Khadija était la première femme de Muhammad, prophète de l’islam. Riche veuve, de dix ans son aînée, cette femme forte choisit d’épouser ce « fils de rien » pour ne pas tomber sous la coupe d’une famille puissante de Mekka (la Mecque). Le roman, qui va du mariage à la mort de Khadija, montre bien le cadre dans lequel est né l’islam, comment on a pu passer du polythéisme au monothéisme. Un caravanier comme Muhammad qui parcourait le désert d’Arabie était en contact avec de nombreuses obédiences religieuses, sectes juives et chrétiennes autant que polythéistes. Marek Halter fait comprendre les circonstances qui ont accompagné et permis la révélation. Ca a été pour moi l’intérêt majeur de cet ouvrage que j’ai lu facilement mais non sans un ennui persistant, hélas. Ceci est du au style que j’ai trouvé plat. On est dans un registre de langue de base, typique du best-seller. Voilà pourquoi ils me déçoivent généralement, même si ils peuvent avoir des qualités par ailleurs.
Une biographie du cancer Siddhartha Mukherjee est un cancérologue américain. Il présente ici l’histoire de la lutte contre le cancer depuis les origines jusqu’à nos jours. Les origines c’est la description d’une tumeur au sein par un médecin égyptien en 2500 av JC. « Thérapie : il n’y en a aucune ». Le cancer du sein est un des premiers à avoir été traité. Aux 18° et 19° siècles on pratique des ablations sans anesthésie ni asepsie. Au début du 20° siècle, constatant des récidives malgré l’ablation, des chirurgiens se dirigent vers la mastectomie radicale. Il s’agit d’enlever le maximum pour purifier le corps de la maladie : non seulement le sein mais aussi des côtes et parfois même la clavicule. Des femmes sont horriblement mutilées. C’est à ce moment de ma lecture où je commence à me demander si ces mutilations n’auraient pas à voir avec le fait que les chirurgiens sont des hommes et les patients des patientes que les Américaines (cette technique a surtout été utilisée aux Etats-Unis) se sont fait la même remarque. On est en 1968 et l’émergence du mouvement féministe pousse des femmes à refuser de se faire charcuter. Cela entraîne une réflexion dans le milieu médical et l’abandon de cette pratique dont il est démontré qu’elle n’empêchait pas les récidives. C’est parce que je suis femme et féministe que cet aspect m’a particulièrement intéressé.
D’autres informations intéressantes : la découverte de la chimiothérapie à partir des effets du gaz moutarde sur les soldats et les civils pendant les première et deuxième guerres mondiales.
La découverte du lien entre tabagisme et cancer du poumon et la réaction des industriels du tabac. Depuis les années 1960, aux Etats-Unis, les paquets de cigarettes et les publicités pour le tabac portent la mention : « Attention, fumer la cigarette est dangereux pour la santé ».
La découverte du frottis gynécologique (pap en anglais) par le dr Papanicolaou qui lui donne son nom. Il avait pris sa femme comme sujet d’étude, il lui faisait un frottis par jour. Voilà une épouse dévouée à la science.
Enfin à la fin du 20° siècle et au début du 21° la découverte des causes de la maladie : des mutations des gènes qui entraînent le développement anarchique des cellules, et en suivant la mise au point de thérapies ciblées qui s’attaquent aux effets de ces gènes mutants.
C’est un ouvrage plutôt intéressant mais parfois un peu technique et pas toujours facile à lire. Le bon dr Mukherjee me fait l’effet d’un médecin proche de ses patients et soucieux de leur bien-être. Je souhaite à tous les malades du cancer d’en rencontrer de cet acabit.
Une dernière chose pour terminer : ce livre est mal traduit. La traduction est signée d’un chroniqueur scientifique donc j’imagine que de ce point de vue on ne peut pas lui faire de reproche mais une meilleure maîtrise du français n’aurait pas fait de mal. Je relève deux exemples qui m’ont particulièrement choquée. Cette « traduction » d’une publicité pour des cigarettes : « Le goût adapté à l’homme d’un tabac honnête vous envahit. Un filtre doux à tirer se sent bien dans votre bouche. Passe bien sans s’imposer ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Le morceau de texte original est passé par Google translate ou quoi ? Je ne vois pas d’autre explication. Et cette expression : « volant Pierre pour payer Paul » (en anglais « robbing Peter to pay Paul ») mais en français on dit « déshabillant Pierre pour habiller Paul », il me semble.
