Retisser nos liens dans un monde désuni. Loretta Napoleoni est une journaliste italienne spécialisée dans le financement du terrorisme. Peu avant d’écrire le présent ouvrage, elle découvre que son mari a investi inconsidérément l’argent du ménage et qu’ils sont ruinés. Elle doit vendre sa maison des Etats-Unis, hypothéquer et louer celle de Londres. Elle divorce. Cette trahison a beaucoup affecté l’autrice. Pour calmer ses angoisses et penser à autre chose elle se remet au tricot qu’elle a pratiqué depuis l’enfance et décide d’écrire ce livre. Le résultat est un mélange de récit autobiographique, d’informations historiques et scientifiques et de considérations sur le « pouvoir » du tricot.
Loretta Napoleoni a appris à tricoter avec sa grand-mère qui profitait de ces séances privilégiées pour lui raconter sa vie et lui faire part de ses considérations sur le monde. J’ai tendance à penser que l’important dans cette relation ce n’était pas le tricot mais la grand-mère et que celle-ci aurait fait passer les mêmes notions via une autre activité (la cuisine, le jardinage?)
Ce qui m’a le plus intéressée ce sont les informations factuelles, particulièrement historiques. J’apprends ainsi que l’ancêtre du tricot était le nalbinding qui se pratique avec une seule aiguille à chas. Vers 400 av. JC il est remplacé par le tricot à deux aiguilles que nous connaissons. Il est question aussi des effets positifs de l’activité tricot sur le cerveau : lutte contre le stress et développement des connexions neuronales.
Je suis plus dubitative concernant le tricot comme moyen de lutte politique : des activistes se réunissent pour tricoter ou réalisent une œuvre collective afin d’attirer l’attention sur un problème environnemental ou de gouvernance. L’autrice a à ce sujet des accents exaltés : « A l’heure où de nouveaux défis s’annoncent pour notre avenir, le tricot peut s’allier à la politique pour recoudre les fractures et reconstruire les ponts de la communication ; il peut purifier l’air pollué, assainir l’eau et faire revivre les liens sociaux ». Les liens sociaux, je veux bien ; faire prendre conscience des problèmes, aussi ; mais pour sauver la planète, à mon avis, on ne pourra pas se contenter du tricot. Il va falloir passer à autre chose.
Il y a une volonté très américaine, il me semble -Loretta Napoleoni a passé une partie de sa vie aux Etats-Unis et le livre est traduit de l’américain- de tout positiver. Le résultat pour moi manque de nuances et m’a régulièrement agacée. Un dernier exemple : « Nous, les tricoteurs, sommes unis pour toujours, reliés les uns aux autres par des mailles à l’endroit et des mailles à l’envers, interconnectés par la beauté de cet artisanat. Assemblés autour des fibres naturelles dont ce fil est fait, nous sommes les témoins de ce que l’humanité a de meilleur en elle ».
C’est donc un livre très inégal qui soulève des points de réflexion intéressants lesquels sont disqualifiés à mes yeux par ce genre d’élans mystiques sur le pouvoir du tricot. Comme s’il n’y avait pas des gens très peu recommandables qui tricotaient.
Le texte est suivi d’un cahier des modèles cités, comme le coquelicot que vous voyez dans mon panier en tête d’article. J’ai utilisé un rouge trop foncé, le résultat n’est pas très réaliste.
E. J. Levy, Le médecin de Cape Town, Points
« Ils ont raison, bien sûr, ceux qui disent que je n’étais pas une femme faisant semblant d’être un homme : j’étais quelque chose de bien plus choquant -j’étais une femme qui avait arrêté de faire semblant d’être autre chose, une femme qui n’était qu’une personne, l’égale de n’importe qui d’autre- en étant simplement moi-même »
Née à la fin du 18° siècle, Margaret Perry a 15 ans quand elle accepte de se travestir en garçon pour pouvoir faire des études de médecine, interdites aux filles à l’époque. Elle prend alors l’identité de Jonathan Perry qu’elle ne quittera plus jusqu’à sa mort. Les études de Jonathan à Edimbourg sont l’occasion pour lui de se mettre dan sla peau de son personnage et pour l’autrice de nous présenter le fonctionnement de la faculté au début du 19° siècle avec ses cours privés payants. Je me trompe ou c’est une pratique qui a toujours lieu ?
