Le témoignage exceptionnel d’une jeune autiste
Donna Williams (1963-2017) était une écrivaine et artiste australienne porteuse d’autisme. Dès sa petite enfance la communication avec les autres la fait souffrir et ses parents la croient d’abord sourde. Elle est confiée à ses grands-parents jusqu’à la mort du grand-père. De retour dans sa famille elle est maltraitée par sa mère et son frère aîné : battue, traitée de tarée. Pour s’exprimer elle invente des personnages dont elle joue le rôle : Carol, une fille évaporée et expansive, et Willie, un garçon rationnel et responsable. Ces alias lui servent d’interface avec le monde mais coupent aussi la vraie Donna de la réalité. Elle vit des épisodes de dissociation. A la lecture j’ai l’impression qu’elle n’est pas loin de la folie à plusieurs moments.
A l’adolescence Donna Williams est déscolarisée, couche souvent à la rue, se met en couple avec des marginaux qui l’utilisent comme esclave sexuelle et domestique et lui volent son argent. C’est la rencontre avec une psy qui s’intéresse à elle, Mary, qui lui permet de commencer à aller mieux. La découverte à 25 ans qu’elle est autiste est un deuxième moment important.
Dans ce récit autobiographique, Donna Williams raconte de l’intérieur ce que c’est que d’être une autiste. Elle insiste sur le fait que les mauvais traitements dont elle a été victime dans son enfance ne sont en rien responsables de son autisme. Une préface du docteur Lawrence Bartak, psychologue australien, va dans le même sens. Je trouve cela intéressant parce que c’est un livre qui est paru en 1992 -et sorti en France la même année- à une époque où, dans notre pays, on accusait encore, il me semble, les mères d’être responsables de l’autisme de leurs enfants.
J’ai trouvé ce texte impressionnant. L’autrice fait preuve d’une grande intelligence et capacité d’analyse. Elle m’apparaît comme une femme remarquable et courageuse.
Edith Sheffer, Les enfants d’Asperger, Champs
Le dossier noir des origines de l’autisme
Après que son fils ait été diagnostiqué autiste, l’historienne étasunienne Edith Sheffer s’est intéressée à la personne du docteur Asperger (1906-1980). le résultat est ce passionnant ouvrage qui traite de l’Autriche pendant la période nazie (Asperger était Autrichien), de la pédopsychiatrie en Autriche à la même époque, de l’assassinat des enfants handicapés en Autriche sous le III° Reich, de la place et du rôle que Hans Asperger y a joué.
L’Autriche nazie : Avant même l’Anschluss, beaucoup d’Autrichiens espéraient le rattachement de leur pays à l’Allemagne. Les chars allemands franchissant la frontière en 1938 furent accueillis par des foules en liesse. Les nazis autrichiens déchantent cependant rapidement car les meilleures places dans l’administration sont prises par des Allemands. A Vienne les violences contre les Juifs prennent une forme particulièrement brutale. Plus tard les Autrichiens ont joué un rôle important dans les massacres de masse. Je découvre ceci.
La pédopsychiatrie en Autriche pendant la période nazie : A partir de 1934, des médecins autrichiens commencent à émigrer pour des raisons raciales ou politiques. Après l’Anschluss, d’autres sont interdits d’exercer. Au total deux-tiers des médecins de Vienne, 70 % des pédiatres, trois-quart des psychiatres et psychanalystes perdent leur poste. Ceux qui restent -comme Asperger- profitent de promotions rapides.
Les nazis veulent forger un homme nouveau. Pour cela les enfants sont embrigadés dans des organisations de jeunesse (Jeunesses hitlériennes). On attend d’eux qu’ils participent aux activités avec entrain, qu’ils y montrent leur attachement à faire partie du Volk -peuple allemand. Ce sentiment social est appelé Gemüt. Les enfants qui n’obéissent pas aux consignes, qui embêtent leurs camarades, sont supposés manquer de Gemüt. Les psychiatres nazis sont chargés de diagnostiquer pourquoi. Les causes peuvent être extérieures : l’enfant vient d’une famille qui connaît des difficultés sociales. Dans ce cas il peut être rééduqué en étant envoyé en maison de correction, plus tard en camps de concentration si cela ne suffit pas. Les causes peuvent aussi être intérieures : l’enfant est handicapé, souffre de « psychopathie autistique », il est inéducable. Mais Asperger remarque que certains de ces enfants sont supérieurement intelligents alors que d’autres sont idiots. Les capacités des premiers peuvent être utiles au Reich tandis que les seconds doivent être éliminés pour le bien du Volk, de leurs parents et même le leur.
