Un ingénieur dans le nucléaire, délégué syndical dans la grande entreprise française Arlena, disparaît au moment où sa femme et son fils sont abattus. Il semble qu’il posait beaucoup de questions sur un nouveau contrat avec la Chine. C’est l’agente des services secrets Lorraine K qui est chargée d’enquêter sur cette disparition. Elle enquête aussi sur un sous-marin nucléaire qui aurait coulé un voilier de course, causant la mort du skippeur. Le patron de Lorraine c’est Corti. Corti est en relation avec Philippe Launay, favori, d’après les sondages, à la prochaine présidentielle. Launay n’a aucune conviction à laquelle il tienne, il veut simplement gagner le pouvoir.Mais il y a aussi Lubiak, du même parti que Launay et qui est lui aussi prêt à beaucoup pour obtenir l’investiture. Launay ou Lubiak, une campagne ça coûte cher.
Hommes politiques corrompus, espions, famille assassinée, entreprise nucléaire maniant de gros contrats : je m’attendais à un thriller. Déception, c’est… c’est quoi ? Difficile à dire, je vais tâcher de m’expliquer.
D’abord le positif : Marc Dugain écrit bien, il a le sens de la formule ciselée mais (c’est le négatif qui commence) tout du long de ma lecture ça me donne l’impression d’être une surface lisse qui ne recouvre rien. Il y a bien une critique de la vie politique française contemporaine, de la mondialisation, mais qui me paraît très convenue. Mais il me semble que si un écrivain pense que c’est pas bien que nos dirigeants s’accoquinent avec les grandes entreprises pour gagner plus d’argent ou plus de pouvoir en méprisant le citoyen, il ne doit pas se contenter de dire « c’est pas bien ». Il faut le gueuler que c’est un scandale ! Sinon ce n’est pas la peine d’écrire un livre à ce sujet ! Voilà, L’emprise (ça veut dire quoi, d’ailleurs, ce titre ?) manque singulièrement de tripes. Et c’est typiquement le roman dont, dans deux mois, je ne me souviendrai même plus que je l’ai lu.
Quand le vieille cathédrale de Kingsbridge brûle en 1135, Tom le bâtisseur y voit la chance de sa vie : il va pouvoir réaliser son rêve de bâtir une cathédrale. Le prieur Philip, chef du prieuré de Kingsbridge accepte de l’engager, même si l’argent manque. Pour financer la construction Philip va devoir manoeuvrer contre de puissants opposants. L’évêque Waleran Bigot est un arriviste qui a pour ambition de s’élever aux plus hautes fonctions ecclésiastiques. La famille Hamleigh convoite le comté de Shiring. Le fils, William Hamleigh, est un jeune homme qui prend son plaisir en terrorisant, en brutalisant, en violant et en tuant. Pour une raison ou une autre la construction de la cathédrale contrecarre les projets de ces personnages peu regardants sur les moyens et qui vont tout faire pour la faire échouer.
En ce milieu du 12° siècle la situation politique troublée facilite les agissements de ceux qui ne s’embarrassent pas de scrupules. Une guerre civile a éclaté après la mort sans héritier mâle direct du roi Henry. Maud, fille légitime d’Henry s’est alliée à Gloucester, son demi-frère, bâtard du roi. Ils s’opposent à leur cousin Stephen. Selon que les combats avantagent l’un ou l’autre camp certaines alliances peuvent se révéler plus ou moins avantageuses et favoriser ou non la construction de la cathédrale. Ceux qui perdent presque à tous les coups ce sont les civils, surtout les plus pauvres, victimes des pillages et de la faim.
J’ai souvent vu le nom de Ken Follett dans la presse ces derniers temps à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage. C’était le moment de découvrir cet auteur dont on m’avait déjà dit qu’il devrait me plaire vu mon goût pour l’histoire. Et en effet je n’ai pas été déçue. Si ça n’est pas super bien écrit le livre est difficile à lâcher une fois commencé. Un véritable page turner ! Dès le début on a compris que ce sont les gentils qui vont gagner mais avant d’en arriver là, que de rebondissements ! C’est un vrai roman d’aventures. Les aspects historiques sont manifestement bien documentés. Il y a une « suite », Un monde sans fin, qui se déroule 200 ans plus tard et que j’ai prévu de lire prochainement.
