Un don est l’histoire de l’esclave Florens, séparée de sa mère à l’âge de huit ans, à la fin du 17° siècle, pour être donnée à un fermier en paiement d’une dette. Le roman alterne des passages qui sont des épisodes de la vie de Florens, racontés par elle-même, et l’histoire d’un certain nombre de personnages qui interviennent dans la vie de Florens, par un narrateur extérieur.
On rencontre les maîtres de Florens, Sir et Mistress, Jacob et Rebekka Vaark. Ce sont des libre-penseurs qui espèrent mener leur vie en indépendants, sans trop de relations avec la communauté anabaptiste voisine. A la ferme il y a aussi Lina, une esclave indigène; Sorrow, une fille trouvée un peu bizarre et occasionnellement Willard et Scully, deux travailleurs loués. Les travailleurs loués sont des esclaves blancs. Ils sont engagés, parfois tout jeunes, pour payer une dette -ou celle de leurs parents- ou en punition d’un délit quelconque. Leur peine a en théorie une durée déterminée mais est généralement prolongée pour une raison ou une autre.
J’ai trouvé intéressant de découvrir cette société américaine à une époque où le pays était encore peu peuplé, où il y avait encore des Indiens (des indigènes) en liberté. Toni Morrison montre les méfaits de la superstition de sectes venues là pour trouver la liberté religieuse et qui imposent leurs croyances aux plus faibles. Le thème principal reste le traumatisme pour Florens de la séparation d’avec sa mère. Je n’ai compris le sens véritable du titre qu’à la toute dernière page et ce fut un coup au coeur. Cette révélation teinte toute l’histoire de Florens d’un caractère encore plus tragique.
Toni Morrison est une de mes auteurs favoris et j’ai lu pratiquement tous ses livres. Elle m’a conquise avec Beloved. A l’époque je m’intéressais un peu à la question de l’esclavage aux Etats-Unis et j’avais lu plusieurs biographies ou récits d’anciens esclaves, livres de témoignages mais c’est avec Beloved, un roman, que j’ai eu le sentiment de comprendre vraiment ce que signifiait l’esclavage. Il me semble depuis que si la notion de péché, ou de Mal, a un sens, c’est ici une des situations où elle peut s’appliquer. Le critique du New York Times, repris en quatrième de couverture, compare Un don à Beloved. J’ai le souvenir que ce roman m’avait fait une impression plus forte que je retrouve à la dernière page de Un don.
MG Vassanji, La troublante histoire de Vikram Lall, Rivages
Vikram Lall, le héros et narrateur de ce roman, est un Indien du Kenya. Son grand-père y a immigré pour travailler à la construction de la voie de chemin de fer qui traverse le pays. Agé de 50 ans environ, réfugié au Canada, il se remémore les épisodes de sa vie, tachant d’expliquer ce qui a fait de lui « l’homme le plus corrompu d’Afrique ».
Le point de départ est en 1953. Vikram, alors âgé de huit ans, et sa soeur Deepa étaient amis avec un jeune Africain, Njoroge et des enfants de colons anglais, Bill et Annie. Ils jouaient souvent ensemble. Deepa était amoureuse de Njoroge et Vikram d’Annie. Mais un jour Bill, Annie et leurs parents sont massacrés par la guérilla Mau-Mau qui lutte pour l’indépendance du Kenya. Ce drame traumatise profondément Vikram et va marquer tout le reste de sa vie.
J’ai beaucoup aimé cet excellent roman. Malgré sa carrière d’intermédiaire de la corruption Vikram Lall est un personnage sympathique du fait de sa capacité à analyser son comportement et à reconnaître sa responsabilité. Les mécanismes de la corruption, la façon dont hommes politiques et fonctionnaires ont profité des largesses distribuées par leurs alliés de l’est ou de l’ouest dans le cadre de la guerre froide est bien montré.
J’ai trouvé passionnant aussi de découvrir l’histoire récente du Kenya. Il y avait dans ce pays une importante communauté indienne (dont est issu l’auteur). Ils ont d’abord été favorisés par le colonisateur par rapport aux Africains puis discriminés après l’indépendance. Ils occupaient souvent des emplois de commerçants prospères et ont été considérés (et traités) comme les Juifs de l’Afrique de l’est.
