3. Les nouilles à la tomate A la fin du tome précédent Madeleine Riffaud a été arrêtée après avoir abattu un officier allemand sur le pont Solférino. L’action du présent volume court du 22 juillet 1944 au 23 août 1944. Il s’en passe des choses en un mois ! Emmenée à la préfecture de police Madeleine y est torturée pendant que ses camarades organisent leur mise à l’abri. Elle sait qu’elle doit tenir trois jours pour leur en laisser le temps mais ne parlera pas malgré les violences de tout genre dont elle est victime. Pour tenir durant son calvaire elle se récite des poèmes et s’appuie sur un moment de camaraderie avec un.e autre détenu.e ou le soutien d’un gendarme français chargé de la surveiller. Elle échappe de peu à l’exécution avant d’être libérée par la Croix rouge, juste à temps pour prendre part aux combats pour la libération de Paris.
Un troisième épisode toujours aussi intéressant et qui montre bien la résolution sans faille de Madeleine Riffaud. La dernière case rappelle fort à propos que Madeleine et ses camarades FFI étaient de tout jeunes gens. J’attends maintenant la sortie du numéro quatre.
Une théorie critique féministe végane. Carol J. Adams est une écrivaine américaine, militante végane et féministe. Son livre principal, La politique sexuelle de la viande, est paru aux Etats-Unis en 1990 et a été traduit en français en 2018. L’édition présente est une édition anniversaire à l’occasion des 35 ans de cet ouvrage historique. Dans cet essai l’autrice lie oppression des animaux, oppression des femmes et oppression raciste et coloniale. Elle montre qu’avoir une alimentation végétarienne -ou mieux, végane- constitue de facto un acte de rébellion contre la culture dominante patriarcale : depuis fort longtemps l’identité masculine passe par la consommation de chair, signe de virilité. Dans les contextes de pénurie les femmes se passent de viande réservée aux hommes. Des influenceurs masculinistes mettent en scène leur consommation de grosses pièces de viande saignante.
Carol J. Adams nomme textes de la viande le corpus de textes et discours qui légitiment et facilitent la consommation de viande. Par l’emploi d’un vocabulaire spécifique le meurtre est occulté, l’animal vivant disparaît de notre assiette, il devient un « référent absent » (après être passé sur la « chaîne de désassemblage », le cochon est transformé en jambon et saucisses). L’autrice applique ce concept de « référent absent » qu’elle a créé aux situations de violences contre les femmes. L’affaire Pélicot est évoquée dans l’édition anniversaire (je me souviens qu’un des violeurs s’est disculpé en disant qu’il aimait LA femme. Ca m’a toujours agacée, cette expression, comme s’il y avait un modèle unique de femme. Il parle de qui, ce monsieur ? Pas de Gisèle Pélicot, on dirait).
Cet essai s’appuie largement sur l’analyse de textes littéraires anglais et américains des 19° et 20° siècles. La réflexion n’est pas toujours facile d’accès et les conclusions me paraissent parfois un peu tirées par les cheveux. Je constate aussi qu’il me manque des éléments de culture américaine (grâce à ma lecture précédente je savais cependant qui était Zora Neale Hurston, souvent citée). Je découvre la notion de soul food, nourriture qui rattache les Afro-américains et les Amérindiens à leurs origine. L’autrice plaide pour une végétalisation de cette soul food. Mon avis sur ce livre est mitigé : il y a des choses que je savais déjà mais la lecture me donne matière à réflexion.
L’écrivaine Anna Funder a « toujours adoré Orwell ». A l’été 2017, alors qu’elle se retrouve débordée par ses obligations familiales et professionnelles et qu’elle prend conscience que malgré la bonne volonté de son mari c’est sur elle que repose le gros de l’éducation des enfants, elle décide de se servir des écrits d’Orwell pour se libérer du « fardeau de la condition d’épouse et de mère ». Alors qu’elle lit les principales biographies de l’écrivain, elle prend conscience d’une absente de taille : Eileen O’Shaughnessy, femme d’Orwell, qui tout au long de leur mariage a fourni à ce dernier un cadre matériel lui permettant de se consacrer à l’écriture, des échanges intellectuels de qualité pour progresser et a joué le rôle de secrétaire mettant au propre ses notes. Anna Funder décide alors d’écrire plutôt sur Eileen.
