URSS, 1953. Léo est un officier zélé du MGB, ancêtre du KGB. Son travail consiste à arrêter les personnes coupables de menées antisoviétiques et cela en fait du monde. Quand ses supérieurs lui demandent de surveiller sa propre femme Raïssa, Léo commence à se poser des questions. C’est la mort de Staline qui les sauve. Léo et Raïssa seront seulement limogés et exilés dans un trou perdu de l’Oural.
Dans son nouveau poste Léo se persuade qu’un tueur en série écume tout le sud du pays massacrant des enfants que l’on retrouve éventrés et la bouche pleine d’écorce. Dans l’URSS de l’époque, paradis du peuple, de telles choses ne sont pas concevables. Aussi c’est en secret que Léo et Raïssa vont mener l’enquête, mettant en péril leurs vies et la sécurité de ceux qui les entourent. Pour Léo cette affaire est aussi l’occasion de rebâtir sa vie, fondée sur les mensonges et le non-dit.
En plus d’un thriller (j’en ai lu des plus palpitants, quand même), Enfant 44 est aussi une peinture de la terreur stalinienne. Tout ceci se lit plutôt facilement car il y a du suspense mais je ne l’ai pas trouvé très bien écrit. Il y a un méchant qui poursuit le héros de sa haine à travers toute l’URSS sans que j’aie très bien compris pourquoi et cela donne un côté caricatural à l’ensemble. Si cela ne m’a pas vraiment emballée ça m’a en tout cas donné envie de me replonger dans de meilleurs ouvrages traitant de la même époque. J’ai ça chez moi, je m’y mets dès que je reviens de Noël (à moins qu’on ne m’offre des livres trop alléchants d’ici là).
C’est par hasard à ma bibliothèque que j’ai découvert cette dernière aventure d’Eraste Pétrovitch Fandorine qui n’est pas encore sortie en poche et dont j’ignorais l’existence. J’ai aussitôt mis la main dessus car j’adore cette série.
L’histoire commence en 1905. La Russie est en guerre contre le Japon dont les espions sont à l’oeuvre sur le territoire russe pour des opérations de déstabilisation. Fin connaisseur du japon, Fandorine est envoyé à la poursuite d’un ninja prêt à tout et qui semble insaisissable.
La guerre russo-japonaise n’est en fait qu’un prétexte pour nous ramener près de 30 ans en arrière, en 1878 quand, encore tout jeune homme, Fandorine débarquait à Yokohama pour y prendre le poste de vice-consul de Russie. Dès le premier jour il fait la connaissance de Massa qui devient son fidèle serviteur et il est entraîné dans des aventures mouvementées contre une bande de ninjas.
Comme son héros Boris Akounine est un fin connaisseur du Japon. Toujours avec l’humour qui le caractérise, il nous montre les luttes d’influence des puissances occidentales autour de ce pays émergent, les luttes internes aussi pour s’autonomiser. Malgré leur sentiment de supériorité, pas sur que les Européens soient les plus habiles à ce jeu. On découvre aussi l’origine du pseudonyme d’Akounine. Tout cela est comme toujours très intelligemment fait. Si je m’amuse beaucoup en lisant Akounine, la fin est généralement plutôt triste pour le héros, heureux au jeu, malheureux en amour. Ici je dirais même qu’elle est tragique, à l’égal de celle d’Azazel qui inaugurait la série. Pauvre Eraste Pétrovitch !
Bon sang ne saurait mentir est le deuxième épisode des aventures de Nicholas Fandorine, le petit-fils d’Eraste Petrovitch Fandorine. Boris Akounine nous raconte deux histoires simultanément. Celle de notre héros se déroule dans la Russie d’aujourd’hui. Enlevé par des malfrats prêts à tout pour parvenir à leur but Nicholas se voit forcé de travailler pour eux en échange de la vie de ses enfants. Son éducation de gentleman britannique ne l’a guère préparé à la noirceur qu’il découvre au fur et à mesure qu’il perce à jour une machination diabolique. Heureusement il peut compter sur son intelligence et sur la chance héritée de son ancêtre.
Parallèlement nous suivons aussi les aventures de Mitia, un petit surdoué de six ans, placé à la cour de Catherine 2 pour la distraire. Ayant eu fortuitement connaissance d’un complot Mitia est obligé de fuir pour sauver sa vie. Le ressort comique est l’opposition entre la précocité intellectuelle de Mitia et sa naïveté face aux choses de la vie.
Boris Akounine découpe ses deux histoires en chapitres qui s’alternent, changeant de personnage toujours à un moment de forte tension. Le lien est fait par la fin de chaque chapitre dont l’idée est reprise dans le début du suivant : « Et que deviendrai-je après cela ? Si tant est qu’un cadavre puisse devenir quelque chose. Non, sérieusement, quand demain on l’emportera, que sera-t-il advenu de moi ? » « Nous verrons cela demain, déclara Danila en réponse à la question que venait de lui poser Mitia d’une voix misérable ».
