Dans la seconde moitié du 19° siècle, les enfants et petits-enfants des personnages principaux du premier tome sont des témoins plus ou moins directs de la chute du royaume de Ségou et de l’expansion coloniale des Européens.
En 1861, Ségou passe sous le contrôle des Toucouleurs musulmans et de leur chef El-Hadj Omar. Dans la guerre qui les a opposés à ces conquérants, les Bambaras animistes se sont alliés aux Peuls musulmans. Mohammed, le fils de Tiékoro, a perdu une jambe à la bataille de Kassakéri (1856). Après lui son fils Omar lutte aussi pour l’indépendance de la ville de ses ancêtres. Père et fils sont tous deux des musulmans convaincus, tentés par l’ascétisme et qui vivent très mal les combats entre musulmans.
Samuel, le petit-fils de Naba, a fui le domicile familial de Lagos à 15 ans après la mort de son père. Il a attaché ses pas à ceux de Hollis Lynch, un mulâtre antillais, doux rêveur qui a le projet de créer « un Etat nègre, souverain, fertilisé de la sève de ses enfants d’Amérique et des Antilles ». Lynch est un ancien ami d’Edward Blyden, ancêtre du panafricanisme.
Ce second tome est celui de tous les malheurs pour les protagonistes, comme si une malédiction pesait sur les Traoré et que la chute de la famille accompagnait celle de Ségou. L’empire toucouleur est bientôt menacé par la colonisation française. Face aux exactions des Blancs commence à émerger, chez certains personnages, la conscience d’une nécessaire alliance entre tous les musulmans, voire même entre tous les Africains. Ce sont ces aspects qui m’ont le plus intéressée.
L’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé est morte le 2 avril 2024. Elle était née en 1934 dans une famille de la bourgeoisie guadeloupéenne qui a élevé ses enfants dans l’amour de la culture française et l’ignorance de leur ascendance africaine. Elle découvre l’esclavage et la colonisation alors qu’elle est en classe préparatoire à Paris. Elle refusait les carcans identitaires et les étiquettes, en désaccord avec la créolité mais pour la liberté de création des auteurs antillais. Elle ne se considérait pas comme une romancière francophone, elle écrivait en « Maryse Condé ». En cela elle me fait penser à Mohamed Kacimi.
Les murailles de terre. A la fin du 18° siècle, Ségou (Mali actuel) est un royaume puissant le long du fleuve Joliba (Niger). C’est là que vit Dousika Traoré avec ses épouses, concubines et esclaves, ses fils. Conseiller du Mansa (le roi), Dousika est victime d’une cabale et disgracié au moment où son fils aîné se convertit à l’islam. Les Bambaras sont en effet des animistes et pratiquent traditionnellement une religion où l’on se méfie en permanence des esprits malfaisants. Ces derniers rodent principalement la nuit, moment de toutes les terreurs. On a affaire à des forgerons-féticheurs pour les empêcher de nuire, interpréter les signes de l’invisible et du visible et tenter de prévenir les événements défavorables.
Ce roman se déroule dans la période où l’islam s’impose peu à peu en Afrique de l’ouest et le lecteur suit les étapes de cette conquête, souvent très violente. L’autrice envoie les quatre fils de Dousika dans tout l’ouest de l’Afrique, du Maroc au golfe de Guinée et même au-delà, ce qui lui permet de présenter une grande fresque de l’histoire de ces régions entre 1797 et le milieu du 19° siècle.
Convertit à l’islam à l’adolescence, Tiékoro, devenu Oumar, part étudier à Tombouctou où il est maltraité car les Bambaras y ont la réputation d’être des musulmans mal dégrossis, encore imprégnés de superstitions animistes. Ce néo-musulman se sent donc obligé d’en rajouter dans ses démonstrations de foi. C’est un personnage rigide et facilement pontifiant qui agace vite son entourage -à part sa mère.