Devenu médecin militaire, Jonathan est affecté au Cap en 1816. Il y fait la connaissance du gouverneur Lord Somerton et de sa famille qu’il fréquente bientôt assidûment.
Ce roman est inspiré d’une histoire vraie : celle du Dr James Barry, né Margaret Ann Bulkley à la fin du 18° siècle et mort en 1865. Sa biographie est mal connue et son identité de genre a donné lieu à diverses spéculations : femme travestie, homme trans, personne intersexuée ? L’autrice a choisi de mettre l’accent sur la question du genre. Son personnage expérimente la liberté de pouvoir être profondément soi-même, en dehors des attentes de la société à l’égard des femmes :
« De toutes les découvertes excitantes faites durant ces années à l’université, la plus belle fut celle de la plus grande des libertés pour les hommes : ne pas être obligé de plaire. Avoir le droit de céder à la mauvaise humeur et à la détestation, d’éprouver ce que je voulais. Sans m’en excuser. »
« L’un des grands plaisirs qu’il y avait à vivre une existence d’homme était de ne pas avoir à écouter les hommes en silence. Ils sont peu nombreux à apprécier le son d’une autre opinion que la leur ; je n’hésitai pas à avancer la mienne. »
J’ai trouvé cette réflexion excellemment et finement menée. C’est l’intérêt principal du roman pour moi.
En même temps, tout le volet historique est aussi très intéressant. E. J. Levy nous présente la vie et les relations sociales au Cap, colonie britannique, ainsi que l’état de la médecine à l’époque et les efforts de Jonathan/James pour améliorer les hôpitaux du Cap et réguler l’offre médicale au profit des malades. Elle dote son personnage d’opinions avancées en ce qui concerne la colonisation.
On peut sans doute regretter que l’autrice ait consacré beaucoup de place à la romance entre Perry et le gouverneur Somerton et ait borné son récit à la mort de ce dernier alors que dans la vraie vie Barry a survécu plus de trente ans à Somerset et a exercé dans de nombreuses autres colonies britanniques. Il me semble que cette focalisation se justifie par l’accent sur l’identité de genre.
Enfin j’ai apprécié la belle écriture, le style calqué sur celui du début du 19° siècle (l’autrice s’est inspirée de Jane Austen) et les descriptions des paysages et des sentiments. C’est une lecture que j’ai beaucoup aimée.
Les avis de Keisha et Je lis, je blogue.
Hannelore Cayre, Les doigts coupés, Métailié
La découverte fortuite d’une sépulture de l’aurignacien (il y a 35 000 ans) est l’occasion de nombreuses surprises pour la paléontologue qui l’étudie. Dans une grotte aux murs couverts de peintures de mains aux doigts coupés a été enterrée une femme qui jouissait d’un statut important et qui avait eu plusieurs doigts coupés. Qui était-elle, quelle a été son histoire ? Pour répondre à ces questions, Hannelore Cayre entrecroise deux textes : l’histoire d’Oli, jeune femme du paléolithique en lutte pour s’affranchir de la domination masculine et, à l’époque contemporaine, le discours de présentation de sa tombe qui raconte la même histoire, reconstituée à partir des artefacts trouvés autour du squelette.
Ce roman d’émancipation est pour l’autrice l’occasion de nous présenter la façon dont les découvertes techniques (propulseur) et conceptuelles (conception des enfants) ou les changements sociaux ont pu survenir au paléolithique. Ici tout cela est concentré sur une poignée d’individus et dans un temps restreint mais Hannelore Cayre s’est documentée et s’appuie sur des travaux récents. Je suppose donc que les processus décrits correspondent à ce que les spécialistes imaginent aujourd’hui. C’est aussi un roman féministe avec son personnage de femme rebelle.