En cherchant une image pour illustrer mon article j’ai découvert qu’une mini-série avait été tirée du roman. J’ai commencé à la regarder aussitôt après avoir fini ma lecture. Là je peux dire que j’ai été déçue. Je me doutais bien que pour faire entrer 1000 pages dans huit épisodes de 50 mn il allait falloir simplifier et raccourcir mais je découvre un scénario où de nombreux événements ont été dramatisés : des morts naturelles ou accidentelles transformées en meurtres, une mère autoritaire devenue incestueuse, les héros échappant à la mort de justesse. Je trouve que cela donne un résultat caricatural.
Le docteur Thorne, médecin de campagne dans l’Angleterre du milieu du 19° siècle, a élevé comme sa propre fille Mary, la fille illégitime de son frère décédé. Frank Gresham, le fils du squire -le seigneur- local, ami d’enfance de Mary, l’aime et souhaite l’épouser. Mais le squire, pour donner à sa femme, de plus haute naissance que lui, un cadre de vie correspondant à son rang, a du s’endetter et toute la famille considère maintenant que Frank doit épouser une fortune pour redorer son blason. Or Mary est sans fortune. La mère de Frank, lady Arabella, va s’efforcer par tous les moyens de séparer les amoureux et de pousser son fils dans les bras d’une riche héritière. Si lady Arabella est très imbue de ses origines et de son sang pur on comprend que, pour cette femme, devant l’argent tout s’efface. Qu’importe la naissance pourvu qu’on ait la fortune.
Sir Roger Scatcherd, un ancien maçon, a fait fortune dans la construction de ponts et de chemins de fer et a été anobli par la reine. Il est aujourd’hui propriétaire d’une partie des anciennes terres des Gresham et le squire a hypothéqué en son nom le reste de ses propriétés. Le docteur Thorne est le seul à savoir que Mary est la fille de la soeur de sir Roger.
Après Miss Mackenzie je retrouve avec grand plaisir Anthony Trollope. J’apprécie sa critique de la société de son temps, de l’importance attachée à la naissance et de la valeur supérieure que conférerait à certains individus leur sang pur. Le docteur Thorne qui juge les gens à leurs actes et non à leurs origines est le représentant de cet esprit critique.
J’apprécie aussi l’analyse psychologique des personnages qui sont généralement traités avec sympathie. Même quand ils se conduisent mal l’auteur montre qu’ils peuvent avoir des excuses.
J’apprécie enfin la façon dont Anthony Trollope prend le lecteur à témoin avec beaucoup d’humour. La lecture est souvent très drôle.
De passage chez ma belle-mère je tombe sur ce roman, lu et sans doute relu dans mon enfance, c’est à dire il y a environ 40 ans. Le copyright est de 1922 et l’édition que j’ai entre les mains de 1964. Est-ce que c’est encore lisible en 2014 ? Mais oui, tout à fait. Germaine Acremant a une bonne plume, le style est enlevé et je ne m’ennuie pas un instant. Si le regard porté sur la société est bien de son époque il y a aussi ici ou là une prise de position qui me paraît plus originale.
De quoi s’agit-il ? Après le suicide de leur père ruiné par des placements hasardeux, Arlette, une jeune fille de 18 ans, et son frère Jean se retrouvent bien démunis (au passage, la perte de la fortune familiale semble les affecter plus que la mort du paternel). Heureusement, leur notaire a des solutions à proposer, comme l’explique Jean à Arlette :
« – Moi, il m’envoie aux colonies. (…) Je serai très raisonnablement payé. Avec de l’initiative et du courage, on estime que je peux gagner une petite fortune… -Tu acceptes donc de partir ? -Dame ! Je n’ai pas le choix… Quand un homme a été élevé comme je l’ai été, il ne peut pas s’abaisser à prendre une place inférieure dans une administration… Il doit songer à ses relations… Et puis j’ai un besoin d’indépendance que Paris ne permet qu’aux gens riches… Evidemment je connaîtrai des heures pénibles là-bas… Il y aura des efforts à donner… il y aura des privations à endurer… il y aura de très longues soirées, dans une solitude navrante, devant des horizons mortels… Mais j’aurai pour me soutenir, la perspective du retour… -Tu as raison… D’ailleurs, ces longues soirées, nous ferons tout pour les égayer… Et nous y parviendrons… -Nous ? -Bien sûr ! tu ne t’imagines pas que je vais rester ici toute seule. Je t’accompagnerai… (…) -Hélas ! ma petite chérie, c’est impossible ! -Pourquoi ? -Parce que la place d’une jeune fille n’est pas au milieu des nègres… » (Pauvre Jean, il va devoir travailler, tout seul chez les nègres…)
Mais que va devenir Arlette ? Elle sera recueillie par ses cousines Davernis de Saint Omer, quatre vieilles filles âgées de 35 à 55 ans et surnommées « Ces dames aux chapeaux verts« . Pauvre Arlette, parisienne dans l’âme recluse en province entre quatre bigotes. On se demande si son sort n’est pas pire que celui de son frère. Quand elle découvre qu’une de ses cousines a eu autrefois un amoureux que sa mère a refusé qu’elle épouse, elle décide de relancer l’affaire.