Capturé par des esclavagistes lors d’une chasse, Naba est déporté au Brésil. J’ai trouvé fort intéressant l’aperçu sur la culture que les esclaves ont développée dans ce pays. Convertie au christianisme, affranchie, Ayodélé, la femme de Naba, est revenue en Afrique où elle s’est installée au Nigéria dans une petite communauté d’anciens esclaves christianisés.
Devenu commerçant à Fès, Siga en a ramené à Ségou les techniques du travail du cuir inconnues dans sa ville natale. Il espérait y faire fortune grâce à ce nouveau savoir mais a dû déchanter.
Le cadet Malobali s’est fait soldat au service du royaume ashanti pour quitter une famille où il ne se sentait pas suffisamment considéré.
Car Ségou est aussi la critique d’une société patriarcale qui opprime les femmes, bien sûr, mais aussi les enfants et les cadets. La naissance du premier fils est une occasion de liesse. Les garçons sont gâtés, habitués à ce que les femmes fassent leurs quatre volontés. Cela donne des adultes impulsifs qui agissent avant de réfléchir et qui ne supportent pas la frustration. Les personnages masculins ne me sont pas sympathiques. Leurs rapports avec les femmes oscillent entre la prédation et l’idéalisation. Prédation quand il s’agit de femmes socialement inférieures (servantes, esclaves) ou d’étrangères ; idéalisation de l’amour pour celles qu’on peut épouser. Les déconvenues sont brutales et rapides.
J’ai apprécié la lecture de ce roman bien documenté sur un espace et une période que je connais peu. Je lirai prochainement le tome 2.
A Prague, sous l’occupation nazie, le narrateur, Josef Roubiček, Juif, ancien employé de banque, survit dans une mansarde en attendant la déportation. Il a brûlé tout ses meubles pour se chauffer et pour qu’Ils (l’occupant n’est jamais nommé) n’aient rien à lui prendre. Un acte de résistance à la mesure de ce doux. Seul, sans famille, sans amis, souffrant du froid et de la faim, soumis à des humiliations et à des interdictions toujours plus nombreuses il tient le coup en se réfugiant dans les rêves et les souvenirs de sa vie passée, particulièrement celui de Růžena, une femme mariée avec qui il eut une liaison. Malgré l’interdiction de posséder des animaux domestiques il se lie aussi d’amitié avec Thomas, un chat errant qu’il accueille dans sa chambre. Mais un jour, alors qu’il prend le soleil dans un terrain vague, Roubiček fait la connaissance de Materna, un ouvrier qui l’invite chez lui.
J’ai trouvé excellent ce roman, fort bien écrit, qui fait bien ressentir comment l’accumulation successive d’interdictions parfois contradictoires, sans signification, englue petit à petit les victimes et les amène à considérer la déportation comme une solution de facilité. Jiří Weil montre aussi les événements qui rattachent Roubiček et l’amènent à envisager la possibilité de s’en sortir : un inconnu croisé dans la rue qui lui suggère d’enlever son étoile pour pouvoir prendre le tram, un miracle qui lui permet d’échapper à une rafle, un morceau de musique écouté dans un sanatorium.
Keisha, Ingannmic et Passage à l’Est proposent aussi des lectures à l’occasion du 27 janvier, journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la shoah.
Née à la fin du 19° siècle, orpheline toute petite, Olga a été élevée en Poméranie par une grand-mère qui ne l’aimait pas. Elle se lie d’amitié avec Herbert, le fils des riches propriétaires voisins, une relation qui évolue en amour quand les jeunes gens grandissent. Tandis qu’Olga se bat pour devenir institutrice, Herbert rêve de participer à l’élan expansionniste de l’Allemagne. Il combat dans la guerre contre les Herero (1904), voyage puis décide de rallier le pôle nord. Le personnage d’Herbert est inspiré d’Herbert Schröder-Stranz. Cette première partie court jusqu’au début des années 1950 quand, installée dans la région du Rhin, devenue sourde, retraitée de l’enseignement, Olga fait des travaux de couture dans la famille d’un pasteur pour arrondir ses fins de mois. Le style en est descriptif, sans fioritures et m’a semblé parfois un peu plat.