Par contre ce n’est pas, il me semble, un roman noir, comme indiqué sur le bandeau. S’il y a bien des violences et des morts violentes, l’ambiance est enlevée du fait de la langue utilisée -les préhistoriques utilisent un vocabulaire familier- et du dénouement plutôt jubilatoire. Je n’ai pas trouvé ceci-dit que c’était hilarant (4° de couverture). C’est amusant mais ça m’a fait sourire plus que rire. C’est une lecture plaisante et facile.
L’avis de Je lis, je blogue.
Ken Follett, Les armes de la lumière, Robert Laffont
L’action de ce roman se déroule de 1792 à 1824 à Kingsbridge, gros bourg du sud de l’Angleterre où se situait aussi l’action de Le crépuscule et l’aube, Les piliers de la terre, Un monde sans fin et Une colonne de feu. Au tournant des 18° et 19° siècles, les habitants de Kingsbridge voient leurs modes de vie transformés par la Révolution industrielle. L’industrie textile, filage et tissage, se mécanise de plus en plus, entraînant un accroissement des inégalités. Pendant ce temps, en France, c’est la fin de la Révolution puis l’Empire, des événements qui ont des conséquences pour les Britanniques. Elles sont politiques : par crainte d’une contagion révolutionnaire les députés interdisent les syndicats ; économiques avec la crise provoquée par le blocus continental mis en place par Napoléon et militaires quand le pays s’engage dans la coalition contre la France. Il y a alors des enrôlements forcés. Je trouve intéressant d’avoir un regard britannique sur des événements français.
A son habitude, Ken Follett place dans ce cadre historique des personnages très tranchés, vrais méchants ou vrais gentils. Le principal protagoniste négatif est l’échevin Joseph Hornbeam. Patron du textile, il est prêt à tout pour s’enrichir et acquérir plus de pouvoir : mépris pour les faibles, corruption, violence. Il est associé dans ses projets néfastes avec Will Riddick, le seigneur du coin. Tous les deux sont opposés à l’héroïne Sal Clitheroe, devenue veuve au début du roman suite à un accident du travail provoqué par Will Riddick. Fileuse, Sal se positionne bientôt comme porte-parole des ouvriers. Son fils Kit doit travailler dès six ans, après la mort de son père, pour subvenir aux besoins de la famille.
On fait aussi la connaissance de Amos Barrowfield, marchand drapier. Avec Elsie Latimer, fille de l’évêque, ils ont monté une école du dimanche pour instruire les enfants (des) ouvriers. Une initiative qui n’est pas du goût de tous mais qui est soutenue par les méthodistes, des dissidents de l’Église anglicane qui prônent la modération et ont des préoccupation sociales.
Grâce aux nombreux rebondissements romanesques, le résultat est un ouvrage qui se lit très facilement malgré ses 785 pages, parfaite lecture d’été. Vu son épaisseur, il me permet de participer aux Pavés et aux Epais de l’été. Pour les conditions de vie et de travail des ouvriers du textile au début de la Révolution industrielle, il entre aussi dans le défi Monde ouvrier et monde du travail. D’une pierre trois coups !
Taina Tervonen, Les otages, Marchialy
Contre-histoire d’un butin colonial
Taina Tervonen est une journaliste française d’origine finlandaise. Elle a vécu au Sénégal entre ses 7 et 15 ans, a été à l’école sénégalaise, parle le wolof.
En 1890 le colonel Archinard de l’armée française entre dans Ségou (Mali actuel) et y met la main sur un butin composé d’objets divers, de bijoux en or et argent et d’un sabre attribué à El Hadj Oumar Tall (1794.97-1864), érudit musulman, chef religieux et chef de guerre, déjà croisé dans Ségou sous le nom de El-Hadj Omar. Archinard capture aussi des femmes et des enfants dont le jeune prince Abdoulaye, petit-fil d’El Hadj Oumar Tall, enfant d’une dizaine d’années qu’il ramène avec lui en France.
Les otages ce sont les objets volés et l’enfant enlevé. Taina Tervonen est partie à la recherche de leur histoire au Sénégal et en France. Au Sénégal elle rencontre des descendants d’El Hadj Oumar Tall qui lui disent l’importance réelle et symbolique des objets ayant appartenu à leur ancêtre, elle va sur les lieux où se sont déroulés une partie des faits -elle n’a pas pu aller à Ségou à cause de la situation politique. Au Sénégal et en France elle explore les archives et interroge des historiens de la question coloniale avec lesquels elle aborde le sujet de la restitution des objets volés à leur pays d’origine.