Germaine Acremant adopte le point de vue de son héroïne et sans doute de sa lectrice que j’imagine parisienne, moderne, de bonne famille, visitant des expositions, conduisant une automobile ou jouant au tennis en attendant de faire un beau mariage. La vie de province, les vieilles filles et les professeurs de collège sont des repoussoirs, plus ou moins gentiment ridiculisés. L’action se déroule dans une France hors de l’histoire. Pas une allusion à la Grande Guerre qui a pris fin quatre ans avant la rédaction du roman et qui pourrait expliquer l’abondance de femmes sans hommes. Aucun parallèle entre la situation d’Arlette, qui ne peut espérer se « libérer » que par le mariage, et celle de ses cousines. Si elles sont vieilles filles, ça doit être de leur faute. C’est dire si je n’attendais pas un véritable plaidoyer pour la vieille fille sur lequel je tombe soudain :
« Vieilles filles ! Nous sommes des vieilles filles ! On nous désigne ainsi quand nous passons. On fait presque de ce nom une injure qu’on nous jette à la face. (…) Nous ne sommes pas élégantes, nous sommes laides, nous demeurons isolées. Comment nous jugerait-on si nous vivions autrement ? Nous voyez-vous, en toilettes tapageuses, courant les fêtes ? Vieilles filles ? c’est certain que nous le sommes, vieilles filles ! mais pourquoi le sommes-nous, est-ce qu’on s’en inquiète ? (…) Il y a les femmes d’un seul amour, qui ont attendu d’un homme, qui ne leur a pas été donné, l’aveu qu’une autre a reçu… Il y a les femmes de devoir, qui ont consacré leur jeunesse à des parents malades (…) Il y a des femmes pauvres, dont le seul crime était de n’avoir pas de dot… Il y a… il y en a des quantités d’autres,… mais surtout il y a le troupeau lamentable des femmes qui n’ont jamais été jolies. Peu importe qu’elles aient eu la bonté, l’éducation, l’intelligence, tout ce que la volonté personnelle peut acquérir et développer. »
Même si, tout du long du roman, c’est le ton moqueur qui l’emporte voilà un effort de réflexion critique qui est bienvenu et qui montre que Germaine Acremant était capable de me surprendre. Celles qui ont apprécié ce roman autrefois doivent pouvoir encore y trouver de l’intérêt.
Honor Bright est une Quaker, une Amie. Elle vit avec ses parents à Bridport en Angleterre. En 1850, quand sa soeur Grace part pour les Etats-Unis épouser son promis installé dans l’Ohio, Honor l’accompagne. Malheureusement Grace décède peu après leur arrivée en Amérique et Honor se retrouve isolée dans un pays si différent du sien.
Ce roman me permet de découvrir la communauté quaker. A la lecture de la dédicace je comprends que Tracy Chevalier a fréquenté des Quakers et qu’elle a vécu dans les lieux où elle situe l’action de son roman. Les Quakers mènent une vie réglée et tempérée.Pas d’alcool, pas de tabac, pas de distractions inconvenantes ou d’oisiveté. Quand elle n’est pas occupée par les tâches ménagères, Honor confectionne des quilts. Il s’agit de courtepointes matelassées en patchwork (à la mode anglaise) ou en appliqué (à la mode américaine). En visite chez des voisines ou pendant ses moments de pause, Honor est toujours occupée. Elle découpe, elle faufile, elle assemble. Il y a plein de détails sur la fabrication et les différents motifs qui m’ont presque donné envie de me mettre au quilt. Le style d’écriture qui m’a paru un peu ennuyeux au début rend en fait fort bien l’ambiance de cette vie simple, généralement sans événements marquants.