La deuxième partie est le récit par Ferdinand, le fils du pasteur chez qui Olga travaille, de sa relation avec celle-ci. Devenu vieux le narrateur raconte cette amitié précieuse qui a duré jusqu’à la mort d’Olga, une femme qui savait écouter malgré -ou peut-être du fait même de- sa surdité. J’ai trouvé cette deuxième partie touchante. Il me semble que les sentiments de Ferdinand, enfant, adolescent puis jeune adulte, pour Olga sont bien décrits.
La dernière partie laisse enfin la parole à Olga à travers des lettres écrites à Herbert. Alors, ce personnage qui pouvait paraître effacé jusqu’à là prend de l’envergure en faisant entendre sa voix propre. Elle est portée par son amour pour Herbert qui l’a accompagné toute sa vie.
J’ai lu rapidement ce roman dont j’ai particulièrement apprécié la construction intelligente.
Combe, sud de l’Angleterre, 997. Alors que Edgar, 18 ans, fils d’un charpentier de marine, s’apprête à fuir nuitamment le domicile familial avec Sunni, son amoureuse, une femme mal mariée, les Vikings attaquent et mettent à sac le village. Sunni et le père d’Edgar font partie des victimes, la vie du jeune homme va changer totalement. Avec sa mère et ses frères, Erman et Eadbald, ils quittent Combe pour Dreng’s Ferry, à plusieurs jours de marche, où ils ont obtenu la gestion d’une ferme. Il faut travailler durement la terre pour survivre, Edgar a un talent de bâtisseur et du goût pour la construction, pas pour l’agriculture et les relations avec ses frères sont difficiles.
Fille du comte Hubert de Cherbourg, Ragna est tombée amoureuse de Wilwulf, ealdorman (seigneur) de Shiring, et a obtenu de l’épouser. Arrivée en Angleterre elle constate que sa belle-famille est accrochée à son pouvoir absolu sur Shiring et n’envisage pas de lui en céder la moindre parcelle. Elle qui comptait co-gouverner avec son époux comprend qu’il va lui falloir trouver des alliés et jouer avec finesse pour parvenir à son but. Cette lutte pour le pouvoir la mènera à des violences qu’elle n’avait pas imaginées.
L’action de ce gros roman de 850 pages se déroule avant Les piliers de la terre, entre 997 et 1007. En avant-propos la période nous est présentée comme le début de la fin de « l’âge des ténèbres ». Je me suis demandée si la peinture très sombre de cette période n’était pas un peu caricaturale. Il me semble que les historiens sont un peu revenus sur cette vision du haut Moyen-âge. Toujours est-il que le cadre du roman est celui d’un monde essentiellement soumis à la loi du plus fort. L’évêque Wynstan, frère de Wilwulf, est prêt à tout pour conquérir plus de pouvoir. Et le roi Ethelred, qui a besoin du soutien militaire de ses seigneurs pour repousser les raids vikings ou les incursions des Gallois, n’est guère en mesure d’imposer sa loi. L’Angleterre de l’an mille est un pays qui pratique encore la polygamie et l’esclavage. Les esclaves sont des prisonniers de guerre gallois ou irlandais, soumisà toutes les violences, à l’image de Blod, battue et prostituée par son maître.
Parmi les partisans d’une société plus policée se trouvent bien sûr Edgar et Ragna mais aussi le prieur Aldred, un moine qui veut faire respecter les principes d’amour et de charité des Evangiles.
Malgré son grand nombre de page j’ai lu ce roman facilement, en quelques jours, grâce à ses nombreux rebondissements et péripéties. Qui a déjà lu la suite saga Kingsbridge (trois tomes écrits avant celui-ci), retrouvera toujours un peu le même schéma : un méchant évêque, avide de pouvoir et de richesses, opposé à des héros idéalistes aux amours contrariés. A la fin les gentils gagnent. C’est très romanesque et donc une lecture distrayante.