Nombre des objets du butin de Ségou ont d’abord rejoint la collection privée d’Archinard avant d’être donnés à des musées. Muséum d’histoire naturelle du Havre dont était originaire le colonel, musées de l’armée, des colonies ou de l’homme avant de passer au musée du quai Branly où ils dorment dans les réserves quand ils n’ont pas été volés ou perdus. Un des arguments des personnes opposées à la restitution des biens spoliés pendant la colonisation est qu’ils seraient plus en sûreté en France. Taina Tervonen montre que cette croyance est pour le moins à nuancer. Le sabre attribué à El Hadj Oumar Tall a été rendu au Sénégal par Edouard Philippe en 2019. Au musée du quai Branly on travaille aujourd’hui à établir la provenance des collections, tâche colossale.
Quant au sort du jeune Abdoulaye enlevé à sa famille, élevé dans les principes de la République française mais qui finit par se rendre compte qu’il est traité en fils de vaincu, je le trouve bien triste.
J’ai trouvé cet ouvrage fort intéressant et tout à fait accessible. Taina Tervonen raconte de façon vivante les étapes de son voyage au Sénégal, ses rencontres avec des personnes ressources, ses recherches dans les archives. J’apprécie le regard post-colonial qu’elle porte sur son sujet.
Ken Follett, Le crépuscule et l’aube, Robert Laffont
Combe, sud de l’Angleterre, 997. Alors que Edgar, 18 ans, fils d’un charpentier de marine, s’apprête à fuir nuitamment le domicile familial avec Sunni, son amoureuse, une femme mal mariée, les Vikings attaquent et mettent à sac le village. Sunni et le père d’Edgar font partie des victimes, la vie du jeune homme va changer totalement. Avec sa mère et ses frères, Erman et Eadbald, ils quittent Combe pour Dreng’s Ferry, à plusieurs jours de marche, où ils ont obtenu la gestion d’une ferme. Il faut travailler durement la terre pour survivre, Edgar a un talent de bâtisseur et du goût pour la construction, pas pour l’agriculture et les relations avec ses frères sont difficiles.
Fille du comte Hubert de Cherbourg, Ragna est tombée amoureuse de Wilwulf, ealdorman (seigneur) de Shiring, et a obtenu de l’épouser. Arrivée en Angleterre elle constate que sa belle-famille est accrochée à son pouvoir absolu sur Shiring et n’envisage pas de lui en céder la moindre parcelle. Elle qui comptait co-gouverner avec son époux comprend qu’il va lui falloir trouver des alliés et jouer avec finesse pour parvenir à son but. Cette lutte pour le pouvoir la mènera à des violences qu’elle n’avait pas imaginées.
L’action de ce gros roman de 850 pages se déroule avant Les piliers de la terre, entre 997 et 1007. En avant-propos la période nous est présentée comme le début de la fin de « l’âge des ténèbres ». Je me suis demandée si la peinture très sombre de cette période n’était pas un peu caricaturale. Il me semble que les historiens sont un peu revenus sur cette vision du haut Moyen-âge. Toujours est-il que le cadre du roman est celui d’un monde essentiellement soumis à la loi du plus fort. L’évêque Wynstan, frère de Wilwulf, est prêt à tout pour conquérir plus de pouvoir. Et le roi Ethelred, qui a besoin du soutien militaire de ses seigneurs pour repousser les raids vikings ou les incursions des Gallois, n’est guère en mesure d’imposer sa loi. L’Angleterre de l’an mille est un pays qui pratique encore la polygamie et l’esclavage. Les esclaves sont des prisonniers de guerre gallois ou irlandais, soumisà toutes les violences, à l’image de Blod, battue et prostituée par son maître.
Parmi les partisans d’une société plus policée se trouvent bien sûr Edgar et Ragna mais aussi le prieur Aldred, un moine qui veut faire respecter les principes d’amour et de charité des Evangiles.