Après La chute des géants, l’action de L’hiver du monde se déroule avant, pendant et après la seconde guerre mondiale, de 1933 au moment de l’arrivée d’Hitler au pouvoir au début de la guerre froide avec le blocus de Berlin-ouest et la mise au point de la première bombe atomique soviétique.
Ken Follett est un écrivain qui aime les femmes et un sympathisant dela cause féministe. Dans chacun de ses romans il nous présente des héroïnes qui sont des femmes fortes. Ici il s’agit de Daisy Pechkov et de Carla von Ulrich.
Fille d’un riche homme d’affaires aux méthodes de gangster, l’Américaine Daisy Pechkov a vécu une enfance gâtée et protégée par la fortune de son père. Partie à Londres elle y épouse Boy Fitzherbert, fils aîné et héritier d’un lord. Le mariage est malheureux. Daisy a été séduite par le titre de vicomtesse mais s’aperçoit que cela ne lui suffit pas. Pendant le Blitz elle devient ambulancière et découvre alors la souffrance mais aussi l’épanouissement qui peut découler d’un engagement au service des autres.
A Berlin l’infirmière Carla von Ulrich s’engage dans la résistance au nazisme : dénonciation des crimes des nazis, aide à une famille juive et espionnage au profit de l’URSS.
On suit aussi les combats en URSS avec l’attaque allemande sur Moscou et dans le Pacifique entre les Américains et les Japonais. Encore une fois tout cela est raconté de façon très vivante, j’apprends des choses, cela se lit facilement et difficile de s’arrêter une fois commencé. Le tome 3 vient juste de sortir donc il faudra que j’attende un peu avant de l’avoir en édition de poche.
La chute des géants est le premier épisode d’une trilogie intitulée Le siècle et qui, comme son nom l’indique, couvre toute l’histoire du 20° siècle. Le premier tome va de 1911 à 1924. Il traite principalement de la première guerre mondiale et des révolutions russes. On suit les événements à travers une galerie de personnages de différentes nationalités et de différentes origines sociales ce qui permet à l’auteur d’aborder de façon vivante de nombreux thèmes.
En Grande-Bretagne, Billie et Ethel Williams sont les enfants d’un mineur devenu responsable syndical. De leur père ils ont hérité l’envie de se battre contre les injustices sociales. Ethel est aussi engagée dans la lutte pour le droit de vote pour les femmes.
Le comte Fitzherbert et sa soeur Maud sont les représentants de la haute société. Lui est très attaché aux traditions qui l’ont placé au dessus du petit peuple et mène dans sa propriété un train de vie tout à fait semblable à ce que j’ai vu dans la série Downton Abbey.
En Allemagne, Walter von Ulrich est un jeune diplomate qui tente de préserver la paix.
En Amérique, Gus Dewar travaille auprès du président Wilson. Lui aussi est un partisan de la paix. En 1916 il tente de négocier un cessez-le-feu mais la guerre a coûté tellement cher que les adversaires ne peuvent plus envisager de ne pas la mener jusqu’à la victoire.
En Russie, les frères Grigori et Lev Pechkov ont vu tout jeunes leur père pendu par le seigneur local pour avoir fait paturer ses bêtes sur un terrain en friche. Pour améliorer son sort dans un régime corrompu où les puissants ont tous les droits que choisir, l’émigration ou la révolution ?
Il n’y a pas de héros français alors qu’une partie du roman est consacrée aux combats sur le front français. On se bat donc entre Britanniques et Allemands, dans la Somme. La bataille de Verdun, les mutineries de 1917 sont évoquées en arrière plan.
Encore un pavé de 1000 pages mais qui se lit facilement grâce aux personnages qui sont généralement sympathiques, à leurs aventures croisées et à leurs histoires d’amour. J’apprends des choses sur l’entrée en guerre des Etats-Unis, sur les tentatives de négocier la paix avant 1918, sur les révolutions russes. J’apprécie mais je ne retrouve pas cependant le souffle qui habitait Les piliers de la terre. Je dirai que c’est gentil. Je lirai certainement la suite.
