Un tueur en série frappe à Hambourg. Des strip teaseuses sont assassinées et leur cadavre mutilé. La procureure Chastity Riley, cheffe de la police locale, ne se contente pas de diriger l’enquête depuis son bureau. Elle intervient directement sur le terrain , son terrain puisque les meurtres ont lieu dans le quartier chaud de Sankt Pauli où elle habite. Chastity est une héroïne originale. Traumatisée par un drame familial que le lecteur découvre peu à peu, elle est sujette aux évanouissements intempestifs, fume comme un sapeur, boit sec et craint l’attachement affectif. Ses atouts pour résoudre cette affaire : la connaissance du quartier et de ses habitants, la capacité à se mettre dans la tête du tueur et le respect de son équipe de policiers.
C’est une lecture que j’ai appréciée, pour son personnage de procureure atypique et pour la description du quartier de Sankt Pauli. Comme Chastity Riley, Simone Buchholz connaît bien ce quartier où elle vit et qu’elle aime, à n’en pas douter.
La ville de Hambourg me permet de participer au défi Sous les pavés les pages, organisé par Ingannmic et Athalie.
Caleb Carr, L’Aliéniste, Pocket
Le romancier et historien militaire américain Caleb Carr est mort le 23 mai 2024, il était né en 1955. Il a grandi dans la crainte que son père, qui le battait, ne le tue. Le poète Lucien Carr avait en effet fait de la prison pour homicide involontaire. Le roman le plus connu de Caleb Carr est L’Aliéniste.
New York, 1896. Un tueur en série assassine de jeunes garçons prostitués puis mutile atrocement leurs cadavres. Le préfet de police Theodore Roosevelt charge le journaliste John Moore, narrateur du roman, et le médecin aliéniste (psychiatre) Laszlo Kreizler de débusquer le criminel. Ils s’adjoignent la collaboration des frères Lucius et Marcus Isaacson, deux policiers incorruptibles -espèce rare à l’époque- et de Sara Howard, secrétaire de Roosevelt, qui rêve d’enquêter -métier interdit aux femmes en cette fin du 19° siècle. Ils vont faire un travail de profileurs pour dresser un portrait de l’assassin et lui mettre la main dessus.
Laszlo Kreizler est un médecin en avance sur son temps qui pense que l’on peut trouver dans le passé -particulièrement l’enfance- des personnes déviantes des explications à leurs actes. Ces vues originales lui valent la réprobation de la communauté médicale établie.
Les frères Isaacson s’intéressent aux plus récentes découvertes de la criminologie comme l’utilisation des empreintes digitales. Leur intérêt pour la science ne frappe pas toujours juste. Ainsi ils photographient l’oeil d’une victime avec l’espoir qu’on pourra y voir le visage de son meurtrier.
Sara Howard est une femme décidée, prête à forcer les circonstance pour ne pas rester secrétaire. Elle sait manier le pistolet et n’hésite pas à tenir tête à Kreizler quand elle estime qu’il se trompe dans ses analyses.
Le narrateur est lui aussi légèrement marginal. J’ai trouvé cette petite équipe fort sympathique.
Le cadre historique et géographique est celui de New York à la fin du 19° siècle. La corruption règne dans les administration et la police où le préfet Roosevelt essaie de faire le ménage. Nos héros vont trouver en travers de leur chemin des chefs de gang qui n’apprécient pas qu’on intervienne sur leur terrain -prostitution et maisons closes- et même les autorités religieuses, désireuses que l’ordre social ne soit pas perturbé. L’auteur s’est bien documenté sur cette période et le résultat est vivant avec de nombreux détails sur la vie sociale et culturelle. Plus que l’enquête elle-même ce sont ce cadre ainsi que les enquêteurs qui me plaisent et qui m’intéressent dans ce roman. Ce que j’ai lu de la biographie de Caleb Carr me laisse penser qu’il a mis des éléments personnels dans ce policier.
