dura vingt ans et mobilisa 20 000 ouvriers venus de tout l’empire. Elle nous est racontée à travers l’histoire de l’un d’entre eux, Murthi, un sculpteur qui a quitté son village avec sa famille pour venir travailler sur ce chantier gigantesque. Malgré cette tentative de personnalisation le récit reste assez technique. C’est intéressant néanmoins. J’ai appris des tas de choses passionnantes sur les techniques de construction et la vie à cette époque mais c’est cela qui fait aussi, à mon avis, que ce roman n’est pas des plus prenants.
« Il faudrait des années avant que les fondations soient achevées. Les plans prévoyaient une série de piliers, entourés par des puits et reliés entre eux par de robustes arches. L’intérieur de ces puits serait rempli par des rochers et l’espace les séparant solidement maçonné. Les piliers supporteraient le poids énorme de la tombe, pendant que les puits empêcheraient les infiltrations d’eau de la Yamuna. Les briques seraient imperméabilisées pour les siècles à venir en étant immergées dans de la graisse chaude. Le mortier lui aussi était spécial, il était constitué d’un mélange de chaux éteinte, de sucre brut, de lentilles, de coquilles d’oeufs, de coquillages écrasés et de gomme d’arbre. »
Et on n’en est qu’aux fondations ! Vous comprenez que l’argent n’était pas un problème.
Indu Sundaresan, La vingtième épouse, Le livre de poche
Ce roman se déroule dans l’Inde des Moghols, à la fin du 16° siècle et au début du 17°. La période couvre la fin du règne de l’empereur Akbar et le début du règne de son successeur, son fils Jahangir. Le personnage central est Mehrunnisa qui fut la vingtième (et dernière) épouse de Jahangir. Après leur mariage, elle gouverna l’empire pour son époux, toujours dans l’ombre, comme il seyait aux femmes à cette époque.
L’histoire va de sa naissance à son mariage avec l’empereur. La légende rapporte que Mehrunnisa était tombée amoureuse à l’âge de huit ans de celui qui n’était encore que le prince Salim. Huit ans plus tard ils se croisèrent pour la première fois et il l’aima dès le premier regard mais leur amour devrait attendre encore longtemps. Quand il l’épousa, c’était une vieille de 34 ans (on considérait que passé 18 ans une fille n’était plus mariable), elle était veuve et mère d’une jeune enfant. Son père était un courtisan en disgrâce, son frère et son mari avaient été exécutés pour avoir comploté contre l’empereur. Tous ces éléments semblent prouver qu’en effet, il s’agissait bien d’un mariage d’amour.
Avec ce roman nous découvrons la vie à la cour du Grand Moghol. Familière de l’impératrice Ruqayya, femme d’Akbar, Mehrunnisa a grandi dans le harem impérial. Les innombrables femmes, concubines et esclaves qui ne vivent que pour attirer un instant l’attention de leur seigneur tuent le temps en colportant toutes sortes de ragots, en s’adonnant à la consommation de sucreries, d’alcool ou d’opium (Jahangir lui-même est un alcoolique drogué). Les proches de l’empereur, fils ou ministres, complotent pour obtenir plus de pouvoir. Au milieu de toutes ces turpitudes, Mehrunnisa est un ange de patience et d’intégrité. L’histoire de son mariage avec Jahangir est racontée par Indu Sundaresan dans Le festin de roses.
Michel de Grèce, Le rajah Bourbon, Le livre de poche
Il existe en Inde, à Bhopal, une famille qui porte le nom de Bourbon et qui se croit descendante du Connétable de Bourbon qui trahit François 1° en 1523. Le Connétable aurait eut un fils caché, Jean, lequel, après de nombreuses péripéties, serait venu en Inde où il a servi sous le Grand Moghol Akbar. Michel de Grèce part des maigres sources existant pour imaginer quelle a été la vie aventureuse de Jean de Bourbon.
Le gros reproche que j’ai à faire à ce roman c’est de ne nous épargner aucun cliché. Jean évolue dans un monde en noir et blanc où un seul regard permet de juger un homme sur sa mine. François 1° ? « Le menton fuyant caché par la barbe trahit sa faiblesse de caractère ». Anne de Beaujeu, belle-mère du Connétable ? « Le front trop grand et trop bombé révèle un cerveau d’une capacité exceptionnelle ». Quant à Jean lui-même, s’il n’est pas sur de ses origines, tout le monde le lui dit : « ton allure ne trompe pas, tu es à n’en pas douter le rejeton d’une très grande famille ». Comme cela serait pratique si c’était pareil dans la vraie vie. Pratique ou un peu effrayant ?
