Ce roman nous raconte les histoires croisées d’Arthur Conan Doyle et de George Edalji. Le premier célèbre écrivain, le second malheureuse victime d’une erreur judiciaire, accusé à tort qui s’adresse à l’auteur de Sherlock Holmes pour lui demander de mener l’enquête.
Julian Barnes suit ses héros depuis leur enfance à la fin du 19° siècle jusqu’à la mort de Conan Doyle en 1930 en passant par les événements qui les ont réunis. Cela nous vaut une intéressante biographie d’Arthur qui apparaît comme un personnage fort sympathique. Médecin de formation , grand sportif, auteur, redresseur de torts et spirite convaincu à la fin de sa vie.
C’est le troisième livre que je lis récemment et qui parle de spiritisme. Il en était aussi question dans Southampton row de Anne Perry et dans Le chromosome de Calcutta de Amitav Gosh. Le spiritisme semble avoir été très à la mode en Angleterre à la fin du 19° siècle.
Arthur et George est un livre plaisant. Il y a de l’humour. Les personnages sont attachants et réfléchissent sur le monde qui les entoure.
Journaliste, Allemande, l’auteur avait une trentaine d’années au moment de la chute de Berlin à la fin de la deuxième guerre mondiale. Elle a tenu son journal de ces journées difficiles.
D’abord, alors que les Soviétiques sont aux portes de la ville, les Berlinois se terrent dans les caves par peur des bombardements. L’auteur qui loge sous les toits est hébergée par une veuve qui habite plus bas, ce qui lui permet de gagner rapidement la cave en cas d’alerte. Chacun a descendu avec soi ses objets les plus précieux. Quand on peut sortir on en profite pour faire la queue pour l’eau, pour la nourriture. Tous les efforts sont organisés dans l’optique de la survie.
Le 27 avril les premiers Soviétiques arrivent dans le quartier de l’auteur. Les bombardements sont terminés, les viols commencent. On estime à plus de 100 000 le nombre de Berlinoises victimes de viols en cette fin de guerre. Viols collectifs, viols à répétition, viols devenus presque banals puisque la première question entre deux femmes qui se rencontrent est à cette époque : « Alors, combien de fois? »
Aussi l’auteur du journal se met en quête d’un protecteur, un officier qui fera barrage aux autres hommes et qui l’approvisionnera en nourriture. Elle a des rudiments de Russe qui lui permettent de nouer des relations plus facilement avec les vainqueurs. Après le départ du premier officier, elle en recrute un deuxième.
A partir du 9 mai les Soviétiques quittent l’immeuble et l’auteur peut enfin dormir seule. A ce moment là elle est réquisitionnée, avec d’autres, pour participer à divers travaux : déblaiement des ruines, récupération de matériaux et de machines qui peuvent encore servir et qui sont expédiés vers l’URSS, lavage du linge de l’occupant… Petit à petit un rationnement se remet en place : on touche des tickets, on peut acheter de la nourriture. L’eau revient dans l’immeuble.
Le journal s’arrête le 22 juin, juste après le retour de Gerd qui fut le compagnon de l’auteur. Gerd qui ne comprend pas ce qu’elle a vécu en son absence et qui le lui reproche : « Vous êtes devenues aussi impudiques que des chiennes, toutes autant que vous êtes dans cette maison. (…) C’est épouvantable d’avoir à vous fréquenter. Vous avez perdu tout sens des normes et des convenances. »
Quand cet ouvrage est paru pour la première fois en Allemand, en 1957, il a suscité le même genre de réactions et l’auteur a été accusée d’immoralité éhontée. Ce qui a choqué, c’est la façon presque froide dont les faits sont racontés. L’auteur est un témoin qui ne cache rien : les compromissions et la lâcheté mais aussi la solidarité. Elle-même apparaît comme une personne qui réfléchit, prête à beaucoup pour survivre mais pas à n’importe quoi. Je la trouve admirable car très courageuse. Un document frappant qui me donne envie d’en lire plus sur ces événements.
Née le 25 décembre 1918 à Moscou, Nina Lougovskaïa a tenu un journal intime entre octobre 1932 et janvier 1937. Son père est un socialiste révolutionnaire inquiété par le régime de Staline. A partir de mars 1933 son passeport intérieur lui est retiré et il ne peut plus résider à Moscou ; en novembre 1935 il est arrêté ; le 4 janvier 1937 l’appartement familial est perquisitionné et le journal intime de Nina fait partie des objets confisqués à cette occasion. S’en suit l’arrestation de la mère et des trois filles et leur condamnation à cinq ans de goulag suivie de cinq ans d’assignation à résidence dans la Kolyma. Réhabilitée en 1963 pour « manque de preuves » Nina Lougovskaïa est devenue artiste peintre. Elle est morte en 1993. Son journal intime a été retrouvé après sa mort dans les archives du NKVD ouvertes au public après la chute de l’URSS. Il est un témoignage de la vie quotidienne d’une adolescente à Moscou, au milieu des années 30.
Tout d’abord, les préoccupations de Nina sont celles, intemporelles, de nombre d’adolescentes. Elle se trouve laide, voire repoussante et envie ses soeurs aînées et ses camarades de classe. Elles, sont si mignonnes, et bien dans leur peau, et à l’aise avec les garçons. Car Nina est obnubilée par les garçons. Tour à tour elle tombe amoureuse de plusieurs garçons de sa classe, elle a le béguin pour des étudiants, camarades de ses soeurs. Elle les observe, détaillant leurs attraits physiques et leur caractère. En classe elle fait circuler des petits mots en direction de ses amies pour échanger leurs opinions sur tel ou tel.