Maxim Leo est un journaliste allemand qui a vécu à Berlin-est jusqu’à la chute du mur. Il avait alors près de 20 ans. Dix ans plus tard son grand-père maternel, Gerhard Leo, est victime d’une attaque, il perd l’usage de la parole. Alors qu’il rend visite à l’hôpital à cet homme qui fut un apparatchik du régime est-allemand, Maxim est amené à s’interroger sur les relations de sa famille avec la RDA.
Les deux grands-pères de Maxim, Gerhard qui s’engagea à 19 ans dans la résistance française et Werner, ancien soldat de la wehrmacht, ont soutenu la fondation de la RDA. Les parents de l’auteur, Anne et Wolf, portent un regard plus critique sur leur patrie. Ce couple d’intellectuels n’hésite pas à discuter de ses doutes concernant le régime, Wolf de façon souvent virulente. Maxim quant à lui a su très tôt qu’il passerait un jour à l’Ouest et ne s’est pas senti de lien avec cet Etat-prison dans lequel il grandissait. Pas avant sa disparition, en tout cas :
« Ceux de l’Ouest commençaient déjà à me taper sur les nerfs. Ils parlaient de la RDA comme s’il s’agissait d’une zone touchée par une épidémie de choléra. On disait que nous étions corrompus par la dictature, que notre caractère était faible et notre formation insuffisante. Je prenais ça pour moi, ce qui me déstabilisait encore plus, moi qui voulais n’avoir jamais rien eu à faire avec la RDA. Mais il s’installa tout d’un coup, ce sentiment que je n’avais jamais éprouvé auparavant : ce « nous » qui avait eu tant de mal à me venir aux lèvres. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi proche de la RDA qu’après son naufrage. »
J’ai apprécié cet ouvrage que j’ai trouvé intéressant. D’abord pour la découverte des personnage qu’il présente, personnages qui ont été des acteurs de l’histoire du 20° siècle. Dagobert Lubinski, mort à Auschwitz, qui avait créé un parti communiste dissident, KPO, en 1928. Wilhelm Leo, avocat qui plaida contre Goebbels puis dut s’exiler en France. Gerhard le résistant et Werner le sympathisant des régimes autoritaires.
Ensuite pour le récit des derniers jours de la RDA. La fébrilité, l’excitation, l’attente qui ont agité les Berlinois dans les semaines qui ont précédé la chute du mur sont bien rendues. Je retrouve un peu de l’ambiance du film Good-bye Lénine.
Enfin parce que Maxim Leo brosse un portrait nuancé de ce qu’a pu être la vie d’une famille d’intellectuels dans l’ex-RDA et ses liens avec ce pays. Au moment de la chute du mur c’est Anne, la mère de l’auteur, adhérente du parti communiste depuis son adolescence, qui fait le plus facilement son deuil de la RDA tandis que Wolf est déstabilisé par l’arrivée de cette liberté qu’il attendait tant et vit aujourd’hui encore, d’une certaine façon, à l’Est.
Tout cela est écrit de façon très vivante, l’auteur raconte de nombreuses anecdotes de son enfance, la lecture est facile.
L’action se déroule entre 1327 et 1361 à Kingsbridge, sur les lieux mêmes où se déroulait celle des Piliers de la terre, environ 200 ans plus tôt. Un certains nombre de personnages sont des descendants de ceux du premier roman.
On suit les aventures de Merthin le Pontier. Descendant de Jack le Bâtisseur dont il a hérité la chevelure rousse, c’est lui-même un bâtisseur de génie qui doit batailler pour être accepté par la guilde des commerçants et artisans après avoir été renvoyé par son maître avant la fin de son apprentissage.
Merthin est amoureux de Caris, fille d’un marchand de laine. Caris est une jeune femme éprise de liberté qui hésite à épouser l’homme qu’elle aime de peur de perdre son indépendance. En fait, depuis la mort de sa mère, elle voudrait être médecin mais cette profession est réservée aux hommes qui savent quand même bien mieux qu’une femme saigner le malade. Sa volonté d’émancipation, sa lutte contre toutes les traditions aveugles, particulièrement l’autorité masculine, font de Caris le personnage central du roman et donnent à celui-ci une vraie coloration féministe.