Malgré son grand nombre de page j’ai lu ce roman facilement, en quelques jours, grâce à ses nombreux rebondissements et péripéties. Qui a déjà lu la suite saga Kingsbridge (trois tomes écrits avant celui-ci), retrouvera toujours un peu le même schéma : un méchant évêque, avide de pouvoir et de richesses, opposé à des héros idéalistes aux amours contrariés. A la fin les gentils gagnent. C’est très romanesque et donc une lecture distrayante.
Anne Berest, La carte postale, Audiolib
En 2003 la mère d’Anne Berest, Lélia, a reçu une carte postale anonyme sur laquelle étaient inscrits quatre prénoms : « Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques ». Il s’agit des grands-parents maternels de Lélia et de sa tante et son oncle, tous quatre assassinés à Auschwitz. Dix ans plus tard, enceinte de sa fille, Anne Berest interroge sa mère sur l’histoire de sa famille.Nous découvrons ainsi le destin des Rabinovitch, Juifs de Russie qui quittent Moscou pour Riga à cause de la révolution, puis Riga pour la Palestine à cause de l’antisémitisme, avant de s’installer en France. Cette première partie annonce ce que sera le reste du livre : un mélange de documentation historique et de roman puisque sont reconstituées les paroles, les sensations et les pensées intimes des personnages que l’autrice suit quasiment jusque dans la chambre à gaz. J’ai lu sur Babélio que ce procédé avait incommodé certains lecteurs. Ce n’est pas mon cas mais je trouve parfois qu’elle en fait trop.
La seule survivante de la famille est Myriam, mère de Lélia, soeur aînée de Noémie et Jacques, sauvée de la déportation par son mariage avec Vicente Picabia, le fils du peintre.
En 2019 Anne Berest décide d’enquêter sur la carte postale anonyme et d’en retrouver l’auteur. C’est un moment où elle se pose des questions sur sa judéité. Qu’est-ce que cela veut dire être Juif aujourd’hui en France quand on a grandi dans une famille non croyante et non pratiquante ? Qu’est-ce qui se transmet de cet héritage malgré les silences et les non-dit ? Qu’est-ce que cela signifie être une descendante de survivante ? Je trouve cette réflexion intéressante même si il m’arrive de ne pas la suivre dans ses analyses, notamment quand elle explore l’influence qu’ont eu sur elle et sa soeur les prénoms cachés qu’on leur a donnés. Il me semble que je connais des gens qui ont les mêmes traits de caractère que décrits ici sans avoir les mêmes antécédents. L’enquête sur la carte postale est aussi l’occasion de présenter l’engagement des Picabia dans la résistance. Jeanine Picabia, soeur de Vicente, a dirigé le réseau Gloria et y a fait participer mère, frère, belle-soeur.
J’ai écouté ce texte lu par Ariane Brousse de façon vivante. Elle a une voix claire mais est capable d’en changer pour jouer les différents personnages qui interviennent. Elle prend ainsi une voix rauque pour incarner Lélia, grande fumeuse. Au total c’est un livre que j’ai trouvé intéressant et émouvant et qui m’a donné envie de lire autre chose de l’autrice.Peut-être le livre qu’elle a écrit avec sa soeur, Claire Berest, sur Gabrielle Picabia, leur arrière-grand-mère qui intervient dans La carte postale.
A l’habitude chez Audiolib le texte est suivi d’un entretien avec l’autrice où elle donne quelques explications sur son travail et notamment sur l’articulation entre faits réels et romancés.
L’avis de Luocine, celui de Dominique.
Je participe aux Lectures communes autour de l’Holocauste organisées par Et si on bouquinait un peu et Passage à l’Est.
Hannelore Cayre, Richesse oblige, Métailié
En ces temps de confinement, quand les cinémas sont fermés et que la sortie de l’adaptation de La Daronne est remise à une date ultérieure, qu’est-ce qu’on peut faire ? Patienter en lisant le dernier ouvrage de Hannelore Cayre !