J’avais déjà remarqué ce défaut dans La femme sacrée mais dans ce dernier roman l’aspect historique était beaucoup plus étoffé et faisait l’intérêt de la lecture. Finalement, dans Le rajah Bourbon, le plus intéressant ce sont les dix pages de bibliographie commentée placées à la fin. Michel de Grèce y présente ses sources et en donne des extraits. Elles confirment que « durant le règne du grand Akbar, environ vers 1557 ou 1559, un Européen appelé Jean de Bourbon arriva à la cour de Delhi. Il se disait Français et descendant d’une des plus nobles familles du pays ».
Ce qui est intéressant aussi c’est la description de la vie à la cour d’Akbar. J’ai appris que c’était un homme tolérant qui avait une épouse chrétienne à qui il permettait de pratiquer son culte. Il avait fait venir près de lui des prêtres des différentes religions pour qu’ils discutent entre eux et dans l’espoir qu’ils arriveraient à un syncrétisme. Ca m’a donné envie d’en savoir plus sur ce personnage.
La lecture du rajah Bourbon était aussi un bon prétexte pour revoir Jodhaa-Akbar, un film d’Ashutosh Gowariker. C’est l’histoire d’amour de Jodhaa (Aishwariya Rai) et d’Akbar (Hrithik Roshan). Jodhaa était une princesse hindoue qui répugnait à épouser un musulman. Des raisons politiques imposaient cette union à laquelle elle posa deux conditions : pouvoir conserver sa religion et avoir son oratoire au palais. Et elle tomba amoureuse de ce mari si tolérant. Le film peut laisser penser que Jodhaa était la seule femme d’Akbar alors qu’en fait il en avait un plein harem.
Le film raconte aussi la prise du pouvoir par Akbar. A sa majorité il dût lutter contre ses proches qui assuraient la régence. Cela ne fut pas toujours facile. Michel de Grèce raconte comment il s’est débarrassé de son frère de lait : « s’ensuivit un corps à corps au cours duquel Akbar réussit à jeter par la fenêtre Adham Khan. Celui-ci tomba dans la cour mais n’était pas mort. Akbar ordonna de le ramasser, de le ramener dans le harem et il le jeta une deuxième fois par la même fenêtre, cette fois-ci sans que le ministre survive ». Cette scène violente est reprise dans le film.
Jodhaa-Akbar est un film historique à grand spectacle. Il y a des batailles pleines de bruit et de fureur où interviennent des éléphants caparaçonnés qui écrasent les fantassins ennemis. Il y a de somptueux costumes et de magnifiques palais. Il y a des traitres qui complotent et Hrithik Roshan nous fait profiter de son impressionnante musculature. C’est joli mais cela ne me touche pas beaucoup. Par contre cela rend sympathique le personnage d’Akbar. Enfin le film comprend (comme pas mal de Bollywood) un hymne à la grande Inde (Hindustan) unie où hindous et musulmans vivent en paix.
Rupa Bajwa, Le vendeur de saris, J’ai lu
Agé de 26 ans, Ramchand est vendeur dans un magasin de saris. Cependant sa routine quotidienne le satisfait de moins en moins. Il se rappelle alors les souhaits que son père, prématurément disparu, faisait pour lui : l’inscrire dans une école anglophone pour qu’il ne soit pas toute sa vie un boutiquier. Ramchand décide alors de se remettre à l’étude et fait l’emplette de deux ouvrages : « Correspondance usuelle » et « Pages immortelles-pour écoliers de tous âges » et d’un dictionnaire d’Anglais.
Le lieu de travail de Ramchand, la Sevak Sari House, est aussi l’endroit où deux mondes se côtoient sans se rencontrer. Le monde privilégié et protégé des riches clientes et celui plus modeste des employés. Ramchand découvre qu’un mur le sépare de la bourgeoisie quand il essaye de trouver de l’aide pour une pauvre femme qu’un mariage malheureux a poussée dans une situation misérable. Cependant Rupa Bajwa montre aussi que même la position des femmes d’hommes d’affaires est très dépendante : de la bienveillance de leur mari ou de leur belle-mère, de leur capacité à enfanter un fils.
J’ai bien aimé ce roman bien que l’histoire soit très dure parfois et que la fin ne laisse que peu d’espoir d’une amélioration de la situation.