L’histoire se déroule dans le nord de l’Inde, au pied de l’Himalaya, aux confins du Népal, du Bhoutan et du Bangladesh. Dans les années 1980 cette région est agitée de violences politiques quand la population d’origine népalaise demande l’indépendance. Dans ce paysage splendide vit Sai, une jeune fille de 16 ans. Orpheline jeune elle a été recueillie par son grand-père. Elle tombe amoureuse de Gyan, son professeur de physique, un étudiant de 20 ans d’origine népalaise. Il est tenté par la lutte nationaliste mais en voit aussi les limites.
Le grand-père de Sai est un juge à la retraite de l’Indian Civil Service (l’administration britannique de l’Inde colonisée). Il a fait ses études en Grande-Bretagne et en est revenu plein de mépris pour sa famille aux origines modestes. Sa haine s’est déchaînée contre son épouse, une jeune fille élevée de manière traditionnelle. Devenu vieux, le seul être vivant qu’il aime est sa chienne Mutt. Avec eux vit le cuisinier dont le fils Biju a émigré clandestinement aux Etats-Unis. Pour un salaire de misère Biju trime toute la journée dans les cuisines en sous-sol de restaurants crasseux.
Autour de ces personnages principaux on croise aussi de nombreux personnages secondaires : Lola et Noni, deux soeurs anglophiles; le père Booty, un prêtre suisse qui a monté un élevage laitier et l’oncle Potty, son ami, vieil homosexuel alcoolique.
Tous les personnages sont partagés, de façon plus ou moins bien réussie, entre la culture indienne et leur fascination pour l’occident. Kiran Desai aborde aussi la question du gouffre qui sépare les classes aisées des plus démunis.
Enfin, c’est un livre qui est très bien écrit (et je crois aussi très bien traduit) avec souvent une note d’humour. Il y a de belles descriptions avec des comparaisons bien trouvées :
« Puis, en un éclair, la tempête fut sur eux. Un vent de panique commença à faire claquer les grandes oreilles des bananiers, qui étaient toujours les premiers à sonner l’alarme. Les mâts des bambous, précipités les uns contre les autres, s’entrechoquaient dans un cliquetis d’art martial très ancien.
Dans la cuisine, le calendrier des dieux du cuisinier se mit à s’agiter contre le mur comme s’il était animé, pléthore de bras, de jambes, de têtes démoniaques, d’yeux flamboyants. »
L’avis de Elfe.
John Irving, Un enfant de la balle, Points
Le docteur Farrokh Daruwalla est né à Bombay, a fait ses études à Vienne (il a épousé une Autrichienne) et vit maintenant à Toronto. Il a la nationalité canadienne mais ne se sent nulle part vraiment chez lui. Pas totalement intégré au Canada -élément de la « minorité visible » il est à l’occasion victime d’insultes racistes. Et trop étranger en Inde. Médecin orthopédiste il séjourne cependant régulièrement dans sa ville natale où il officie à l’hôpital des enfants infirmes. Il s’intéresse particulièrement au cas des nains achondroplases (handicap provoqué par une mutation génétique). En Inde ceux-ci trouvent souvent à s’embaucher comme clowns dans des cirques. L’un d’eux, Vinod, est devenu un ami de Farrokh.
Par ailleur, Farrokh est secrètement le scénariste d’une série de films à succès à Bombay : les aventures de l’inspecteur Dhar. L’acteur principal des films n’est autre que le fils adoptif de Farrokh, John D, lui aussi un expatrié qui vit entre Bombay et la Suisse. A Bombay Dhar-John D que tout le monde reconnaît est « un personnage que l’on adore haïr ». Son célèbre sourire narquois, ses répliques cultes témoignant de son sentiment de supériorité sont attendus et conspués.
Et voici que débarque un missionnaire américain qui se trouve être le frère jumeau de John D. Voici qu’un membre du club que fréquentent les époux Daruwalla à Bombay est assassiné. Il y a aussi une jeune prostituée et un petit mendiant que nos héros veulent sauver de la rue. Un transexuel qui s’est fait opérer pour devenir une « femme-femme ».
L’histoire part dans tous les sens avec des personnages originaux et bien analysés. Au début j’ai eu parfois un peu de mal à m’y retrouver mais petit à petit les éléments se mettent en place et, à partir du chapitre 9 (il y en a 27), j’ai été prise, emballée par les nombreuses péripéties qui permettront finalement à Farrokh de trouver « d’où il est ». Les personnages sont sympathiques (Farrokh est un modèle d’honnête homme), il y a de l’humour et la philosophie de la vie qui se dégage de ce roman me convient tout à fait. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu de John Irving, le dernier (Une veuve de papier) m’avais moins plu, si je me souviens bien.