Lire la biographie d’Eileen O’Shaughnessy c’est découvrir comment celle-ci a été effacée, d’abord par Orwell lui-même, à sa suite par ses biographes. Anna Funder met à jour les procédés qui ont permis d’invisibiliser cette femme (l’utilisation de la forme indirecte est bien pratique) et de passer sous silence l’importance de son rôle. La ferme des animaux est présentée ici comme quasiment écrite à deux. Lire la biographie d’Eileen O’Shaughnessy c’est faire la connaissance d’un personnage bien peu sympathique, son mari. George Orwell apparaît comme un homme très autocentré, ne se souciant pas des souhaits ou du bien-être de son épouse. Anna Funder pense qu’il a au contraire tenté de couper celle-ci de ses relations extérieures -amis, famille. Ainsi il tombe régulièrement malade quand Eileen envisage de rendre visite à son frère. Ce chantage à la maladie est aussi utilisé pour obtenir les faveurs de jeunes femmes avec lesquelles Orwell adopte souvent un comportement d’agresseur sexuel. L’autrice s’appuie sur des sources nombreuses et variées, notamment des lettres d’Eileen à sa meilleure amie, découvertes en 2005.
Puisque c’était son point de départ, Anna Funder réfléchit aussi a sa condition d’épouse et de mère. Quand on est soi-même une femme mariée de la même génération que l’autrice ce n’est pas forcément très agréable de penser à la façon dont les tâches ménagères ont été réparties -ou pas- dans son propre couple. J’apprécie que l’autrice pointe la responsabilité du patriarcat dans ces inégalités et dise que la réponse ne peut pas être qu’individuelle. Enfin la façon dont le patriarcat permet à un homme de maltraiter sa femme tout en se considérant lui-même et en étant considéré à l’extérieur comme un « homme décent » (un « bon père de famille » dirait Rose Lamy) est analysée à partir de la notion de « doublepenser » développée par Orwell dans 1984.
C’est une lecture que j’ai grandement appréciée. Le talent d’Anna Funder c’est aussi de donner quand même envie de lire Orwell.
« Sa majesté défend aux officiers de ses vaisseaux de mener des femmes à bord pour y passer la nuit et pour plus longtemps ».
Rose de Freycinet (1794-1832) était la femme de Louis de Freycinet (1779-1842), capitaine de vaisseau qui commanda une expédition d’exploration scientifique française en 1817-1820. A bord de la corvette l’Uranie embarquent divers cartographes, dessinateurs, astronomes, botanistes, élèves officiers… et Mme de Freycinet. Cette dernière considère en effet qu’il est de son devoir de femme mariée de suivre son mari partout. Ce n’est pas autorisé pourtant aussi, avec la complicité de celui-ci, monte-t-elle à bord incognito, habillée en garçon et les cheveux courts. Son identité est révélée à l’équipage à Gibraltar, première escale du bateau. Pendant son voyage Rose de Freycinet a régulièrement écrit à sa cousine et amie, Caroline de Nanteuil de la Norville. Ce sont ces lettres, sorte de journal de voyage, qui constituent ce récit. Rose de Freycinet est la première française à accomplir une circumnavigation.
Dans ses lettres Rose de Freycinet raconte la vie à bord, ses traditions et son confort spartiate mais elle s’étend surtout sur les escales où l’on peut rester jusqu’à deux mois. Quasiment rien sur les recherches scientifiques qui justifient le voyage, un peu sur les rencontres avec les sauvages, l’essentiel porte sur les mondanités. Le commandant et son épouse sont en effet reçus par les élites des colonies où ils abordent. On donne des réceptions et on organise des parties de campagne. Rose commente tout cela pour sa cousine, juge des élégances, des manières et des apparences de ses hôtes. Ses goûts sont ceux d’une grande bourgeoise : elle aime l’opulence non ostentatoire, la richesse alliée à la simplicité. Il me semble que ses préjugés de classe sont plus importants que ses préjugés de « race ». Au sujet des autochtones elle me surprend parfois par des réflexions moins convenues qu’à son habitude. Ainsi à propos de personnes qui l’observent en cachette : « nous devons en effet, leur paraître aussi étranges qu’ils nous semblent l’être : c’est une réflexion que j’ai souvent l’occasion de faire ».
Le 14 février 1820, l’Uranie fait naufrage et s’échoue sur un îlot inhabité des Malouines où l’équipage survit deux mois avant d’être secouru. Il fait froid et humide, on se nourrit de biscuit mouillé et du produit de la chasse : chevaux et veaux marins principalement. Dans ces circonstances difficiles je la trouve courageuse et pleine d’ingéniosité. Le journal de voyage est suivi d’annexes : un portrait de Rose de Freycinet et un récir du naufrage de l’Uranie par Jacques Arago -le frère de François- qui participa à l’expédition en tant qu’illustrateur ; une autre relation du naufrage par Louis de Freycinet. J’aime particulièrement les textes de Jacques Arago, écrits dans un style vivant et pittoresque.