Un quilt en patchwork avec le motif « étoile de Béthléem »
Bon mais c’est un roman quand même et il faut donc bien des événements marquants. Il s’agira de la découverte par Honor et de sa participation au chemin de fer clandestin, le réseau d’aide aux esclaves en fuite. L’Ohio se situe à la frontière du Canada, pays refuge pour les fugitifs et les Quakers sont des abolitionnistes donc disposés à apporter leur soutien à ceux qui cherchent la liberté. Il y a une intéressante réflexion sur l’origine du coton utilisé pour les quilts et une volonté de s’approvisionner en produits du « commerce équitable » :
Un quilt en appliqué
« Il y a eu un débat sur l’origine de ce coton : on s’est demandé s’il avait été cultivé et récolté pardes esclaves. Judith Haymaker nous a assuré qu’Adam Cox l’avait acheté pour elle à un marchand de Cleveland qui travaille avec des plantations du Sud ne recourant pas aux esclaves. J’ai entendu parler d’un magasin à Cincinnati, tenu par un Ami, où toutes les marchandises sont garanties de provenance inattaquable sur ce plan-là. »
C’est donc finalement une lecture que j’ai trouvé plaisante. Une rapide recherche complémentaire sur les Quakers me confirme qu’il s’agit d’une intéressante communauté.
Une femme est retrouvée assassinée dans son jardin de Londres, sa fille de 14 ans a disparu. L’ADN d’un cheveu d’homme retrouvé sur le cadavre montre qu’il appartient à un parent de la victime. La police a alors recours aux services du généalogiste Nigel Barnes pour dresser l’arbre généalogique de la famlle et arrêter une liste de suspects potentiels.
Comme dans Code 1879 on retrouve dans ce deuxième épisode de la série les racines du crime dans un lointain passé familial troublé. Ici leur enquête historique et policière emmène nos héros jusqu’à Salt Lake City chez les Mormons. Il faut dire que cette secte s’y prête particulièrement puisque, dans un souci de sauver l’humanité, elle a entrepris de baptiser un maximum de personnes déjà décédées. Dans ce but les Saints des derniers jours copient des registres d’état civil dans le monde entier, les numérisent et les stockent dans leur capitale de l’Utah où ils sont accessibles au public. Un rêve pour un généalogiste passionné comme Nigel Barnes. Il est question d’une branche dissidente des Mormons, des intégristes, qui pratiquent toujours la polygamie, et pire encore.
Je lis avec grand plaisir ce deuxième épisode. Le récit est bien mené, il y a du suspense, une pointe d’humour et j’ai peine à lâcher ma lecture. Il y a une happy end qui fait plaisir même si la facilité avec laquelle certaines situations évoluent paraît un peu facile après la série de crimes atroces qui précéde.
Quand il se réveille à l’hôpital bien mal en point et avec des côtes cassées William Monk ne sait ni comment il est arrivé là ni qui il est. Il semblerait que l’accident dont il a été victime l’a laissé amnésique. Pour lui c’est comme si la vie commençait ce 30 juillet 1856. Il comprend vite que si la police s’intéresse à lui ce n’est pas parce qu’il est un repris de justice mais un membre des forces de l’ordre. Il va reprendre le travail et tenter de résoudre l’affaire de meurtre qui lui est confiée en enquêtant aussi sur son propre passé. Il ne révèle pas son handicap car il a vite compris aussi que l’ancien Monk était un personnage fort déplaisant, arriviste et imbu de lui-même, qui s’est mis à dos son supérieur Runcorn, lequel serait trop content d’avoir un prétexte de se débarrasser de lui.