L’école est aussi un grand soucis de Nina. Elle n’a pas de très bons résultats, est âgée de deux ans de plus que ses camarades et cherche un moyen d’en finir au plus vite avec sa scolarité secondaire. Elle alterne les périodes de découragement où elle cesse d’aller en cours et les périodes d’enthousiasme où elle décide de travailler d’arrache-pied (bien souvent, semble-t-il, cela ne dépasse pas ce stade de la décision).
Cet aspect du journal est intéressant car il montre une permanence des sentiments de l’adolescence. De plus Nina écrit plutôt bien. Cependant, au bout d’un moment, j’ai commencé à trouver que cela devenait répétitif et lassant.
L’aspect le plus intéressant du journal, c’est celui qui attiré l’oeil de la police politique : des passages entiers en ont été soulignés par un inspecteur du NKVD et ont servi de preuves confirmant les opinions contre-révolutionnaires de Nina. Quand elle écrit au sujet de Staline : « J’ai rêvé à la façon dont je le tuerais, ce dictateur. Les promesses qu’il fait à la Russie, ce salaud, cette ordure, alors qu’il la mutile, ce vil Géorgien ! « On comprend qu’un régime totalitaire ne puisse pas laisser passer de tels propos. Mais est aussi retenu contre elle le fait qu’elle dise que, bien qu’ayant pitié d’eux, elle ne se sent aucun point commun avec le peuple et les masses ouvrières. Où les nombreux moments où elle pense plus ou moins sérieusement au suicide.
C’est au moment où le journal s’arrête, où sa vie va prendre un tour dramatique que j’aimerais le plus pouvoir suivre Nina dans sa déportation.
En Provence, à trois époques différentes, trois hommes assistent à la chute de leur civilisation. Manlius Hippomanes à la veille de la chute de l’empire romain, au moment où la Gaule est envahie par les barbares. Olivier de Noyen, au début du 14° siècle ravagé par la peste noire. Et Julien Barneuve en 1940, dans la France vaincue et occupée par les Allemands. A ces trois périodes les Juifs sont persécutés, jugés responsables des malheurs du temps. Face au triomphe de la barbarie et des instincts bestiaux comment l’intellectuel doit-il réagir ? Peut-on pactiser avec l’ennemi dans le but de le civiliser ? Ce sont les questions que se posent ces trois hommes et auxquelles ils répondent en s’engageant avec plus ou moins de succès.
Dans ce roman où Iain Pears entrelace les destins de ses trois personnages l’humour qui m’avait réjouie dans la série des aventures de Jonathan Argyll et Flavia di Stephano fait défaut. Il faut dire que le sujet s’y prête moins sans doute. Le résultat en est une lecture parfois un peu rébarbative. Il faut s’accrocher au début pour entrer dans l’action qui est rarement trépidante. Cependant j’ai apprécié la description des conditions de vie à la fin de l’empire romain. Iain Pears sait de quoi il parle et cela donne envie d’en apprendre plus sur cette époque.
La véritable histoire de la princesse de Kapurthala
1906 : le maharajah de Kapurthala, un état du nord de l’Inde, vient à Madrid pour y assister au mariage du roi Alphonse XIII. Dans un cabaret il remarque Anita Delgado Briones, une jeune danseuse de seize ans. Ebloui par sa beauté il commence une offensive de charme auprès de la famille à coup de cadeaux couteux. Les parents sont pauvres et se laissent impressionner, Anita est « vendue ». Elle même, intimidée par les attention d’un homme habitué à obtenir ce qu’il veut, de 18 ans son aîné, se convainc qu’elle est amoureuse.
Après un mariage civil rapide elle embarque pour l’Inde où elle va découvrir les quatre autres épouses de son mari et leurs enfants dont certains ont le même âge qu’elle. En plus de la jalousie des coépouses il lui faudra affronter le rejet du colonisateur britannique qui refuse de cautionner le mariage du rajah avec une Européenne. Anita est donc considérée comme une concubine et à peine tolérée aux réceptions officielles.
Petit à petit elle s’adapte cependant à cette vie globalement facile où elle joue le rôle de la favorite, évoluant dans un luxe inouï. En 1925 Anita quitte l’Inde de façon définitive, renvoyée par son mari à la suite d’un scandale.
A travers cette biographie Javier Moro retrace aussi l’histoire des derniers maharajah. Officiellement ils dirigent leurs états mais ceux-ci sont en fait des protectorats britanniques. Dépossédés de tout réel pouvoir ces princes immensément riches se consolent en menant un train de vie fastueux. Le mari d’Anita fait construire un château à la française sur ses terres. Eduqués dans des pensionnats anglais dès leur plus jeune âge ils se voient en despotes éclairés, capables de faire le lien entre l’orient et l’occident, d’apporter à leur peuple les bienfaits du 20° siècle mais ils continuent d’entretenir nombre d’épouses et de concubines dans la zenana.
Javier Moro évoque aussi les débuts de la colonisation britannique quand des Anglais, conquis par la civilisation indienne adoptaient les modes de vie locaux. A partir du début du 19° siècle les autorités britanniques mirent fin à ces pratiques, craignant qu’elles ne soient nuisibles à la consolidation de l’empire. Alors Indiens et Anglais ne se fréquentèrent plus que de loin. C’est intéressant et cela donne envie d’en savoir plus sur cette période. L’ensemble se lit facilement.