Isidor Geller était l’arrière-grand-oncle de Shelly Kupferberg. Il est né à la fin du 19° siècle dans une famille juive pauvre de Galicie. Le père se consacrait à l’étude des textes religieux. Rapidement Isidor -il s’appelle à l’époque Israël- est désireux d’une autre vie. Il est attiré par les études profanes. En 1908 il s’installe à Vienne. La première guerre mondiale permet à Isidor de s’enrichir énormément. Dans les années 20 et 30 il mène une existence mondaine, organise de grands dîners, s’adonne à sa passion de l’opéra. L’Anschluss met une fin brutale à cette vie facile.
Pour raconter l’histoire d’Isidor, mais aussi celle des frères et soeur de celui-ci, de son tailleur, de sa compagne… Shelly Kupferberg s’est appuyée sur des archives publiques, notamment au sujet de la spoliation des biens juifs à partir de 1938, mais aussi sur la mémoire et les archives familiales. Le grand-père de l’autrice, Walter, a été un proche d’Isidor avant la seconde guerre mondiale. Le résultat est cependant un ouvrage d’aspect très romancé et qui, à mon goût, manque parfois un peu de précisions (dates, noms). C’est pourquoi, si j’ai apprécié cette lecture qui m’a fait penser au Lièvre au yeux d’ambre, j’ai préféré ce dernier.
Isidor vit à Vienne à la même époque et dans le même milieu que Viktor von Ephrussi. Il n’est pas question de lui ici mais il est probable que les deux hommes se soient croisés dans la vraie vie. Ils subissent en tout cas les mêmes violences antisémites en 1938 et encore une fois je suis sidérée par la façon dont les Viennois, qui donnaient l’apparence de gens ouverts, ont adhéré en masse aux idées nazies. Ce n’est pas très plaisant à lire parce que ça me fait penser à la situation politique actuelle et que je me demande ce qu’il se passerait dans la rue si l’extrême droite arrivait au pouvoir. Que vient faire ce chevreuil sur la -fort belle- couverture ? La réponse à l’avant-dernière page du livre. Et maintenant je lirais bien un ouvrage historique sur l’Autriche et le nazisme.
L’écrivain britannique David Lodge est mort le 1er janvier 2025. Il était né en 1935 dans une famille catholique modeste. Professeur de lettres à l’université de Birmingham, il écrit en parallèle avant de se consacrer entièrement à l’écriture à partir de 1987. Ses romans se déroulent souvent dans le cadre de l’université de Rummidge, ville fictive copiée sur Birmingham. Il moque les travers des universitaires. Ses livres se sont vendus à plusieurs millions d’exemplaires en France. Pas à moi qui le découvre à l’occasion de sa mort.
Nouvelles du paradis. A 45 ans Bernard Walsh est un ancien prêtre catholique qui enseigne aujourd’hui la théologie à Rummidge. Il a perdu la foi et considère qu’il a raté sa vie. Un coup de téléphone de sa tante Ursula va briser une routine morne. Ursula a rompu avec sa famille il y a des années quand elle a épousé un soldat américain divorcé. Installée à Hawaï, elle est atteinte d’un cancer au stade terminal et souhaite revoir son frère avant de mourir. Bernard s’envole donc pour Honolulu accompagné de son père, Jack, un vieillard irascible de 70 ans -désolée pour les septuagénaires qui me lisent mais avoir 70 ans en 1991, date de parution du roman, semble la même chose qu’en avoir 15 de plus aujourd’hui. Dès leur arrivée un accident va libérer Bernard de son père et lui permettre de faire la connaissance de Yolande, une sympathique psychologue.
L’histoire de Bernard qui, loin de chez lui, s’émancipe et se désinhibe peu à peu est plaisante à lire. Elle est l’occasion pour l’auteur de dire le mal qu’il pense du tourisme de masse qui détruit les paysages et la culture locale. Les excursions stéréotypées s’opposent à la splendeur du cadre naturel. Il y a aussi une réflexion sur le fait d’avoir ou de perdre la foi. Dans notre société de consommation le tourisme pourrait-il être une nouvelle religion avec ses lieux de pèlerinage ? Enfin les relations familiales et de couple sont explorées de façon fine.