J’ai beaucoup apprécié cette lecture, la découverte de ce petit monde, le mélange d’assurance et de spontanéité de l’autrice. A la lecture je comprends que ce n’est pas l’intégrale des lettres de Rose de Freycinet qui nous est présentée là : certaines allusions renvoient en effet à des informations précédentes qui manquent. La notice Wikipédia de l’autrice confirme cette impression. Ce n’est pas contre pas précisé dans la préface.
Rose Lamy est la créatrice du compte Instagram « Préparez-vous pour la bagarre ». Après la parution de son premier livre Défaire le discours sexiste dans les médias, elle est contactée par sa sœur : « Maman t’a déjà parlé de papa ? ». Elle découvre alors que son père, mort quand elle avait quatre ans, était violent avec leur mère. Il était pourtant considéré à l’extérieur du foyer comme un brave homme, un « bon père de famille ». C’est la genèse du présent ouvrage où elle entreprend de déconstruire le mythe du « bon père de famille ».
Après avoir défini la notion de « bon père de famille », l’autrice s’attaque aux violences faites aux femmes et aux enfants et à la façon dont le patriarcat excuse les hommes qui s’en rendent coupables. Elle s’appuie sur des statistiques, des exemples concrets et ce qui en a été dit dans les médias. Le violeur (Dominique Strauss-Kahn), l’homme qui a tué sa femme (Jonathann Daval) est trop souvent présenté comme un homme qui aimait trop les femmes, quelqu’un qui a été pris d’un coup de folie. Cette figure du « bon père de famille », agresseur par accident, est opposée à celle du monstre (« Polanski n’est pas le violeur de l’Essonne », « On ne peut pas juger Jonathann Daval comme on juge Fourniret ») ou de l’étranger. A cette occasion Rose Lamy revient sur l’affaire des agressions de Cologne le soir du 31 décembre 2015 et répond à la question « Et vous faites quoi pour les Afghanes » opposée aux féministes qui évoquent le sexisme en France.
En détournant ainsi l’attention sur des figures fantasmées, l’impression s’installe que les agressions et féminicides quotidiens sont des faits divers, des accidents, et empêche de prendre en compte l’aspect systémique des violences contre les femmes et les enfants. La nécessaire prise de conscience que « les hommes violents sont potentiellement monsieur Tout-le-Monde suscite de très fortes résistances, interrogeant nos croyances sur l’amour, sur le couple et sur la famille, qu’on nous a présentée comme un lieu protégé des monstres ». Elle est pourtant un passage obligé pour lutter efficacement contre ces violences.
J’ai beaucoup apprécié la lecture de ce petit livre. J’ai été choquée par la découverte de certaines déclarations de presse ou de figures médiatiques visant à excuser les hommes violents et dont je ne pensais pas qu’elles pouvaient avoir encore cours de nos jours -mais si. J’ai trouvé les arguments convaincants et la réflexion pertinente qui me fournit des éléments de réponse à certains lieux communs (« Séparer l’homme de l’artiste »). Cela m’a donné envie de lire le précédent ouvrage de Rose Lamy. J’ai aimé la conclusion : « Les hommes violents ne sont ni des monstres affreux, ni les héros d’un roman national inventé pour les dédouaner de leurs responsabilités. Ils sont là, parmi nous, exactement dans la norme sociale, au coeur de nos foyers, ce sont nos pères, nos maris, nos compagnons, nos fils, nos cousins, nos amis. Et tant que la société n’aura pas accepté cet état de fait, nous ne saurons pas mettre fin aux violences domestiques ».
Gyeongha, la narratrice, est chargée par son amie Inseon, hospitalisée, d’aller chez elle pour prendre soin de son perroquet blanc. Le trajet vers la maison isolée de l’île de Jeju prise dans une tempête de neige est une véritable épreuve pour Gyeongha. Elle se souvient d’épisodes antérieurs de son amitié avec Inseon et d’un projet artistique conçu ensemble et dont la réalisation est repoussée d’année en année : une installation commémorant les massacres de Jeju en 1948-1949. La description de la tempête de neige est particulièrement réaliste : j’ai eu froid pour la narratrice. J’ai trouvé par contre cette première partie un peu longue.