C’est étrange et fascinant cette histoire d’amnésie. Penser qu’on puisse tout oublier de soi-même au point de changer de caractère. Il me semble que c’est un signe qu’on ne se supportait vraiment plus. Anne Perry a expérimenté cela. A l’âge de 15 ans, alors qu’elle vivait en Nouvelle Zélande, elle a aidé sa meilleure amie à tuer sa mère. Cette histoire est racontée par le film Créatures célestes de Peter Jackson. Plus tard elle a elle-même traversé une période d’amnésie concernant cette époque de sa vie.
C’est avec un grand plaisir que je relis ce premier épisode de la série des William Monk dont la première lecture doit remonter à la sortie de l’ouvrage c’est à dire 1998. Je retrouve des personnages qui ont depuis disparu de la série comme lady Callandra Daviot, une veuve qui ne veut pas se contenter de jouer les potiches à la différence de nombre de dames de sa classe. Elle est bien sur l’amie de la dérangeante Hester Latterly, une jeune femme qui revient tout juste de Crimée où elle a servi comme infirmière aux côtés de la célèbre Miss Nightingale. La première rencontre entre nos deux héros fait des étincelles :
« – Vous posez trop de questions, madame. Vous êtes arrogante, autoritaire, irascible et suffisante. Et vous portez des jugements hâtifs qui ne reposent sur rien. Mon Dieu ! j’ai horreur des femmes intelligentes. Elle se figea un instant avant que la réponse ne lui monte aux lèvres. – Et moi, j’aime les hommes intelligents ! Elle le toisa de la tête aux pieds. -A l’évidence, la désillusion nous guette, l’un comme l’autre. »
Ces chamailleries ne font que commencer, pour le plus grand plaisir du lecteur, si vous voulez mon avis.
Londres, 1868. William Monk, chef de la brigade fluviale, est témoin de l’explosion d’un bateau mouche sur la Tamise. Il y a près de 200 victimes. Face à ce qui apparaît comme un attentat, l’opinion publique choquée demande une arrestation et vite. Avant même le début de l’enquête l’affaire est retirée à la fluviale et confiée à la police métropolitaine. Quand le peu recommandable Habib Beshara est arrêté, il apparaît comme le coupable idéal. Un peu trop peut-être. N’y aurait-il pas en haut lieu des personnes désireuses de cacher la vérité ?
J’ai bien aimé cette enquête. Les scènes de procès qui auparavant me semblaient parfois longues m’accrochent beaucoup plus depuis que j’ai lu L’affaire de Road hill house et La déchéance de Mrs Robinson. Je comprends mieux aussi ce que pouvait être l’influence de la presse à l’époque. Comme toujours j’ai eu plaisir à retrouver les personnages que je connais et fréquente depuis longtemps au point que ça m’a donné envie de relire le premier épisode de la série, que je commence dans la foulée.
« Ceci est une oeuvre de fiction. Tous les personnages sont imaginaires. La situation des fleuves, des passages à niveau, des églises et des crématoriums n’est pas exacte. »
A Ayemenem, village près de Cochin dans le Kerala, vit une famille élargie de propriétaires terriens et notables du lieu. L’histoire est vue à travers les yeux des jumeaux Rahel (la fille) et Estha (le garçon), âgés de huit ans. Leur mère, Ammu, a quitté son mari alcoolique pour revenir chez ses parents après un mariage qu’ils n’avaient pas approuvé et qui avait été pour elle un moyen de fuir sa famille. Autant dire qu’elle n’a pas été accueillie à bras ouverts et qu’on lui fait sentir à l’occasion qu’on la tolère par obligation. Quand on découvre qu’Ammu a une liaison avec Velutha, un Intouchable, un drame éclate qui va bouleverser la vie des jumeaux.
