Ida Grinspan est née en 1929 en France de parents juifs polonais. Elle grandit à Paris. En 1940 elle est mise en pension dans un village du sud Deux-Sèvres, près de Melle. C’est là qu’elle est arrêtée en 1944 par des gendarmes français et déportée vers Auschwitz. Bien qu’elle n’ait que 14 ans elle est sélectionnée pour entrer dans le camp où elle passe deux hivers, affectée à divers kommandos. Elle est finalement évacuée vers Ravensbrück puis libérée.
Dans ce livre rédigé à partir d’entretiens avec Bertrand Poirot-Delpech, Ida Grinspan raconte aussi, après son arrestation et la difficile survie à Auschwitz, les conditions de son retour à une vie ordinaire. Ses parents, déportés chacun de leur côté, ne sont pas revenus ; elle était une bonne élève mais se retrouve à 16 ans avec un certificat d’études pour tout diplôme et enfin peu de personnes sont prêtes à entendre le récit des souffrances des survivants. En 1988 elle retourne pour la première fois à Auschwitz, accompagnant une classe de lycéens. Depuis elle n’a pas cessé de témoigner, de rencontrer des jeunes pour que ceux qui ne sont pas revenus ne soient pas oubliés.
Je connaissais déjà Ida Grinspan pour l’avoir vu dans le film « Les survivants » de Patrick Rotman (un excellent documentaire). Elle m’avait impressionnée par son entrain malgré ce qu’elle avait vécu. Le livre permet d’approfondir son histoire. Elle insiste particulièrement sur l’importance qu’il y avait à garder un peu de dignité dans le camp, à ne pas se laisser aller : essayer de se laver de temps en temps, se procurer une cuillère pour ne pas avoir à laper sa soupe. La camaraderie avec d’autres adolescentes un peu plus âgées qu’elle a aussi été un soutien. Elles ont été solidaires et, après la guerre, celles qui sont revenues sont restées fortement liées.
Voilà un ouvrage clair et facile d’accès. Destiné aux jeunes à partir de 15 ans il présente les principaux aspects de la déportation des Juifs de France.
En 1942 Hélène Berr avait 21 ans, elle était issue d’une famille de la bourgeoisie intellectuelle parisienne, elle était étudiante en Anglais à la Sorbonne et elle était Juive. En avril 1942 elle commence son journal et le tient jusqu’en novembre. En août 1943, après une interruption de neuf mois, elle reprend la plume jusqu’au 8 mars 1944, date à laquelle elle est arrêtée avec son père et sa mère. Déportée à Auschwitz, transférée à Bergen-Belsen par une « marche de la mort », elle y meurt en avril 1945.
Le journal montre bien comment l’étau qui se referme petit à petit sur Hélène et sa famille affecte son caractère. En 1942 il y a encore de l’insouciance, du plaisir à se promener dans les rues de Paris. Hélène rencontre un jeune homme, Jean Morawiecki, et en tombe amoureuse. A partir du lundi 8 juin il lui faut porter l’étoile jaune (elle dit l’insigne) et elle s’interroge sur le comportement à avoir :
« A ce moment-là, j’étais décidée à ne pas le porter. Je considérais cela comme une infamie et une preuve d’obéissance aux lois allemandes. Ce soir, tout a changé à nouveau : je trouve que c’est une lâcheté de ne pas le faire, vis-à-vis de ceux qui le feront. Seulement, si je le porte, je veux toujours être très élégante et très digne, pour que les gens voient ce que c’est. Je veux faire la chose la plus courageuse. Ce soir, je crois que c’est de le porter. »
Dans la rue on la regarde parfois de travers mais il y a aussi des manifestations de sympathie. Elle dit que c’est difficile puis donne l’impression de surmonter cette épreuve et n’en parle plus. Des fois elle porte l’étoile, des fois elle ne la porte pas. Le 26 novembre 1942, Jean quitte Paris pour gagner la France libre, Hélène arrête d’écrire.
Quand elle se remet à son journal en 1943 l’ambiance a complètement changé. Autour d’elle des amis, des connaissances, de plus en plus nombreux, sont déportés. Hélène s’occupe, à l’UGIF, d’enfants dont les parents ont été arrêtés. Il n’y a plus d’insouciance. Elle traverse des moments d’abattement, elle a le sentiment que les autres (les non-Juifs) ne peuvent pas comprendre ce qu’elle ressent. Encore une fois, elle veut être courageuse.