Pour les aspects ruraux de la vie au 14° siècle il y a les serfs Gwenda et Wulfric aux prises avec leur seigneur Ralph Fitzgerald dont les occupations favorites sont de faire la guerre, se battre, chasser et violer ses paysannes -à peu près dans cet ordre.
Que d’aventures ! Les 1300 pages (!) de ce gros bouquin se lisent sans difficultés. Dans un premier temps cependant j’ai trouvé que Ken Follett se démarquait peu des Piliers de la terre. Des situations et des personnages m’ont semblé trop semblables à ceux du premier roman : Caris et Merthin ce sont Aliena et Jack ; le prieur Godwyn pour qui la gloire de dieu passe par sa propre élévation (qu’il est méprisable!) me fait penser à Waleran Bigot et le méchant seigneur Ralph Fitzgerald ressemble fort à William Hamleigh.
Puis le roi d’Angleterre s’en va guerroyer en France et on assiste à la bataille de Crécy dans laquelle la cavalerie française s’est jetée sur les archers anglais et s’est fait décimer. Intéressant.
Avec la grande épidémie de peste de 1348 on entre sur un terrain complètement nouveau et passionnant. Cette maladie pour laquelle on ne connaît qu’un seul remède : « Pars de bonne heure, parcours une longue route et ne reviens pas avant longtemps » (Pars vite et reviens tard, disait Fred Vargas) a tué près de la moitié de la population. L’auteur monter très bien comment cette hécatombe a bouleversé la société. Des survivants de tous leurs proches deviennent soudain riches par héritage. Des paysans profitent de la pénurie de bras pour discuter avec leur seigneur des conditions de travail plus avantageuses. On forme les prêtres en quelques mois, les médecins en trois ans au lieu de cinq.
Je n’ai abordé qu’une petite partie des péripéties auxquelles l’ouvrage convie le lecteur. Peu de risque qu’on s’y ennuie. En tout cas, moi, j’ai beaucoup aimé.
Alexeï Feodossievitch Vangengheim fut en 1929 le premier directeur du service hydro-météorologique d’URSS. En 1934 il est arrêté comme saboteur et condamné à l’internement au goulag. Il est détenu aux îles Solovki. Pendant sa détention il écrit régulièrement à sa femme et envoie à sa fille des dessins, devinettes ou petites leçons illustrées. C’est la découverte de cette correspondance qui a incité Olivier Rolin à enquêter sur Alexeï Feodossievitch Vangengheim.
Je découvre donc un personnage qui est un bon soviétique à tel point qu’il reste persuadé tout du long que son incarcération est une erreur. Il écrit à plusieurs reprises à Staline, convaincu que quand ce dernier aura connaissance de son cas il lui rendra justice. Ce comportement navre un peu l’auteur :
« Il n’est pas admirable et c’est peut-être ça qui est intéressant, c’est un type moyen, un communiste qui ne se pose pas de question, ou plutôt qui est obligé de commencer à s’en poser à présent, mais il a fallu qu’on lui fasse une violence extraordinaire, pour qu’il en vienne là, timidement. C’est un innocent moyen. Dreyfus aussi était décevant, paraît-il, d’une autre façon. « Parce qu’il a été condamné injustement, disait de lui Bernard Lazare (cité par Péguy), on lui demande tout, il faudrait qu’il ait toutes les vertus. Il est innocent, c’est déjà beaucoup. »
Vangengheim, lui, affecté au jardinage, organise les pierres sur ses plates-bandes pour dessiner des slogans à la gloire du communisme. Il s’occupe aussi à réaliser des mosaïques dont un petit portrait de Staline qu’il envoie à sa femme.
Le deuxième personnage que je découvre c’est Olivier Rolin. Je n’avais encore jamais rien lu de lui. Je comprends qu’il a cru à l’utopie communiste et qu’il en est revenu. Il est donc très sévère pour les crimes de Staline.