Le présent de la narration se situe en fait 23 ans plus tard et l’histoire fait des aller-retour entre cet aujourd’hui et le passé. Très vite des éléments du drame à venir sont annoncés au lecteur et on comprend que cela ne va pas bien se terminer. C’est comme dans un spectacle de kathakali, un théâtre dansé originaire du Kerala et dont il est plusieurs fois question dans le roman :
« Le kathakali sait depuis longtemps que le secret des Grandes Histoires c’est précisément de n’en point avoir. Les Grandes Histoires sont celles que l’on a déjà entendues et que l’on n’aspire qu’à réentendre. Celles dans lesquelles on peut entrer à tout moment et s’installer à son aise. Elles ne cherchent ni la mystification par le biais du suspense et de dénouements inattendus, ni la surprise de l’incongru. Elles sont aussi familière que la maison qui vous abrite. Que l’odeur d’un amant. On les écoute jusqu’au bout, alors qu’on en connaît la fin. De même que l’on vit comme si l’on ne devait jamais mourir, tout en sachant pertinemment qu’on mourra un jour. Dans les Grandes Histoires, on sait d’avance qui vit, qui meurt, qui trouve l’amour et qui ne le trouve pas. Mais on ne se lasse jamais de le réentendre. »
Alors, est-ce que Le Dieu des Petits Riens est une Grande Histoire ? Pour moi en tout cas c’est une relecture, celle de septembre même si octobre est déjà bien entamé. Mon édition date de 2000, ma première lecture date sans doute de cette époque, je n’en avais pratiquement aucun souvenir si ce n’est que ça m’avait plu. J’apprécie encore aujourd’hui. Je trouve ça fort bien écrit. Il y a des images bien trouvées : « Le ventilateur paresseux épluchait l’air lourd et peureux en une interminable spirale qui retombait au sol comme une pelure de pomme de terre interminable. » et de belles descriptions des paysages. J’avais fait une halte dans le Kerala lors de mon voyage en Inde en 2005 et un petit tour dans les backwater, les canaux qui sillonnent l’arrière-pays. Je les retrouve dans ma lecture :
« Au-delà du marais qui sent l’eau stagnante, ils passent devant des arbres vénérables recouverts de vigne vierge. Des maniocs gigantesques. Des poivriers sauvages. Des cascades violettes d’acuminus. Devant un scarabée bleu foncé en équilibre sur un brin d’herbe qui ne plie pas sous le poids. Devant des toiles d’araignées géantes qui ont résisté à la pluie et courent comme des rumeurs colportées d’un arbre un autre. Une fleur de bananier dans son fourreau de bractées bordeaux s’accroche à un arbre rugueux aux feuilles arrachées. Joyau offert par un écolier dépenaillé. Bijou de la jungle veloutée. »
Après L’affaire de Road hill house, Kate Summerscale s’attaque à une autre affaire qui secoua la bonne société victorienne : le divorce d’Henry et Isabella Robinson. C’est une histoire vraie, ce n’est pas un roman.
En 1844 Isabella Walker, veuve avec un bébé, épouse l’ingénieur Henry Robinson. Elle ne l’aime pas mais il faut bien qu’elle se case, lui s’intéresse surtout à sa dot qui va lui permettre de développer son entreprise. Bien vite Isabella est insatisfaite et malheureuse. Elle s’intéresse à la littérature, à la médecine, sujets qui laissent froid Henry, de surcroit fréquemment absent pour affaires. A Edimbourg où la famille réside, Isabella fréquente les Lane. Edward Lane est un jeune médecin séduisant qui la fait fantasmer. Dans son journal intime elle rapporte leurs rencontres, leurs conversations, les rêves qu’elle fait de lui, ses espoirs que leur amitié évolue puis le premier baiser, la relation intime, enfin. Peu après Henry met la main sur ce journal et va s’en servir pour demander le divorce.
Dans la première partie de son étude Kate Summerscale introduit le lecteur auprès des intellectuels progressistes du milieu du 19° siècle. Dans l’entourage des Lane gravitent en effet Charles Darwin et George Combe, pionnier de la phrénologie en Grande-Bretagne. La phrénologie c’est cette tentative de déduire le caractère des gens d’après la forme de leur crâne. D’après ce que je comprends elle m’apparaît comme un premier pas vers la psychanalyse sauf que les phrénologues sont restés à la surface des choses, si je puis dire, tandis que Freud est allé à l’intérieur. La phrénologie en tout cas a fait perdre la foi à Isabella.
