Dans ce quatrième épisode de ses aventures nous retrouvons Shan, ancien inspecteur à Pékin qui, après être passé par le laogaï (le goulag chinois) et en avoir été officieusement libéré, vit maintenant dans un monastère bouddhiste secret, au Tibet. Au début de l’histoire, il s’apprête à partir pour une retraite dans une grotte quand ses projets sont contrecarrés par un incident qui survient lors d’une cérémonie dans un ancien monastère, détruit il y a 50 ans par l’armée chinoise. Un meurtre a été commis. On ne retrouve pas de cadavre mais une grande quantité de sang et le moine Liya, persuadé d’en être responsable, est profondément traumatisé.
Apparaissent alors des Chinois venus de Pékin. Ming, directeur d’un grand musée et l’inspecteur Yao. Ils sont suivis de MCDowell, une Anglaise qui oeuvre pour le bien-être des enfants tibétains, et de l’agent du FBI Corbett. Que cherche tout ce monde à Lhadrung ? Il y aurait un trésor fabuleux, caché dans un ancien monastère et qui suscite bien des convoitises. Il est question de trafic et de vol d’oeuvres d’art et aussi de corruption, d’un cadre du parti qui n’est pas seulement habité par le désintéressement communiste.
J’ai bien aimé ce roman. Les péripéties sont nombreuses, pas toujours évidentes à suivre mais l’ensemble est agréable. La simplicité des Tibétains, leur vie empreinte de religiosité, s’opposent au matérialisme brutal ou avide des autorités chinoise ou d’un collectionneur américain. Cependant la conviction des lamas pousse certains de leurs adversaires à s’interroger sur le sens de leur vie. Le cinquième volume de la série vient de paraître, je pense que je le lirai sous peu.
Anne Perry, Mémoire coupable, 10-18
Après une enquête difficile la police fluviale londonienne, dirigée par William Monk, arrête enfin Jericho Phillips, un souteneur qui prostitue de jeunes garçons. Il est de plus accusé d’avoir torturé et assassiné l’un d’eux qui se révoltait. Mais au tribunal Phillips est défendu par le talentueux Oliver Rathbone qui souligne l’absence de preuves sérieuses et obtient l’acquittement.
L’issue de l’affaire est un échec à plusieurs points pour Monk. L’arrestation de Phillips était aussi pour lui un hommage rendu à son prédécesseur, Durban, mort dans l’exercice de ses fonctions. De plus Monk et Rathbone ont autrefois oeuvré ensemble à plusieurs reprises contre les malfaiteurs et ce procès met à mal leur amitié.
Aussi Monk va-t-il reprendre l’affaire aidé par sa femme, l’infirmière Hester Latterly, qui dirige un hôpital pour prostituées et par Scuff, un gosse des rues que le couple a recueilli. Cette fois nos héros ne vont pas se contenter de traquer Phillips, ils vont aussi s’intéresser à ceux qui profitent de son ignoble commerce : des messieurs de la haute société qui ont le bras long et beaucoup à perdre.
Cette nouvelle enquête de William Monk vient trois ans après la précédente. Manifestement Anne Perry s’est moins consacrée ces derniers temps à cette série qu’à celle des aventures de Charlotte et Thomas Pitt. J’ai trouvé l’affaire bien lente à démarrer et j’ai eu l’impression, parfois, que l’auteur tirait à la ligne. Cependant les personnages sont sympathiques et la description du petit monde qui vit autour de la Tamise est pittoresque aussi cela reste une lecture plaisante.
Frank Tallis, Les pièges du crépuscule, 10-18
Revoilà le sympathique docteur Max Liebermann. Avec son ami, l’inspecteur Oskar Rheinhardt, il enquête sur des crimes contre des antisémites. Les victimes ont été violemment décapitées. L’affaire se déroule dans un contexte où les Juifs de Vienne sont l’objet d’attaques nombreuses de la part du maire Karl Lueger et de son parti chrétien-social. Notre héros lui-même est inquiété dans le cadre de son travail.
En tant que psychiatre il doit soigner un homme… enceint !
