Biographie du couple Thorez Les congés de fin d’année m’ont donné l’occasion de terminer enfin Maurice et Jeannette dont la lecture n’avançait guère. Je l’ai trouvé très intéressant mais j’avais besoin de pouvoir m’y plonger à tête reposée.
Lire l’histoire de Maurice Thorez et Jeannette Vermeersch c’est lire l’histoire du PCF des années 20 aux années 60 et, pour certains épisodes (le Front populaire, la IV° République), celle de la France. Maurice est le personnage principal. C’est un homme charismatique au contact facile et que beaucoup apprécient. Jeannette est plus en retrait. Je suis frappée de voir à quel point le parti communiste français, comme les autres partis, a laissé peu de place aux femmes en politique. L’un et l’autre sont des staliniens convaincus que rien ne fait dévier de leur attachement pour « l’homme que nous aimons le plus » alors même que l’URSS évolue après l’arrivée au pouvoir de Khrouchtchev.
Annette Wieviorka s’est attachée à ses personnages qu’elle défend contre les accusations malveillantes qui ont été portées contre eux : Maurice, mauvais Français; Jeannette, manipulatrice. Mais en même temps elle n’hésite pas à montrer leurs contradictions qui sont aussi celles de leur parti : la vie bourgeoise qu’ils mènent (financée par le parti), le culte de la personnalité dont ils sont l’objet et qui les coupe peu à peu du peuple alors qu’ils se considèrent comme les représentants de la classe ouvrière.
C’est un livre que j’ai apprécié et qui m’a appris des choses. Ca m’a donné envie de relire les mémoires de Paul Thorez (le fils) qui sont une des sources de Maurice et Jeannette.
URSS, 1953. Léo est un officier zélé du MGB, ancêtre du KGB. Son travail consiste à arrêter les personnes coupables de menées antisoviétiques et cela en fait du monde. Quand ses supérieurs lui demandent de surveiller sa propre femme Raïssa, Léo commence à se poser des questions. C’est la mort de Staline qui les sauve. Léo et Raïssa seront seulement limogés et exilés dans un trou perdu de l’Oural.
Dans son nouveau poste Léo se persuade qu’un tueur en série écume tout le sud du pays massacrant des enfants que l’on retrouve éventrés et la bouche pleine d’écorce. Dans l’URSS de l’époque, paradis du peuple, de telles choses ne sont pas concevables. Aussi c’est en secret que Léo et Raïssa vont mener l’enquête, mettant en péril leurs vies et la sécurité de ceux qui les entourent. Pour Léo cette affaire est aussi l’occasion de rebâtir sa vie, fondée sur les mensonges et le non-dit.
En plus d’un thriller (j’en ai lu des plus palpitants, quand même), Enfant 44 est aussi une peinture de la terreur stalinienne. Tout ceci se lit plutôt facilement car il y a du suspense mais je ne l’ai pas trouvé très bien écrit. Il y a un méchant qui poursuit le héros de sa haine à travers toute l’URSS sans que j’aie très bien compris pourquoi et cela donne un côté caricatural à l’ensemble. Si cela ne m’a pas vraiment emballée ça m’a en tout cas donné envie de me replonger dans de meilleurs ouvrages traitant de la même époque. J’ai ça chez moi, je m’y mets dès que je reviens de Noël (à moins qu’on ne m’offre des livres trop alléchants d’ici là).
En 2003 Guy Delisle a passé deux mois à Pyongyang pour raisons professionnelles. Il travaillait comme correcteur pour un studio qui réalise des dessins animés pour la France. Toujours accompagné de son guide ou de son interprète il expérimente la vie très surveillée des étrangers en Corée du nord. Les contacts avec des autochtones sont impossibles. Quant à ses guides ils sont bien embrigadés et les moments de spontanéité sont rarissimes.
Il a droit à des visites organisées et là j’ai l’impression de relire, en version illustrée, Au pays du grand mensonge de Philippe Grangereau. Ce sont les mêmes passages obligés, de la statue géante de Kim Il-Sung au musée de Kim Il-Sung. Je retrouve aussi la pénurie d’électricité. La ville est plongée dans le noir dès la tombée de la nuit.
Le résultat de tout cela c’est, en dehors du travail, beaucoup d’ennui. Les expatriés se retrouvent en soirée pour boire ou jouer au billard. Guy Delisle se distrait aux dépends de ses accompagnateurs : il exige d’aller à pied de son lieu de travail à son hôtel alors qu’il faudrait y aller en voiture, il prête 1984 de George Orwell à son traducteur. Ce sont aussi de petites résistances contre le régime.
J’ai apprécié cette BD où j’ai retrouvé le style documentaire et la dérision qui m’avaient déjà plus dans Chroniques birmanes (Pyongyang date d’avant).
