Deux filles nues est un tableau du peintre allemand Otto Mueller (1874-1930). Dans cette bande dessinée Luz nous raconte l’histoire de ce tableau depuis les premiers coups de pinceau en 1919 jusqu’en 2001. Et c’est passionnant parce que cette œuvre est loin d’avoir eu une existence plan-plan. Acheté à son auteur en 1925 par Ismar Littman, un avocat juif, le tableau est volé par les nazis et participe à leur exposition sur l’art dégénéré. J’ai été particulièrement intéressée par tout ce que j’ai appris sur cette exposition.
L’idée géniale de Luz c’est de présenter les événements dont il est question comme vus par le tableau lui-même. A la lecture il me faut un peu de temps pour comprendre ce point de vue original. Une fois que j’ai saisi le procédé, tout s’éclaire. En feuilletant l’ouvrage au moment d’écrire mon compte-rendu je prends conscience d’autres détails qui m’avaient échappé. C’est très bien fait, bravo à l’auteur !
3. Les nouilles à la tomate A la fin du tome précédent Madeleine Riffaud a été arrêtée après avoir abattu un officier allemand sur le pont Solférino. L’action du présent volume court du 22 juillet 1944 au 23 août 1944. Il s’en passe des choses en un mois ! Emmenée à la préfecture de police Madeleine y est torturée pendant que ses camarades organisent leur mise à l’abri. Elle sait qu’elle doit tenir trois jours pour leur en laisser le temps mais ne parlera pas malgré les violences de tout genre dont elle est victime. Pour tenir durant son calvaire elle se récite des poèmes et s’appuie sur un moment de camaraderie avec un.e autre détenu.e ou le soutien d’un gendarme français chargé de la surveiller. Elle échappe de peu à l’exécution avant d’être libérée par la Croix rouge, juste à temps pour prendre part aux combats pour la libération de Paris.
Un troisième épisode toujours aussi intéressant et qui montre bien la résolution sans faille de Madeleine Riffaud. La dernière case rappelle fort à propos que Madeleine et ses camarades FFI étaient de tout jeunes gens. J’attends maintenant la sortie du numéro quatre.
2. l’édredon rouge Dans ce deuxième tome (le premier) nous suivons les aventures de Madeleine Riffaud depuis son entrée dans la résistance à Paris en 1942 jusqu’à son arrestation en 1944. Elle est agente de liaison, distribue des tracts, participe à des « réquisitions » de matériel : armes, machines à écrire, tickets de ravitaillement. Après l’exécution du groupe Manouchian elle rejoint les FTP par désir de lutte armée. En parallèle de tout ça elle est étudiante sage-femme en couverture.
La BD fait bien ressentir la camaraderie qui lie les jeunes résistants. Tant que les coups de main se terminent bien, que la complicité d’un passant permet de se tirer d’une mauvaise passe, il y a une forme d’exaltation à agir, l’excitation de l’aventure. Pas toujours facile dans le feu de l’action de respecter les consignes de prudence.
J’ai beaucoup apprécié cette lecture et j’attends avec impatience de mettre la main sur le tome 3.
1. La rose dégoupillée. Sur les conseils de lecteurs de mon compte-rendu de On l’appelait Rainer j’ai emprunté le premier tome de cette série de BD qui en compte trois. Les dessins sont de Dominique Bertail et le scénario de JD Morvan. La rose dégoupillée raconte l’histoire de Madeleine Riffaud de 1931 à ses débuts dans la résistance en 1942. On passe rapidement sur sa petite enfance avant d’arriver à la défaite française. Son séjour au sanatorium de Saint-Hilaire du Touvet (lieu de refuge et de résistance comme l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban sur Limagnole) mûrit le désir de notre héroïne de s’engager contre l’occupant. A Paris elle est d’abord mise à l’épreuve -pas toujours de façon très fine- par le réseau dont fait partie son fiancé.
Cette biographie est suivie par quatre pages de making of où l’on voit Dominique Bertail, JD Morvan et Eloïse de la Maison -qui a travaillé sur les archives- rencontrer Madeleine Riffaud à son domicile pour de longs entretiens. Une amitié se noue entre les auteurs et cette dernière qui apparaît comme très sympathique. Enfin il y a quatre pages de « souvenirs supplémentaires de Madeleine Riffaud » sur la période traitée.