En ce qui concerne sa vie sentimentale, les choses piétinent un peu. Max Liebermann pense beaucoup à Miss Lydgate, rêve d’elle même, et dans une scène bien étrange, mais n’agit guère. Miss Lydgate n’est d’ailleurs présente qu’à travers le journal intime de Liebermann. La romance passe un peu au second plan dans cette nouvelle aventure par contre l’enquête est toujours menée de façon palpitante. J’ai dévoré Les pièges du crépuscule.
Stieg Larsson, La reine dans le palais des courants d’air, Actes sud
La fin du tome 2 a laissé Lisbeth Salander en bien mauvais état après une violente confrontation avec de dangereux truands. Dans ce dernier épisode de la trilogie Millénium on la retrouve à l’hôpital où elle va séjourner assez longtemps.
Pendant ce temps, à l’extérieur, des forces contraires s’opposent. Il y a les opposants à Lisbeth à la tête desquels une section secrète des services secrets suédois. Pour cacher leurs erreurs passées ces hommes qui se voient en dernier rempart de la démocratie mais qui n’obéissent qu’à eux-mêmes et se placent au-dessus des lois, sont prêts à commettre toujours plus de crimes.
Mais Lisbeth a aussi des soutiens, menés par Mikael Blomkvist. Celui-ci organise tout un réseau pour faire enfin éclater la vérité. Et alors, quel suspense ! Tout de suite j’ai été happée et j’ai parfois eu du mal à lâcher ma lecture. J’ai trouvé particulièrement jubilatoire la façon dont les méchants se font avoir (surtout cette infâme crapule qu’est le psychiatre Peter Teleborian). C’est leur trop grande confiance en eux qui les perd. Le roman montre bien comment la nasse se referme autour d’eux sans qu’ils s’en rendent compte. Finalement le bien triomphe et en toute légalité. La Suède apparait comme un modèle de démocratie.
Anne Perry, Buckingham Palace gardens, 10-18
Une prostituée a été retrouvée assassinée dans un placard du palais de Buckingham. La femme était totalement nue, elle avait été égorgée et éventrée. Le crime a été découvert à l’issue d’une partie fine qui réunissait le prince de Galles et quatre entrepreneurs qui travaillaient avec lui sur un projet de ligne de chemin de fer trans-africaine le Cap-le Caire. Il ne s’agit pas d’ébruiter une affaire qui pourrait causer un grand scandale quelques années après que l’on ait murmuré le nom du prince de Galles dans l’enquête sur Jack l’éventreur. Aussi la Special branch est-elle convoquée en la personne de son meilleur agent: Thomas Pitt.
Au départ chacun pense que le meurtrier ne peut être qu’un domestique. Hélas, il faut vite renoncer à cette idée : c’est l’un des messieurs le coupable. Mais lequel ? et pourquoi ? Pour l’aider à répondre à toutes ces questions Pitt entraîne avec lui la jeune Gracie Phipps qui se fait embaucher comme domestique au palais pour enquêter incognito. J’espère ne pas trop en révéler en disant que la solution est une machination stupéfiante. « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » ai-je pensé.
Cela n’a pas gâté le plaisir que j’ai pris à cette lecture cependant car, comme toujours, le propos d’Anne Perry est d’amener ses personnages à s’interroger sur leurs choix personnels et ce qui a le plus de valeur à leurs yeux : réussite matérielle et pouvoir sur les autres ou amour et estime de soi. Dans ses relations avec ses proches, quelle part de soi-même et de ses désirs profonds révèle-t-on? Pas grand chose semble-t-il dans cette haute société victorienne où l’apparence est si importante.