En 2003 la mère d’Anne Berest, Lélia, a reçu une carte postale anonyme sur laquelle étaient inscrits quatre prénoms : « Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques ». Il s’agit des grands-parents maternels de Lélia et de sa tante et son oncle, tous quatre assassinés à Auschwitz. Dix ans plus tard, enceinte de sa fille, Anne Berest interroge sa mère sur l’histoire de sa famille.Nous découvrons ainsi le destin des Rabinovitch, Juifs de Russie qui quittent Moscou pour Riga à cause de la révolution, puis Riga pour la Palestine à cause de l’antisémitisme, avant de s’installer en France. Cette première partie annonce ce que sera le reste du livre : un mélange de documentation historique et de roman puisque sont reconstituées les paroles, les sensations et les pensées intimes des personnages que l’autrice suit quasiment jusque dans la chambre à gaz. J’ai lu sur Babélio que ce procédé avait incommodé certains lecteurs. Ce n’est pas mon cas mais je trouve parfois qu’elle en fait trop.
La seule survivante de la famille est Myriam, mère de Lélia, soeur aînée de Noémie et Jacques, sauvée de la déportation par son mariage avec Vicente Picabia, le fils du peintre.
En 2019 Anne Berest décide d’enquêter sur la carte postale anonyme et d’en retrouver l’auteur. C’est un moment où elle se pose des questions sur sa judéité. Qu’est-ce que cela veut dire être Juif aujourd’hui en France quand on a grandi dans une famille non croyante et non pratiquante ? Qu’est-ce qui se transmet de cet héritage malgré les silences et les non-dit ? Qu’est-ce que cela signifie être une descendante de survivante ? Je trouve cette réflexion intéressante même si il m’arrive de ne pas la suivre dans ses analyses, notamment quand elle explore l’influence qu’ont eu sur elle et sa soeur les prénoms cachés qu’on leur a donnés. Il me semble que je connais des gens qui ont les mêmes traits de caractère que décrits ici sans avoir les mêmes antécédents. L’enquête sur la carte postale est aussi l’occasion de présenter l’engagement des Picabia dans la résistance. Jeanine Picabia, soeur de Vicente, a dirigé le réseau Gloria et y a fait participer mère, frère, belle-soeur.
J’ai écouté ce texte lu par Ariane Brousse de façon vivante. Elle a une voix claire mais est capable d’en changer pour jouer les différents personnages qui interviennent. Elle prend ainsi une voix rauque pour incarner Lélia, grande fumeuse. Au total c’est un livre que j’ai trouvé intéressant et émouvant et qui m’a donné envie de lire autre chose de l’autrice.Peut-être le livre qu’elle a écrit avec sa soeur, Claire Berest, sur Gabrielle Picabia, leur arrière-grand-mère qui intervient dans La carte postale.
A l’habitude chez Audiolib le texte est suivi d’un entretien avec l’autrice où elle donne quelques explications sur son travail et notamment sur l’articulation entre faits réels et romancés.
Trois récits, trois femmes confrontées à la solitude. Après un accident de voiture, Ida trouve refuge chez un couple de personnes âgées qui habitent une maison isolée et l’hébergent le temps qu’elle reprenne ses esprits. Dans ce lieu comme hors du temps Ida revoit des épisodes de sa vie. En rêve elle croise sa mère et sa fille. Elle pense à son mariage raté, à son ex-mari qu’elle revoit de loin en loin malgré leur divorce, non par envie mais par habitude et faute d’avoir su lui dire non.
