A Téhéran, de nos jours, Arezou, femme divorcée de 41 ans, tente de survivre entre sa mère et sa fille tout en dirigeant son agence immobilière. La vie n’est pas toujours facile pour Arezou. Sa mère et sa fille lui reprochent toutes les deux son divorce. En ce qui concerne la mère, on comprend vite que cette femme n’aime qu’elle même, qu’elle n’a jamais aimé sa fille et que toutes les occasions sont bonnes pour déprécier cette dernière. La vieille femme utilise donc la fille d’Arezou, Ayeh, comme un instrument de destruction, elle joue la fille contre la mère.
Ayeh, quant à elle, jeune fille de 19 ans, étudiante à l’université, est en pleine crise d’adolescence, se conduisant comme une gamine de 15 ans, voire de 12. Le fait, à son âge, de vivre encore avec sa mère, de devoir lui demander son autorisation pour sortir avec des amis, ne l’aide certes pas à s’autonomiser. Malgré les exigences injustes de ces deux femmes égoïstes Arezou tente toujours de leur complaire, ce qui m’a parfois un peu agacée. En même temps j’ai conscience d’être injuste à son égard car je comprends que le rejet de sa mère n’a pas contribué à lui donner de l’assurance.
Heureusement, dans le cadre professionnel, Arezou peut compter sur Shirine, sa collaboratrice et meilleure amie, pour lui remonter le moral. Enfin, jusqu’au moment où Arezou commence à fréquenter Sohrab. Après l’avoir encouragée dans cette voie, Shirine va montrer quelle est sa conception de l’amitié.
Voilà un roman que je n’ai pas apprécié. Les personnages ne sont pas sympathiques (à part Sohrab, par contre lui, c’est l’homme parfait). Les dialogues -qui constituent l’essentiel de la narration- m’ont souvent semblé décousus. L’analyse psychologique est plutôt juste mais au total j’ai trouvé cette lecture un peu ennuyeuse.
De l’Iran contemporain on apprend que les apparences y comptent beaucoup. Le fait qu’Arezou ait un amant est finalement mieux accepté par son entourage que l’éventualité de son remariage (on ne pourrait plus, alors, faire comme si on ne savait pas).
Shashi Tharoor, L’émeute, Points
Priscilla Hart, une jeune Américaine de 24 ans, bénévole dans une ONG en Inde, a été tuée de 16 coups de couteau la veille de son retour dans son pays. Ses parents font le voyage vers Zalilgarh pour essayer de comprendre ce qu’il s’est passé et ce que fut la vie de leur fille là-bas.
Shashi Tharoor situe son roman en 1989 au moment des violences inter-religieuses provoquées par des fondamentalistes hindous qui réclamaient la destruction d’une mosquée d’Ayodhya, la Babri Masjid, prétendant qu’elle avait été construite sur le lieu de naissance du dieu Ram. Priscilla Hart apparaît comme une victime collatérale d’une des nombreuses émeutes qui ont éclaté dans le nord de l’Inde à cette époque. (La Babri Masjid a finalement été détruite en 1992 par une foule fanatisée, ce qui a entraîné des émeutes qui ont fait des milliers de morts).
La narration se présente sous forme d’extraits d’entretiens, de lettres, de journaux intimes.
L’auteur mène deux récits de front : l’histoire de Priscilla pendant son séjour en Inde, son travail pour une ONG qui tente de promouvoir le contrôle des naissances et surtout sa liaison clandestine avec un fonctionnaire local.
En parallèle il y a la découverte par les parents de Priscilla des réalités de l’Inde contemporaine. Divers protagonistes viennent leur expliquer le contexte de la mort de leur fille : les affrontements inter-religieux depuis les massacres de la Partition, les moments où la tolérance a semblé l’emporter, ceux où la haine domine.
J’ai trouvé que ces récits avaient un caractère un peu artificiel. Il s’agit manifestement de faire un cours au lecteur supposé ignorant de tous ces faits. J’aime bien m’instruire en lisant un roman mais j’apprécie aussi que cela soit fait habilement. Ou alors autant lire un ouvrage documentaire. Ici la lecture m’a semblée parfois fastidieuse et j’ai sauté des lignes. Peut-être que ce serait plus intéressant pour quelqu’un qui découvrirait ces aspects de l’histoire de l’Inde avec ce roman ?