« Quel que fût le coupable, était-il possible que son épouse l’ignorât ? Comment pouvait-on vivre aux côtés d’un homme, adopter son nom, coucher dans le même lit, et ne rien savoir de ses convictions, de ses peurs et de ses envies ? A l’inverse, qui savait ce qui lui tenait à coeur puisqu’elle ne parlait que de banalités ? »
Claude Izner, La momie de la Butte-aux-Cailles, 10-18
Alphonse Ballu, le cousin de la concierge de l’immeuble voisin de la librairie Elzévir, a disparu. Sa cousine s’en inquiète auprès de Victor Legris et Joseph Pignot, associés à la tête de la librairie. Dans le même temps la brocanteuse Alexandrine Piote, fait part à Victor de la découverte, dans l’estomac d’un poisson, d’un livre miniature contenant une formule mystérieuse. Le lendemain Victor retrouve Alexandrine pendue. Suicide ou assassinat ? Une maison abandonnée de la Butte-aux-Cailles semble être le lieu où se trouvent les solutions à ces différents mystères.
On peut penser que c’est une sacrée coïncidence qui fait se retrouver nos héros au milieu de tout cela mais ils sont si sympathiques que cela passe. Et puis l’histoire se déroule dans le cadre pittoresque du Paris de la fin du 19° siècle. Le petit peuple qui est décrit me fait penser à celui d’un pays du tiers-monde aujourd’hui avec ses enfants des rues, ses miséreux qui triment pour quelques sous, ses petits employés qui essaient de s’élever à force de travail et que le moindre accident de parcours peut renvoyer au caniveau. Enfin, j’ai apprécié de lire ce livre à l’occasion d’un séjour à Paris. Lors de promenades dans les vieux quartiers de la capitale j’ai eu parfois l’impression de mettre mes pas dans ceux de Victor Legris.
Kalpana Swaminathan, Saveurs assassines, Points
Le docteur Hilla Driver a hérité d’une vieille maison coloniale au bord de la mer dans les environs de Bombay. Elle envisage de la transformer en pension de luxe. Pour lancer son projet elle organise un week-end d’inauguration auquel elle convie amis et personnalités en vue : un écrivain, un danseur, un top model, un critique gastronomique… Il y a aussi un cuisinier de talent qui a promis de surprendre les plus difficiles. Le but pour Hilla est de faire parler d’elle en page 3, la page people des journaux. Pour ça, elle va être servie.
Quand le cuisinier présente à chaque convive un plat spécial qui lui rappelle un événement de son passé, certains souvenirs ne sont pas les bienvenus. C’est alors que la scène se transforme en huis-clos avec l’intervention d’une pluie diluvienne qui empêche toute communication avec l’extérieur. Un des participants est assassiné. L’enquête est prise en charge par miss Lalli, policière à la retraite, amie de Hilla et invitée avec sa nièce, la narratrice, qui va lui servir d’assistante.
Un point de départ assez classique (l’assassin est forcément un des invités) et une enquête plutôt bien ficelée. Il y a du suspense et aussi des indices qui permettent de deviner certaines choses.
Frank Tallis, Les mensonges de l’esprit, 10-18
Un garçon de 15 ans, élève boursier dans l’école militaire Saint Florian, est retrouvé mort dans la salle de sciences de l’école. L’autopsie conclu à des causes naturelles. Cependant, après une visite à Saint Florian, l’inspecteur Oskar Rheinhardt éprouve un désagréable pressentiment et décide de poursuivre l’enquête. Des bruits courent de brimades dont seraient victimes les élèves boursiers ou étrangers de la part de camarades incités par certains professeurs à se considérer comme des sur-hommes.
Pour amener des adolescents terrorisés ou convaincus de leur supériorité à livrer des informations à la police le psychiatre Max Liebermann, ami de Rheinhardt, use de toutes ses connaissances de l’esprit humain et expérimente l’interprétation de tâches d’encre, pas encore connues sous le nom de test de Rorschach.
Une fois de plus nous retrouvons les germes de l’idéologie nazie dans la Vienne de 1903, de façon moins marquée que dans l’épisode précédent cependant. L’auteur nous convie aussi à découvrir les débuts de la psychanalyse à l’occasion d’entretiens entre Liebermann et son maître Freud.
