En 1938 la famille Redlich, des Juifs allemands, fuient leur pays pour se réfugier au Kénya. Pour les parents, Walter, ancien avocat et sa femme Jettel, le changement d’habitudes est rude. Ils ont quitté une vie facile pour s’occuper d’une ferme isolée. Contraints à de trop fréquents tête à tête, travaillés par l’angoisse quant au sort de leurs parents restés en Allemagne, ils se réfugient dans la nostalgie et les souvenirs d’un passé forcément plus heureux.
Par contre, pour leur fille Regina, âgée de six ans à son arrivée au Kénya, la rencontre avec l’Afrique et le boy Owuor est une révélation:
« La peau d’Owuor exhalait un parfum merveilleux, une senteur de miel qui chassait la peur et qui métamorphosa d’un coup une petite fille en grande personne. Regina ouvrit grand la bouche pour mieux absorber cette odeur magique qui débarassait le corps de la fatigue et des douleurs. Elle sentit soudain qu’elle devenait forte dans les bras d’Owuor et elle s’aperçut que sa langue avait appris à voler. »
Regina qui était jusque là une enfant timide et réservée s’épanouit en liberté à la ferme. Elle apprend les langues des peuples des environs : Swahili, Jaluo, Kikuyu. Owuor lui enseigne le mode de pensée de son peuple. Elle mûrit rapidement, devenant celle qui doit soutenir et consoler ses parents.
L’auteur est partie de sa propre enfance pour écrire ce bon roman autobiographique. On découvre ainsi qu’il existait une petite communauté de Juifs réfugiés au Kénya dans les années 30. La plupart d’entre aux étaient des intellectuels qui avaient du se reconvertir dans des métiers manuels et les conditions d’existence n’étaient pas roses. Dix ans après leur arrivée très peu maîtrisaient correctement l’Anglais alors que leurs enfants, scolarisés dans les établissements de la colonie britannique, avaient désappris l’Allemand. Stefanie Sweig écrit dans un style vivant et imagé. Les descriptions des paysages et des sentiments utilisent des comparaisons originales et bien vues.
Philippe Grimbert a vécu une enfance difficile. Perturbé par des insomnies et des cauchemars, souffreteux, il s’est inventé un frère, un double plus beau et plus fort qui lui permettait de supporter l’existence. Il a 15 ans quand il apprend le terrible secret que ses parents et sa famille lui ont caché : ce frère a bien existé et il a été emporté par les persécutions antisémites qui ont frappé les Juifs d’Europe lors de la seconde guerre mondiale.
Philippe Grimbert est psychanalyste et à travers l’histoire romancée de sa famille il explore les répercutions d’un secret de famille sur un enfant théoriquement ignorant et qui somatise ce qu’on cherche à lui cacher. En même temps, il reconstitue cette histoire familiale passée sous silence et rappelle la mémoire de ceux qui sont morts sans tombe.
L’auteur est le fils d’un paysan communiste du Limousin. Son enfance a été bercée du mythe de l’URSS, paradis des ouvriers et des paysans. En 1991, à l’occasion d’un séjour en Russie il loue une chambre chez Tamara qui lui raconte son enfance difficile au pays des soviets, la famille de cinq personnes logée dans une seule pièce. Claude Duneton découvre alors que les lendemains qui chantent n’étaient qu’une illusion. Cette découverte peut se comparer à ce que serait pour un croyant celle de la preuve que Dieu n’existe pas. Il éprouve un sentiment de trahison. Ceux qui savaient et qui ont menti au peuple sont pointés et en prennent pour leur grade : Maurice Thorez et surtout Jean-Paul Sartre.
Un petit livre écrit dans un Français coloré d’expressions populaires, un style auquel je n’acroche pas vraiment. C’est facile à lire, ça a du faire du bien à Claude Duneton de l’écrire mais je trouve que ça n’apporte rien de nouveau au sujet. Je n’ai pas attendu 1991 pour savoir que l’URSS de Staline était un Etat totalitaire.
Dans cet excellent roman autobiographique Hugo Hamilton raconte son enfance en Irlande, à Dublin, dans les années 50 et 60. Une enfance partagée entre trois langues et trois cultures.
Celles de sa mère, une Allemande issue d’une famille antinazie. Venue en Irlande pour un pèlerinage après la guerre, elle y a rencontré son mari. C’est une femme chaleureuse qui confectionne de nombreux gâteaux, une femme dont sa jeunesse dans l’Allemagne nazie a fait une non-violente qui pense que les conflits doivent se régler par la parole et non par le poing.
Celles de son père, nationaliste irlandais qui interdit à ses enfants de parler Anglais et qui a renié son père, marin dans la marine britannique qui ne parlait pas un mot d’Irlandais. C’est un homme qui parle du pouvoir de la parole pour convaincre les Irlandais de parler leur propre langue et qui n’hésite pas à utiliser le poing quand ses enfants profèrent un mot de la langue des colonisateurs.