Le dessin est en noir et blanc, le trait fin, les décors détaillés. On voit qu’il y a eu une volonté de documenter de façon exacte l’aspect des paysages, notamment urbains, tels qu’ils étaient pendant l’Occupation. Madeleine Riffaud a commencé à témoigner de ce qu’a été son engagement dans la résistance en 1994, à l’occasion du cinquantenaire de la libération du territoire français. Entre 1994 et 2021, date de parution de ce premier tome, elle a retrouvé des souvenirs qu’elle avait enfouis aussi cette BD apporte-t-elle des informations qui étaient absentes de On l’appelait Rainer. Le présent ouvrage comporte enfin quatre poèmes de Madeleine Riffaud. C’est une lecture que j’ai appréciée.
Née en Norvège en 1944 Katherine, la mère d’Isabelle Maroger, a été adoptée à deux ans par une famille française. Au début des années 2000 elle entreprend de rechercher sa famille naturelle. Elle apprend alors qu’elle est la fille d’un soldat allemand et qu’elle est née dans un Lebensborn. Elle fait la connaissance de son frère et de sa sœur, de ses neveux et nièces, de sa tante, qui l’accueillent chaleureusement dans leur famille. Dans cette bande dessinée, Isabelle Maroger raconte le résultat des recherches de sa mère. Nous découvrons l’histoire de Paul et Gerda, les parents naturels de Katherine, et pourquoi Gerda a accouché dans un Lebensborn. L’autrice présente aussi la façon dont elle-même et ses frère et sœur ont réagi à ces informations. Les personnages apparaissent sympathiques, assez sûrs d’eux-mêmes pour que ces révélations familiales ne les perturbent pas outre mesure.
Il y a aussi un point historique sur les Lebensborn : des maternités où des jeunes femmes enceintes de soldats allemands et considérées comme « racialement pures » venaient accoucher. Les troupes d’occupation allemandes étaient encouragées à avoir des relations avec les jeunes Norvégiennes pour « fabriquer des enfants aryens ». C’est plus une histoire de famille qu’un ouvrage historique.
Plutôt qu’une bande dessinée Lebensborn est un roman graphique : il n’y a pas de cases et les illustrations s’étalent parfois sur deux pages. Les dessins mélangent la couleur et le noir et blanc : personnages en couleur, décor en noir et blanc ; détails importants en couleur, le reste en noir et blanc ; événements du passé en noir et blanc. J’aime bien le dessin mis à part les yeux globuleux des personnages. J’ai trouvé que c’était une bande dessinée sympathique.
Tome 1 (1986-1994) Moi, Fadi, le frère volé est un spin-off de L’Arabe du futur. Fadi est le frère de Riad Sattouf. Il est né en 1986. Fadi passe ses premières années en Bretagne auprès de sa mère Clémentine et de ses deux frères. Il connaît peu son père, Abdel, qui vit et travaille en Arabie Saoudite. Les parents ne s’entendent plus. Quand Fadi a six ans, son père l’enlève et l’emmène avec lui en Syrie.
Pour les dessins on retrouve un code couleur, comme dans L’Arabe du futur. Ici les premières pages sont dans une dominante de jaune et, petit à petit, la couleur évolue pour passer au rose saumon en fin de volume, de même que Fadi, petit à petit, s’habitue à un autre mode de vie, désapprend le français pour l’arabe.
J’ai apprécié la lecture de cette bande dessinée. L’auteur montre la perception différente de la sienne qu’a son frère de la vie au village de Ter Maaleh. Alors que Riad était harcelé par ses cousins et battu à l’école Fadi s’intègre beaucoup plus facilement à la société enfantine. Dans une interview au Nouvel Obs du 3 au 9 octobre 2024 Riad Sattouf annonce trois tomes pour cette série. Il prévoit ensuite d’écrire l’histoire familiale du point de vue de sa mère. Voilà un projet qui m’intéresse grandement. Nul doute que je lirai tout cela.
La sortie de Moi, Fadi, le frère volé par Riad Sattouf est l’occasion de relire toute la série de L’Arabe du futur. Tome 1 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) L’auteur de BD Riad Sattouf est né en 1978 d’un père Syrien, Abdel-Razak, et d’une mère française, Clémentine, qui se sont connus à l’université à Paris. A deux ans le petit Riad est un enfant charmant aux cheveux blonds, très vite considéré par son entourage comme doué en dessin. Après avoir obtenu son doctorat, Abdel enseigne d’abord à l’université de Tripoli puis à Damas. En cours de route la famille s’agrandit d’un petit frère, Yahya.
