Longtemps on a cru qu’il y avait entre les partisans de Pétain et les résistants une différence bien nette. Depuis les années 1990 on découvre petit à petit que la réalité était plus complexe, que l’on a pu être pétainiste et résistant. Qui sont ces vichysto-résistants et pourquoi leur existence a-t-elle été occultée pendant 45 ans ? C’est ce qu’étudie Bénédicte Vergez-Chaignon.
Les vichysto-résistants sont souvent des officiers de carrière. Issus de la droite nationaliste et chrétienne ils sont pour la Révolution nationale dont ils attendent la rénovation morale de la France et la fin des clivages politiques. Mais en même temps ils supportent mal que la France soit sous l’autorité étrangère et attendent avec impatience la revanche. Souvent ils sont opposés à l’idéologie nazie.
La demande d’armistice par Pétain met ces soldats devant un choix douloureux entre leur devoir d’obéissance et leur envie d’agir. Ils jugent le maréchal à leur mesure et s’imaginent alors qu’il joue un double jeu. Celui-ci laisse croire et entretient l’ambiguïté.
Dès l’été 1940 des chefs de corps organisent spontanément le camouflage de matériel militaire. Des listes d’hommes mobilisables sont dressées, sorte de réservistes prêts à intervenir le moment venu. De même les organisations de jeunesse (chantiers de jeunesse, compagnons de France) qui se créent après la défaite peuvent sembler de futures troupes.
Pendant un certain temps il y a même des contacts entre certains chefs de la résistance et des membres du gouvernement de Pétain. Ainsi Henri Frenay, un des fondateurs du mouvement Combat, qui voit Pétain comme un « capitaine prisonnier de l’équipage », est contacté en janvier 1942 par le directeur de la sûreté nationale de Vichy qui lui propose une rencontre. Ce dernier laisse entendre que le gouvernement joue double jeu et que la résistance peut le gêner dans cette voie. Mais Frenay ne suit pas et, ces contacts lui portant tort dans la résistance, il rompt ensuite avec Vichy.
Le 8 novembre 1942, le débarquement anglo-américain en Afrique du nord française entraîne, le 11 novembre, l’occupation de la zone libre par l’Allemagne. Pétain demande aux Français de ne pas réagir et la petite armée que la France avait été autorisée à conserver après l’armistice est dissoute. Un certain nombre d’officiers comprennent alors la réalité de la collaboration. Cependant ils ne veulent pas se rallier à de Gaulle et se tournent vers Giraud qui s’est retrouvé à la tête du gouvernement d’Alger après le débarquement de novembre. Giraud est lui-même un admirateur du maréchal et gouverne de façon autoritaire selon les principes de la Révolution nationale. Sous la pression des Américains ce régime se démocratise ensuite puis Giraud est poussé dehors par de Gaulle.
A partir de février 1943, la mise en place du STO va pousser encore plus d’hésitants vers la résistance. Une part croissante de l’administration de Vichy (des préfets) renâcle face à certaines consignes. Ceci explique que seulement la moitié des effectifs prévus ont été envoyés en Allemagne.
Après le débarquement c’est individuellement que les membres des chantiers de jeunesse ou les reliquats des forces armées de Vichy choisissent ou non de rejoindre la résistance et de participer à la libération du territoire français.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage Bénédicte Vergez-Chaignon aborde le devenir de ces vichysto-résistants après la guerre et comment et pourquoi, petit à petit, le fait qu’on ait pu être à la fois pétainiste et résistant est devenu inaudible. Le cas de François Mitterrand est notamment longuement évoqué.
Bien que certains passages aient été un peu ardus pour moi, j’ai trouvé cet ouvrage fort intéressant. Bénédicte Vergez-Chaignon s’est documentée de façon abondante, le récit est foisonnant avec de nombreux personnages principaux et secondaires. J’ai particulièrement apprécié le propos nuancé. L’auteur montre que de nombreux choix ont été possibles, on est loin d’un découpage manichéen. Mais en même temps elle prend aussi position de façon tranchée, indiquant quand un comportement a été indigne. Cette lecture m’a fait prendre conscience de grands pans d’ignorance et a fait émerger des besoins d’information. Il me faudrait maintenant lire une histoire de la résistance, une de Vichy, de la milice, une biographie de Pétain… Et nul doute que ces lectures en appelleraient d’autres.