Au début les deux histoires semblent n’avoir aucun rapport entre elles si ce n’est qu’elles se déroulent en Russie puis petit à petit on découvre ce qui unit les personnages en même temps que leurs aventures se ressemblent de plus en plus. Il y a beaucoup d’humour et on n’a jamais aucun doute sur le fait que les gentils vont gagner. La question est plutôt comment vont-ils se sortir de ce mauvais pas car l’auteur se plaît à semer des embûches sur leur route. Tout ceci fait de Bon sang ne saurait mentir un vrai roman-feuilleton que j’ai lu avec beaucoup de plaisir. C’est le genre de lecture qu’une fois commencée j’ai du mal à lâcher mais en même temps je redoute le moment où j’en aurai terminé. Heureusement, il y a deux tomes.
Ivan Choutov est un écrivain d’une cinquantaine d’années, d’origine russe et vivant en France. Son amie, beaucoup plus jeune que lui, vient de le quitter et il décide d’aller en Russie. Il souhaite y revoir Iana qu’il aimât trente ans plus tôt.
A Saint Petersbourg Choutov est volontiers accueilli par Iana mais elle n’a guère de temps à lui consacrer. Elle est devenue une femme d’affaires pressée, toute occupée à gagner de l’argent et à le dépenser. Choutov découvre alors que la Russie d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec celle qu’il a quittée. Elle est entrée dans cette société de consommation qu’il avait du mal à supporter en France.
C’est cependant ici qu’il va rencontrer Volski. Ce vieil homme lui raconte sa vie : survivant du siège de Leningrad, déporté au goulag, interné en hôpital psychiatrique, il a finalement été réhabilité après la mort de Staline mais surtout il a vécu un grand amour qui a surmonté toutes ces difficultés et a donné son sens à sa vie.
Des deux personnages c’est Volski qui est le plus intéressant. Toute son histoire est liée à celle de la Russie depuis la deuxième guerre mondiale. Choutov quant à lui ne m’est pas très sympathique, c’est un homme aigri. Je me demande à quel point ce n’est pas en partie Makine qui se cache derrière le personnage. Il termine son récit avec une conclusion à laquelle je n’adhère pas. Comparant l’époque actuelle avec celle de l’URSS il constate que c’était « une époque qu’il sait indéfendable et où pourtant vivaient quelques êtres qu’il faudra coute que coute sauver de l’oubli« . Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas dire la même chose du monde d’aujourd’hui.
Voici le troisième et dernier épisode (le premier, le deuxième) des aventures de Pélagie, moniale dans la Sainte Russie à la fin du 19° siècle. Alors que Pélagie et l’évêque Mitrophane naviguent sur la Volga pour regagner leur ville de Zavoljsk, un passager est assassiné. C’est le prophète Emmanuel, un chef de secte qui prône l’installation en Terre Sainte. Le sympathique inspecteur Serge Sergueievitch Dolinine monte à bord pour mener l’enquête et Pélagie ne reste pas insensible à son charme. Aussi quand il lui demande de l’accompagner dans le village natal de la victime pour y chercher des indices trouve-t-elle de bonnes raisons d’accepter. A partir de ce moment là Pélagie est elle-même la cible de tentatives de la faire périr. Elle trouve refuge en Terre Sainte où sa route va croiser celle des populations locales, Arabes, Tcherkesses et Bédouins mais aussi de touristes chrétiens, de pionniers sionistes et d’un prophète Emmanuel bien vivant. Autour d’elle, les cadavres s’accumulent.
Un moment de lecture fort plaisant, très drôle comme toujours avec cet auteur. Cependant je trouve qu’à la fin Boris Akounine s’en tire par une pirouette en utilisant l’explication du miracle pour une chute qui m’a laissée un peu sur ma faim.
Au Nouvel Ararat, un monastère de l’évêché de Zavoljsk, plusieurs témoins dignes de foi ont vu Saint Basile revenu sur terre, marchant sur l’eau et criant des avertissements inquiétants. Mais l’apparition est-elle envoyée par Dieu ou par le Diable ? Ou s’agit-il d’une mystification ? Pour enquêter l’évêque Mitrophane envoie tour à tour des émissaires de choix. Mais voila qu’ils sont victimes du revenant. Les nonnes étant interdites sur le territoire du Nouvel Ararat, soeur Pélagie doit se faire passer pour une laïque pour intervenir.