Celles de la rue où l’on parle majoritairement Anglais. Où les autres enfants se moquent des petits Hamilton qui ne sont pas comme eux, que l’on traite de nazis parcequ’à moitié Allemands. Mais cette Irlande où l’on tape sur des enfants accusés des crimes du nazisme c’est aussi celle où la mère peut s’entendre dire : « Bien joué les Allemands, pour la sacrée belle raclée que vous avez flanquée aux British ! Bien joué pour ça au moins, Hitler ! »
Hugo a du mal à se situer au milieu de tout cela. Il est conscient de sa différence et aimerait parfois être un enfant comme les autres cependant il s’aperçoit qu’il n’arrive pas à renier les valeurs qui lui ont été inculquées.
Le livre est très bien écrit dans un style d’une apparente simplicité qui restitue les sensations de l’enfance, mêlant réalité et imagination. Le jeune Hamilton apparaît comme un garçon intelligent et attachant.
Des extraits de l’oeuvre : « Comme ça, on a eu un ami pour la vie. On a appris à nager et à plonger et, pendant tout l’été, on est allé à la piscine municipale tous les jours. On a économisé et on s’est acheté des lunettes de plongée pour pouvoir aller sous l’eau et faire des concours pour repêcher des pennies au fond de la piscine. On jetait la pièce au fond du grand bassin et on la regardait tourner pendant qu’elle s’enfonçait dans l’eau et qu’elle disparaissait. Après, on plongeait pour la chercher sous l’eau et là il n’y avait pas de langue, juste des bulles qui bourdonnaient tout autour de nous. On se chronométrait chacun son tour pour voir qui pouvait tenir sous l’eau le plus longtemps et je gagnais presque toujours parce que je pouvais rester là jusqu’à ce que mes poumons éclatent presque,quand je risquais de mourir et que j’étais obligé de remonter pour retrouver des mots. J’étais champion du pas-respirer. Des fois, on descendait tous les trois ensemble et on se serrait la main. On avait l’impression qu’on pourrait vivre là en bas, juste assis au fond de la piscine à se faire des signes. Quand on ressortait de l’eau, on avait les genoux violets, les mains violettes, les lèvres violettes. Et on claquait des dents. Et puis, c’était l’heure de rentrer à la maison et on s’achetait du chewing-gum. Noel trouvait qu’il avait encore de l’eau dans une oreille et il devait se pencher d’un côté pour la laisser se vider, comme une cruche. On était amis pour la vie et on rentrait à la maison avec nos serviettes autour du cou, on tapait nos maillots de bain sur les murs et ils laissaient des traces, comme des signatures sur tout le chemin. On attendait d’arriver au dernier réverbère avant d’arrêter de parler anglais. »
« Mrs Robinson a écarté ses voilages et regardé vers moi, de l’autre côté de la rue, je lui ai fait signe mais elle ne m’a pas vu à travers le brouillard. Des fois, elle nous laisse regarder la télévision chez elle et je connais l’odeur de sa maison. Ca sent différemment dans chaque maison : avec certaines odeurs, on se sent tout seul ; avec d’autres, on se sent chez soi. La maison de Miss Tarleton, elle a une odeur de serre et de chou bouilli ; chez Miss Hosford, ça sent comme chez le pharmacien. La maison de Miss McSweeney sent le caramel et le cirage. L’appartement de Miss Doyle, à l’étage, sent toujours les beans on toast. Chez Miss Ryan, ça sent la lessive et le repassage, avec aussi une petite odeur de réglisse ; et chez Miss Brown, on dirait un mélange de savon, de fumée de cigarette et de l’odeur qu’il y a derrière un poste de radio qui marche depuis un moment. Je ne sais pas ce qui rend l’odeur de chaque maison si différente mais chez nous, ça sent comme être heureux et avoir peur. Chez notre ami Noel, ça sent comme quand personne ne se met jamais en colère, parce que son père est médecin, que sa mère ne crie jamais et qu’ils ont un chien. La maison de Tante Roseleen sent la limonade rouge, et chez Onkel Ted ça sent comme dans un autre pays, comme dans la maison à la porte jaune et à la crème anglaise, là où on se languit toujours d’être chez soi. »
Ma yan est une écolière chinoise de 13 ans. Elle est la fille aînée d’une famille de trois enfants. Ses parents sont de pauvres paysans du Ningxia, région du nord ouest de la Chine.
Pierre Haski est le correspondant de Libération en Chine. Alors qu’il traverse le village où habite la famille Ma, la mère de Ma Yan lui remet le journal de sa fille.
Dans son journal, Ma Yan raconte sa vie quotidienne à l’école. Elle est interne à 20 km de chez elle et fait les trajets à pied. Elle ne mange pas à sa faim mais veut réussir ses études pour avoir une vie meilleure que ses parents et pouvoir les honorer. La mère de Ma Yan met aussi beaucoup d’espoirs dans la réussite scolaire de sa fille.