MG Vassanji fait un parallèle entre l’entrée de Vikram Lall dans la vie adulte et l’accession à l’indépendance de son pays. Alors tout semble possible : le Kenya est un pays neuf où une nouvelle société va naître, sans discriminations. Avec l’âge viennent les désillusions. Les promesses n’ont pas été tenues. C’est toujours une minorité qui détient pouvoir et richesse. Elle a changé mais elle utilise parfois les mêmes hommes de main que la précédente. Pourquoi ne pas prendre sa part ?
Tout cela est très bien menée
Mary Ann Shaffer et Annie Barrows, Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, Nil
En 1946 la Grande-Bretagne ne s’est pas encore remise des dégâts liés à la guerre. Il y a les tas de gravats des immeubles détruits de Londres, des personnes disparues dont on espère encore des nouvelles. Juliet Ashton est une jeune écrivain qui a acquis une certaine notoriété en écrivant des chroniques humoristiques sur la vie quotidienne pendant la guerre. Elle reçoit une lettre d’un fermier de l’île de Guernesey, Dawsey Adams, qui s’adresse à elle un peu par hasard. Il est à la recherche d’un livre et espère qu’elle pourra l’aider à se le procurer.
Dawsey fait partie du Cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey. Rapidement une correspondance se met en place entre Juliet, Dawsey et les autres membres du Cercle. Ils lui racontent leur goût pour la littérature et leur vie à Guernesey sous l’occupation allemande. Dès 1940 l’île a été quasiment coupée du monde jusqu’à la fin de la guerre, transformée en véritable camp retranché, soumise à un couvre-feu rigoureux. Puis Juliet se rend à Guernesey et y fait connaissance avec des personnages souvent excentriques et éminemment sympathiques.
Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates est un délicieux roman par lettres que j’ai dévoré en une journée. Il y a des considérations sur ce que la littérature peut apporter dans des circonstances très diverses (quand votre pays est envahi, si vous voulez séduire une femme…), une présentation des conditions de vie à Guernesey pendant la guerre (c’est ce qui est le plus intéressant, à mon avis) et une charmante romance. On y croise une brochette de personnages pittoresques et larges d’esprit : ils accueillent sans porter de jugement l’homosexuel comme la « fille de Boche ». Cet aspect est très plaisant mais, je pense, peu réaliste et vaguement anachronique.
Ce livre a été très lu et apprécié sur beaucoup de blogs. Je l’ai vu chez Charlie Bobine et Papillon qui donne aussi plein de liens. La critique avec laquelle je suis le plus d’accord est celle d’Isil. Pour moi, la conséquence immédiate de cette lecture est l’abandon de celle de La maharani par Gita Mehta, au Livre de poche et que je me trainais depuis trois semaines. Comme le dit l’un des membres du Cercle : « Lire de bons livres vous empêche d’apprécier les mauvais ».
Louis de Bernières, Des oiseaux sans ailes, Folio
Ce passionnant roman raconte la fin de l’empire ottoman avant, pendant et peu après la première guerre mondiale. Ces événements terribles sont vus de façon vivante à partir de l’histoire de la petite ville d’Eskibahtché, en Anatolie, et de ses habitants.
Depuis très longtemps musulmans et Grecs plus quelques Arméniens, y vivent en bonne entente. Chacun traite l’autre d’infidèle mais les musulmans n’hésitent pas à adresser leurs prières à l’icône de la Vierge en cas de besoin et les mariages mixtes sont acceptés. Ainsi il est acquis pour tous dès leur plus tendre enfance que la belle Philothéi épousera Ibrahim qui la suit partout comme son ombre. On croise aussi Iskander le Potier qui fabrique des sifflets qui imitent le chant des oiseaux; l’imam Abdulhamid Hodja, homme doux amoureux de sa jument Nilüfer. Pour ne pas tuer les tortues qui dévorent ses légumes il les ramasse dans un sac et va les relâcher plus loin. Il y a de nombreux personnages pittoresques et attachants et aussi, en parallèle, la biographie de Mustapha Kémal.