Le premier épisode de la série (Pélagie et le bouledogue blanc) m’avait moyennement plu. J’ai bien fait de persévérer avec le deuxième qui m’a réjouie. Sous son déguisement, Pélagie rencontre en effet des personnages hauts en couleur. Il faut dire que l’île sur laquelle se trouve le monastère abrite aussi une maison de fous et notre soeur est à un moment en grand danger de tomber amoureuse d’un histrion séduisant. Il y a aussi une femme fatale prête à tout pour se débarrasser d’une éventuelle rivale.
Boris Akounine fait preuve de beaucoup d’imagination ce qui lui permet de fouiller ses personnages et d’avoir une histoire à raconter sur chacun d’entre eux. Le supérieur du monastère, le père Vitali, est ainsi un efficace homme d’affaire qui a fait du Nouvel Ararat un centre de pèlerinage couru par toute la bonne société russe. Menant ses moines d’une main de maître, il rentabilise au mieux leur activité. Tout ceci est écrit dans un style léger et fort amusant. Il m’est venu à l’esprit en le lisant que les traducteurs avaient bien fait leur travail.
Au 19° siècle, dans une province un peu reculée de Russie, Pélagie, une jeune religieuse orthodoxe, est dépêchée par son évêque, le bon Mitrophane, pour mener l’enquête sur des événements qui agitent les alentours. La tante de l’évêque, qui a consacré une bonne partie de sa vie à créer une nouvelle race de chiens (le bouledogue blanc) est au plus mal : on a assassiné l’un de ses spécimens et le choc est terrible pour la vieille femme. Sur sa route Pélagie croise deux cadavres décapités. A Zavoljsk, chef-lieu du comté, Mitrophane est aux prises avec le perfide Tintinov, inspecteur du synode. Bien sur toutes ces affaires se rejoindront pour la plus grande gloire de Mitrophane et pour la sauvegarde des âmes de Zavoljsk.
Pélagie et le bouledogue blanc est le premier épisode d’une trilogie par l’auteur des aventures de Fandorine. J’étais toute contente de mettre la main sur cette nouvelle série et j’ai été un peu déçue. La mise en place de l’action est un peu lente et la lecture ne devient palpitante que dans la deuxième partie. La quatrième de couverture informe le lecteur qu’il trouvera dans le style « de subtils pastiches des grands prosateurs russes du 19° siècle. » Je dois avouer que c’est un aspect de l’oeuvre qui m’échappe, ne connaissant pas cette littérature. Il reste quand même l’humour de Boris Akounine.
Tandis qu’il passe ses journées dans les bas-fonds de Moscou pour trouver l’auteur de crimes horribles (cf L’amant de la mort) Fandorine, en soirée, cherche à résoudre le mystère d’une vague de suicides. Les victimes sont les membres d’une société secrète, sorte de secte où on adore la Mort comme la maîtresse suprême (ou l’amant pour les femmes). Les recrues écrivent (avec plus ou moins de talent) des poèmes qui célèbrent l’union avec la Mort et attendent avec impatience le moment où cette dernière leur fera signe de la rejoindre. Mais la Mort ne disposerait-elle pas d’un complice bien vivant ? Fandorine devra se faire passer pour un candidat au suicide convaincant afin de le démasquer.
Comme indiqué en quatrième de couverture La maîtresse de la mort complète L’amant de la mort que j’avais lu avant. Ceci dit, bien que les deux aventures se déroulent simultanément elles sont cependant indépendantes l’une de l’autre. Fandorine évolue dans des milieux bien différents. Dans La maîtresse de la mort ce n’est pas un gamin des rues qu’il a pris sous son aile mais une jeune fille de la petite bourgeoisie qui cherche à mettre un peu de piment dans sa vie. Je n’ai relevé que trois moments où les deux scénarios se croisent, s’effleurent devrais-je dire tellement c’est léger. L’intérêt de cet exercice de style est donc plutôt théorique. Pour moi je retiens surtout les qualités habituelles de Boris Akounine : une enquête palpitante, de l’humour, un héros sympathique et séduisant.
Le jeune Senka est un orphelin qui vit d’expédients à Moscou à la fin du 19° siècle. Avec d’autres gamins des rues il dérobe leurs biens aux passants inattentifs. C’est ainsi qu’il met la main sur un chapelet de jade. Il se trouve cependant que ce chapelet appartient au héros de la série, Eraste Petrovitch Fandorine, qui y est sentimentalement attaché.
Fandorine récupère facilement son chapelet mais sa rencontre avec Senka l’entraîne dans une nouvelle aventure et l’emmène à faire connaissance avec la pègre de Moscou. Un assassin sans pitié est à la recherche d’un trésor caché et n’hésite pas à torturer ou à tuer des enfants pour parvenir à son but. Une mystérieuse jeune femme d’une grande beauté affole tous les hommes. On la surnomme la Mort. Comment ce joli-coeur de Fandorine pourrait-il lui résister ?