Grâce à ce livre très intéressant on découvre les conditions de vie très dures des pauvres paysans de l’intérieur de la Chine. J’ai été frappée par l’extrême dénuement : une partie du journal de Ma Yan a disparu en fumée, utilisé comme papier à cigarettes par son père. On découvre aussi le mode de pensée d’une jeune fille chinoise : l’importance du respect du aux aînés et aux maîtres. Dans cette édition, le journal est complété de commentaires et d’explications de Pierre Haski sur la vie en Chine.
Pierre Haski et les lecteurs du Journal ont été touchés par le courage de Ma Yan. La parution du livre a permis à d’autres écoliers du village de Ma Yan d’avoir leurs études financées.
Dans cet ouvrage très complet, on trouve une chronologie du goulag, des premiers camps des îles Solovetski à la chûte de l’URSS : rationalisation du fonctionnement des camps, gigantomanie des années 30 avec le creusement du canal de la mer Blanche, expansion vers l’est, années difficiles de la seconde guerre mondiale, mort de Staline, époque des dissidents.
Une partie est consacrée aux conditions de vie dans les camps – depuis l’arrivée, en passant par le travail, les châtiments et les récompenses, les stratégies de survie, les tentatives d’évasion et la rébellion.
L’ensemble se veut un ouvrage de vulgarisation et la lecture est facilitée par la présence de nombreux témoignages. Après avoir déjà lu plusieurs autres ouvrages sur le goulag, j’ai encore appris des choses sur le sujet.
Encore plus de lectures sur le sujet :
Sous la direction de Stéphane Courtois, Le livre noir du communisme, R. Laffont, 1997.
Tous les crimes du communisme sont abordés ici, pas seulement le goulag auquel une cinquantaine de pages sont consacrées. On fera aussi connaissance avec les camps d’Europe de l’est, le laogaï (goulag chinois) et autres camps asiatiques, les camps d’Amérique du sud.
Selon les auteurs, la lecture est plus ou moins abordable mais toujours intéressante et instructive.
Joël Kotek et Pierre Rigoulot, Le siècle des camps, Lattès, 2000.
Ici, c’est tous les camps du 20° siècle qui sont étudiés, qu’ils soient de droite, de gauche ou coloniaux. Un chapitre est consacré au goulag. Encore un ouvrage fort instructif.
Ces deux études plus générales permettent aussi la comparaison. On trouve de nombreux points communs entre ces camps de toutes origines. Une lecture à éviter si vous êtes dans une période de découragement par rapport à la nature humaine.
L’expérience du goulag a aussi produit de nombreux récits autobiographiques et témoignages. Une façon d’aborder le sujet de manière plus vivante et plus personnelle.
Margarete Buber-Neumann, Déportée en Sibérie, Points. Suivi de : Déportée à Ravensbrück.
Margarete Buber-Neumann (1901-1989) était la femme de Hans Neumann, cadre du parti communiste allemand dans les années 30. Après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, les Neumann se réfugient en URSS. Au moment des grandes purges de 1937 ils sont arrêtés. Hans Neumann disparaît. On suppose qu’il est mort peu après son arrestation. Margarete est envoyée au goulag, ce qu’elle raconte dans Déportée en Sibérie. Après le pacte germano-soviétique (1939) Staline livre à Hitler les communistes allemands qu’il détenait. Margarete est alors Déportée à Ravensbrück.
A travers ces deux ouvrages qui permettent une comparaison des deux systèmes concentrationnaires, on découvre une femme d’une grande valeur morale, qui est toujours restée fidèle à ses convictions et qui ne s’est pas compromise, même dans les pires moments.
Jacques Rossi, Qu’elle était belle cette utopie ! chroniques du goulag, Le Cherche midi. Jacques Rossi et Michèle Sarde, Jacques le Français, Pocket.
Jacques Rossi (1909-2004) a adhéré très jeune au parti communiste et est devenu agent de renseignements du komintern. En 1937 il est arrêté et condamné au goulag. Il comprend bientôt que « le goulag n’est pas une perversion du système mais le système lui-même ».
Dans cette histoire de sa vie (Jacques le Français) la période de la détention tient la plus grande place. mais Jacques plaide coupable : il a été un rouage du système, il accepte que le système se débarrasse de lui. Ici aussi on découvre une personnalité de valeur qui a su reconnaître ses erreurs et évoluer positivement à travers des situations extrêmement difficiles.
Varlam Chalamov, Récits de la Kolima.
Ecrivain et poéte soviétique, Chalamov (1907-1982) a passé de nombreuses années au goulag. De cette expérience il tire les récits relativement courts de Kolima.
Son propos est de montrer qu’au goulag c’est chacun pour soi, qu’aucune solidarité ne joue dans des conditions de survie aussi rudes. Cependant les récits démentent régulièrement une telle thèse. En effet, on fait connaissance encore une fois avec une grande conscience morale. Au travers des épreuves, Chalamov a gardé toute son humanité.
Donc, si vous voulez trouver matière à espérer dans l’espèce humaine, c’est plutôt ces souvenirs qu’il vous faudra lire que des études historiques. En effet, chacun de ces trois témoins m’a impressionnée par les qualités morales dont il a fait montre à travers l’épreuve.