La famille évoque la possibilité de quitter Paris, de se cacher, mais redoute la séparation tout en sachant que la déportation entraînerait une séparation. Il y a aussi une répugnance à quitter des lieux familiers, le refus de laisser penser que l’on a fuit. Ils se résolvent cependant à ne plus coucher chez eux. Ils sont arrêtés au matin de la première nuit où ils ont rompu avec cette décision.
C’est une lecture très émouvante qui, comme tous les récits individuels que j’ai lus sur le sujet, permet de mieux mettre le doigt sur la richesse des intelligences humaines et sur le gâchis effroyable qu’a été ce génocide. Je suis touchée aussi par le portrait en couverture. Elle avait un visage doux aux joues encore rondes de l’enfance et cette photo la fait paraître encore plus proche malgré toutes les années qui se sont écoulées depuis.
Quand il était petit Daniel Mendelsohn aimait beaucoup écouter son grand-père maternel lui raconter les histoires de sa famille venue presque au complet d’Ukraine aux Etats-Unis dans les années 1920. Ses deux soeurs fiancées (« vendues ») successivement au même cousin bossu et hideux. L’aînée d’abord puis, après sa mort (« une semaine avant son mariage »), la cadette. Son frère émigré en Israël juste à temps, au début des années 30, sous la pression de sa femme, « une sioniste ». Un seul frère était resté en Ukraine dans le village natal de Bolechow, Shmiel, l’aîné, celui dont le grand-père parlait le moins. Tout ce que Daniel Mendelsohn savait c’est qu’il avait été « tué par les nazis » avec sa femme et ses « quatre filles superbes ».
En grandissant Daniel Mendelsohn a voulu en savoir plus sur son oncle Shmiel Jäger. Après la mort de son grand-père il a recherché des survivants de Bolechow de la shoah par balles dont plus d’un million et demi de Juifs ont été victimes en Ukraine. Pour les interroger il a voyagé jusqu’en Australie, en Israël et en Suède. Il est allé à Bolechow retrouver les témoins de ce qui s’était passé 60 ans plus tôt.
Pendant cette recherche qui s’est étalée sur 5 ans il est accompagné très souvent par son frère cadet Matt, auteur de la plupart des photographies qui illustrent l’ouvrage. C’est l’occasion pour Daniel de faire enfin la connaissance de Matt car, lorsqu’ils étaient enfants, Daniel n’aimait guère Matt auquel il a même un jour cassé un bras dans un accès de rage. Cette découverte de son frère n’est pas la moindre des belles rencontres faites par Mendelsohn lors de son périple. Un aspect important Des disparus c’est tout ce pan autobiographique. En même temps qu’il enquête sur sa famille l’auteur se dévoile, interroge ses souvenirs, compare les relations qu’il imagine entre Shmiel et ses parents à celles qu’il avait lui-même enfant avec ses frères et soeur.
Les événements qui touchent la famille Jäger sont aussi mis en relation avec des passages de la Genèse analysée par deux commentateurs de la Torah, Rachi (né à Troyes en 1040) et Friedman, un contemporain, plus les commentaires personnels de l’auteur qui permettent de le connaître mieux. Enfin les retrouvailles de Daniel Mendelsohn avec une partie du passé de sa famille sont aussi des retrouvailles avec une culture disparue, la culture juive d’Europe centrale.
Pour toutes ces raisons cet ouvrage foisonnant est un ouvrage passionnant. Daniel Mendelsohn apparaît comme quelqu’un d’intelligent, qui réfléchit, quelqu’un de bien.
Agée d’environ 45 ans Julia Jarmond, américaine et mariée à un Français, vit à Paris depuis 25 ans. Elle est journaliste pour un magazine destiné aux expatriés américains en France. En 2002 elle est chargée de couvrir la commémoration des 60 ans de la rafle du Vel’ d’hiv’. Son travail prend une tournure plus personnelle alors qu’elle découvre les liens inattendus de la famille de son mari avec cet événement. En même temps son mariage traverse une crise difficile.
Née en France de parents juifs polonais, Sarah, 10 ans, est raflée avec eux le 16 juillet 1942. Avant de quitter l’appartement familial elle a eu le temps de cacher son petit frère de quatre ans, Michel, dans un placard secret. Elle a fermé la porte et a emporté la clef en lui promettant de revenir vite. Emmenée au vélodrome d’hiver puis internée à Beaune-la-Rolande, Sarah ne pense qu’à une chose : Michel l’attend, elle doit tenir sa promesse.