« L’histoire du météorologue, celle de tous les innocents exécutés au fond d’une fosse, sont une part de notre histoire dans la mesure où ce qui est massacré avec eux c’est une espérance que nous (nos parents, ceux qui nous ont précédés) avons partagée, une utopie dont nous avons cru, un moment au moins qu’elle « était en passe de devenir réalité ». Et l’ignominie est si grande qu’elle est massacrée sans retour. »
J’apprécie vraiment qu’il dise clairement ce qu’a été concrètement la Grande Terreur. L’ignominie ce sont des gens nus, entravés, abattus d’une balle dans la nuque dans une fosse commune. Les nazis ne se sont pas comportés différemment. Mais eux ils n’avaient pas promis à l’humanité un avenir radieux. J’ai aimé cet ouvrage qui est à la fois un livre d’histoire et une réflexion sur les retombées de cette histoire.
« On se prend à se demander ce qui se serait passé si la folie de Staline, décapitant toutes les élites du pays, scientifiques, techniques, intellectuelles, artistiques, militaires, décimant la paysannerie et jusqu’à ce prolétariat au nom de quoi tout se faisait, dont l’URSS était supposée être la patrie, n’avait pas substitué, comme ressort de la vie soviétique, la terreur à l’enthousiasme. L’introuvable « socialisme » que les « héros » s’imaginaient construire, et ceux aussi, comme Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, qui n’étaient pas des héros, seulement d’honnêtes citoyens soviétiques, aimant leur travail, pensant servir le peuple en le faisant avec compétence, peut-être aurait-il existé ? Peut-être se serait-il avéré un système infiniment préférable au capitalisme ? Peut-être le monde entier, à part quelques pays arriérés, serait-il devenu socialiste ? »
Quand le vieille cathédrale de Kingsbridge brûle en 1135, Tom le bâtisseur y voit la chance de sa vie : il va pouvoir réaliser son rêve de bâtir une cathédrale. Le prieur Philip, chef du prieuré de Kingsbridge accepte de l’engager, même si l’argent manque. Pour financer la construction Philip va devoir manoeuvrer contre de puissants opposants. L’évêque Waleran Bigot est un arriviste qui a pour ambition de s’élever aux plus hautes fonctions ecclésiastiques. La famille Hamleigh convoite le comté de Shiring. Le fils, William Hamleigh, est un jeune homme qui prend son plaisir en terrorisant, en brutalisant, en violant et en tuant. Pour une raison ou une autre la construction de la cathédrale contrecarre les projets de ces personnages peu regardants sur les moyens et qui vont tout faire pour la faire échouer.
En ce milieu du 12° siècle la situation politique troublée facilite les agissements de ceux qui ne s’embarrassent pas de scrupules. Une guerre civile a éclaté après la mort sans héritier mâle direct du roi Henry. Maud, fille légitime d’Henry s’est alliée à Gloucester, son demi-frère, bâtard du roi. Ils s’opposent à leur cousin Stephen. Selon que les combats avantagent l’un ou l’autre camp certaines alliances peuvent se révéler plus ou moins avantageuses et favoriser ou non la construction de la cathédrale. Ceux qui perdent presque à tous les coups ce sont les civils, surtout les plus pauvres, victimes des pillages et de la faim.
J’ai souvent vu le nom de Ken Follett dans la presse ces derniers temps à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage. C’était le moment de découvrir cet auteur dont on m’avait déjà dit qu’il devrait me plaire vu mon goût pour l’histoire. Et en effet je n’ai pas été déçue. Si ça n’est pas super bien écrit le livre est difficile à lâcher une fois commencé. Un véritable page turner ! Dès le début on a compris que ce sont les gentils qui vont gagner mais avant d’en arriver là, que de rebondissements ! C’est un vrai roman d’aventures. Les aspects historiques sont manifestement bien documentés. Il y a une « suite », Un monde sans fin, qui se déroule 200 ans plus tard et que j’ai prévu de lire prochainement.