Voyage en Corée du Nord Philippe Grangereau est journaliste, spécialiste de l’Asie. En 2000 il se joint incognito à un voyage touristique en Corée du Nord. Il en ramène un des rares reportages sur ce pays fermé qui vit encore à l’heure de la guerre froide.
On découvre donc la vie pathétique des Nord-Coréens, particulièrement à cette époque, quand le pays sort tout juste de la grande famine qui a débuté en 1994. Les estimations sur le nombre de morts qu’a entraînée la volonté farouche d’autarcie du gouvernement varient de plusieurs centaines de milliers à trois millions. En 2000 à Pyongyang il y a des pénuries d’électricité (immeubles de 30 étages sans ascenseur qui fonctionne), seuls les bâtiments gouvernementaux et les hôtels pour étrangers sont approvisionnés. On manque aussi de chauffage (- 20° l’hiver) et d’eau courante (la lessive se fait au fleuve). La Corée du Nord est le pays du monde qui reçoit le plus d’aide alimentaire mais elle est distribuée par le gouvernement à des populations triées.
En effet, depuis 1967, la population est divisée en trois castes : l’élite (27%), proche du régime ; les instables (45%), surveillés en permanence et les éléments hostiles (27%). Ceux-là sont relégués dans des zones inaccessibles du nord du pays. Leur vie est extrêmement précaire et 200 000 d’entre eux seraient en camps de travail. Il s’agit bien de castes car la faveur ou la haine du régime sont héréditaires sur plusieurs générations. Avec ça la propagande est partout, tellement énorme que cela ferait rire si cela ne recouvrait pas une réalité aussi sordide.
J’ai beaucoup apprécié cette lecture que j’ai trouvé très intéressante. Mais attention, ce voyage date déjà d’il y a dix ans et le pays a, semble-t-il, pas mal évolué depuis cette date. L’auteur d’ailleurs remarque des frémissements : «Après avoir fustigé dans un court discours à notre attention l’hégémonisme yankee, les soldats gardiens du musée font demander à nos guides des cigarettes. Américaines de préférence. C’est à ce genre de détail qu’on reconnaît que la Corée du Nord n’est plus tout à fait une forteresse idéologique. »
Un ouvrage à voir donc plutôt comme un document historique que d’actualité.
Anna Funder est Australienne. En 1996 elle a vécu à Berlin où elle travaillait pour une radio. C’est alors qu’elle a commencé à s’intéresser à ce qu’avait été la vie dans l’ex-RDA, sous le regard de la stasi. Elle rencontre et interroge des victimes de cet Etat policier mais aussi des acteurs de la surveillance et de l’intimidation, à plusieurs niveaux de responsabilité.
J’ai beaucoup apprécié cette lecture que j’ai trouvé très intéressante. Certaines des histoires racontées m’ont fait froid dans le dos, notamment celle de Julia, la logeuse d’Anna Funder. Lycéenne brillante, particulièrement en langues, Julia voit les portes se fermer devant elle : elle n’est pas acceptée à la faculté de traduction et d’interprétariat et ne trouve aucun travail. Tout cela parce qu’elle a un petit ami italien et petit ami étranger = envie de quitter le pays. Convoquée pour un entretien elle découvre que presque toute sa vie est connue, toutes ses lettres ont été lues. Ce qui est bien montré c’est la torture qu’entraîne ce genre de procédé : si je ne suis pas admise, est-ce politique ou parce que je ne suis pas assez douée ?
Anna Funder s’investit personnellement dans son travail. Elle raconte ce qu’elle ressent et aussi des épisodes de sa vie personnelle qui interfèrent avec ses recherches. Au début j’ai trouvé que c’était de trop et qu’on n’en avait rien à faire mais finalement ça contribue à rendre l’ouvrage vivant et sympathique.
En commençant à se vider le lac de Kleifarvatn a découvert un squelette qui reposait jusque là par 4 mètres de fond. Il était lesté par un vieil émetteur de radio d’origine soviétique. La police soupçonne que l’assassinat remonte à l’époque de la guerre froide et imagine que la victime avait pu être impliquée dans une affaire d’espionnage. C’est l’inspecteur Erlendur qui mène l’enquête. Il s’intéresse aux disparitions non élucidées de la fin des années 60, s’acharnant sur des détails qui paraissent anodins à ses collaborateurs, comme la perte de l’enjoliveur d’une Ford falcon noire en 1968.
Dans les années 50 des étudiants islandais membres du parti communiste obtiennent des bourses de la RDA pour poursuivre leurs études à l’université de Leipzig. Sur place ils découvrent la réalité du « paradis communiste ». Certains se voilent la face ou s’accommodent du décalage entre la théorie et la pratique, d’autres s’imaginent qu’ils peuvent manifester leur opposition. Mieux aurait valu pour eux ne pas quitter leur pays et conserver leurs illusions. « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru » dit Erlendur.