Dans ce premier tome l’auteur nous raconte sa petite enfance en Libye et en Syrie où la famille habite au village du père, près de Homs. Ce qui me frappe c’est la grande violence de la société syrienne. Les inégalités sociales sont grandes. Ceux qui ont un peu de pouvoir en profitent pour maltraiter ceux qui en ont moins. Celui qui a de l’autorité humilie celui qui est sous ses ordres, les adultes frappent les enfants, les enfants se battent entre eux et martyrisent les animaux. En sa qualité d’étranger aux cheveux blonds Riad est harcelé par ses cousins et traité de sale Juif sous l’oeil indifférent de sa famille paternelle.
Le dessin est simple, en noir et blanc sur des aplats de couleur claire qui varie selon l’endroit où se déroule l’action : bleu pour la France, orange pour la Libye ou rose pour la Syrie. Des teintes plus vives, rouge ou vert, viennent attirer l’oeil sur des moments intenses. L’auteur se présente en enfant intelligent, portant un regard lucide sur les adultes, leurs agissements et leurs contradictions. Grâce à une bonne dose d’autodérision c’est drôle malgré des sujets qui ne le sont pas toujours.
Tome 2 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985) Dans ce tome le petit Riad commence sa scolarité en Syrie. C’est une école où on dresse les enfants à coups de bâton, de propagande pour le régime et de récitation du Coran. L’auteur se présente cependant comme un enfant doué de sens critique et qui se pose des questions. La cour de récréation est le lieu de violences des forts contre les faibles mais Riad s’y fait aussi des amis avec qui il joue à la guerre contre les Juifs. Pendant ce temps sa mère, confinée au foyer et ne parlant pas la langue, s’ennuie et déprime. Le père qui s’imaginait pouvoir incarner l’Arabe du futur, instruit et laïc, a dû déchanter. Pour parvenir en Syrie il faut en passer par le piston et il se replie petit à petit sur des valeurs traditionalistes qui ne risquent pas de choquer sa famille ou les puissants dont il espère le soutien.
Tome 3 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1985-1987) La vie en Syrie continue. Riad se prend de passion pour Conan le Barbare. A l’occasion de la naissance de son petit frère Fadi il séjourne chez sa grand-mère en Bretagne. Scolarisé à l’école française il y découvre des relations apaisées entre enfants et une maîtresse qui ne bat ni n’humilie les élèves.
Par un procédé de flèches qui indiquent ce que le dessin ne montre pas l’auteur attire l’attention sur les sensations, l’odeur, le goût, avec le regard d’un enfant dénué de préjugés.
Tome 4 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1987-1992) Ce quatrième tome est le plus épais de toute la série. Il faut dire que c’est là que se noue le drame qui va bouleverser la vie de toute la famille. Le dénouement poignant n’est plus une surprise pour moi mais m’émeut toujours.
Quand le père obtient un poste à l’université de Riyad en Arabie Saoudite, la mère refuse de le suivre et rentre en France avec ses enfants. Alors que la mésentente entre ses parents est de plus en plus flagrante, Riad grandit. Il raconte l’entrée dans l’adolescence et ses difficultés à s’intégrer parmi les enfants de son âge. Si la violence à l’école française est moins brutale qu’en Syrie elle est cependant bien présente à l’égard des élèves différents des autres comme lui, victime de harcèlement. Le père qui n’a pas réussit comme il le souhaitait -il n’est pas reconnu professionnellement, sa femme ne lui obéit pas- s’enferme dans le ressentiment et se replie sur la religion. Il a fait le pèlerinage à la Mecque qui lui vaut au village le respect qu’il n’a pas obtenu par ses études. Il professe un nationalisme arabe agressif.
Tome 5 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1992-1994) Après la disparition de son petit frère Fadi, le jeune Riad mène une vie clivée entre son domicile et l’école. A la maison où la télé est allumée en permanence la mère ne pense qu’à retrouver son fils. Sans soutien des autorités françaises, elle en est réduite à des expédients peu efficaces. Au collège puis au lycée aucun camarade de Riad n’est au courant du drame qui touche sa famille. Quand il sent assez en confiance pour en parler, il n’est pas cru.
On rit moins à la lecture de cet épisode, l’ambiance est pesante, un objet, une situation, font ressurgir à l’improviste le souvenir de Fadi et Riad fait des rêves où il croise son père ou son frère. Quant à moi je dois dire que mon sommeil a été perturbé la nuit qui a suivi la fin de la lecture de ce tome.
Tome 6 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1994-2011) Voir ici.
J’aime beaucoup cette série de BD et à la relecture c’est toujours un plaisir. La tension monte avec les épisodes alors que le drame familial se noue et que l’auteur vit une adolescence perturbée.