Cet émouvant roman raconte en parallèle l’histoire de Julia qui mène l’enquête sur la rafle du Vel’ d’hiv’ et celle de Sarah, victime de cette même rafle. Dans la première moitié du livre Tatiana de Rosnay alterne un chapitre de l’histoire de Sarah puis un de celle de Julia, procédé qui accroit toujours le suspense. Ensuite on ne suit plus directement que Julia et on apprend en même temps qu’elle ce qu’il est advenu de Sarah.
Tatiana de Rosnay présente de façon bien documentée la façon dont s’est déroulée la rafle du Vel’ d’hiv’ et comment la déportation des Juifs de France a été organisée et exécutée par le gouvernement collaborationiste de Vichy (la zone sud « dite libre » est le seul endroit non-occupé d’Europe d’où on a déporté des Juifs pendant la guerre). Elle montre aussi que des Français ont résisté en cachant et en sauvant des Juifs (grâce à leur action la France est le pays d’où le moins de Juifs ont été déportés).
J’ai dévoré ce livre d’une traite. J’avais du mal à le lâcher quand je devais me consacrer à autre chose. Pendant toute la période de ma lecture j’ai aussi été habitée par la musique de la chanson de Jean-Jacques Goldman du même titre.
A Tokyo il y a un petit centre de documentation sur la shoah. Sa directrice, Fumiko Ishioka, se consacre à informer les jeunes Japonais sur le génocide des Juifs. Dans ce but elle a constitué une petite exposition et s’est fait prêter une valise par le mémorial d’Auschwitz. Sur cette valise, un nom : Hana Brady ; une date de naissance : 16 mai 1931 et un mot : orphelin. Qui était Hana Brady ? Quelle a été son histoire ? A partir de ces maigres indices, Fumiko Ishioka va mener l’enquête.
Un centre de documentation sur la Shoah au Japon, en voilà une chose surprenante! Et leurs propres crimes de guerre, ils les enseignent à leurs enfants, les Japonais ? Ceci dit, informer les jeunes sur la shoah, oui, c’est une bonne chose.
J’ai ressorti ce petit livre de ma bibliothèque après avoir entendu M. Sarkozy annoncer que chaque enfant de CM2 devrait porter le souvenir d’un enfant juif victime des nazis. Cette nouvelle m’a fait me poser beaucoup de questions. D’abord sur le fond : c’est compatible, cette idée, avec le fait de rechercher jusque dans les écoles les enfants de sans-papiers pour les renvoyer vers un pays où ils seront persécutés ? Ensuite sur la forme : je pense que c’est trop personnaliser le travail de mémoire et qu’une formule plus légère, un enfant « parrainé » par une classe, serait plus approprié (il semble que ce soit ce vers quoi on se dirige finalement).
Bon, je parle du livre maintenant. C’est une histoire vraie. L’ouvrage raconte deux histoires qui se déroulent en parallèle. Celle d’Hana, Juive de Tchécoslovaquie et celle de l’enquête menée par Fumiko. Il est illustré de documents, des photos d’Hana et de sa famille notamment. Le ton se veut positif : les atrocités vécues par les Juifs sont exposées mais l’accent est mis aussi sur le courage des victimes. La fin délivre un message d’espoir : les jeunes doivent lutter pour que cela ne se reproduise plus. Je pense que La valise d’Hana peut être un bon instrument pour une première approche du génocide des Juifs.
Un ouvrage très controversé et un gros pavé (900 pages). Je m’interrogeais un peu à son sujet. On me l’a prêté. Je l’ai lu et je ne l’ai pas regretté.