La ville de Vienne est le théâtre vivant de cette enquête palpitante : les cafés où nos héros fument cigare sur cigare en dégustant de délicieuses pâtisseries ; le Prater, luna park permanent où a été reconstituée une petite Venise avec ses gondoles ; la population cosmopolite venue de toutes les régions de l’empire. J’allais oublier la musique, ce qu’elle exprime et la façon de la jouer (Liebermann est pianiste et Rheinhardt baryton). Frank Tallis montre son talent en rendant ce sujet intéressant, même pour moi qui n’y connait pas grand chose.
Enfin l’évolution de la vie amoureuse du bon docteur, si sympathique, n’est pas le moindre des sujets d’intérêt de cette série. Ici il expérimente la jalousie et le fait qu’il est toujours plus facile pour un psychiatre d’analyser les réactions des autres que les siennes propres. Tout cela est intelligent et fin et l’auteur nous fait cadeau d’apartés ironiques toujours bienvenus.
Voilà, j’en ai terminé avec les trois épisodes parus à ce jour et je dois maintenant attendre que Frank Tallis en publie un nouveau.
Frank Tallis, Du sang sur Vienne, 10-18
Hiver 1902, à Vienne. Un tueur en série commence une vague de meurtres particulièrement atroces. Les victimes, d’abord des prostituées, sont mutilées et l’assassin laisse des signes -ou messages- étranges derrière lui. Chargé de l’enquête l’inspecteur Rheinhardt requiert l’aide de son ami, le psychiatre Max Liebermann, pour l’aider à interpréter les mises en scène du criminel et percer ainsi à jour sa personnalité.
Dans cette aventure encore plus passionnante que la précédente, nos héros vont se confronter à des théoriciens pangermaniques, officiers et intellectuels convaincus de la supériorité teutone, véritables nazis avant l’heure. L’épisode où Liebermann rive son clou sur son propre terrain à un compositeur antisémite est particulièrement réjouissant.
Dans le même temps le bon docteur se pose de plus en plus de questions sur ses fiançailles. Il doute de son engagement et a bien des difficultés à prendre une décision.
Voilà une série qui, par l’époque à laquelle elle se déroule et par l’analyse psychologique fine des personnages, me fait assez penser à celles d’Anne Perry. Elle est au moins aussi bonne. Aussi, à peine terminée la lecture de cet excellent ouvrage, je me suis ruée chez mon libraire-disquaire pour y faire l’emplette du troisième volume et d’un enregistrement de La flûte enchantée de Mozart qui joue un rôle important dans cette histoire. Si j’ai trouvé le premier, il faudra repasser pour le second: on ne me proposait que des extraits (à un prix défiant toute concurrence, il faut le dire). Chez Harmonia Mundi l’opéra est en commande et sera disponible la semaine prochaine.
Frank Tallis, La justice de l’inconscient, 10-18
L’action de cette série de la collection « Grands détectives » se déroule à Vienne au début du 20° siècle. Son héros est Max Liebermann, jeune médecin psychiatre adepte des théories de Freud. Un choix professionnel qui le met dans une position difficile quand il s’oppose à son chef de service à l’hôpital, partisan de l’électrothérapie pour traiter l’hystérie. Max Liebermann est également pianiste et amateur de musique classique qu’il pratique régulièrement avec son ami, le baryton Oskar Rheinhardt, par ailleurs inspecteur de police.
Quand une spirite est retrouvée assassinée dans une pièce fermée à clef de l’intérieur; que l’arme du crime, un pistolet, a disparu ainsi que la balle qui pourtant n’a pas traversé le corps; Rheinhardt a fort à faire. Il fait appel aux talents d’analyste de son ami pour interroger les témoins, certains même sous hypnose. L’aide de Miss Lydgate, une ancienne patiente de Max, sera aussi décisive.
J’ai dévoré d’une traite cet excellent ouvrage. Les héros sont sympathiques, les personnages finement analysés ont une vraie profondeur. Le cadre de la ville de Vienne, ses cafés, la musique, est bien exploité. Frank Tallis, docteur en psychologie lui-même, écrit bien et avec humour. Je termine donc l’année sur une très bonne lecture et je me jette aussitôt sur le deuxième épisode pour bien commencer 2009.