Dans une lettre à Combe elle explique que « les gens comme lui, qui ont accompli de grandes choses, ont la possibilité de « se consoler avec le sentiment de n’avoir pas vécu en vain », mais pour elle et d’innombrables autres femmes, « qui ne font qu’exister sans bruit, qui (pour certaines) élèvent une famille, suivant en cela l’exemple inutile de celles qui les ont précédées, quelle motivation, quelle espérance peut-on trouver, qui soient suffisamment puissantes pour leur permettre de faire face aux épreuves, aux séparations, au grand âge et à la mort même ? »
Malgré tout je constate que la phrénologie de Combe est entachée de préjugés sexistes et racistes. Il pense ainsi que l’amour de l’approbation, bien développé chez Isabella, est une faculté « souvent prononcée chez les femmes, les Français, les chiens, les mulets et les singes. »
Dans cette première partie on fait la connaissance d’un autre personnage fort intéressant. Il s’agit de George Drysdale, frère de Mme Lane. A l’âge de 15 ans ce pauvre garçon a découvert fortuitement la masturbation et se masturbe bientôt deux à trois fois par jour. Pour se débarrasser de son « vice » « il subit une série d’opérations destinées à lui cautériser le pénis -c’est-à-dire à en détruire les terminaisons nerveuses en introduisant dans l’urètre une fine tige métallique enduite d’une substance caustique. Il se soumit sept ou huit fois à cette intervention. » (Bien que n’étant pas équipée d’un pénis, j’en ai mal pour lui !) George consulte enfin le dr Claude François Lallemand, spécialiste français de la lutte contre l’onanisme qui lui suggère d’essayer le coït. Et ça fonctionne ! George étudie ensuite la médecine et publie des livres dans lesquels il préconise des relations sexuelles épanouissantes pour tous, hommes et femmes et donc l’usage de la contraception. Tout ceci avec pour objectif de lutter contre la masturbation, considérée comme une maladie mentale à cette époque. Encore une fois un mélange d’ouverture d’esprit bienvenue et de résidus du passé.
La deuxième partie présente le déroulement du procès en divorce intenté par Henry Robinson contre son épouse et qui a lieu en 1858. Henry attaque aussi Edward Lane à qui il demande des dommages et intérêts pour adultère. La principale preuve à chatge présentée et qui va être disséquée tout au long des audiences est le journal d’Isabella. Pour préserver la réputation d’Edward (à qui des maris confient leur femme en cure d’hydrothérapie) celle-ci et ses avocats adoptent la ligne de défense suivante : il ne s’est rien passé de répréhensible entre Edward et Isabella. Le récit qu’elle en fait dans son journal est entièrement fantasmé. Edward et ses soutiens vont s’engouffrer dans cette voie. La déchéance de Mrs Robinson est en marche. Tous ceux avec qui elle discutait littérature ou science, mais qui sont avant tout des amis d’Edward, vont avoir à coeur de se démarquer d’elle pour ne pas être entraînés dans sa chute. Il s’agit de prouver qu’elle est folle et qu’elle l’a toujours été.
« Chacune des actions de Mrs Robinson ne nous laisse le choix qu’entre deux conclusions (…) : ou bien elle est la créature la plus ignoble et débauchée qui revêtit jamais forme féminine, ou bien elle est folle. Dans l’un et l’autre cas, son témoignage est sans valeur. » cqfd ! L’hystérie, diagnostique fourre-tout, s’avère bien commode pour réduire au silence une femme qui a eu le culot de vouloir exprimer ses sentiments.
La femme adultère, tableau d’Augustus Leopold Egg, 1858
Cette femme intelligente est bafouée de façon scandaleuse. On vient au procès comme on irait au spectacle pour se repaître des « bonnes feuilles » du journal. Il y a là un mélange de voyeurisme et de pudibonderie très hypocrite. Cette société patriarcale qui réprouve tout ce qui peut s’apparenter à une volonté d’autonomie chez une femme est effrayée par celles qui, comme Isabella, n’apparaissent pas entièrement soumises à leur mari.
J’ai trouvé passionnant cet ouvrage qui aborde de nombreux sujets. Ce qui m’a le plus intéressée c’est tout ce qui concerne la sujétion des femmes mariées à leur époux (l’auteur cite aussi d’autres cas de divorces difficiles à cette époque) et les questions de sexualité. J’apprends qu’il y a controverse au sujet de l’usage du spéculum pour les consultations gynécologiques. Peu de médecins l’utilisent par crainte d’exciter leurs patientes qui bientôt ne pourraient plus s’en passer… Une information qui me remémore ma lecture du Choeur des femmes.