Blanche de Rigny, la narratrice, est une jeune femme handicapée après un grave accident à l’adolescence. Elle est employée à la reprographie judiciaire du palais de justice de Paris. Fortuitement, Blanche découvre qu’elle est apparentée, par son arrière-grand-père à la très riche famille des de Rigny, chefs d’entreprise voyous, artistes usurpateurs, riches qui se croient tout permis et qui en veulent toujours plus. Elle va utiliser les informations qui passent entre ses mains dans le cadre de son travail pour débarrasser la terre de ces malfaisants qui contribuent activement à la destruction de l’environnement.
En parallèle Blanche enquête sur l’ancêtre commun, Auguste de Rigny et l’histoire de ce jeune homme né en 1845, fils de famille bourgeoise, nous est racontée. En 1870, alors que la guerre avec la Prusse menace, Auguste tire un mauvais numéro à la conscription. Son père se met alors en charge de lui trouver un remplaçant. C’est difficile car l’éventualité d’un conflit a fait monter le cours de l’homme et que des escrocs essaient de profiter de la situation. J’ai découvert avec intérêt ce trafic de remplaçants encadré par la loi. Avec Auguste on suit aussi, rapidement, le siège de Paris et la Commune. Départ des Parisiens qui le peuvent vers leurs résidences secondaires, ruée sur les provisions alimentaires : ça rappelle des choses. C’est la partie historique de l’ouvrage que j’ai le plus appréciée.
L’objectif de Hannelore Cayre c’est de montrer les points communs entre la fin du 19° siècle et le début du 21° : « Il suffisait d’avoir lu Balzac, Zola ou Maupassant pour ressentir dans sa chair que ce début de XXI° siècle prenait des airs de XIX°. Il y avait bien sûr la disparition progressive des services publics, mais pas seulement. Après un XX° siècle qui avait connu deux conflits mondiaux et glorifié l’aventure entrepreneuriale et les diplômes, la part des revenus du travail dans les ressources dont une personne disposait au cours de sa vie s’était mise à reculer pour arriver exactement au même niveau qu’à l’époque de mon ancêtre Auguste. On se surprenait à nouveau à attendre le décès de papa-maman pour s’acheter un logement ou payer les études et l’installation de ses enfants ».
Elle dit qu’elle s’est inspirée du Capital au XXI° siècle de Thomas Piketty.
Il est aussi question des dégâts sur la planète qu’entraîne la course effrénée au profit et de la condition animale , la meilleure amie de Blanche étant une militante de L214.
Ca a l’air très sérieux tout ça mais c’est traité sur le mode grinçant qui est celui de l’autrice et non dénué d’humour. Ca se lit facilement mais je l’ai trouvé un peu caricatural parfois et pas aussi bien réussi que La Daronne.
Ken Follett, Une colonne de feu, Le livre de poche
Nous sommes plus de deux cents ans après Un monde sans fin. L’histoire débute en 1558 à Kingsbridge, petite ville autour de laquelle se sont déroulés les deux précédents épisodes et dont est originaire Ned Willard, le héros, mais nous nous en éloignons vite car Ned entre au service d’Elisabeth Tudor, prétendante au trône d’Angleterre. C’est alors Marie Tudor qui est reine. Elisabeth est sa demi-soeur mais elle est illégitime et protestante. Ned souhaite vivre dans un pays où chacun pourrait pratiquer en paix la religion de son choix et c’est pour cela qu’il soutient Elisabeth car il pense qu’elle est la mieux à même de réaliser ce projet. Quand Elisabeth accède au pouvoir Ned joue un rôle de plus en plus important auprès d’elle et devient un membre influent et efficace de ses services secrets. Sa mission : déjouer les nombreux complots fomentés par les ultra-catholiques contre sa souveraine.
Un autre personnage important du roman est le Français Pierre Aumande. Lui attache son destin à la famille de Guise. Il se révèle vite prêt à tout pour permettre l’ascension de ses maîtres et protecteurs. Et la sienne en même temps. C’est un personnage très déplaisant. A une époque où se succèdent sur le trône de France des rois mineurs et faibles les Guise souhaitent profiter de la situation pour obtenir plus de pouvoir voire gouverner de fait et imposer un catholicisme intransigeant. Pierre est leur âme damnée, il est partout où il y a un mauvais coup à faire au nom de Dieu. On nous le présente même comme l’organisateur de la Saint Barthélémy !