Je me demande qui est la femme en photo sur la couverture. Madhuri Dixit ? Est-ce que quelqu’un pourrait confirmer ou infirmer ?
Albert Cossery, Mendiants et orgueilleux, Le livre de poche
Albert Cossery est mort en juin 2008. J’ai découvert son existence en lisant sa nécrologie dans Le Monde. C’était un personnage original qui se vantait de n’avoir jamais travaillé de sa vie (cela ne se faisait pas dans sa famille) et qui vivait à l’hôtel. Mendiants et orgueilleux était présenté comme son chef d’oeuvre et quand j’ai trouvé récemment chez mon bouquiniste cette vieille édition à un prix défiant toute concurrence j’ai donc sauté sur l’occasion.
Mendiants et orgueilleux, tels sont les héros de ce roman dont l’action se déroule au Caire dans les années 50. Il y a Gohar, un ancien professeur qui survit en faisant un peu de comptabilité pour un bordel de la ville indigène; Yéghen, petit escroc, petit trafiquant de drogue et El Kordi, employé aux écritures dans une administration dont la plus grande partie du salaire sert à rétribuer les collègues qui veulent bien faire son travail à sa place. Tous les trois se complaisent dans leur simplicité voire leur dénuement volontaire, se contentant de goûter la vie qui passe, de se réjouir des comportements absurdes de leurs contemporains.
« Devant une boutique vide il vit un homme d’un certain âge, aux vêtements soignés, assis dignement sur une chaise, et qui regardait passer la foule d’un air détaché et royal. L’homme avait une attitude majestueuse extraordinairement frappante. « Voilà un homme selon mon coeur », pensa-t-il. Cette boutique vide et cet homme qui ne vendait rien étaient pour lui une trouvaille inestimable. La boutique, Gohar le devinait, représentait simplement un décor ; elle lui servait pour recevoir ses amis et leur offrir une tasse de café. C’était là le comble de l’opulence et de la générosité. Gohar le salua comme une vieille connaissance et l’homme répondit à son salut avec un sourire suave, à peine perceptible, comme s’il comprenait qu’on l’admirait. »
Quand Gohar, en manque de hachisch, étrangle une jeune prostituée, il est ensuite fort surpris par son crime car il est étranger à toute violence. La mort de la pauvre fille est cependant vite oubliée, considérée comme une fatalité. En fait elle n’est que le prétexte pour faire entrer en scène l’officier de police Nour El Dine, chargé de l’enquête. Car il n’y a pas vraiment d’histoire dans ce roman, il s’agit seulement de nous présenter ces personnages qui ont fait de la paresse un art de vivre et qui fascinent Nour El Dine qui les considère comme des misérables et ne comprend pas comment ils peuvent avoir une si haute opinion d’eux-mêmes.
Quant à moi je n’ai été qu’à moitié convaincue par ma lecture. J’ai apprécié certaines descriptions pittoresques avec parfois une pointe d’humour. Par contre j’ai trouvé que pour des gens qui rejetaient tout ce qu’il est convenu de considérer comme un mode de vie bourgeois les personnages avaient parfois des opinions bien stéréotypées, notamment sur les femmes :
« Elle avait une mine revêche et l’air arrogant d’une femme pourvue d’un mâle ».
« Gohar était reconnaissant aux femmes, à cause de l’énorme somme de bêtise qu’elles apportaient dans les relations humaines ».
Je termine avec le pompon, à propos de Nour El Dine : « Il avait été habitué à plus de soumission de la part de ses jeunes amis ; mais aussi, c’étaient, pour la plupart, des êtres veules et sans caractère. Ils n’avaient pour eux que leur beauté : c’étaient presque des femmes ».