La narration de Gyeongha dans le temps présent du roman s’entrecroise avec ses souvenirs, ses cauchemars et, finalement, un long passage où Inseon lui apparaît et lui raconte son histoire familiale. Pas toujours évident de savoir si on est dans le rêve ou la réalité. C’est ce que j’ai appris sur la répression « anti-communiste » à Jeju et en Corée du Sud à la fin des années 1940 et pendant la guerre de Corée qui m’a le plus intéressée. A Jeju on estime à 30 000 le nombre de civils de tous âges exécutés. Dans le reste du pays on a fiché des personnes classées à gauche, leurs familles et même des gens choisis au hasard pour atteindre les quotas, c’est la ligue Bodo. Pendant la guerre de Corée ils sont arrêtés et fusillés. Il y aurait eu 100 000 victimes. Je ne connaissais pas grand-chose de l’histoire de la Corée et je suis choquée par ce que j’apprends. C’est une répression aveugle qui n’a rien à envier à celle des régimes communistes. En Corée du Sud ce n’est que depuis le début du 21° siècle que la vérité est faite sur ces horreurs, attribuées pendant longtemps aux forces communistes.
J’ai apprécié la façon dont l’autrice croise informations historiques et histoire de la famille d’Inseon. Cela donne du corps aux événements. Elle fait bien ressentir le traumatisme des survivants et la façon dont il peut affecter une famille sur plusieurs générations.
2. l’édredon rouge Dans ce deuxième tome (le premier) nous suivons les aventures de Madeleine Riffaud depuis son entrée dans la résistance à Paris en 1942 jusqu’à son arrestation en 1944. Elle est agente de liaison, distribue des tracts, participe à des « réquisitions » de matériel : armes, machines à écrire, tickets de ravitaillement. Après l’exécution du groupe Manouchian elle rejoint les FTP par désir de lutte armée. En parallèle de tout ça elle est étudiante sage-femme en couverture.
La BD fait bien ressentir la camaraderie qui lie les jeunes résistants. Tant que les coups de main se terminent bien, que la complicité d’un passant permet de se tirer d’une mauvaise passe, il y a une forme d’exaltation à agir, l’excitation de l’aventure. Pas toujours facile dans le feu de l’action de respecter les consignes de prudence.
J’ai beaucoup apprécié cette lecture et j’attends avec impatience de mettre la main sur le tome 3.
1. La rose dégoupillée. Sur les conseils de lecteurs de mon compte-rendu de On l’appelait Rainer j’ai emprunté le premier tome de cette série de BD qui en compte trois. Les dessins sont de Dominique Bertail et le scénario de JD Morvan. La rose dégoupillée raconte l’histoire de Madeleine Riffaud de 1931 à ses débuts dans la résistance en 1942. On passe rapidement sur sa petite enfance avant d’arriver à la défaite française. Son séjour au sanatorium de Saint-Hilaire du Touvet (lieu de refuge et de résistance comme l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban sur Limagnole) mûrit le désir de notre héroïne de s’engager contre l’occupant. A Paris elle est d’abord mise à l’épreuve -pas toujours de façon très fine- par le réseau dont fait partie son fiancé.
Cette biographie est suivie par quatre pages de making of où l’on voit Dominique Bertail, JD Morvan et Eloïse de la Maison -qui a travaillé sur les archives- rencontrer Madeleine Riffaud à son domicile pour de longs entretiens. Une amitié se noue entre les auteurs et cette dernière qui apparaît comme très sympathique. Enfin il y a quatre pages de « souvenirs supplémentaires de Madeleine Riffaud » sur la période traitée.
Le dessin est en noir et blanc, le trait fin, les décors détaillés. On voit qu’il y a eu une volonté de documenter de façon exacte l’aspect des paysages, notamment urbains, tels qu’ils étaient pendant l’Occupation. Madeleine Riffaud a commencé à témoigner de ce qu’a été son engagement dans la résistance en 1994, à l’occasion du cinquantenaire de la libération du territoire français. Entre 1994 et 2021, date de parution de ce premier tome, elle a retrouvé des souvenirs qu’elle avait enfouis aussi cette BD apporte-t-elle des informations qui étaient absentes de On l’appelait Rainer. Le présent ouvrage comporte enfin quatre poèmes de Madeleine Riffaud. C’est une lecture que j’ai appréciée.
L’autrice britannique de best-sellers Barbara Taylord Bradford est morte le 24 novembre 2024. Elle était née en 1933. Elle a écrit une quarantaine de romans qui se sont vendus à plus de 91 millions d’exemplaires. La trame est toujours plus ou moins la même : une héroïne cherche à s’accomplir malgré les difficultés.