S’il y a un point faible à ce roman, il est là : Pierre et le Britannique Rollo Fitzgerald sont de tous les complots, Ned toujours présent pour les déjouer. Cela permet à l’auteur de faire participer son lecteur à tous les grands événements de l’époque jusqu’au naufrage de l’invincible armada et à la conspiration des poudres. Je trouve cependant qu’à force cela manque de crédibilité. Ceci mis à part j’ai beaucoup apprécié cette lecture que j’ai trouvée très intéressante. Plus j’avançais plus j’étais accrochée et plus j’avais du mal à lâcher mon livre. Ken Follett plaide pour la tolérance religieuse. Il est convaincant quand il montre comment les peuples commerçants ont intérêt à un cadre religieux moins pesant et donc choisissent le protestantisme. Derrière ses personnages principaux il propose aussi de nombreux personnages secondaires qui lui permettent d’évoquer l’inquisition en Espagne, la condition des esclaves ou la vie des entrepreneurs anversois. Encore une grande fresque bien réussie comme il sait le faire.
Ken Follett, Un monde sans fin, Le livre de poche
L’action se déroule entre 1327 et 1361 à Kingsbridge, sur les lieux mêmes où se déroulait celle des Piliers de la terre, environ 200 ans plus tôt. Un certains nombre de personnages sont des descendants de ceux du premier roman.
On suit les aventures de Merthin le Pontier. Descendant de Jack le Bâtisseur dont il a hérité la chevelure rousse, c’est lui-même un bâtisseur de génie qui doit batailler pour être accepté par la guilde des commerçants et artisans après avoir été renvoyé par son maître avant la fin de son apprentissage.
Merthin est amoureux de Caris, fille d’un marchand de laine. Caris est une jeune femme éprise de liberté qui hésite à épouser l’homme qu’elle aime de peur de perdre son indépendance. En fait, depuis la mort de sa mère, elle voudrait être médecin mais cette profession est réservée aux hommes qui savent quand même bien mieux qu’une femme saigner le malade. Sa volonté d’émancipation, sa lutte contre toutes les traditions aveugles, particulièrement l’autorité masculine, font de Caris le personnage central du roman et donnent à celui-ci une vraie coloration féministe.
Pour les aspects ruraux de la vie au 14° siècle il y a les serfs Gwenda et Wulfric aux prises avec leur seigneur Ralph Fitzgerald dont les occupations favorites sont de faire la guerre, se battre, chasser et violer ses paysannes -à peu près dans cet ordre.
Que d’aventures ! Les 1300 pages (!) de ce gros bouquin se lisent sans difficultés. Dans un premier temps cependant j’ai trouvé que Ken Follett se démarquait peu des Piliers de la terre. Des situations et des personnages m’ont semblé trop semblables à ceux du premier roman : Caris et Merthin ce sont Aliena et Jack ; le prieur Godwyn pour qui la gloire de dieu passe par sa propre élévation (qu’il est méprisable!) me fait penser à Waleran Bigot et le méchant seigneur Ralph Fitzgerald ressemble fort à William Hamleigh.
Puis le roi d’Angleterre s’en va guerroyer en France et on assiste à la bataille de Crécy dans laquelle la cavalerie française s’est jetée sur les archers anglais et s’est fait décimer. Intéressant.
Avec la grande épidémie de peste de 1348 on entre sur un terrain complètement nouveau et passionnant. Cette maladie pour laquelle on ne connaît qu’un seul remède : « Pars de bonne heure, parcours une longue route et ne reviens pas avant longtemps » (Pars vite et reviens tard, disait Fred Vargas) a tué près de la moitié de la population. L’auteur monter très bien comment cette hécatombe a bouleversé la société. Des survivants de tous leurs proches deviennent soudain riches par héritage. Des paysans profitent de la pénurie de bras pour discuter avec leur seigneur des conditions de travail plus avantageuses. On forme les prêtres en quelques mois, les médecins en trois ans au lieu de cinq.
Je n’ai abordé qu’une petite partie des péripéties auxquelles l’ouvrage convie le lecteur. Peu de risque qu’on s’y ennuie. En tout cas, moi, j’ai beaucoup aimé.