Satyajit Ray, Affaires de bijoux, Kailash
Ce court ouvrage se compose de deux petites aventures du détective Feluda à la poursuite de pierres précieuses dérobées. Dans la première histoire le descendant d’un colon britannique ramène en Inde un rubis volé par son ancêtre. Dans la deuxième le propriétaire d’une pierre remarquable reçoit des lettres de menaces.
C’est gentil mais pas vraiment palpitant. Plutôt facile à lire mais je me suis demandé si c’était toujours bien traduit. En tout cas il y a de nombreuses coquilles qui confinent parfois à la faute de Français : « Nous ne perdîmes pas de temps et grimpèrent quatre à quatre l’escalier menant à l’étage ». Donc des choses à revoir du côté de la maison d’édition.
Par la fenêtre de ma chambre d’hôtel -1
L’occasion de séjourner en hôtels ces derniers temps m’a donné l’idée de cette série pour laquelle j’ai repris aussi des clichés plus anciens.
Awabai mansion, Bombay, Inde
Hotel Imperial supreme, Chennaï, Inde
Novotel Bronowice, Cracovie, Pologne
Sultan Hostel, Istanbul, Turquie
Bastoncu Pension, Safranbolu, Turquie
Akya Otel, Ankara, Turquie
Abha Dawesar, L’Inde en héritage, Héloïse d’Ormesson
A travers l’histoire d’une famille L’Inde en héritage nous présente l’Inde contemporaine et les maux qui la rongent. Le personnage principal est un petit garçon maladif. Il habite avec ses parents, médecins généralistes, dans leur maison-dispensaire composée de quatre pièces dont trois à usage professionnel. La pièce d’habitation sert à la fois de chambre, cuisine, salle à manger… L’enfant et ses parents couchent dans le même lit.
Comme sa santé fragile l’empêche souvent d’aller à l’école, l’enfant reste à la maison et écoute les patientes de sa mère à travers la mince cloison. Il se constitue ainsi tout un bagage de mots techniques et de noms de maladies qu’il cherche dans le dictionnaire. Il entend aussi parler de femmes maltraitées par leur mari ou leur belle-mère, d’enfants qui disparaissent, de reins volés. C’est un petit garçon intelligent et ses parents discutent beaucoup avec lui, n’hésitant pas à lui expliquer la marche du monde.
La famille paternelle de l’enfant est aussi un des centres importants de sa vie. Ses oncle et tante Six-doigts attendent avec impatience la mort du grand-père dont ils espèrent détourner l’héritage. L’enfant est encore confronté à la corruption généralisée : la police qui ferme les yeux sur des crimes, des politiciens compromis avec un trafiquant d’armes, les dessous de table qu’il faut payer pour la moindre formalité administrative (l’enfant constate que la pratique est tellement admise que ce n’est plus sous mais sur la table qu’ils se paient, aux vues et sus de tout le personnel présent).
Au milieu de toutes ces magouilles les parents de l’enfant ont de solides principes moraux et s’y tiennent quelques soient les circonstances. J’ai trouvé très sympathique ce couple qui essaie de progresser honnêtement et ce n’est pas toujours la solution la plus facile. J’ai été touchée aussi par la façon dont ils élèvent leur fils en lui transmettant leurs valeurs. Elle s’oppose de façon radicale à l’éducation qu’ont reçue les deux cousins, un drogué et un jeune malfrat à qui leurs mères ont toujours tout passé. Malgré une description assez sombre de la société indienne Abha Dawesar montre donc qu’il y a matière à espérer. Un regard un peu détaché sur les événements et une note d’humour font aussi que j’ai beaucoup apprécié ce roman.
Daniyal Mueenuddin, La saison des mangues introuvables, Buchet-Chastel
Plutôt qu’un roman, La saison des mangues introuvables est un recueil de nouvelles qui racontent les histoires de personnages liés de façon plus ou moins proche au riche propriétaire K.K. Harouni. Le tout dresse un tableau assez tragique d’une société pakistanaise traversée par la corruption et le clientélisme. La vie des pauvres et notamment des femmes y est particulièrement précaire car quand la protection disparaît, il ne reste que des comptes à rendre. Certains personnages arrivent ainsi à sortir un instant la tête de l’eau, à vivre quelques années clémentes avant que le destin ne les frappe à nouveau. Cette fatalité de la misère me fait penser à Zola (la fin pathétique de Gervaise dans L’assommoir mais en même temps cela fait bien longtemps que je l’ai lu).