En cherchant une image pour illustrer mon article j’ai découvert qu’une mini-série avait été tirée du roman. J’ai commencé à la regarder aussitôt après avoir fini ma lecture. Là je peux dire que j’ai été déçue. Je me doutais bien que pour faire entrer 1000 pages dans huit épisodes de 50 mn il allait falloir simplifier et raccourcir mais je découvre un scénario où de nombreux événements ont été dramatisés : des morts naturelles ou accidentelles transformées en meurtres, une mère autoritaire devenue incestueuse, les héros échappant à la mort de justesse. Je trouve que cela donne un résultat caricatural.
Après L’affaire de Road hill house, Kate Summerscale s’attaque à une autre affaire qui secoua la bonne société victorienne : le divorce d’Henry et Isabella Robinson. C’est une histoire vraie, ce n’est pas un roman.
En 1844 Isabella Walker, veuve avec un bébé, épouse l’ingénieur Henry Robinson. Elle ne l’aime pas mais il faut bien qu’elle se case, lui s’intéresse surtout à sa dot qui va lui permettre de développer son entreprise. Bien vite Isabella est insatisfaite et malheureuse. Elle s’intéresse à la littérature, à la médecine, sujets qui laissent froid Henry, de surcroit fréquemment absent pour affaires. A Edimbourg où la famille réside, Isabella fréquente les Lane. Edward Lane est un jeune médecin séduisant qui la fait fantasmer. Dans son journal intime elle rapporte leurs rencontres, leurs conversations, les rêves qu’elle fait de lui, ses espoirs que leur amitié évolue puis le premier baiser, la relation intime, enfin. Peu après Henry met la main sur ce journal et va s’en servir pour demander le divorce.
Dans la première partie de son étude Kate Summerscale introduit le lecteur auprès des intellectuels progressistes du milieu du 19° siècle. Dans l’entourage des Lane gravitent en effet Charles Darwin et George Combe, pionnier de la phrénologie en Grande-Bretagne. La phrénologie c’est cette tentative de déduire le caractère des gens d’après la forme de leur crâne. D’après ce que je comprends elle m’apparaît comme un premier pas vers la psychanalyse sauf que les phrénologues sont restés à la surface des choses, si je puis dire, tandis que Freud est allé à l’intérieur. La phrénologie en tout cas a fait perdre la foi à Isabella.
Dans une lettre à Combe elle explique que « les gens comme lui, qui ont accompli de grandes choses, ont la possibilité de « se consoler avec le sentiment de n’avoir pas vécu en vain », mais pour elle et d’innombrables autres femmes, « qui ne font qu’exister sans bruit, qui (pour certaines) élèvent une famille, suivant en cela l’exemple inutile de celles qui les ont précédées, quelle motivation, quelle espérance peut-on trouver, qui soient suffisamment puissantes pour leur permettre de faire face aux épreuves, aux séparations, au grand âge et à la mort même ? »
Malgré tout je constate que la phrénologie de Combe est entachée de préjugés sexistes et racistes. Il pense ainsi que l’amour de l’approbation, bien développé chez Isabella, est une faculté « souvent prononcée chez les femmes, les Français, les chiens, les mulets et les singes. »
Dans cette première partie on fait la connaissance d’un autre personnage fort intéressant. Il s’agit de George Drysdale, frère de Mme Lane. A l’âge de 15 ans ce pauvre garçon a découvert fortuitement la masturbation et se masturbe bientôt deux à trois fois par jour. Pour se débarrasser de son « vice » « il subit une série d’opérations destinées à lui cautériser le pénis -c’est-à-dire à en détruire les terminaisons nerveuses en introduisant dans l’urètre une fine tige métallique enduite d’une substance caustique. Il se soumit sept ou huit fois à cette intervention. » (Bien que n’étant pas équipée d’un pénis, j’en ai mal pour lui !) George consulte enfin le dr Claude François Lallemand, spécialiste français de la lutte contre l’onanisme qui lui suggère d’essayer le coït. Et ça fonctionne ! George étudie ensuite la médecine et publie des livres dans lesquels il préconise des relations sexuelles épanouissantes pour tous, hommes et femmes et donc l’usage de la contraception. Tout ceci avec pour objectif de lutter contre la masturbation, considérée comme une maladie mentale à cette époque. Encore une fois un mélange d’ouverture d’esprit bienvenue et de résidus du passé.