V. S. Naipaul, La moitié d’une vie, 10-18
Willie Somerset Chandran est le fils d’un brahmane et d’une mère de basse caste. Par rejet de l’avenir tout tracé que lui préparait sa famille, attiré par les discours des chefs du mouvement pour l’indépendance, le père de Willie a renoncé à ses études et a épousé la personne la plus humble qu’il a pu trouver. Cependant il méprise sa compagne pour ses origines et du coup ses enfants aussi :
« Je songeais : « Petit Willie, petit Willie, qu’est-ce que je t’ai fait là ? Pourquoi t’ai-je infligé cette souillure ? » Puis je me reprenais : « Mais non, c’est absurde. Il n’est ni toi ni l’un des tiens. Il n’y a qu’à voir son visage. Tu ne lui as infligé aucune souillure. Ce que tu as pu lui transmettre a disparu dans l’ensemble de son héritage. »
Cette idée de souillure, et de pureté qui va avec, me fait vraiment penser aux conceptions nazies sur la race.
Devenu jeune homme Willie a donc une bien piètre idée de lui même quand son père l’envoie à Londres pour y poursuivre ses études. Il s’y lie avec des « sang-mêlés » comme lui : Jamaïcains, métis africains. Il tombe amoureux d’Ana qu’il convainc de retourner avec lui dans son pays d’origine, une colonie portugaise d’Afrique de l’est. Là ils s’installent dans la plantation qu’Ana a hérité de sa famille, ils fréquentent d’autres planteurs « moitié-moitié » ou « Portugais de deuxième classe » : métis!
La moitié d’une vie est l’histoire d’un homme à qui il a fallu 41 ans (la moitié d’une vie) pour digérer l’humiliation de sa naissance et découvrir qui il était au fond. A 41 ans, il recommence de zéro.
J’ai trouvé tout le début du livre -une bonne moitié en fait- relativement ennuyeux à lire. Les personnages -le père puis Willie- semblent ballottés par les circonstances. Ils prennent des décisions dont les suites leur échappent et subissent les événements de leurs vies. J’ai plus apprécié la description de la société coloniale que fréquente Willie en Afrique et du lent délitement qui accompagne le pays vers son indépendance.
Rabindranath Tagore, La maison et le monde, Petite bibliothèque Payot
L’histoire se déroule au Bengale, au début du 20° siècle. Nikhil et Bimala sont mari et femme. Nikhil est ouvert aux idées modernes. Il offre des vêtements occidentaux à sa femme, a engagé une gouvernante anglaise pour lui apprendre la langue et la pousse à lire des oeuvres d’auteurs contemporains. Très amoureux de sa femme il aimerait avoir la certitude que Bimala l’aime pour lui-même et non pas par devoir. Pour cela il pense que si elle menait une vie moins recluse, qu’elle sorte et qu’elle rencontre des personnes extérieures, elle pourrait le choisir vraiment. Mais Bimala se satisfait de son sort de servante de son seigneur et maître.
Arrive Sandip, ami de Nikhil et agitateur nationaliste. Bimala l’a toujours considéré comme un pique-assiette mais après avoir assisté à un de ses discours elle est séduite par son énergie. Elle demande alors à son mari à rencontrer Sandip avec lui. Nikhil est d’abord content de cette manifestation d’indépendance puis assiste à l’émergence d’une passion entre Bimala et Sandip qui s’est installé sous son toit et ne semble pas pressé de repartir.
Nikhil et Sandip sont deux personnages aux caractères très différents. Nikhil est un modéré à la recherche de la vérité et des nuances qui permettent de l’atteindre. Pour lui rien n’est jamais tout noir ou tout blanc. C’est un seigneur local mais il refuse de se servir de son pouvoir pour imposer ses idées même s’il est persuadé qu’elles sont justes. De même dans ses relations avec sa femme : il ne fait rien pour l’éloigner de Sandip alors qu’il en aurait la possibilité. Pour cela son entourage, et Bimala la première, le considère parfois comme un mou.