Ce huitième épisode des aventures de Fandorine est aussi réjouissant à lire que les précédents. Ici, l’histoire est racontée du point de vue du jeune Senka et ses commentaires sont généralement truffés de mots d’argot. On descend dans les bas-fonds de Moscou qui ressemblent beaucoup à ceux de Londres décrits par Anne Perry.
L’amant de la mort est accompagné d’un deuxième tome, La maîtresse de la mort. Boris Akounine nous informe que « quoique absolument distincts, ces deux romans créent, ensemble, un effet stéréo que seul le lecteur qui les lira tous les deux, dans l’ordre qu’il souhaite, entendra. » Appétissant, non ? Je m’attèle donc à La maîtresse de la mort ayant eu la chance de mettre la main sur les deux en même temps à la bibliothèque.
J’ai trouvé ce livre, état neuf, pour un euro quatre-vingt-dix chez un bouquiniste. C’est un bouquiniste associatif. Les livres sont donnés par ceux qui veulent s’en débarrasser et revendus très peu cher.
Emmanuel Carrère part en Russie, à Kotelnitch, pour y tourner un documentaire sur un prisonnier de guerre hongrois qui y a passé 53 ans, d’abord dans un camp puis dans un hôpital psychiatrique et qui vient enfin, en 2000, d’être rendu à son pays. Après ce premier documentaire Emmanuel Carrère retourne à Kotelnitch pour y tourner un deuxième documentaire sur Emmanuel Carrère à Kotelnitch et les rencontres qu’il y fait.
Si l’auteur est aussi irrépressiblement attiré par ce trou perdu de Kotelnitch c’est que l’histoire du Hongrois retentit pour lui de façon personnelle. Son grand-père maternel, Georges Zourabichvili, un émigré géorgien, a travaillé comme interprète pour les Allemands, à Bordeaux, les deux dernières années de l’occupation. Le 10 septembre 1944 des inconnus sont venu l’arrêter et on n’a plus jamais entendu parler de lui. Longtemps la mère d’Emmanuel (Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’académie française) a attendu le retour de son père, comme la famille du Hongrois avait dû l’attendre. L’enfance d’Emmanuel Carrère s’est bâtie sur cette disparition tue, sur un vide qu’il veut combler car il a fait de lui un adulte perturbé, inapte au bonheur.
A la même époque où se déroulent ces voyages-thérapie Emmanuel Carrère vit avec Sophie dont il est très amoureux. Il écrit pour elle une nouvelle érotique dans le Monde. Mais, alors qu’il croit tout contrôler, les choses lui échappent et dérapent dans une toute autre direction que celle qu’il avait imaginée.
Ces trois histoires s’entrecroisent tout au long du récit qui est aussi voulu par l’auteur comme une thérapie. Une thérapie pour lui et pour sa mère qui lui a demandé de ne pas écrire sur son père avant sa mort. Mais il est persuadé que sa mère a besoin que la souffrance familiale soit dite et il écrit aussi pour elle. Le livre se termine d’ailleurs par une très belle lettre d’amour à sa mère.
Un roman russe est l’occasion pour Emmanuel Carrère de se mettre à nu. Il nous révèle ses pensées et ses fantasmes, nous raconte comment il s’est comporté en telle ou telle circonstance. Ainsi il n’apparait pas toujours à son avantage. J’ai découvert un personnage assez égocentrique, capable d’un comportement destructeur qui le fait souffrir et fait souffrir la femme qu’il aime. Mais son honnêteté et le regard lucide qu’il porte sur lui-même me l’ont rendu sympathique. Tout ceci pour dire que j’ai beaucoup apprécié ce livre que j’ai de plus trouvé bien écrit.
Je termine par la description de Kotelnitch : « Dépités, désoeuvrés, nous traînons en ville. D’un côté de la route, à l’entrée, il y a une sculpture en béton d’environ deux mètres figurant la faucille et le marteau de l’autre une marmite géante qui est depuis des temps beaucoup plus anciens l’emblème de Kotelnitch. C’est cela que veut dire kotel en russe, m’explique Sacha : une marmite ou un chaudron. Un séjour là-dedans, c’est une sorte de trois étoiles du dépaysement dépressif, et il y a tout lieu de penser que cette sensation d’encalminage au fond d’une marmite de soupe froide et figée d’où auraient depuis longtemps, à supposer qu’il y en ait jamais eu, disparu tous les bons morceaux, constitue l’ordinaire des villes de 20 000 habitants de la Russie profonde. On ne va pas dans ce genre de ville. On n’en parle pas. Un beau jour on apprend qu’il existait un bled appelé Tchernobyl, et c’est en moins terrible, en plus modeste, ce qui est arrivé à Kotelnitch depuis qu’on y a retrouvé le dernier prisonnier de la seconde guerre mondiale. »