J’ai apprécié la lecture de ce roman que j’ai trouvé fort bien écrit. La présentation des vacanciers au moment de l’embarquement pour Hawaï donne lieu à quelques gags un peu lourds à mon goût mais ensuite cela va beaucoup mieux. Encore un auteur que je découvre à l’occasion de sa mort et qu’il est probable que je relise.
Cet ouvrage est précédemment paru en français sous le titre La mémoire retrouvée. Son nouveau titre est fidèle à l’original : The hare with amber eyes. Edmund de Waal est un céramiste d’art britannique. En 1994, à la mort de son grand-oncle Iggie, il hérite d’une collection de 264 netsuke (dont le lièvre aux yeux d’ambre). Les netsuke sont de petits objets sculptés dans un matériau dur (ivoire, bois), qui permettaient de faire tenir sa bourse à la ceinture de son kimono. L’auteur décide de se lancer dans une enquête sur l’histoire de sa collection et celle de sa famille, les Ephrussi, deux histoires qui sont liées depuis la fin du 19° siècle.
C’est Charles Ephrussi, cousin de Viktor von Ephrussi, l’arrière-grand-père d’Edmund de Waal, qui achète la collection complète dans les années 1870 à Paris où il vit dans le quartier du parc Monceau. Ce quartier est alors en plein aménagement et abrite de riches familles juives : les Ephrussi, les Camondo, les Rotschild. Charles est un amateur d’art et un mécène qui soutient Manet. Il fréquente l’élite culturelle de l’époque, est un des modèles du personnage de Swann pour Proust. On le retrouve aussi dans le Journal d’Edmond de Goncourt dont l’antisémitisme et la misogynie me révulsent. C’est l’époque du japonisme qui explique l’engouement pour les netsuke. L’auteur détaille les sensations que lui procure le toucher et la manipulation de ces petits objets.
En 1899, Charles offre la collection comme cadeau de mariage à son cousin Viktor von Ephrussi. Viktor est banquier et vit à Vienne avec son épouse Emmy. L’aînée de leurs enfants, Elisabeth, était la grand-mère de l’auteur. La famille vit dans un immense palais à l’angle du Ring et de la Schottengasse et passe ses vacances en Tchécoslovaquie. Ces Ephrussi là aussi apparaissent dans la littérature contemporaine, eux aussi suscitent des propos antisémites. En 1938 le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne nazie entraîne aussitôt des humiliations et des violences antisémites choquantes. Je retrouve ce que j’avais découvert dans Les enfants d’Asperger. Charles et Emmy sont spoliés de leurs biens. Ils arrivent à fuir pour la Tchécoslovaquie où Emmy meurt, puis Elisabeth fait venir son père auprès d’elle en Grande-Bretagne. Lisez le livre pour savoir comment les netsuke sont réapparus après la guerre et comment Iggie, le frère d’Elisabeth, les a ramenés au Japon en 1947. C’est l’occasion de nous présenter la situation du pays après sa défaite.
Edmund de Waal est donc le quatrième propriétaire des netsuke. Lui qui pensait passer quelques mois sur son histoire familiale y a consacré deux ans. Il a voyagé sur les traces de ses ancêtres, est allé voir les lieux, a exploré les archives publiques et familiales. Le résultat est passionnant. Je regrette un peu qu’il n’y ait pas une petite bibliographie. L’auteur termine son enquête par un retour aux sources à Odessa d’où était originaire le patriarche Charles Joachim Ephrussi. Cela m’a donné envie de lire quelque chose sur cette ville.
Rose Lamy est la créatrice du compte Instagram « Préparez-vous pour la bagarre ». Après la parution de son premier livre Défaire le discours sexiste dans les médias, elle est contactée par sa sœur : « Maman t’a déjà parlé de papa ? ». Elle découvre alors que son père, mort quand elle avait quatre ans, était violent avec leur mère. Il était pourtant considéré à l’extérieur du foyer comme un brave homme, un « bon père de famille ». C’est la genèse du présent ouvrage où elle entreprend de déconstruire le mythe du « bon père de famille ».