La première de couverture nous parle d’un « scénario teinté de Silence des agneaux », affirmation qui m’a inquiétée car j’ai le souvenir d’une lecture qui m’avait horrifiée. En fait l’époque et le personnage de psychiatre éclairé me font plutôt penser à la série des enquêtes de Max Liebermann que j’avais beaucoup appréciée. J’ai trouvé cette lecture plaisante, l’auteur ne s’appesantit pas sur les horreurs commises par son assassin. Je vois qu’il existe un second épisode avec les mêmes enquêteurs, je le lirai sans doute.
Hannelore Cayre, La daronne, Métaillié
Patience Portefeux est traductrice français-arabe pour le ministère de la justice. Au tribunal pour les prévenus qui ne parlent pas le français, au commissariat lors des interrogatoires mais de plus en plus souvent pour la traduction des écoutes téléphoniques de petits dealers. C’est par ce biais qu’elle entre en possession d’une grande quantité de cannabis qu’elle va s’employer à vendre. Pour ses clients, elle devient alors La daronne.
J’ai beaucoup apprécié ce réjouissant policier et son personnage amoral. Patience est bien placée pour connaître les arrangements avec la loi de la police et de la justice et elle s’en donne à coeur joie pour rouler un employeur qui la fait travailler au noir :
« C’est d’ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là même qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu ni retraite. Franchement, comme incorruptibilité on fait mieux, non ? »
Hannelore Cayre est avocate pénaliste et elle aussi est bien placée pour connaître ce dont elle traite. C’est donc un ouvrage qui a la saveur du vécu, très crédible. Par ailleurs elle porte un regard très critique sur la société française et ses travers. Il est notamment question des conditions de fin de vie des personnes âgées dans des EPHAD qui ressemblent à des mouroirs faute de personnel mais aussi du peu de perspectives laissées aux jeunes, particulièrement quand ils sont issus de l’immigration :
« Malgré tous ses efforts, à la sortie des études, il avait pris en pleine face le Grand Mensonge français. La méritocratie scolaire -opium du peuple dans un pays où on n’embauche plus personne, encore moins un Arabe- ne lui apporterait pas les moyens de financer ses rêves ».
La critique est mordante, l’humour caustique et c’est très bien écrit : je me suis régalée.
Satyajit Ray, Affaires de bijoux, Kailash
Ce court ouvrage se compose de deux petites aventures du détective Feluda à la poursuite de pierres précieuses dérobées. Dans la première histoire le descendant d’un colon britannique ramène en Inde un rubis volé par son ancêtre. Dans la deuxième le propriétaire d’une pierre remarquable reçoit des lettres de menaces.
C’est gentil mais pas vraiment palpitant. Plutôt facile à lire mais je me suis demandé si c’était toujours bien traduit. En tout cas il y a de nombreuses coquilles qui confinent parfois à la faute de Français : « Nous ne perdîmes pas de temps et grimpèrent quatre à quatre l’escalier menant à l’étage ». Donc des choses à revoir du côté de la maison d’édition.
Arnaldur Indridason, Hypothermie, Métailié
Une femme est retrouvée pendue dans son chalet d’été près du lac de Thingvellir. Pas de traces de violences, elle s’était mal remise de la mort de sa mère deux ans plus tôt, le suicide paraît donc évident. Pourtant sa meilleure amie a des doutes qu’elle confie au commissaire Erlendur. Il n’en faut pas plus à ce dernier pour se lancer dans une enquête personnelle, à l’insu de ses collaborateurs. Dans le même temps Erlendur exhume aussi des cas de disparition vieux de 20 ans et tente de percer enfin le mystère.
En ce qui concerne sa vie privée, Erlendur a renoué avec ses enfants et arrive à évoquer avec eux la disparition de son propre frère qui l’obsède tant. Sa fille souhaiterait qu’il rencontre son ex-femme pour s’expliquer enfin sur leur séparation. Le moment n’est peut-être pas encore arrivé.
J’ai particulièrement apprécié ce dernier épisode des enquêtes d’Erlendur. Je trouve le personnage de plus en plus attachant. J’aime aussi l’évocation des paysages qui entourent Reykjavik. Et la gastronomie islandaise… !