Sandip pense au contraire que pour obtenir ce que l’on souhaite tous les moyens sont bons -le mensonge, la violence, car le monde se donne à ceux qui savent le prendre :
« Ma théorie de la vie m’oblige à croire que tout ce qui est grand est cruel. La justice convient aux hommes du commun; aux grands hommes seuls est réservée l’injustice. La surface de la terre était plate : le volcan l’a percée de sa corne enflammée et s’est créé lui-même sa montagne; sa justice ne s’est pas exercée envers ce qui lui faisait obstacle, mais envers lui-même. La réussite dans l’injustice et dans la cruauté, voilà la seule force qui a donné fortune et pouvoir aux individus et aux nations. »
Sandip s’entoure d’adolescents qu’il subjugue par son charisme et qui lui servent d’hommes de main. Ses idées et son comportement m’ont parus dignes d’un fasciste et je me suis souvenue que certains nationalistes indiens avaient été attirés par le nazisme.
J’ai trouvé ce livre intéressant. Rabindranath Tagore montre bien que les hommes doivent passer avant les idées et quels sont les dangers d’un nationalisme qui prétend lutter pour le pays tout en piétinant son peuple. « Tyranniser pour le pays, c’est tyranniser le pays » dit Sandip à Bimala qui veut le convaincre de faire confisquer les marchandises étrangères vendues sur son marché. Un autre personnage dit aussi que « le pays, ce n’est pas la terre, ce sont les hommes que cette terre nourrit ».
La narration alterne les récits des trois personnages principaux, Bimala, Nikhil et Sandip, chacun analysant les événements tels qu’il les a perçus et dévoilant ainsi sa conception profonde de la vie. J’ai mis un certain temps à me faire au style que j’ai trouvé souvent alambiqué, peut-être vieilli ? A moins que ce ne soit dû à la traduction qui ne semble pas dater d’hier non plus.
Rohinton Mistry, L’équilibre du monde, Le livre de poche
Après un court mariage Dina s’est retrouvée veuve et elle cherche un moyen de subvenir à ses besoins afin de ne pas dépendre de la charité de son frère. Elle engage d’abord deux tailleurs, Ishvar et son neveu Om, pour travailler chez elle à façon. Dina sert d’intermédiaire entre ses employés et un grossiste. Ishvar et Om sont des Chamaars, des basses-castes astreints au dépeçage des animaux morts qui se sont élevés en apprenant -contre les traditions et non sans difficultés- un autre métier.
Dina décide aussi de sous-louer sa chambre à un étudiant, Manek, un Parsi comme elle, le fils d’une ancienne camarade de classe. Les quatre protagonistes vont se lier d’amitié et leur association improbable va durer pendant un an avant que les dures réalités de la vie ne viennent les séparer.
L’équilibre du monde est d’abord une histoire d’amitié avec une réflexion sur les souvenirs et la mémoire. Rohinton Mistry nous dit qu’il faut profiter de l’instant présent car le temps coule. Un personnage remarque que les souvenirs sont toujours tristes : des événements désagréables on se souvient sans joie et on regrette les moments heureux. Un autre dit que « l’ensemble est beaucoup plus important que chaque pièce qui le compose ».
Dans ce roman l’auteur donne toute leur place aux miséreux de l’Inde : basses-castes de la campagne assujettis à leur sort par les castes supérieures qui s’entendent pour les exploiter; petits métiers des grandes villes habitant les bidonvilles; mendiants. Ils sont victimes de toutes les injustices et de la corruption des puissants mais il existe une solidarité entre eux.
Enfin le cadre historique est celui de l’année 1975, quand le premier ministre Indira Gandhi, désavouée par le parlement a décrété l’état d’urgence pour se maintenir au pouvoir. Les brutalités policières s’accroissent, il y a une volonté de « nettoyer » les centres-villes : les bidonvilles sont rasés, les mendiants chassés et des campagnes de stérilisation forcée sont organisées.
Malgré quelques péripéties qui m’ont semblé peu vraisemblables j’ai trouvé ce roman sympathique et plaisant à lire.