En quatrième de couverture il est indiqué que cela se passe « à la fin des années soixante-dix (…) tandis que décline l’ordre féodal du Pakistan ». Cependant dans l’ouvrage il n’y a aucune indication de date et mis à part le port de pantalons pattes d’éléphant et de cols roulés cela pourrait aussi bien se passer aujourd’hui. Quant à l’ordre féodal, la gestion des récentes inondations dans ce pays a montré, il me semble, la faillite de l’Etat et la prédominance des relations de clan.
Au total, c’est un livre que j’ai apprécié bien qu’il ne soit pas très optimiste. Le fait que les histoires soient courtes apporte une tension qui donne envie de connaître la fin. On se doute vite qu’elle ne sera pas gaie.
Vaikom Muhammad Basheer, Les murs et autres histoires (d’amour), Zulma
Ce recueil comporte cinq nouvelles, histoires d’amour, mais pas toujours.
Dans Les murs le narrateur est en prison pour des raisons politiques. Ce fut aussi le cas de Vaikom Muhammad Basheer qui fut enfermé pour avoir lutté pour l’indépendance de l’Inde. Le personnage s’installe une vie confortable, cultive des rosiers. Il trouve même une compagnie féminine en la personne d’une prisonnière de la section des femmes avec qui il communique, sans la voir, de part et d’autre du mur qui les sépare.
L’anneau d’or montre le narrateur négociant farouchement avec sa femme pour obtenir d’elle qu’elle lui cède un anneau d’or en sa possession. Tous les coups semblent permis pour obtenir ce qu’il désire mais finalement le personnage trouve son maître.
L’auteur de La lettre d’amour est amoureux d’une jeune femme qui le fait marcher. A-t-il une chance de conquérir son coeur ?
Dans ces deux dernières nouvelles les personnages masculins sont parfois un peu trop sûrs de leur supériorité sur les femmes. Mais ils trouvent à qui parler.
Cherchez le diable n’est absolument pas une histoire d’amour. le narrateur s’y trouve confronté à la face sombre d’un professeur admiré de tous.
Dans La lumière bleue il est question d’une maison hantée par un fantôme qui a besoin que l’on s’occupe de lui.
Ce qui revient dans chacune de ces nouvelles (sauf Cherchez le diable) c’est la douceur de vivre tranquillement en goûtant l’instant présent. C’est charmant. « Que tous les bonheurs vous sourient ! »
Lounima aussi a apprécié.
Bibhouti Bhoushan Banerji, La complainte du sentier, Gallimard
Ce roman traduit du bengali a été écrit en 1929. Il est en partie autobiographique, l’auteur s’est inspiré du cadre de son enfance. L’histoire se déroule dans un village du Bengale. On suit la vie quotidienne de deux enfants d’une famille de pauvres brahmanes. Le père est rarement présent. Il se déplace dans les villages environnants pour gagner quelques pièces en récitant des prières pour ceux qui veulent bien le payer. La mère ne sait jamais si elle arrivera à nourrir correctement ses enfants et cette inquiétude la rend parfois dure, avec sa fille ou une vieille parente.
Le personnage principal est Apou, un garçonnet d’environ neuf ans. C’est un rêveur que la contemplation de la campagne environnante réjouit. Il peut déambuler de longs moments en se racontant des histoires et attend avec impatience de pouvoir découvrir le vaste monde. Sa première sortie avec son père au-delà de ses limites habituelles est un grand moment : « Tu avançais enfant… Tu ne savais pas ce qui se présenterait à tes yeux, le long du chemin. Tes grandes prunelles neuves dévoraient avec avidité tout ce qui t’entourait. Par ta joie tu es un explorateur, toi aussi. Pour découvrir ce bonheur inconnu faudrait-il parcourir la terre ? Non, cela n’a pas de sens. Là où je n’étais pas allé auparavant j’ai mis le pied aujourd’hui. Qu’importe que, dans l’eau de la rivière où je me suis baigné, dans le village dont l’air m’a réconforté quelqu’un soit ou ne soit pas venu avant moi ! Ce pays inconnu est mon expérience. En ce jour j’ai joui de sa nouveauté avec le tout premier esprit, la toute première intelligence, le tout premier coeur !… »
La grande soeur d’Apou, Dourga, de trois ou quatre ans son aînée, est une enfant un peu rebelle. Elle ne tient pas en place, est toujours à courir à droite ou à gauche pour glaner des fruits dans les bois ou en voler dans les jardins des voisins. Les deux enfants se disputent régulièrement mais s’aiment beaucoup.