La première guerre mondiale va mettre fin à cette vie paisible. Privé de ses jeunes hommes (enrôlés dans l’armée pour les musulmans, dans les commandos de travail pour les chrétiens) le village s’appauvrit. Les habitants sont victimes des attaques de bandes de hors-la-loi composées pour partie de déserteurs. C’est dans une quasi-indifférence que les Arméniens sont déportés.
Au front on tient aux jeunes gens un discours islamiste : cette guerre est une guerre sainte qui oppose les musulmans aux Francs. Pourtant l’empire est allié avec l’Allemagne alors que des Arabes combattent pour la Grande-Bretagne. Le gouvernement grec espère profiter du conflit pour réaliser son idée de Grande Grèce ou ressusciter l’empire byzantin au moins jusqu’à Istanbul. Les populations civiles sont les victimes de ces idées nationalistes : selon les aléas du combat les Grecs massacrent des musulmans puis les Turcs massacrent des Grecs.
Après la guerre les traités de paix prévoient l’échange des Grecs de Turquie contre les musulmans de Grèce. Ces déplacements de population provoquent encore de grandes douleurs. A Eskibahtché des amis de toujours se séparent sans espoir de se revoir. Les Grecs (qui ne parlaient que le Turc) doivent partir en abandonnant leurs biens sur place. Ils sont remplacés par des musulmans qui ne parlent que Grec. Surtout, on réalise alors que les chrétiens étaient aussi commerçants et artisans et le village s’appauvrit encore.
Louis de Bernières montre bien comment, à tous points de vue, économique et culturel, le passage de l’empire ottoman cosmopolite à la Turquie nationaliste a été un appauvrissement. Les délires nationalistes de certains ont souvent entraîné le malheur de beaucoup et l’auteur enfonce le clou là-dessus. Le petit bémol pour moi c’est la façon dont les Arméniens sont traités en victimes collatérales de tout cela. Il est question de « crimes de guerre tels que les marches mortelles des Arméniens et des prisonniers britanniques et les déportations de Grecs de la côte occidentale en 1914 ». Le mot génocide n’est employé que pour des massacres de musulmans par des Grecs.
Malgré cela j’ai trouvé ce roman excellent, bien écrit et avec souvent une pointe d’humour ironique. J’en ai lu facilement les 800 pages.
Henning Mankell, Le cerveau de Kennedy, Seuil
Louise Cantor, une archéologue suédoise, regagne son pays après une mission en Grèce. A Stockholm elle découvre son fils mort dans son lit. Louise ne veut pas croire qu’Henrik se soit suicidé comme le montre l’autopsie. Pour elle il a été assassiné et elle décide de mener l’enquête.
Louise découvre alors qu’Henrik avait une vie secrète dont elle ignorait tout. Il louait un appartement à Barcelone, il faisait de fréquents voyages vers le Mozambique. Avec quel argent ? Il semblait disposer de grosses sommes. Louise s’est adjoint Aron, le père d’Henrik, pour l’aider. Quand Aron disparaît sans laisser de traces, Louise comprend qu’elle approche de la vérité et qu’on veut l’en empêcher. A son tour, elle part pour le Mozambique.
En lisant la quatrième de couverture, ce roman m’a paru alléchant. Que de mystères ! J’attendais des révélations à la hauteur. A l’arrivée, c’est plutôt une vraie déception. L’histoire commence doucettement. Il faut plus de cent pages pour installer la situation et les personnages. Ensuite ça continue au même rythme. Beaucoup de questions mais bien peu de réponses. D’où venait l’argent d’Henrik ? Quel jeu joue Lars Hakanson ? Henrik s’est-il suicidé ou a-t-il été assassiné ? Nous ne le saurons pas.
Donc ce n’est pas un thriller. Une réflexion sur le deuil et la difficulté qu’il y a à admettre la mort de son unique enfant ? Cela se pourrait car Louise ressasse jusqu’à l’obsession les souvenirs de son fils, l’imagine encore vivant à ses côtés. Mais là aussi je dirais que c’est raté car je ne me suis pas sentie concernée alors que depuis que j’ai des enfants l’hypothèse de leur mort est une pensée qui me terrorise.