Voilà encore un excellent épisode des enquêtes d’Erlendur qui nous entraîne cette fois jusque dans une salle d’interrogation de la stasi. L’histoire des malheureuses victimes de l’idéologie communiste est passionnante et pathétique. Quant à notre héros, il fait connaissance avec son fils. J’ai beaucoup aimé et dès que possible je vais mettre la main sur le dernier épisode paru qu’il me reste à lire.
Née le 25 décembre 1918 à Moscou, Nina Lougovskaïa a tenu un journal intime entre octobre 1932 et janvier 1937. Son père est un socialiste révolutionnaire inquiété par le régime de Staline. A partir de mars 1933 son passeport intérieur lui est retiré et il ne peut plus résider à Moscou ; en novembre 1935 il est arrêté ; le 4 janvier 1937 l’appartement familial est perquisitionné et le journal intime de Nina fait partie des objets confisqués à cette occasion. S’en suit l’arrestation de la mère et des trois filles et leur condamnation à cinq ans de goulag suivie de cinq ans d’assignation à résidence dans la Kolyma. Réhabilitée en 1963 pour « manque de preuves » Nina Lougovskaïa est devenue artiste peintre. Elle est morte en 1993. Son journal intime a été retrouvé après sa mort dans les archives du NKVD ouvertes au public après la chute de l’URSS. Il est un témoignage de la vie quotidienne d’une adolescente à Moscou, au milieu des années 30.
Tout d’abord, les préoccupations de Nina sont celles, intemporelles, de nombre d’adolescentes. Elle se trouve laide, voire repoussante et envie ses soeurs aînées et ses camarades de classe. Elles, sont si mignonnes, et bien dans leur peau, et à l’aise avec les garçons. Car Nina est obnubilée par les garçons. Tour à tour elle tombe amoureuse de plusieurs garçons de sa classe, elle a le béguin pour des étudiants, camarades de ses soeurs. Elle les observe, détaillant leurs attraits physiques et leur caractère. En classe elle fait circuler des petits mots en direction de ses amies pour échanger leurs opinions sur tel ou tel.
L’école est aussi un grand soucis de Nina. Elle n’a pas de très bons résultats, est âgée de deux ans de plus que ses camarades et cherche un moyen d’en finir au plus vite avec sa scolarité secondaire. Elle alterne les périodes de découragement où elle cesse d’aller en cours et les périodes d’enthousiasme où elle décide de travailler d’arrache-pied (bien souvent, semble-t-il, cela ne dépasse pas ce stade de la décision).
Cet aspect du journal est intéressant car il montre une permanence des sentiments de l’adolescence. De plus Nina écrit plutôt bien. Cependant, au bout d’un moment, j’ai commencé à trouver que cela devenait répétitif et lassant.
L’aspect le plus intéressant du journal, c’est celui qui attiré l’oeil de la police politique : des passages entiers en ont été soulignés par un inspecteur du NKVD et ont servi de preuves confirmant les opinions contre-révolutionnaires de Nina. Quand elle écrit au sujet de Staline : « J’ai rêvé à la façon dont je le tuerais, ce dictateur. Les promesses qu’il fait à la Russie, ce salaud, cette ordure, alors qu’il la mutile, ce vil Géorgien ! « On comprend qu’un régime totalitaire ne puisse pas laisser passer de tels propos. Mais est aussi retenu contre elle le fait qu’elle dise que, bien qu’ayant pitié d’eux, elle ne se sent aucun point commun avec le peuple et les masses ouvrières. Où les nombreux moments où elle pense plus ou moins sérieusement au suicide.
C’est au moment où le journal s’arrête, où sa vie va prendre un tour dramatique que j’aimerais le plus pouvoir suivre Nina dans sa déportation.
L’auteur est le fils d’un paysan communiste du Limousin. Son enfance a été bercée du mythe de l’URSS, paradis des ouvriers et des paysans. En 1991, à l’occasion d’un séjour en Russie il loue une chambre chez Tamara qui lui raconte son enfance difficile au pays des soviets, la famille de cinq personnes logée dans une seule pièce. Claude Duneton découvre alors que les lendemains qui chantent n’étaient qu’une illusion. Cette découverte peut se comparer à ce que serait pour un croyant celle de la preuve que Dieu n’existe pas. Il éprouve un sentiment de trahison. Ceux qui savaient et qui ont menti au peuple sont pointés et en prennent pour leur grade : Maurice Thorez et surtout Jean-Paul Sartre.