Après avoir défini la notion de « bon père de famille », l’autrice s’attaque aux violences faites aux femmes et aux enfants et à la façon dont le patriarcat excuse les hommes qui s’en rendent coupables. Elle s’appuie sur des statistiques, des exemples concrets et ce qui en a été dit dans les médias. Le violeur (Dominique Strauss-Kahn), l’homme qui a tué sa femme (Jonathann Daval) est trop souvent présenté comme un homme qui aimait trop les femmes, quelqu’un qui a été pris d’un coup de folie. Cette figure du « bon père de famille », agresseur par accident, est opposée à celle du monstre (« Polanski n’est pas le violeur de l’Essonne », « On ne peut pas juger Jonathann Daval comme on juge Fourniret ») ou de l’étranger. A cette occasion Rose Lamy revient sur l’affaire des agressions de Cologne le soir du 31 décembre 2015 et répond à la question « Et vous faites quoi pour les Afghanes » opposée aux féministes qui évoquent le sexisme en France.
En détournant ainsi l’attention sur des figures fantasmées, l’impression s’installe que les agressions et féminicides quotidiens sont des faits divers, des accidents, et empêche de prendre en compte l’aspect systémique des violences contre les femmes et les enfants. La nécessaire prise de conscience que « les hommes violents sont potentiellement monsieur Tout-le-Monde suscite de très fortes résistances, interrogeant nos croyances sur l’amour, sur le couple et sur la famille, qu’on nous a présentée comme un lieu protégé des monstres ». Elle est pourtant un passage obligé pour lutter efficacement contre ces violences.
J’ai beaucoup apprécié la lecture de ce petit livre. J’ai été choquée par la découverte de certaines déclarations de presse ou de figures médiatiques visant à excuser les hommes violents et dont je ne pensais pas qu’elles pouvaient avoir encore cours de nos jours -mais si. J’ai trouvé les arguments convaincants et la réflexion pertinente qui me fournit des éléments de réponse à certains lieux communs (« Séparer l’homme de l’artiste »). Cela m’a donné envie de lire le précédent ouvrage de Rose Lamy. J’ai aimé la conclusion : « Les hommes violents ne sont ni des monstres affreux, ni les héros d’un roman national inventé pour les dédouaner de leurs responsabilités. Ils sont là, parmi nous, exactement dans la norme sociale, au coeur de nos foyers, ce sont nos pères, nos maris, nos compagnons, nos fils, nos cousins, nos amis. Et tant que la société n’aura pas accepté cet état de fait, nous ne saurons pas mettre fin aux violences domestiques ».
Gyeongha, la narratrice, est chargée par son amie Inseon, hospitalisée, d’aller chez elle pour prendre soin de son perroquet blanc. Le trajet vers la maison isolée de l’île de Jeju prise dans une tempête de neige est une véritable épreuve pour Gyeongha. Elle se souvient d’épisodes antérieurs de son amitié avec Inseon et d’un projet artistique conçu ensemble et dont la réalisation est repoussée d’année en année : une installation commémorant les massacres de Jeju en 1948-1949. La description de la tempête de neige est particulièrement réaliste : j’ai eu froid pour la narratrice. J’ai trouvé par contre cette première partie un peu longue.
La narration de Gyeongha dans le temps présent du roman s’entrecroise avec ses souvenirs, ses cauchemars et, finalement, un long passage où Inseon lui apparaît et lui raconte son histoire familiale. Pas toujours évident de savoir si on est dans le rêve ou la réalité. C’est ce que j’ai appris sur la répression « anti-communiste » à Jeju et en Corée du Sud à la fin des années 1940 et pendant la guerre de Corée qui m’a le plus intéressée. A Jeju on estime à 30 000 le nombre de civils de tous âges exécutés. Dans le reste du pays on a fiché des personnes classées à gauche, leurs familles et même des gens choisis au hasard pour atteindre les quotas, c’est la ligue Bodo. Pendant la guerre de Corée ils sont arrêtés et fusillés. Il y aurait eu 100 000 victimes. Je ne connaissais pas grand-chose de l’histoire de la Corée et je suis choquée par ce que j’apprends. C’est une répression aveugle qui n’a rien à envier à celle des régimes communistes. En Corée du Sud ce n’est que depuis le début du 21° siècle que la vérité est faite sur ces horreurs, attribuées pendant longtemps aux forces communistes.
J’ai apprécié la façon dont l’autrice croise informations historiques et histoire de la famille d’Inseon. Cela donne du corps aux événements. Elle fait bien ressentir le traumatisme des survivants et la façon dont il peut affecter une famille sur plusieurs générations.