Là où la vie t’appelle. Val Denning, la narratrice, est une photo-reporter, correspondante de guerre. En 1998 -le roman date de 1999- elle est en mission au Kosovo quand elle est blessée par des tirs. A côté d’elle ses collègue set amis Tony Hampton et Jake Newberg sont touchés également. Tony, avec qui elle avait une relation amoureuse, meurt de ses blessures. Ce drame est le point de départ de nombreux bouleversements dans la vie de Val, sans qu’il y ait toujours un lien de cause à effet. Elle découvre que Tony lui mentait, connaît un amour sincère, affronte sa mère qui ne l’a jamais aimée, aide une femme battue harcelée par son mari et envisage une reconversion professionnelle.
Les rebondissements sont nombreux dans ce roman -c’est même parfois un peu trop- qui se lit donc sans trop d’ennui. C’est cependant une lecture qui ne m’a guère plu. J’ai regretté l’analyse psychologique superficielle et les jugements à l’emporte-pièce de la narratrice sur son entourage : un homme qui ment à sa maîtresse ? c’est un malade mental ; une mère qui n’aime pas sa fille ? c’est une malade mentale… J’ai trouvé très datées certaines descriptions : un homme à la virilité provocante auquel aucune femme ne peut résister, je me demande à quoi ça peut bien ressembler. Enfin j’ai été gênée par le train de vie des personnages. Ils habitent dans des logements aménagés par des décorateurs d’intérieur, où il y a toujours des bouquets de fleurs fraîches et sont servis par des domestiques à demeure ou présents trois fois par semaine. Ils achètent des babioles de grands couturiers pour faire des cadeaux de Noël de dernière minute et cette opulence n’est jamais interrogée, elle apparaît comme naturelle.
Poétesse, résistante, journaliste, Madeleine Riffaud est morte le 6 novembre 2024. Elle avait cent ans ! Elle a 18 ans en 1942 quand elle s‘engage dans un groupe de Francs-tireurs et partisans (FTP) sous le nom de code de Rainer. Elle est d’abord agente de liaison puis passe au combat armé. En 1944 elle tue un sous-officier allemand à Paris. Prise en flagrant délit, elle est torturée pendant trois semaines et condamnée à mort mais libérée lors d’un échange de prisonniers. Elle participe aux combats de la libération de Paris. Après la guerre elle devient journaliste. Elle fréquente Eluard, Aragon, Vercors, Picasso, Ho Chi Minh. Elle suit en tant que journaliste pour l’Humanité les guerres du Vietnam et d’Algérie. Au début des années 1970 elle se fait embaucher comme aide-soignante dans un hôpital parisien et écrit Les linges de la nuit qui dénonce les carences du système hospitalier français (déjà…).
On l’appelait Rainer. Ce livre est paru en 1994 à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Libération. Le résultat est un objet un peu hétéroclite et inégal. Après une introduction signée Madeleine Riffaud vient la biographie proprement dite. Elle est écrite à la troisième personne ce qui surprend au départ vu que la couverture n’indique qu’un seul nom d’autrice. A la première page on voit cependant que ce livre a été écrit «avec la collaboration de Gilles Plazy » que Madeleine Riffaud remercie dans son introduction. Cette biographie qui forme le gros de l’ouvrage couvre la période 1940-1945. La résistance telle qu’on la voyait en 1994 c’est celle où une majorité de Français s’est opposée à l’Occupation dès le début, à commencer par les communistes. On sait aujourd’hui que la réalité a été plus nuancée. Chacun des chapitres est suivi de cinq à dix poèmes écrits par Madeleine Riffaud au moment des événements racontés.
Les 50 dernières pages comportent un entretien avec Gilles Plazy, bien identifié comme tel, sous forme de questions-réponses ; trois textes écrits par Madeleine Riffaud en 1957, 1970 et 1946 qui évoquent des épisodes de son engagement dans la résistance et dont on ne nous dit pas s’ils avaient été précédemment publiés ; un poème de Manouchian, sa dernière lettre à sa femme, la dernière lettre de France Bloc-Sarrazin et une chronologie 1940-1945. Cette fin fait un peu bric-à-brac.
Les passages qui m’ont le plus touchée sont ceux où Madeleine Riffaud évoque son difficile retour à la vie civile. En 1944 elle a vingt ans et est toujours mineure aux yeux de la loi et à ceux de ses parents, semble-t-il. Elle laisse entendre qu’elle s’est brouillée avec eux. Elle est traumatisée par les tortures qu’elle a subies et le complexe de la survivante, elle envisage le suicide. Ce sont Paul et Nusch Eluard qui la prennent sous leur aile et lui sauvent la vie. D’une première lecture qui doit dater de la fin du 20° siècle je n’ai gardé aucun souvenir. C’est un livre inégal, daté dans sa façon de voir les choses.