La deuxième partie présente le déroulement du procès en divorce intenté par Henry Robinson contre son épouse et qui a lieu en 1858. Henry attaque aussi Edward Lane à qui il demande des dommages et intérêts pour adultère. La principale preuve à chatge présentée et qui va être disséquée tout au long des audiences est le journal d’Isabella. Pour préserver la réputation d’Edward (à qui des maris confient leur femme en cure d’hydrothérapie) celle-ci et ses avocats adoptent la ligne de défense suivante : il ne s’est rien passé de répréhensible entre Edward et Isabella. Le récit qu’elle en fait dans son journal est entièrement fantasmé. Edward et ses soutiens vont s’engouffrer dans cette voie. La déchéance de Mrs Robinson est en marche. Tous ceux avec qui elle discutait littérature ou science, mais qui sont avant tout des amis d’Edward, vont avoir à coeur de se démarquer d’elle pour ne pas être entraînés dans sa chute. Il s’agit de prouver qu’elle est folle et qu’elle l’a toujours été.
« Chacune des actions de Mrs Robinson ne nous laisse le choix qu’entre deux conclusions (…) : ou bien elle est la créature la plus ignoble et débauchée qui revêtit jamais forme féminine, ou bien elle est folle. Dans l’un et l’autre cas, son témoignage est sans valeur. » cqfd ! L’hystérie, diagnostique fourre-tout, s’avère bien commode pour réduire au silence une femme qui a eu le culot de vouloir exprimer ses sentiments.
La femme adultère, tableau d’Augustus Leopold Egg, 1858
Cette femme intelligente est bafouée de façon scandaleuse. On vient au procès comme on irait au spectacle pour se repaître des « bonnes feuilles » du journal. Il y a là un mélange de voyeurisme et de pudibonderie très hypocrite. Cette société patriarcale qui réprouve tout ce qui peut s’apparenter à une volonté d’autonomie chez une femme est effrayée par celles qui, comme Isabella, n’apparaissent pas entièrement soumises à leur mari.
J’ai trouvé passionnant cet ouvrage qui aborde de nombreux sujets. Ce qui m’a le plus intéressée c’est tout ce qui concerne la sujétion des femmes mariées à leur époux (l’auteur cite aussi d’autres cas de divorces difficiles à cette époque) et les questions de sexualité. J’apprends qu’il y a controverse au sujet de l’usage du spéculum pour les consultations gynécologiques. Peu de médecins l’utilisent par crainte d’exciter leurs patientes qui bientôt ne pourraient plus s’en passer… Une information qui me remémore ma lecture du Choeur des femmes.
Kurt von Hammerstein était le chef d’état major général de la Reichswehr, comme on appelait encore l’armée allemande après la première guerre mondiale. Au début des années 1930 il est un des premiers opposants au nazisme. Il intervient dans l’espoir d’empêcher la nomination d’Hitler comme chancelier puis, en 1933, il demande sa mise à la retraite anticipée. Hans Magnus Enzensberger montre bien -notamment en produisant des documents- comment dès les premiers jours le caractère antidémocratique et agressif du régime nazi est affirmé. On voit mal comment quelqu’un qui était à un poste de responsabilité à cette époque-là aurait pu l’ignorer.
Retiré de l’armée Hammerstein se consacre à la chasse, une de ses activités favorites, et garde, jusqu’à sa mort de maladie en 1943- une grande liberté de parole, n’hésitant jamais à dire tout le mal qu’il pense des nazis. Ses nombreux enfants sont engagés eux aussi dans la résistance au régime. Les filles Marie-Luise et Helga sont des communistes qui travaillent pour les renseignements soviétiques. C’est l’occasion pour l’auteur d’évoquer les grandes purges des années 1936-38. Les garçons Kunrat et Ludwig sont plus ou moins engagés dans la tentative d’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944.
J’ai apprécié cette lecture qui m’a appris des choses sur les débuts du nazisme, la résistance dans l’armée allemande. Hans Magnus Enzensberger alterne les documents d’archives, ses commentaires et aussi des « conversations posthumes » imaginaires avec ses personnages principaux, ce qui rend la lecture vivante.