Boualem Sansal, Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller, Gallimard
Rachid Helmut (Rachel) et Malek Ulrich (Malrich) sont deux frères de père allemand et de mère algérienne. Ils ont été élevés dans une cité de la banlieue parisienne par un ami de leur père tandis que leurs parents restaient dans leur village d’Aïn Deb. En 1994 26 habitants du village -dont les parents Schiller- sont massacrés par des terroristes. A cette occasion les deux frères découvrent le passé de leur père : un ancien SS réfugié en Algérie après la deuxième guerre mondiale.
Rachel, l’ancien bon élève, se sent responsable des actes de son père et se plonge dans les ouvrages sur la shoah, accumulant des informations techniques dans l’espoir de comprendre le rôle de celui-ci dans l’extermination des Juifs.
Malrich traine avec ses copains et vit de petits boulots épisodiques. Pour lui l’islamisme qui frappe l’Algérie et qui se répand dans sa cité fonctionne sur les mêmes ressorts que le totalitarisme et doit être combattu. Les autorités françaises (ici en la personne d’un commissaire de police) sont accusées d’aveuglement face à ce danger.
La découverte du secret paternel et les bouleversements que cela entraîne pour Rachel et Malrich sont présentés sous forme de journal. En variant les styles Boualem Sansal a habilement rendu les personnalités des deux frères. Le résultat est poignant.
D. H. Lawrence, L’amant de lady Chatterley, Folio
En 1917, à l’occasion d’une permission, Clifford Chatterley a épousé Constance. Ils ont connu une semaine de lune de miel puis il est reparti à la guerre. Moins d’un an plus tard il en revient grièvement blessé, paralysé de la moitié inférieure du corps. Clifford et Constance s’installent à Wragby, demeure familiale des Chatterley, située dans les Midlands, près de Sheffield. C’est une région industrielle, les Chatterley sont propriétaires de mines de charbon, depuis leur domaine on voit le puits de mine et les maisons des mineurs, on sent l’odeur du charbon qui brûle en permanence.
Dans ce cadre peu réjouissant Constance se fait la garde-malade de Clifford. Ils font chambre à part et la seule intimité physique qu’ils ont c’est quand elle le lave. Certes il est impuissant mais on pourrait imaginer une tendresse et un contact autre que directement sexuel. Cela n’existe pas entre eux. Ce que j’ai compris c’est que Clifford est naturellement peu chaleureux et que même s’il n’avait pas été blessé il n’aurait pas été très proche de sa femme. Celle-ci tombe petit à petit dans la dépression et dépérit. Quand sa soeur s’en aperçoit elle oblige Clifford à prendre une infirmière à domicile, Mrs Bolton, qui va aussi se charger de requinquer Constance. Elle la pousse à sortir prendre l’air, à se promener dans le bois qui entoure la maison. C’est ainsi que Constance rencontre Olivier Mellors, le garde-chasse de son mari, dont elle devient la maîtresse.
Voilà un livre où il ne se passe pas grand chose. Le but de Lawrence c’est de disserter sur le monde moderne et sur les relations entre hommes et femmes.
Le monde moderne : Lawrence déplore l’industrialisation croissante des campagnes anglaises. Dans le même temps les hommes sont de plus en plus attachés à l’argent. En gagner plus devient le but de la vie. Ce qui fait le malheur des ouvriers, pense Olivier Mellors, c’est qu’ils sont attachés à satisfaire des besoins artificiels. S’ils pouvaient se contenter de vivre selon la nature, ils s’apercevraient qu’ils sont beaucoup plus riches qu’ils ne croient. Et il imagine une société utopique dans laquelle les hommes porteraient des pantalons rouges moulants qui leur rappelleraient les vraies valeurs (!)
J’ai été surprise de découvrir la description d’une société qu’on peut déjà, par certains aspects, qualifier de société de consommation. Dans la préface il est dit qu’en 1930 il n’y avait plus que 5% d’actifs dans l’agriculture en Grande-Bretagne. En France on a du arriver à ce chiffre à la fin des années 1980. C’est cet aspect du roman qui m’a le plus intéressée.