Des tranches d’histoire de trois générations d’une famille de Vienne entre 1938 et 2001 s’entremêlent de façon désordonnée. En 2001 Philipp est le point fixe du roman qui revient régulièrement à ce personnage. Cet homme légèrement déprimé a entrepris de vider la maison héritée de ses grands-parents, Alma et Richard. Richard a fait une carrière d’homme politique chez les chrétiens-sociaux, il a été ministre. Il a une conception très rigide de son rôle de pater familias et s’est brouillé avec sa fille adolescente, Ingrid. Celle-ci a épousé Peter qui, à la fin de la guerre, a été un jeune combattant des jeunesses hitlériennes. Alma et Ingrid expérimentent toutes les deux les désillusions de la femme mariée. Mère au foyer, Alma est traitée en mineure par son mari qui prend des décisions la concernant sans lui en expliquer la raison. Ingrid est médecin dans un hôpital mais assume à la maison le gros de la charge des enfants.
Chronique de la vie d’une famille, des souvenirs des moments passés ensemble qui en attachent les membres les uns aux autres, ce roman explore de façon particulièrement juste les sentiments des personnages. J’ai été touchée aussi par l’expression dune nostalgie liée à la prise de conscience de leur vieillissement par certains personnages.
Ferdinand Goldberger, chef local du parti nazi de son village natal de l’Innviertel, en Autriche, a dénoncé trop de monde, semble-t-il. Parce qu’il recevait des menaces, il a du partir. Il a réussi à échanger sa grande exploitation forestière contre une ferme abandonnée à Rosental en Haute-Autriche. Il est accompagné de sa fille Martha, devenue mutique.
Entre la seconde guerre mondiale et la fin du 20° siècle, Lilas rouge raconte l’histoire d’une famille d’agriculteurs autrichiens sur quatre générations. La deuxième est représentée par Ferdinand, le fils. Revenu de la guerre il s’est mis à mépriser son père qu’il juge responsable de la perte de leur domaine forestier. Pourquoi son père a-t-il du quitter l’Innviertel ? Ferdinand ne le sait pas et ne veut pas le savoir. A son image les autres membres de la famille Goldberger évitent de se poser des questions sur le passé du vieux dont ils croient pourtant qu’il a attiré sur eux une malédiction. Ainsi Paul, fils aîné de Ferdinand, souffre de maladie mentale qu’il tente de soigner en s’alcoolisant. Bravo à l’auteur pour la description des hauts et des bas que traverse l’humeur de Paul.
La malédiction de la famille Goldberger c’est l’histoire de l’Autriche, de son déni de sa participation active aux crimes du nazisme. On peut aussi y voir une critique du patriarcat. Ferdinand a décidé seul que de ses deux fils Paul ferait des études et Thomas reprendrait la ferme. Paul est envoyé dans un internat religieux où il est très malheureux. Nul doute que les séances d’humiliation dont il est victime n’améliorent pas sa santé mentale. Plus tard Thomas, qui n’a pas eu d’enfant, choisit de même parmi ses neveux qui pourra lui succéder. Les désirs des enfants sont de peu de poids, tant mieux s’ils vont dans le sens de ce qu’on a décidé pour eux.
La gestion de l’exploitation agricole et le travail des champs sont un sujet majeur de ce roman. Après la guerre le travail est encore manuel. On pourrait aussi bien être une guerre plus tôt. Au fur et à mesure que le temps passe -mais il y a très peu de repères temporels, ce qui donne une impression d’immobilisme- on voit apparaître des machines agricoles, des objets de la société de consommation, de nouvelles cultures. Cependant toutes ces choses semblent rester à la périphérie tandis qu’au centre la vie de la famille s’écoule lentement, rythmée par les saisons, comme coupée du monde. Et en effet la ferme Goldberger se situe à l’écart du village et eux-mêmes fréquentent peu à l’extérieur.
C’est un long roman de 700 pages, ce qui laisse le temps de faire connaissance avec les personnages. J’ai grandement apprécié cette lecture. J’ai apprécié la belle écriture, l’analyse psychologique fine, la description de la nature et du quotidien de ces paysans attachés à leur terre. Reinhard Kaiser-Mühlecker est lui-même originaire de Haute-Autriche où il a repris l’exploitation agricole familiale en parallèle de son travail d’écrivain.