Paraskewia, dite Parka, la mère d’Ida, vit dans une maison isolée au dessus d’un village de montagne et aujourd’hui coupée du monde par la neige alors que son mari, Petro, vient de mourir. Tout en s’activant pour signaler la situation au village, Parka se souvient du passé. Parka et Petro sont des exilés qui ont dû quitter leur région d’origine suite aux changements de frontières de la Pologne après la seconde guerre mondiale. Enceinte jeune fille Parka a dû épouser un homme qu’elle n’aimait pas. Ses sentiments pour le mort sont un mélange de colère, d’agacement mais aussi une forme de tendresse due à une longue vie commune.
Maya, la fille d’Ida, séjourne en Malaisie avec son fils de onze ans. Officiellement c’est pour écrire un guide touristique mais Maya semble surtout tenter de fuir un grand mal être.
Même si ces trois femmes sont liées par des relations de parenté, les trois récits sont indépendants et pourraient se lire séparément. Le point commun ici est la réflexion sur le sens de la vie. L’autrice excelle à transcrire les pensées de ses personnages, la façon dont elles vagabondent. Il y a aussi de très belles descriptions des paysages et de la nature, nature enneigée de Pologne, fonds sous-marins de Malaisie. Ida et Parka sont plus attachantes que Maya dont le lecteur reste un peu à distance. Son récit est d’ailleurs rédigé en focalisation externe alors que celui de ses mère et grand-mère l’est en focalisation interne. C’est un ouvrage que j’ai apprécié, plus particulièrement les deux premiers récits, donc.
« Un pays est à l’image de ses animaux. De la protection qu’on leur accorde. Si les gens ont un comportement bestial envers les animaux, aucune démocratie ne pourra leur venir en aide. Pas plus qu’autre chose d’ailleurs. »
Janina Doucheyko, la narratrice, vit dans un hameau isolé de Pologne, à la frontière avec la République tchèque. Cette retraitée est l’une des rares habitantes à l’année sur ce plateau où l’hiver dure sept mois.Les deux autres sont Matoga et Grand Pied -des surnoms qu’elle leur a donnés- également vieux célibataires. Quand Grand Pied est retrouvé mort, étouffé par un os de la biche qu’il était en train de manger, Janina ne regrette guère ce voisin déplaisant, grossier et braconnier. Mais voilà que d’autres hommes de la ville voisine sont retrouvés morts. Tous étaient chasseurs et il semblerait que des animaux étaient présents sur le lieu de chacune des morts. Les victimes ne sont certes pas des personnages positifs dans ce roman : ils sont violents et peu respectueux de la loi. Qu’ils se présentent en défenseurs de la culture et protecteurs des animaux excède Janina.
J’ai trouvé sympathique la narratrice, personnage excentrique qui place les êtres vivants à égalité, animaux ou humains et qui se passionne pour l’astrologie. Elle se procure les dates de naissance des victimes, dresse leur thème astral et en conclu qu’ils ont été tués par des animaux qui se vengeaient de ces chasseurs. Elle écrit de nombreuses lettres à la police pour lui signaler ses conclusions et passe bientôt pour une vieille folle. Elle a heureusement des amis fidèles qui savent la femme intelligente et attentive aux autres qu’elle est et sur lesquels elle peut compter.
J’ai apprécié la description de la nature dans laquelle vit Janina. Sa solitude face aux éléments me fait parfois penser à l’héroïne du Mur invisible. J’ai apprécié le regard ironique et intelligent que la narratrice porte sur elle-même. Il y a une réflexion sur les souvenirs et le vieillissement qui me touche. J’ai apprécié l’intérêt porté aux animaux et à la préservation de l’environnement. C’est donc un roman que j’ai apprécié.
Antan est un village polonais situé au centre de l’univers et dont les quatre frontières, nord, sud, ouest et est, sont gardées par les archanges Raphaël, Gabriel, Michel et Uriel. Le roman suit la vie du village et de ses habitants de 1914 jusque vers la fin du 20° siècle. La narration tourne beaucoup autour de Misia, née au début de la Première Guerre Mondiale, et de ses proches. Chaque chapitre raconte une petite tranche de vie, le temps d’un personnage, ou d’un animal, ou d’une plante, ou d’un objet, ou… Certains de ces chapitres pourraient presque se lire comme de petites histoires indépendantes.