Un petit livre écrit dans un Français coloré d’expressions populaires, un style auquel je n’acroche pas vraiment. C’est facile à lire, ça a du faire du bien à Claude Duneton de l’écrire mais je trouve que ça n’apporte rien de nouveau au sujet. Je n’ai pas attendu 1991 pour savoir que l’URSS de Staline était un Etat totalitaire.
Dans cet ouvrage très complet, on trouve une chronologie du goulag, des premiers camps des îles Solovetski à la chûte de l’URSS : rationalisation du fonctionnement des camps, gigantomanie des années 30 avec le creusement du canal de la mer Blanche, expansion vers l’est, années difficiles de la seconde guerre mondiale, mort de Staline, époque des dissidents.
Une partie est consacrée aux conditions de vie dans les camps – depuis l’arrivée, en passant par le travail, les châtiments et les récompenses, les stratégies de survie, les tentatives d’évasion et la rébellion.
L’ensemble se veut un ouvrage de vulgarisation et la lecture est facilitée par la présence de nombreux témoignages. Après avoir déjà lu plusieurs autres ouvrages sur le goulag, j’ai encore appris des choses sur le sujet.
Encore plus de lectures sur le sujet :
Sous la direction de Stéphane Courtois, Le livre noir du communisme, R. Laffont, 1997.
Tous les crimes du communisme sont abordés ici, pas seulement le goulag auquel une cinquantaine de pages sont consacrées. On fera aussi connaissance avec les camps d’Europe de l’est, le laogaï (goulag chinois) et autres camps asiatiques, les camps d’Amérique du sud.
Selon les auteurs, la lecture est plus ou moins abordable mais toujours intéressante et instructive.
Joël Kotek et Pierre Rigoulot, Le siècle des camps, Lattès, 2000.
Ici, c’est tous les camps du 20° siècle qui sont étudiés, qu’ils soient de droite, de gauche ou coloniaux. Un chapitre est consacré au goulag. Encore un ouvrage fort instructif.
Ces deux études plus générales permettent aussi la comparaison. On trouve de nombreux points communs entre ces camps de toutes origines. Une lecture à éviter si vous êtes dans une période de découragement par rapport à la nature humaine.
L’expérience du goulag a aussi produit de nombreux récits autobiographiques et témoignages. Une façon d’aborder le sujet de manière plus vivante et plus personnelle.
Margarete Buber-Neumann, Déportée en Sibérie, Points. Suivi de : Déportée à Ravensbrück.
Margarete Buber-Neumann (1901-1989) était la femme de Hans Neumann, cadre du parti communiste allemand dans les années 30. Après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, les Neumann se réfugient en URSS. Au moment des grandes purges de 1937 ils sont arrêtés. Hans Neumann disparaît. On suppose qu’il est mort peu après son arrestation. Margarete est envoyée au goulag, ce qu’elle raconte dans Déportée en Sibérie. Après le pacte germano-soviétique (1939) Staline livre à Hitler les communistes allemands qu’il détenait. Margarete est alors Déportée à Ravensbrück.
A travers ces deux ouvrages qui permettent une comparaison des deux systèmes concentrationnaires, on découvre une femme d’une grande valeur morale, qui est toujours restée fidèle à ses convictions et qui ne s’est pas compromise, même dans les pires moments.
Jacques Rossi, Qu’elle était belle cette utopie ! chroniques du goulag, Le Cherche midi. Jacques Rossi et Michèle Sarde, Jacques le Français, Pocket.
Jacques Rossi (1909-2004) a adhéré très jeune au parti communiste et est devenu agent de renseignements du komintern. En 1937 il est arrêté et condamné au goulag. Il comprend bientôt que « le goulag n’est pas une perversion du système mais le système lui-même ».
Dans cette histoire de sa vie (Jacques le Français) la période de la détention tient la plus grande place. mais Jacques plaide coupable : il a été un rouage du système, il accepte que le système se débarrasse de lui. Ici aussi on découvre une personnalité de valeur qui a su reconnaître ses erreurs et évoluer positivement à travers des situations extrêmement difficiles.
Varlam Chalamov, Récits de la Kolima.
Ecrivain et poéte soviétique, Chalamov (1907-1982) a passé de nombreuses années au goulag. De cette expérience il tire les récits relativement courts de Kolima.
Son propos est de montrer qu’au goulag c’est chacun pour soi, qu’aucune solidarité ne joue dans des conditions de survie aussi rudes. Cependant les récits démentent régulièrement une telle thèse. En effet, on fait connaissance encore une fois avec une grande conscience morale. Au travers des épreuves, Chalamov a gardé toute son humanité.
Donc, si vous voulez trouver matière à espérer dans l’espèce humaine, c’est plutôt ces souvenirs qu’il vous faudra lire que des études historiques. En effet, chacun de ces trois témoins m’a impressionnée par les qualités morales dont il a fait montre à travers l’épreuve.