Née en Norvège en 1944 Katherine, la mère d’Isabelle Maroger, a été adoptée à deux ans par une famille française. Au début des années 2000 elle entreprend de rechercher sa famille naturelle. Elle apprend alors qu’elle est la fille d’un soldat allemand et qu’elle est née dans un Lebensborn. Elle fait la connaissance de son frère et de sa sœur, de ses neveux et nièces, de sa tante, qui l’accueillent chaleureusement dans leur famille. Dans cette bande dessinée, Isabelle Maroger raconte le résultat des recherches de sa mère. Nous découvrons l’histoire de Paul et Gerda, les parents naturels de Katherine, et pourquoi Gerda a accouché dans un Lebensborn. L’autrice présente aussi la façon dont elle-même et ses frère et sœur ont réagi à ces informations. Les personnages apparaissent sympathiques, assez sûrs d’eux-mêmes pour que ces révélations familiales ne les perturbent pas outre mesure.
Il y a aussi un point historique sur les Lebensborn : des maternités où des jeunes femmes enceintes de soldats allemands et considérées comme « racialement pures » venaient accoucher. Les troupes d’occupation allemandes étaient encouragées à avoir des relations avec les jeunes Norvégiennes pour « fabriquer des enfants aryens ». C’est plus une histoire de famille qu’un ouvrage historique.
Plutôt qu’une bande dessinée Lebensborn est un roman graphique : il n’y a pas de cases et les illustrations s’étalent parfois sur deux pages. Les dessins mélangent la couleur et le noir et blanc : personnages en couleur, décor en noir et blanc ; détails importants en couleur, le reste en noir et blanc ; événements du passé en noir et blanc. J’aime bien le dessin mis à part les yeux globuleux des personnages. J’ai trouvé que c’était une bande dessinée sympathique.
Tome 1 (1986-1994) Moi, Fadi, le frère volé est un spin-off de L’Arabe du futur. Fadi est le frère de Riad Sattouf. Il est né en 1986. Fadi passe ses premières années en Bretagne auprès de sa mère Clémentine et de ses deux frères. Il connaît peu son père, Abdel, qui vit et travaille en Arabie Saoudite. Les parents ne s’entendent plus. Quand Fadi a six ans, son père l’enlève et l’emmène avec lui en Syrie.
Pour les dessins on retrouve un code couleur, comme dans L’Arabe du futur. Ici les premières pages sont dans une dominante de jaune et, petit à petit, la couleur évolue pour passer au rose saumon en fin de volume, de même que Fadi, petit à petit, s’habitue à un autre mode de vie, désapprend le français pour l’arabe.
J’ai apprécié la lecture de cette bande dessinée. L’auteur montre la perception différente de la sienne qu’a son frère de la vie au village de Ter Maaleh. Alors que Riad était harcelé par ses cousins et battu à l’école Fadi s’intègre beaucoup plus facilement à la société enfantine. Dans une interview au Nouvel Obs du 3 au 9 octobre 2024 Riad Sattouf annonce trois tomes pour cette série. Il prévoit ensuite d’écrire l’histoire familiale du point de vue de sa mère. Voilà un projet qui m’intéresse grandement. Nul doute que je lirai tout cela.
La sortie de Moi, Fadi, le frère volé par Riad Sattouf est l’occasion de relire toute la série de L’Arabe du futur. Tome 1 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) L’auteur de BD Riad Sattouf est né en 1978 d’un père Syrien, Abdel-Razak, et d’une mère française, Clémentine, qui se sont connus à l’université à Paris. A deux ans le petit Riad est un enfant charmant aux cheveux blonds, très vite considéré par son entourage comme doué en dessin. Après avoir obtenu son doctorat, Abdel enseigne d’abord à l’université de Tripoli puis à Damas. En cours de route la famille s’agrandit d’un petit frère, Yahya.
Dans ce premier tome l’auteur nous raconte sa petite enfance en Libye et en Syrie où la famille habite au village du père, près de Homs. Ce qui me frappe c’est la grande violence de la société syrienne. Les inégalités sociales sont grandes. Ceux qui ont un peu de pouvoir en profitent pour maltraiter ceux qui en ont moins. Celui qui a de l’autorité humilie celui qui est sous ses ordres, les adultes frappent les enfants, les enfants se battent entre eux et martyrisent les animaux. En sa qualité d’étranger aux cheveux blonds Riad est harcelé par ses cousins et traité de sale Juif sous l’oeil indifférent de sa famille paternelle.