Fun home est l’abréviation donnée par la famille Bechdel au funeral home (funerarium), l’entreprise de pompes funèbres familiale gérée par Bruce, le père d’Alison Bechdel. Bruce est aussi professeur de littérature au lycée de leur petite ville de Pennsylvanie et passionné par la décoration et la restauration de vieux objets. Il occupe tout son temps libre à faire une oeuvre d’art de la maison ancienne habitée par la famille. Dans cette bande dessinée autobiographique, Alison Bechdel raconte sa relation à ce père tyrannique et colérique et la vie de la famille dans les années 1960 (1960 : naissance d’Alison) et 1970 (1980 : mort de Bruce). La mère, également professeure au lycée, prépare une thèse et fait du théâtre en amatrice. Il y a aussi deux frères cadets. Le cadre familial est celui d’une famille d’intellectuels.
Alison Bechdel qui a toujours refusé de s’habiller « en fille » découvre son homosexualité à l’adolescence. C’est à l’occasion de son coming out qu’elle apprend celle de son père. Il meurt peu après. Dans cet ouvrage elle analyse ses souvenirs d’enfance pour essayer de comprendre qui il était. La réflexion est approfondie dans laquelle l’autrice se met à nu et le résultat est un hommage émouvant à ce père imparfait. C’est un livre intelligent avec de nombreuses références littéraires et, en arrière fond, un tableau de la libération des moeurs aux Etats-Unis dans les années 1970. J’ai beaucoup aimé cette lecture ainsi que le dessin en noir et blanc. Les traits sont fins et précis avec de nombreux détails. La lecture de sa fiche Wikipédia m’apprend que c’est Alison Bechdel la créatrice du test de Bechdel (je le connaissais mais pas son nom) qui permet d’évaluer la présence féminine dans un film grâce à trois questions :
Y a-t-il au moins deux personnages féminins identifiés par un nom ?
Ces femmes parlent-elles ensemble ?
Leur conversation porte-t-elle sur un sujet autre qu’un personnage masculin ?
Depuis que je l’ai découvert il y a quelques années je l’utilise régulièrement avec profit. Le résultat est édifiant.
Une enfance en Turquie Née en 1975 Özge Samancı est une artiste multimédia turque installée aux Etats-Unis. Dans ce roman graphique elle raconte son enfance et son adolescence en Turquie depuis ses six ans. Özge Samancı grandit à Izmir, sa ville natale, auprès de Pelin, sa soeur aînée et de parents enseignants. Le père veut que ses filles soient ingénieures pour gagner correctement leur vie et être indépendantes. Pour cela il faut intégrer un lycée de prestige puis une université de prestige ce qui passe par des cours du soir privés. Özge a bien du mal à se plier aux injonctions de son père. Elle s’imagine en nageuse olympique, en plongeuse comme le commandant Cousteau, en actrice, jamais en ingénieure. Comment être soi-même sans décevoir ceux que l’on aime ?
J’ai beaucoup apprécié cet excellent ouvrage. Quand Özge Samancı raconte sa scolarité primaire au début des années 1980 avec la figure d’Atatürk omniprésente, l’embrigadement des enfants, les punitions corporelles, cela me fait penser à ce que vit Riad Sattouf en Syrie à peu près à la même époque, toutes proportions gardées car Özge vit dans une famille libérale. J’aime la façon dont elle restitue l’innocence de l’enfance et le cadre matériel de la vie à cette époque. En grandissant elle garde intacte sa capacité à s’enthousiasmer ce que je trouve très plaisant. Elle m’apparaît très sympathique et son livre aussi où le dessin s’accompagne de photos d’objets, papiers collés et autres inventions plastiques. Une très bonne découverte due à Masse critique.
Une jeunesse au Moyen-Orient (1994- 2011). En 1994 Riad Sattouf a 16 ans et vit à Rennes avec sa mère et son frère Yahya. Cela fait deux ans que le père a enlevé Fadi, le cadet de la fratrie. Pour retrouver son fils la mère s’en remet à divers charlatans et escrocs : voyante, avocat véreux, soi-disant ex des services secrets. Après le bac Riad Sattouf étudie les arts appliqués à Rennes puis à Paris. Dans le même temps il cherche à se faire éditer et commence une psychothérapie dans le but de se débarrasser de ses angoisses et de l’image de son père qui l’obsède.
Dans ce dernier tome de L’Arabe du futur on assiste à l’émancipation du héros. L’adolescent complexé devient petit à petit un adulte autonome. J’ai beaucoup apprécié cette évolution qui m’a fait plaisir. Bravo à Riad Sattouf pour le travail qu’il a fait pour en arriver là, bravo à sa psy. Autour j’apprécie aussi de suivre l’histoire de cette famille : les grands-parents qui vieillissent, le devenir des parents syriens.