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L’écrivaine Anna Funder a « toujours adoré Orwell ». A l’été 2017, alors qu’elle se retrouve débordée par ses obligations familiales et professionnelles et qu’elle prend conscience que malgré la bonne volonté de son mari c’est sur elle que repose le gros de l’éducation des enfants, elle décide de se servir des écrits d’Orwell pour se libérer du « fardeau de la condition d’épouse et de mère ». Alors qu’elle lit les principales biographies de l’écrivain, elle prend conscience d’une absente de taille : Eileen O’Shaughnessy, femme d’Orwell, qui tout au long de leur mariage a fourni à ce dernier un cadre matériel lui permettant de se consacrer à l’écriture, des échanges intellectuels de qualité pour progresser et a joué le rôle de secrétaire mettant au propre ses notes. Anna Funder décide alors d’écrire plutôt sur Eileen.
Lire la biographie d’Eileen O’Shaughnessy c’est découvrir comment celle-ci a été effacée, d’abord par Orwelle lui-même, à sa suite par ses biographes. Anna Funder met à jour les procédés qui ont permis d’invisibiliser cette femme (l’utilisation de la forme indirecte est bien pratique) et de passer sous silence l’importance de son rôle. La ferme des animaux est présentée ici comme quasiment écrite à deux.
Lire la biographie d’Eileen O’Shaughnessy c’est faire la connaissance d’un personnage bien peu sympathique, son mari. George Orwell apparaît comme un homme très autocentré, ne se souciant pas des souhaits ou du bien-être de son épouse. Anna Funder pense qu’il a au contraire tenté de couper celle-ci de ses relations extérieures -amis, famille. Ainsi il tombe régulièrement malade quand Eileen envisage de rendre visite à son frère. Ce chantage à la maladie est aussi utilisé pour obtenir les faveurs de jeunes femmes avec lesquelles Orwell adopte souvent un comportement d’agresseur sexuel.
L’autrice s’appuie sur des sources nombreuses et variées, notamment des lettres d’Eileen à sa meilleure amie, découvertes en 2005.
Puisque c’était son point de départ, Anna Funder réfléchit aussi a sa condition d’épouse et de mère. Quand on est soi-même une femme mariée de la même génération que l’autrice ce n’est pas forcément très agréable de penser à la façon dont les tâches ménagères ont été réparties -ou pas- dans son propre couple. J’apprécie que l’autrice pointe la responsabilité du patriarcat dans ces inégalités et dise que la réponse ne peut pas être qu’individuelle. Enfin la façon dont le patriarcat permet à un homme de maltraiter sa femme tout en se considérant lui-même et en étant considéré à l’extérieur comme un « homme décent » (un « bon père de famille » dirait Rose Lamy) est analysée à partir de la notion de « doublepenser » développée par Orwell dans 1984.
C’est une lecture que j’ai grandement appréciée. Le talent d’Anna Funder c’est aussi de donner quand même envie de lire Orwell.
L’avis de Patrice, celui de Kathel.
Oui, ce livre est noté, ton avis confirme, et j’ai une forte envie de relire 1984
Moi ça m’a donné envie de lire La ferme des animaux.
J’ai beaucoup aimé Stasiland, de cette auteure, mais je ne suis pas vraiment tentée par le thème de celui-là..
J’avais bien aimé Stasiland aussi.
un auteur qui a été si important pour moi, mais qui a donc été un bien piètre compagnon de vie, dommage !
En effet.
J’imagine qu’hélas, elle n’a pas été la seule femme négligée voire mal traitée par son mari écrivain. Certains pouvaient être de vrais despotes domestiques…