Les relations entre hommes et femmes (le sexe) : Lawrence reproche aux femmes modernes de vouloir se donner du plaisir par elles-mêmes en étant actives pendant l’acte sexuel. C’était le travers de Constance (elle a eu d’autres amants avant Mellors). Mais avec lui (qui est un vrai homme, pas domestiqué) elle découvre qu’en se laissant faire, en abandonnant toute volonté, elle retourne à l’état de nature et atteint à une jouissance supérieure. Je ne suis pas d’accord avec Lawrence et je me demande de quelle autorité il vient nous faire des leçons sur le plaisir féminin. On en apprend beaucoup moins sur le plaisir masculin.
Au total un roman qui adopte un point de vue réactionnaire, glorifiant un mythique passé, forcément supérieur au temps présent; peu d’action; des théories fumeuses assénées sans nuances. Et pourtant ça m’a pris ! J’ai apprécié le témoignage sur une société en pleine mutation. Il montre très bien aussi à quel point la première guerre mondiale a traumatisé toute une génération.
Rohinton Mistry, Une simple affaire de famille, Le livre de poche
L’histoire se déroule de nos jours à Bombay, dans la communauté parsie. Quand le vieux monsieur Nariman Vakeel se casse la cheville en tombant dans la rue et doit garder le lit il est accueilli dans la famille de sa file Roxanna. Commence alors une cohabitation difficile, l’appartement de deux pièces étant déjà trop petit en temps normal et le salaire de Yezad, le mari de Roxanna, tout juste pour faire vivre quatre personnes. Yezad vit difficilement ces difficultés financières. Cela entraîne des disputes avec sa femme et le pousse à essayer de trouver de l’argent par différents moyens qui ne donnent pas les résultats escomptés.
Jehangir, le fils cadet de la famille, un garçon sensible, est heureux de la présence de son grand-père. il aime parler avec lui. Puis, à mesure que la santé du vieil homme décline, il le rassure dans ses périodes de cauchemars. Car Nariman revit des épisodes de son mariage malheureux. Amoureux d’une jeune femme chrétienne avec qui il a eu une liaison de plus de dix ans il a finalement été obligé, sous la pression continuelle de ses parents, d’épouser une parsie. Une simple affaire de famille est aussi une critique de l’extrémisme religieux et des pratiques bornées qui vont avec, à l’intérieur de la communauté parsie et à l’extérieur puisqu’un des personnages secondaires est une victime des émeutes anti-musulmans de 1993.
J’ai beaucoup aimé ce livre que j’ai trouvé très bien écrit. les personnages sont attachants et il y a de belles descriptions de la vile de Bombay. J’ai découvert les Parsis et certains aspects de leur religion et ça m’a donné envie d’en savoir plus sur ce sujet.
Julie Otsuka, Quand l’empereur était un dieu, 10-18
Pendant la deuxième guerre mondiale, après l’attaque américaine sur Pearl Harbour (décembre 1942) les Américains ont interné dans des camps de prisonniers les personnes d’origine japonaise vivant dans le pays. Ils étaient accusés d’être des espions à la solde de l’empereur, une cinquième colonne préparant l’invasion des Etats-Unis.
Dans Quand l’empereur était un dieu, Julie Otsuka raconte l’histoire d’une famille japonaise de Berkeley. Le père a été arrêté au lendemain de Pearl Harbour. La mère et ses deux enfants (11 et 8 ans) sont déportés quelques mois plus tard vers un camp situé dans le désert de l’Utah. Tous ne seront libérés qu’après la fin de la guerre, plus de trois ans plus tard.
Julie Otsuka écrit dans un style apparemment détaché. Les personnages ne sont jamais nommés. Ils sont désignés comme « la femme », « le père », « la fille », « le garçon ». Malgré cela ils apparaissent comme très vivants et il n’y a rien de froid dans la narration grâce notamment aux dialogues particulièrement bien observés entre le frère et la soeur ou entre les enfants et leur mère. Sans s’appesantir l’auteur dit très bien les difficultés de l’internement et de la séparation d’avec le père puis du retour à une vie normale, entourés de voisins qui vous regardent de travers. J’ai beaucoup aimé ce petit livre.