La quatrième de couverture (qui décidément est beaucoup trop bavarde) nous informe que ce roman est un cri de colère de l’auteur face au désintérêt de l’occident pour l’épidémie de sida qui ravage le continent africain. Il y a des accusations de complot mais qui ne me semblent pas étayées sérieusement, qui sont plutôt des insinuations.
En bref je n’ai pas bien compris où l’auteur voulait en venir et cela m’a agacée. Je n’ai pas pris beaucoup de plaisir à cette lecture. Et le cerveau de Kennedy dans tout ça ? Il ne joue qu’un rôle très secondaire.
Truman Capote, La traversée de l’été, Le livre de poche
Grady McNeil est une jeune fille riche de 17 ans. Ses parents vont passer l’été en Europe et elle a obtenu de pouvoir rester seule à New-York. C’est que Grady est amoureuse de Clyde Manzer, un gardien de parking qu’elle a rencontré peu de temps auparavant. Ils s’installent dans l’appartement de la famille McNeil. Clyde est amoureux lui aussi mais ne veut pas le montrer. Il pense que leur histoire ne durera pas et se protège en la traitant durement. Grady lui fait un peu peur parce qu’il la croit prête à tout depuis qu’elle s’est jetée dans ses bras.
On a là deux jeunes gens qui se cherchent. La mère de Clyde a toujours survalorisé son fils, a dit qu’il deviendrait avocat ou médecin et il vit de petits boulots. Grady sait que sa propre mère ne l’apprécie pas. Elle est en révolte contre son milieu et la vie déjà toute tracée qu’il lui a préparée mais ne sait pas comment exprimer son opposition.
Cela se lit assez facilement mais je ne suis pas vraiment entrée dedans, je ne me suis pas sentie concernée ou touchée par ce que vivent les personnages. A part De sang froid que j’avais beaucoup aimé, j’ai jusqu’à présent été plutôt déçue par Truman Capote.
Elif Shafak, La bâtarde d’Istanbul, 10-18
Armanoush Tchakmakchian est une jeune Américaine, d’origine arménienne par son père. Ses parents ont divorcé quand elle était toute petite et sa mère, en partie pour faire enrager son ex-belle-famille, s’est remariée avec un Turc. Elevée par sa mère, Armanoush s’est néanmoins imprégnée de culture arménienne à chaque fois qu’elle séjournait dans sa famille paternelle.
A l’âge de 20 ans Armanoush éprouve le besoin de mieux connaître ses origines. Sans prévenir ses parents elle s’envole alors pour Istanbul où elle se fait héberger par la famille de son beau-père, Mustafa Kazanci. Dans cette maison de femmes (Mustafa, le seul homme encore vivant a émigré il y a 20 ans et n’a plus remis les pieds en Turquie) Armanoush se lie d’amitié avec Asya, la fille bâtarde d’une des soeurs de Mustafa. L’arrivée de cette intruse, les questions qu’elle pose sur les Turcs et les Arméniens, vont faire émerger des secrets de famille dont certains profondément enfouis.
J’ai bien aimé cette lecture qui m’a tenue en haleine. Dès le début je me doutais que l’histoire des familles Tchakmakchian et Kazanci était liée mais comment ? La réponse est plutôt crédible, conforme à ce que j’ai pu lire sur certains épisodes du génocide des Arméniens. Pour en arriver au dénouement il faut en passer par l’intervention des esprits mais cela ne m’a pas gênée. Elif Shafak dit dans les remerciements qu’elle a eu des problèmes avec la justice de son pays à cause de certaines choses qu’elle a écrites dans ce livre. A l’heure où certains Turcs demandent pardon pour des événements survenus il y a près de cent ans La bâtarde d’Istanbul pose aussi la question de la responsabilité collective.
Rohinton Mistry, Un si long voyage, Le livre de poche
Un si long voyage est une tranche de vie d’un père de famille parsi, vivant à Bombay. En cette année 1971 Gustad Noble traverse une période où ses enfants lui causent des soucis. Sa fille cadette Roshan, une enfant de 9 ans, est régulièrement malade, s’affaiblit et doit garder le lit tandis que son fils aîné, Sohrab, qui vient d’être admis dans un prestigieux institut de technologie, prétend qu’il veut être un artiste. A la même époque Gustad reçoit enfin des nouvelles de son ami le major Bilimoria qui a disparu quelque temps auparavant sans plus donner de nouvelles et qui lui écrit maintenant qu’il travaille pour les services secrets et lui demande un service particulier au nom de leur amitié.