« Tu ne me donnes plus aucune nouvelle, reprocha-t-elle tout en se servant un bol de gruau. Erlendur lui coupa un morceau de cette saucisse au foie pas assez surette à son goût. Il avait pourtant exigé qu’elle soit directement sortie de la saumure lorsqu’il l’avait achetée au comptoir du magasin. Le jeune homme qui l’avait servi s’était exécuté avec une mine dégoûtée qui indiquait clairement qu’il n’avait aucun plaisir à plonger la main dans ce liquide. Erlendur en avait profité pour prendre du macareux, des paupiettes et un peu de pâté de tête qu’il conservait dans du petit-lait sur son balcon ».
Paul Doherty, Le trésor de l’Indomptable, 10-18
1300, près des côtes anglaises, le pirate Adam Blackstock qui avait volé une carte au trésor à deux marchands est rattrappé par ces derniers, abattu et pendu mais la carte a disparu. Trois ans plus tard, Paulents, l’un des deux marchands, pense avoir retrouvé la carte et vient à Cantorbéry pour rejoindre son collègue Castledene et mettre la main sur le trésor. Sir Hugh Corbett est dépêché sur place par le roi d’Angleterre, son maître, également partie prenante dans cette affaire. Mais très vite crimes et agressions se succèdent. Dans l’ombre un tueur implacable semble vouloir venger la mort de Blackstock.
J’ai beaucoup apprécié la lecture de cet épisode d’une série que j’avais un peu laissée de côté. L’action se déroule peu avant Noël, il fait froid et sombre, le mal rôde, il y a des meurtres en chambre close, l’ambiance angoissante est bien rendue. J’aime bien le héros, homme austère qui trouve son réconfort dans la prière et le chant. Encore une fois il montre qu’il est trop rigoureusement honnête pour que son royal maître puisse lui faire totalement confiance.
Claude Izner, Le petit homme de l’opéra, 10-18
Paris 1897. Successivement plusieurs personnes liées de près ou de loin à l’opéra Garnier meurent subitement après avoir mangé un cochon en pain d’épice. A chaque fois était présent dans les parages un homme de petite taille, employé de l’opéra. Quel est son rôle ?
Victor Legris et Joseph Pignot, libraires rue des Saints-pères, sont informés de l’affaire par Eudoxie Maximova une demie-mondaine amie de certaines des victimes. Elle sent le louche et les supplie d’enquêter. Il n’en faut pas plus pour que nos deux héros délaissent leur boutique et se lancent dans de nouvelles aventures.
Le petit homme de l’opéra est une lecture plaisante qui, comme les autres épisodes de cette série, nous permet de découvrir un Paris disparu. Cependant j’ai trouvé cet ouvrage un peu superficiel. Il pâtit surement d’avoir été lu juste après L’étrangleur de Cater street, tellement fouillé.
Anne Perry, L’étrangleur de Cater street, 10-18
La lecture du dernier épisode de cette série (Lisson grove, le 26° déjà) m’a donné envie de me replonger dans le n°1. Plus de suspens, je me souvenais du dénouement mais j’ai quand même énormément apprécié et retrouvé tout ce que j’aime chez Anne Perry : l’analyse des sentiments et des relations sociales.
Nous sommes à Londres en 1881, dans le quartier bourgeois de Cater street où vit la famille Ellison. La deuxième fille, Charlotte, est une jeune femme décidée qui trouve pesantes les conventions sociales de son milieu. Pourquoi certains comportements sont-ils admis pour les hommes et considérés comme déshonorants pour les femmes ? Charlotte souhaite pouvoir exprimer franchement ses opinions au grand dam de son père qui ne trouve pas cela convenable du tout et de sa mère qui se demande si on pourra jamais la marier.
Voilà qu’une série de meurtres vient frapper le quartier. Des jeunes femmes sont étranglées et mutilées. Aussi bien des domestiques que des filles de bonne famille. Petit à petit la conviction s’installe que le détraqué ne peut être qu’un habitant du quartier et chacun se met à suspecter ses proches. Un père, un mari ? A quel point connaissons nous ceux avec qui nous vivons et que nous aimons ? Que savons nous vraiment de leurs désirs et de leurs pensées les plus secrètes ? La question se pose particulièrement à cette époque et dans ce milieu qui répriment toute spontanéité.