Le narrateur, Max Aue, est un Allemand, un nazi, un SS. Ayant réussi à changer d’identité à la fin de la guerre il a survécu à ses crimes et refait sa vie comme honnête industriel français. Plus tard il a éprouvé le besoin d’écrire ses souvenirs, d’abord pour lui, dit-il. Le roman est composé de ces souvenirs et des réflexions du narrateur sur ce qu’il a vécu. Car Max Aue est un intellectuel qui analyse la portée de ses actes, recherche le sens de la vie et se pose la question de la responsabilité. Dans la première partie du roman qui constitue une sorte d’introduction il s’adresse au lecteur : « Je suis coupable, vous ne l’êtes pas, c’est bien. Mais vous devriez quand même pouvoir vous dire que ce que j’ai fait, vous l’auriez fait aussi. Avec peut-être moins de zèle, mais peut-être aussi moins de désespoir, en tout cas d’une façon ou d’une autre. Je pense qu’il m’est permis de conclure comme un fait établi par l’histoire moderne que tout le monde, ou presque, dans un ensemble de circonstances donné, fait ce qu’on lui dit; et, excusez-moi, il y a peu de chances pour que vous soyez l’exception, pas plus que moi. Si vous êtes né dans un pays ou dans une époque ou non seulement personne ne vient tuer votre femme, vos enfants, mais ou personne ne vient vous demander de tuer les femmes et les enfants des autres, bénissez Dieu et allez en paix. mais gardez toujours cette pensée à l’esprit : vous avez peut-être eu plus de chance que moi mais vous n’êtes pas meilleur. »
C’est une question que je me suis déjà posée : qu’aurais-je fait dans les mêmes circonstances ? Il n’est pas sur que je me sois comportée en héroïne car je constate que dans des situations quotidiennes nettement moins dramatiques je manque parfois de courage. Aussi je me félicite de n’avoir pas connu ces temps troublés. Cependant je veux croire que d’autres choix personnels que ceux de Max Aue sont possibles. Car, malgré son insistance à affirmer le contraire, Max Aue n’est pas tout à fait M. Tout-le-monde. C’est un homme profondément perturbé, traumatisé par des épisodes douloureux de son enfance et jamais digérés qui remontent parfois en bouffées délirantes ou en crise de violence démente. Son père a quitté le domicile familial quand lui-même était encore petit. Il rend sa mère responsable de cet abandon et voit dans le Führer un substitut paternel.
Maintenant suivons un peu Max Aue dans sa descente aux enfers car sa carrière s’est déroulée dans tous les lieux où un SS pouvait jouer son rôle. Le premier poste auquel Aue est affecté est celui d’officier d’un einsatzgruppe en Ukraine. Les einsatzgruppen suivent l’armée allemande qui envahit l’URSS, massacrant derrière elle les populations juives. Aue est choqué par ce qui se passe là et par certaines scènes auxquelles il assiste. Cela le rend malade (il fait des cauchemards, il vomit) cependant il estime qu’il doit être là (alors qu’il aurait la possibilité de se faire muter ailleurs) car une fois qu’on a admis que ces mesures sont nécessaires (jamais il ne remet en cause le point de départ dévoyé, l’antisémitisme qui condamne les Juifs) on se doit d’y participer. Il se veut un homme responsable : « Si la valeur suprême c’est le Volk, le peuple auquel on appartient, et si la volonté de ce Volk s’incarne bien dans un chef, alors, en effet, Führerworte haben gesetzeskraft. Mais il était quand même vital de comprendre en soi-même la nécessité des ordres du Führer : si l’on s’y pliait par simple esprit prussien d’obéissance, par esprit de Knecht, sans les comprendre et sans les accepter, c’est-à-dire sans s’y soumettre, alors on n’était qu’un veau, un esclave et pas un homme. »
Il a aussi le sentiment qu’approcher la mort lui permettra de saisir le sens de la vie : « Même les boucheries démentielles de la Grande Guerre, qu’avaient vécues nos pères ou certains de nos officiers plus âgés, paraissaient presque propres et justes à côté de ce que nous avions amené au monde. Je trouvais cela extraordinaire. Il me semblait qu’il y avait là quelque chose de crucial, et que si je pouvais le comprendre alors je comprendrais tout et pourrais enfin me reposer. »
Après ce premier poste particulièrement éprouvant Aue est envoyé se refaire une santé en Crimée, au bord de la mer Noire. A la fin de sa convalescence il reste sur place comme agent d’information. Il est chargé de collecter des renseignements sur les nombreuses minorités ethniques du Caucase, leurs relations entre elles et au pouvoir soviétique. C’est dans le cadre de cette tâche qu’il rencontre le dr Voss avec qui il sympathise immédiatement. Le dr Voss est un linguiste spécialisé dans les peuples du Caucase. C’est l’occasion pour l’auteur de nous donner un exposé passionnant sur ces peuples et leurs langues. Sur un point Voss s’oppose à Aue : il sait que les races n’existent pas, il le lui dit et il le lui démontre (sans le convaincre). Pour lui l’anthropologie raciale est une pseudo-science et une fumisterie. Ces propos semblent faire de Voss un personnage plutôt sympathique cependant ce scientifique suit pas à pas l’avancée de l’armée allemande attendant avec impatience la prise de nouvelles villes soviétiques dont il pourra enfin exploiter les bibliothèques. Ici la guerre se met au service d’une science stérile, la connaissance des langues se fait en même temps qu’on massacre les peuples qui les parlent.