Le dessin est simple, en noir et blanc sur des aplats de couleur claire qui varie selon l’endroit où se déroule l’action : bleu pour la France, orange pour la Libye ou rose pour la Syrie. Des teintes plus vives, rouge ou vert, viennent attirer l’oeil sur des moments intenses. L’auteur se présente en enfant intelligent, portant un regard lucide sur les adultes, leurs agissements et leurs contradictions. Grâce à une bonne dose d’autodérision c’est drôle malgré des sujets qui ne le sont pas toujours.
Tome 2 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985) Dans ce tome le petit Riad commence sa scolarité en Syrie. C’est une école où on dresse les enfants à coups de bâton, de propagande pour le régime et de récitation du Coran. L’auteur se présente cependant comme un enfant doué de sens critique et qui se pose des questions. La cour de récréation est le lieu de violences des forts contre les faibles mais Riad s’y fait aussi des amis avec qui il joue à la guerre contre les Juifs. Pendant ce temps sa mère, confinée au foyer et ne parlant pas la langue, s’ennuie et déprime. Le père qui s’imaginait pouvoir incarner l’Arabe du futur, instruit et laïc, a dû déchanter. Pour parvenir en Syrie il faut en passer par le piston et il se replie petit à petit sur des valeurs traditionalistes qui ne risquent pas de choquer sa famille ou les puissants dont il espère le soutien.
Tome 3 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1985-1987) La vie en Syrie continue. Riad se prend de passion pour Conan le Barbare. A l’occasion de la naissance de son petit frère Fadi il séjourne chez sa grand-mère en Bretagne. Scolarisé à l’école française il y découvre des relations apaisées entre enfants et une maîtresse qui ne bat ni n’humilie les élèves.
Par un procédé de flèches qui indiquent ce que le dessin ne montre pas l’auteur attire l’attention sur les sensations, l’odeur, le goût, avec le regard d’un enfant dénué de préjugés.
Tome 4 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1987-1992) Ce quatrième tome est le plus épais de toute la série. Il faut dire que c’est là que se noue le drame qui va bouleverser la vie de toute la famille. Le dénouement poignant n’est plus une surprise pour moi mais m’émeut toujours.
Quand le père obtient un poste à l’université de Riyad en Arabie Saoudite, la mère refuse de le suivre et rentre en France avec ses enfants. Alors que la mésentente entre ses parents est de plus en plus flagrante, Riad grandit. Il raconte l’entrée dans l’adolescence et ses difficultés à s’intégrer parmi les enfants de son âge. Si la violence à l’école française est moins brutale qu’en Syrie elle est cependant bien présente à l’égard des élèves différents des autres comme lui, victime de harcèlement. Le père qui n’a pas réussit comme il le souhaitait -il n’est pas reconnu professionnellement, sa femme ne lui obéit pas- s’enferme dans le ressentiment et se replie sur la religion. Il a fait le pèlerinage à la Mecque qui lui vaut au village le respect qu’il n’a pas obtenu par ses études. Il professe un nationalisme arabe agressif.
Tome 5 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1992-1994) Après la disparition de son petit frère Fadi, le jeune Riad mène une vie clivée entre son domicile et l’école. A la maison où la télé est allumée en permanence la mère ne pense qu’à retrouver son fils. Sans soutien des autorités françaises, elle en est réduite à des expédients peu efficaces. Au collège puis au lycée aucun camarade de Riad n’est au courant du drame qui touche sa famille. Quand il sent assez en confiance pour en parler, il n’est pas cru.
On rit moins à la lecture de cet épisode, l’ambiance est pesante, un objet, une situation, font ressurgir à l’improviste le souvenir de Fadi et Riad fait des rêves où il croise son père ou son frère. Quant à moi je dois dire que mon sommeil a été perturbé la nuit qui a suivi la fin de la lecture de ce tome.
Tome 6 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1994-2011) Voir ici.
J’aime beaucoup cette série de BD et à la relecture c’est toujours un plaisir. La tension monte avec les épisodes alors que le drame familial se noue et que l’auteur vit une adolescence perturbée.