C’est l’inspecteur Pitt qui est chargé de l’enquête et il revient régulièrement chez les Ellison pour interroger Charlotte ou lui faire part de ses sentiments sur l’enquête. D’après Emily, la soeur cadette de Charlotte, c’est parce que cette dernière lui plait. Charlotte se serait bien passée de cette admiration embarrassante. Après tout un policier est un être socialement inférieur, pas beaucoup mieux placé qu’un commerçant. Et pourtant, l’inspecteur Pitt est aussi le premier homme qui semble apprécier sa franchise et qui la regarde comme une femme.
Perry Anne, Lisson grove, 10-18
Londres, 1895. Thomas Pitt poursuit sur le continent l’homme qui vient, sous ses yeux, d’assassiner l’informateur qui devait lui donner des renseignements sur un complot anarchiste. Pendant ce temps son chef aux services secrets, Victor Narraway, est accusé d’avoir détourné de l’argent et démis de ses fonctions. Il prétend qu’il est innocent et que c’est un complot pour se débarrasser de lui. Convaincue de sa bonne foi Charlotte, la femme de Thomas, décide de l’aider et de l’accompagner pour cela en Irlande où il pense pouvoir trouver les preuves dont il a besoin. Un tel voyage est très inconvenant aussi se fait-elle passer pour sa soeur. Charlotte va se sentir quand même bien embarrassée quand elle découvre que Victor éprouve beaucoup plus que de la sympathie pour elle.
En cette fin du 19° siècle socialistes et anarchistes s’agitent de plus en plus en Europe et les vieilles monarchies sont dans le collimateur. Mais nos héros sont tous de fidèles partisans du régime britannique et s’ils conçoivent qu’on en ait après le tsar et son régime rétrograde, ils sont convaincus que la reine d’Angleterre est le meilleur garant des libertés. Des réformes, oui mais sans tout renverser.
J’ai beaucoup apprécié ce 26° épisode des aventures de Charlotte et Thomas. Ici ce cher Thomas fait plutôt de la figuration et d’une façon générale ce sont les femmes les personnages forts. Cela fait si longtemps qu’elle est commencée cette série que cela m’a donné envie de relire le numéro un pour voir comment les personnages avaient évolué.
Arnaldur Indridason, Hiver arctique, Métailié
Voici le cinquième épisode des enquêtes d’Erlendur, policier à Reykjavik. Le suivant vient de sortir, il s’appelle Hypothermie. Décidément, l’Islande est un pays où il fait froid.
Un petit garçon de 10 ans est retrouvé mort au pied de l’immeuble où il habitait avec sa mère et son frère. L’enquête montre qu’il a été assassiné en revenant de l’école. Qui pourrait en vouloir à un enfant de cet âge ? Comme le petit Elias était Thaïlandais par sa mère on imagine qu’il pourrait s’agir d’un crime raciste. Cette hypothèse agite la société islandaise. L’immigration en provenance de pays du Sud y est, semble-t-il, un phénomène récent et ne plaît pas à certains.
Par ailleurs, le fait d’avoir vu l’enfant couché dans la neige a ramené à l’esprit d’Erlendur le souvenir de son frère cadet Bergur, disparu dans une tempête de neige à peu près au même âge. Sa fille Eva Lind qui ne lui donnait plus de nouvelles depuis un bout de temps réapparait et l’interroge sur Bergur. Elle ne veut pas se contenter de réponses évasives.
Enfin, Marion Briem, ancienne supérieure d’Erlendur, agonise à l’hôpital et il est le seul à lui rendre visite, elle n’a plus de famille, pas d’amis. Ces circonstances amènent notre héros à s’interroger sur ses propres relations avec les autres et sur ce que pourrait être sa propre fin.
Tout ceci ne respire pas précisément la joie de vivre et la conclusion de l’enquête, dans la droite ligne de cet ouvrage noir, n’est pas non plus de nature à réjouir. J’ai apprécié cette lecture cependant. A éviter un jour de blues, peut-être.