En décembre 1942, alors que l’armée allemande s’enlise devant Stalingrad, Max Aue participe à une conférence suréaliste. On a fait venir des spécialistes de Berlin pour décider du cas des Bergjuden un peuple juif local qui prétend s’être converti récemment au judaïsme (ainsi, si cela est prouvé, il ne sont pas de race juive et donc n’encourent pas le génocide). Je trouve que cet épisode montre bien le délire nazi : du temps est gaspillé à discuter du sort d’une poignée de paysans dont il est évident qu’ils représentent bien moins de danger pour le Reich allemand que la progression des troupes soviétiques. Malgré les voeux de ses chefs Aue est honnête et plaide pour la conversion des Bergjuden. Cette prise de position lui vaut d’être muté à Stalingrad.
A Stalingrad Max Aue assiste à l’agonie de l’armée allemande. Il est lui-même grièvement blessé, ne survivant que par miracle après que la balle d’un sniper lui a traversé le crâne. Après sa convalescence dont il a profité pour renouer avec sa mère de façon particulièrement violente, Aue est nommé à Berlin comme responsable d’un service chargé de gérer au mieux la main d’oeuvre captive du Reich. Autrement dit il doit prendre des mesures pour que les déportés arrivent dans le meilleur état possible dans les camps pour pouvoir travailler avant d’être exterminés. Aue s’attelle à cette tâche avec toute la conscience professionnelle qui le caractérise. Hélas pour lui il s’avère que la plupart des officiers SS sont des corrompus qui utilisent le système à leur avantage personnel. Au milieu de tout cela quelques « honnêtes » nazis tentent de lutter contre la prévarication. Ainsi à Lublin Aue rencontre un juge qui poursuit des chefs de camp pour crime : « Si un membre de la SS fait tuer un Juif dans le cadre des ordres supérieurs, c’est une chose; mais s’il fait tuer un Juif pour couvrir ses malversations, ou pour son plaisir perverti, comme cela arrive aussi, c’en est une autre, c’est un crime. Et cela même si le Juif devait mourir par ailleurs. » (N’est-on pas ici en pleine schizophrénie ?) « La distinction doit être malaisée à faire » répond Aue sans rire.
L’armée soviétique avançant toujours Max Aue est chargé d’encadrer une marche de la mort qui évacue le camp d’Auschwitz. Plus tard il se retrouve coincé derrière les lignes soviétiques et, avec deux autres hommes, il doit marcher plusieurs jours en se cachant afin de rejoindre leurs troupes. Ils traversent des hameaux dont la population a été massacrée par les Soviétiques. Ils rencontrent une troupe d’enfants sauvages. Enfin, en avril 1945, Aue est dans Berlin encerclée par les alliés, bombardée en permanence.
J’ai trouvé cet ouvrage passionnant. Alors, bien sur, ce n’est pas toujours plaisant à lire car le narrateur nous décrit tout des atrocités auxquelles il a participé. Par ailleurs on a aussi droit à ses turpitudes et fantasmes sexuels. C’est un homosexuel et il a une sexualité assez perturbée. Mais les atouts de ce roman sont qu’il est hyper-bien documenté et qu’il donne à réfléchir. On entre dans la tête du personnage et on découvre comment une idéologie perverse a pu mener un peuple au crime contre l’humanité en s’appuyant sur des blessures personnelles.
Philippe Grimbert a vécu une enfance difficile. Perturbé par des insomnies et des cauchemars, souffreteux, il s’est inventé un frère, un double plus beau et plus fort qui lui permettait de supporter l’existence. Il a 15 ans quand il apprend le terrible secret que ses parents et sa famille lui ont caché : ce frère a bien existé et il a été emporté par les persécutions antisémites qui ont frappé les Juifs d’Europe lors de la seconde guerre mondiale.
Philippe Grimbert est psychanalyste et à travers l’histoire romancée de sa famille il explore les répercutions d’un secret de famille sur un enfant théoriquement ignorant et qui somatise ce qu’on cherche à lui cacher. En même temps, il reconstitue cette histoire familiale passée sous silence et rappelle la mémoire de ceux qui sont morts sans tombe.