L’écriture est parfois un peu décousue. Ce sont de petites tranches de vie qui ne se suivent pas toujours d’une façon très évidente ce qui fait que j’ai mis un peu de temps à entrer dans le livre, que je l’ai plutôt lu par petits morceaux. Mais finalement j’ai apprécié cette lecture. J’ai trouvé que l’auteur rendait bien l’ambiance de l’enfance et le rythme plus lent de la vie à la campagne : « Sur les marches du ghat les ombres de la fin d’après-midi étaient très épaisses. Le soleil brillait encore sur le grand Kapokier de la rive opposée. A la boucle de la rivière, un bateau aux voiles déployées prenait le tournant, ses avirons fendaient l’eau. Près du gouvernail, un homme debout faisait sécher un vêtement. Il le tenait par un bout et le laissait flotter dans le vent comme un drapeau. Au milieu de la rivière une tortue levait la tête hors de l’eau pour respirer puis la replongeait. »
Tout cela est empreint d’une nostalgie douce que j’apprécie.
Merci à Lounima qui m’a offert ce livre.
Maryse et Jean-François Charles, India dreams, Casterman
Présenté ici en un seul tome cet ouvrage est l’intégrale d’une BD parue d’abord en 4 tomes. Il nous raconte, autour du personnage d’Emily Harryson, l’histoire de trois générations d’une famille liée à l’Inde.
1) Les chemins de brume : Londres, 1944. En plein blitz Emily reçoit d’Inde un étrange paquet. C’est le journal de sa mère écrit 17 ans plus tôt alors qu’elles se rendaient en Inde pour y retrouver leur père et mari, officier de l’armée britannique comme son propre père, Herbert. La mère et la fille découvrent chacune à leur manière la magie de l’Inde.
2) Quand revient la mousson : Inde, 1945. Emily est revenue sur les lieux de son enfance accompagnée de Jarawal. Elle cherche à découvrir ce qu’est devenue sa mère mais il semblerait que certains veuillent l’en empêcher.
3) A l’ombre des bougainvillées : Inde, 1965. Kamala, la fille d’Emily, et ses copains hippies ont quitté New Delhi pour se rendre au Népal à bord de leur minibus Volkswagen (ah le minibus Volkswagen de mes parents ! Il ne m’a pas emmenée jusqu’au Népal mais bien tout autour de la Méditerranée…) mais ils ont un accrochage avec des policiers.
4) Il n’y a rien à Darjeeling : A Darjeeling Kamala marche sur les traces de son arrière-grand-père Herbert. Elle découvre que sa famille a été mêlée à un complot d’envergure.
J’ai trouvé plaisante la lecture de cette bande dessinée. J’aime les dessins et j’ai apprécié qu’il y ait à l’occasion un mot en hindi. Cela m’a permis de m’amuser à essayer de le déchiffrer.
Je suis un peu plus réservée à propos de la fin. Je ne suis pas sure d’avoir bien compris toutes les ramifications du complot ainsi que l’implication des différents protagonistes. Ca me laisse une petite impression d’inachevé.
Merci à Lounima qui m’a offert cet ouvrage.
Vaikom Muhammad Basheer, Grand-père avait un éléphant, Zulma
Kounniapattoumma est une jeune fille très naïve élevée dans un islam superstitieux dont le principal soucis semble être ce qui se fait et ne se fait pas pour ne pas ressembler à un kafir, un non-musulman. Une femme musulmane ne porte pas de sari, elle ne se coiffe pas avec une raie dans les cheveux…
Le père de Kounniapattoumma est un riche notable local. Sa mère s’enorgueillit d’être la fille chérie d’Anamakkar. « Ton grand-père avait un éléphant » n’arrête-t-elle pas de répéter à Kounniapattoumma. C’est à dire nous sommes au dessus des autres et nous ne pouvons pas fréquenter n’importe qui. Quand Kounniapattoumma a 14 ans on se met en quête d’un mari pour elle. Elle reste à la maison à recevoir les familles de nombreux prétendants mais aucun ne semble assez bien à sa mère.
Voila qu’une série de procès malchanceux conduisent la famille à sa ruine. Kounniapattoumma a 21 ans et n’est toujours pas mariée. La vie change pour elle, la pauvreté lui permet de découvrir la liberté.
J’ai beaucoup aimé ce petit livre charmant. Tout en se moquant gentiment de ses personnages Vaikom Muhammad Basheer présente deux conceptions bien différentes de l’islam. J’ai apprécié de lire un ouvrage traduit du malayalam, la langue du Kérala, au sud de l’Inde, la plupart des auteurs indiens qui parviennent jusqu’à nous écrivant en anglais. J’apprends que Vaikom Muhammad Basheer (1908-1994) est l’un des écrivains les plus importants de la littérature indienne contemporaine (c’est l’éditeur qui le dit). Je dois avouer que j’ignorais jusqu’à son nom. Merci à Lounima qui m’a offert ce livre.