Il est question de la naissance, de l’amour et de la mort; de comment un brave hommes devient un criminel de guerre; du rôle ou de l’existence de Dieu; du sens de la vie, en fait. Le tout est empreint de merveilleux, l’écriture poétique avec de belles descriptions d’une nature vivante où les arbres et les bêtes pensent et ressentent à leur façon. L’autrice fait preuve d’une grande imagination, il y a des choses très bien vues, de l’humour fin : c’est un régal de lecture.
Cerise sur le gâteau, ce que je lis sur Wikipédia sur Olga Tokarczuk me la rend très sympathique. C’est une belle découverte pour moi et je remercié Eva, Patrice et Goran de l’avoir provoquée avec leur mois de l’Europe de l’est.
En ces temps de confinement, quand les cinémas sont fermés et que la sortie de l’adaptation de La Daronne est remise à une date ultérieure, qu’est-ce qu’on peut faire ? Patienter en lisant le dernier ouvrage de Hannelore Cayre !
Blanche de Rigny, la narratrice, est une jeune femme handicapée après un grave accident à l’adolescence. Elle est employée à la reprographie judiciaire du palais de justice de Paris. Fortuitement, Blanche découvre qu’elle est apparentée, par son arrière-grand-père à la très riche famille des de Rigny, chefs d’entreprise voyous, artistes usurpateurs, riches qui se croient tout permis et qui en veulent toujours plus. Elle va utiliser les informations qui passent entre ses mains dans le cadre de son travail pour débarrasser la terre de ces malfaisants qui contribuent activement à la destruction de l’environnement.
En parallèle Blanche enquête sur l’ancêtre commun, Auguste de Rigny et l’histoire de ce jeune homme né en 1845, fils de famille bourgeoise, nous est racontée. En 1870, alors que la guerre avec la Prusse menace, Auguste tire un mauvais numéro à la conscription. Son père se met alors en charge de lui trouver un remplaçant. C’est difficile car l’éventualité d’un conflit a fait monter le cours de l’homme et que des escrocs essaient de profiter de la situation. J’ai découvert avec intérêt ce trafic de remplaçants encadré par la loi. Avec Auguste on suit aussi, rapidement, le siège de Paris et la Commune. Départ des Parisiens qui le peuvent vers leurs résidences secondaires, ruée sur les provisions alimentaires : ça rappelle des choses. C’est la partie historique de l’ouvrage que j’ai le plus appréciée.
L’objectif de Hannelore Cayre c’est de montrer les points communs entre la fin du 19° siècle et le début du 21° : « Il suffisait d’avoir lu Balzac, Zola ou Maupassant pour ressentir dans sa chair que ce début de XXI° siècle prenait des airs de XIX°. Il y avait bien sûr la disparition progressive des services publics, mais pas seulement. Après un XX° siècle qui avait connu deux conflits mondiaux et glorifié l’aventure entrepreneuriale et les diplômes, la part des revenus du travail dans les ressources dont une personne disposait au cours de sa vie s’était mise à reculer pour arriver exactement au même niveau qu’à l’époque de mon ancêtre Auguste. On se surprenait à nouveau à attendre le décès de papa-maman pour s’acheter un logement ou payer les études et l’installation de ses enfants ».
Elle dit qu’elle s’est inspirée du Capital au XXI° siècle de Thomas Piketty.
Il est aussi question des dégâts sur la planète qu’entraîne la course effrénée au profit et de la condition animale , la meilleure amie de Blanche étant une militante de L214.
Ca a l’air très sérieux tout ça mais c’est traité sur le mode grinçant qui est celui de l’autrice et non dénué d’humour. Ca se lit facilement mais je l’ai trouvé un peu caricatural parfois et pas aussi bien réussi que La Daronne.