Oxford, 1663. Le professeur Grove est retrouvé mort dans son appartement. L’enquête laisse penser qu’il a été empoisonné. Rapidement la rumeur publique accuse sa servante du crime. Elle est arrêtée, jugée et exécutée. Que s’est-il réellement passé ? Quatre témoins présentent à tour de rôle leur version des faits.
Le premier est Marco da Cola, gentilhomme vénitien qui a étudié la médecine par curiosité aux Pays-Bas et qui se trouve en Angleterre pour y régler des affaires familiales. A Oxford, Cola fréquente les scientifiques les plus en avance de leur temps: Robert Boyle, père de la chimie et Richard Lower, médecin et physiologiste. Son récit nous fait pénétrer dans une société où les idées bouillonnent. On pratique les dissections pour tâcher de comprendre le fonctionnement du corps humain, on s’interroge sur la circulation et le rôle du sang. Les hypothèses fusent, mélange d’intuitions géniales et de croyances naïves.
Le deuxième témoin est Jack Prestcott. Le père de ce jeune homme, intransigeant soutien du parti royaliste pendant la guerre civile (1642-1648) et la république de Cromwell (1649-1659) est mort en exil, accusé d’avoir trahit les siens. Jack, persuadé que son père a été calomnié, mène l’enquête pour prouver son innocence et trouver le véritable traître. Avec lui on découvre qu’une légère épuration a suivi la restauration monarchique de 1660 mais que certains qui avaient servi fidèlement Cromwell sont restés aux affaires sous Charles 2 tandis que des nobles qui s’étaient battus pour le roi ont été bien mal récompensés de leurs sacrifices. Les événements sont frais et les rancoeurs encore vivaces.
Le troisième témoin est le docteur John Wallis. Mathématicien psycho-rigide, fasciné par les chiffres, il joue aussi le rôle d’espion du gouvernement, décryptant les messages codés. Voyant des complots partout, il est persuadé que Cola est venu en Angleterre pour y accomplir de funestes desseins et cherche à percer son secret.
Arrivé aux trois-quarts du livre le lecteur ne sait plus trop que penser : on lui a présenté trois coupables potentiels et aucun n’est vraiment très convaincant. Surtout, chaque témoin analyse les événements auxquels il a assisté à l’aune de ses marottes et du coup les mêmes situations sont décrites différemment par chacun.
Enfin arrive le quatrième témoin, l’historien John Wood qui vient éclaircir tout cela et en même temps amener de nouveaux sujets de questions.
En plus de tout ce que nous apprenons sur l’Angleterre de cette époque, le talent de Iain Pears réside dans sa capacité à se mettre dans la peau de ses personnages. Chacun des quatre récits est rédigé à la première personne et sur un ton propre qui fait passer le mode de pensée et de fonctionnement de chaque personnage. Ce qui frappe c’est, malgré leurs différends et leurs différences, l’emprise de la religion sur ces esprits. Même les plus rationnels ne peuvent pas trouver d’argument plus irréfutable que : « C’est écrit dans la Bible ».
Un passionnant éclairage sur une époque et une société en train d’évoluer mais encore bien plongées dans les ténèbres.
Allie le 6 novembre 2006 :
Je dois avouer que celui-ci me tente beaucoup… Alors que les autres titres de l’auteur, pas vraiment! J’ai noté celui-ci! Merci pour cette critique!
Réponse :
Je crois que c’est celui de Iain Pears que je préfère. Il est à la fois agréable à lire (beaucoup plus que Le songe de Scipion) et instructif (plus que la série policière 10-18). On y retrouve de l’humour et un intéressant personnage de femme indépendante (comme Iain Pears semble les apprécier).
ALittleBit le 25 novembre 2016 :
Merci pour cette chronique exhaustive et très bien construite, qui permet d’en apprendre beaucoup (mais pas trop) sur ce roman ! ! En tous cas, tu donnes envie de s’y intéresser sérieusement, ce que je vais sûrement faire rapidement ! ! Il m’a l’air plutôt sympa et le contexte historique choisi par l’auteur est intéressant !
Réponse :
Ca fait bien longtemps que je l’ai lu et je n’en ai plus véritablement de souvenir mais je relis ma chronique à l’occasion de ton commentaire et ça me donne envie d’y retourner !