Tous ces sujets d’inquiétude ramènent Gustad aux souvenirs de son enfance. Petit-fils d’un ébéniste, fils d’un libraire, tous deux petits patrons, il a du renoncer à faire des études après la ruine de son père et n’est qu’un simple employé de banque. Depuis il est habité par la nostalgie de la grandeur passée de sa famille.
J’ai eu un peu de mal à rentrer dans ce roman et sa lecture a trainé en longueur. A moins que ce ne soit le contraire : j’ai lu lentement donc j’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire. Finalement, arrivée à la moitié, j’ai commencé à me laisser prendre et j’ai plutôt apprécié cette lecture. Gustad est un brave homme qui accorde du prix à l’amitié et tente de transmettre des valeurs familiales à ses enfants. Un si long voyage montre l’importance de scènes apparemment anodines de la vie quotidienne.
Jane Austen, Mansfield Park, 10-18
Fille aînée d’une famille nombreuse et pauvre Fanny Price a été élevée depuis l’âge de dix ans par ses tante et oncle lady et sir Thomas Bertram dans leur propriété de Mansfield Park. Elle a grandi près de ses cousins, les deux aînés Tom et Edmond, déjà jeunes gens quand elle est arrivée chez eux et leurs soeurs Maria et Julia, à peine plus âgées qu’elle mais qui l’ont toujours traitée comme une parente pauvre. En fait seul Edmond s’est intéressé à Fanny, l’a consolée au moment où sa famille lui manquait et est devenu son ami et son confident. Avec l’âge les sentiments que Fanny ressent pour lui sont de plus en plus tendres.
Fanny a dix-huit ans. Chacun s’est habitué à sa discrétion, sa grande réserve, voire son excessive timidité. Elle sert de dame de compagnie à sa tante, une femme indolente qui ne quitte guère son sofa. Le départ de sir Thomas à Antigua pour affaires, l’arrivée concomitante dans le voisinage de Mary et Henry Crawford, une soeur et un frère en recherche de plaisirs faciles, vont changer beaucoup de choses.
La relecture de Mansfield Park m’a réjouie. On y retrouve tout ce qui, pour moi, fait le plaisir à lire Jane Austen. L’histoire se déroule dans le milieu de l’aristocratie campagnarde. Ses occupations simples -promenades, lectures, travaux d’aiguille pour les dames- sont opposées aux divertissements légèrement scandaleux des adeptes de la Saison en Ville personnifiés par les Crawford et Tom Bertram. Quel remue-ménage quand jeunes gens et jeunes filles décident de monter une pièce de théâtre à Mansfield. Seule Fanny reste ferme dans ses convictions, consciente jusqu’à la fin que tout ceci n’est pas convenable.
Si la morale est nettement datée, je ne m’ennuie pas un instant car Jane Austen excelle à analyser en profondeur la psychologie de ses personnages. Le fond des sentiments quant à lui (l’amour basé sur des valeurs communes) est intemporel. Le tout est fait avec beaucoup d’humour fin, les travers de chacun sont épinglés. La tante Norris par exemple, femme mesquine, est un bon élément comique, si bien observé.
Mansfield Park adapté à l’écran :
Un film de Patricia Rozema avec Frances O’Connor dans le rôle de Fanny.
C’est après m’être procurée cette adaptation (en Anglais, sous-titrée de même) que j’ai eu envie de revenir à l’original. Dans ce film Fanny est beaucoup moins introvertie que dans le livre. Son personnage est en partie inspiré de la biographie de Jane Austen. Je peux concevoir que sa personnalité très réservée, qui ne laisse voir aucun des sentiments qui l’habitent, soit difficile à porter à l’écran. Par contre ce que je trouve moins juste c’est quand le film lui fait accepter la demande en mariage de Crawford pour changer d’avis le lendemain. Il me semble que ce n’est pas du tout le genre de Fanny.
Puis le film modifie d’autres personnages d’une façon qui n’ajoute rien d’indispensable à l’histoire voire apporte un brin d’anachronisme. Lady Bertram devient une droguée à l’opium, son fils Tom un malheureux artiste traumatisé par la conduite brutale de son père à l’égard de ses esclaves. Il y a là une dénonciation de l’esclavage, Fanny apparaît comme une abolitionniste alors que dans le roman elle ne fait que poser des questions sur le commerce des esclaves comme elle en poserait, semble-t-il, sur celui de n’importe quelle autre denrée. Il y a eu une volonté de moderniser les idées et les comportements comme si le spectateur ne pouvait pas comprendre qu’on pense et qu’on agit différemment à deux siècles d’écart. Enfin la tante Norris a quasiment disparu et tout cela rend le film beaucoup moins drôle que le livre.
J’ai ensuite mis la main sur cette autre version : un film de Iain Mac Donald avec Billie Piper dans le rôle de Fanny. Ici Fanny est encore une jeune fille enjouée qui court et rit mais on est néanmoins beaucoup plus proche de la version originale.
Ce que j’ai apprécié : le caractère intéressé des Crawford est bien montré par les conversations entre le frère et la soeur et Hayley Atwell est une Mary Crawford piquante et mignonne ; la tante Norris est parfaitement aigrie et méchante ; les jeux de regards entre les personnages.
Ce que j’ai moins aimé : une traduction française acrobatique qui fait dire à Mary Crawford quelque chose comme : « Avec lequel d’entre vous aurai-je le plaisir de faire l’amour ? » (ça ne devrait pas être plutôt « faire la cour » ? ou dans la traduction de 10-18 : « Quel gentleman parmi vous aurai-je le bonheur d’aimer ?« ) ; Billie Piper a un visage trop volontaire pour le rôle, ce me semble. Et un ensemble qui manque un peu d’épaisseur. Je ne suis pas persuadée que quelqu’un qui découvrirait Mansfield Park avec ce film aurait envie de lire le livre.
Du fait du caractère de son héroïne Mansfield Park est sans doute une oeuvre difficile à adapter à l’écran et je n’ai guère été convaincue par ces deux versions.
Vikram Seth, Quatuor, Le livre de poche
Michael, un violoniste, a aimé Julia, une pianiste. Ils étaient tous deux jeunes étudiants à Vienne. Alors qu’il traversait une période de dépression Michael a cru que Julia avait pris parti contre lui et il l’a quittée. Quand il a compris qu’il s’était trompé, il a tenté par tous les moyens de reprendre contact avec elle mais elle s’y est refusé.
Dix ans ont passé. Michael poursuit sa carrière musicale à Londres. Il n’a plus eu aucune nouvelle de Julia mais il ne l’a pas oubliée et l’aime toujours. Quand soudain il se retrouve en face d’elle.
C’est une histoire d’amour bien sur mais aussi celle d’une vie consacrée à la musique. Fils d’un boucher, Michael n’a pas suivi la voie que ses parents avaient envisagée pour lui. Ayant atteint une certaine reconnaissance dans sa profession il collabore occasionnellement à plusieurs orchestres en plus du quatuor Maggiore dont il est membre, donne des leçons pour boucler les fins de mois. Il vit de sa musique mais pas très largement et la perspective de devoir acheter un nouveau violon, instrument de prix, soulève bien des complications. J’ai découvert ce monde de la musique qui m’est totalement étranger, j’ai trouvé cela intéressant.
Je dois maintenant révéler qu’un des personnages devient sourd. On imagine aisément ce que cela représente pour un musicien mais Vikram Seth a bien montré aussi l’importance de tous les sons quotidiens dont on ne réalise pas vraiment le prix. En ce début de printemps j’aime particulièrement entendre les premiers chants des oiseaux au petit matin. Non loin de chez moi il y a une église qui sonne les heures et ce bruit est aussi pour moi un repère que j’apprécie. Pendant un certain temps elle n’a pas fonctionné et c’est là que je me suis rendue compte que cela me manquait.
Et vous, vous appréciez quoi comme bruits quotidiens ?