L’autrice présente le III° Reich comme le « régime du diagnostic » : l’État nazi a trié la population en catégories et a basé ses persécutions et assassinats sur ce tri. Le régime nazi a entrepris de ficher ses citoyens. C’est l’inventaire héréditaire qui croise les données des livrets ouvrier et de santé, des recensements, des dossiers médicaux transmis par les hôpitaux… Des millions de personnes ont ainsi été répertoriées (et tout ça sans l’internet!). Ce sont aussi des choses que je découvre.
L’assassinat des enfants handicapés : J’ai déjà dit plus haut que, pour les nazis, il convient de protéger le Volk des enfants manquant de Gemüt. A Vienne ces derniers sont envoyés à Spiegelgrund, un hôpital qui sert à la fois de maison de redressement et de centre de mise à mort. 789 enfants y ont été assassinés ce qui en fait le deuxième plus grand centre de mise à mort d’enfants du Reich. Il ne s’agit pas d’une mort rapide. Les enfants sont victimes de mauvais traitements, de malnutrition et d’injections qui les affaiblissent et entraînent leur mort -qui est bien le but recherché. Des « expériences médicales » sont menées sur eux. Les enfants internés dans la partie maison de correction sont victimes de mauvais traitements qui s’apparentent à de la torture, incités à être « volontaires » pour la stérilisation, menacés d’être envoyés au pavillon 15 -pavillon de la mort. Des témoignages d’anciens pensionnaires survivants montrent les traumatismes profonds qui en ont résulté. Ce n’est que dans les années 1990 que leurs souffrances ont été reconnues. La violence qui s’est déchaînée au Spiegelgrund est telle que des passages sont douloureux à lire, d’autant plus que l’autrice a eu accès à des dossiers médicaux de victimes et nous en présente quelques unes dans leur individualité.
Et le docteur Asperger, dans tout ça ? Il apparaît comme un médecin qui a profité de la conjoncture de l’éviction des Juifs pour arriver à un niveau de responsabilités qu’il n’aurait sans doute pas atteint dans des circonstances normales. S’il n’a pas participé directement à la mise à mort, il ne pouvait pas ignorer ce qu’il advenait des enfants qu’il envoyait à Spiegelgrund. Ses diagnostics apparaissent comme entachés de préjugés sociaux et sexistes et il est beaucoup plus indulgent avec les enfants d’origine bourgeoise et les garçons qu’avec les enfants d’ouvriers ou les filles. Je suis particulièrement choquée par la façon dont les filles sont discriminées. Edith Sheffer nous présente les cas de plusieurs adolescents et adolescentes, jeunes patients du docteur Asperger aux mêmes symptômes et les analyses de celui-ci. Le fait qu’un garçon utilise un vocabulaire recherché ou invente des mots est la preuve d’une grande intelligence et d’une vive imagination. Quand c’est une fille qui fait la même chose, il s’agit d’une affectation maniérée qui empêche son intégration au Volk. L’intelligence des garçons étant bien supérieure à celle des filles -surtout après la puberté de ces dernières, à cause des cycles menstruels-, et les autistes étant supérieurement intelligents, les filles ne peuvent pas être autistes.
« La personnalité autistique est une variante extrême de l’intelligence masculine ». Hans Asperger
C’est peu de dire que la lecture de cet ouvrage m’a rendu le docteur Asperger antipathique.
A la fin de la guerre Asperger, qui n’a jamais adhéré au parti nazi, est épargné par la dénazification -peu virulente en Autriche- et poursuit sa carrière.
A partir de 1981, le nom de « syndrome d’Asperger » s’impose petit à petit pour désigner un trouble du spectre autistique. L’autrice présente les erreurs d’interprétation qui ont conduit à cet honneur immérité.
J’ai trouvé la lecture de cet ouvrage fort intéressante. Edith Sheffer a mené une étude large où Asperger n’est qu’un personnage parmi d’autres ce qui fait que j’ai appris des choses sur le nazisme, particulièrement en Autriche. J’ai apprécié que l’autrice nuance son jugement, tente de comprendre ce qui avait motivé les agissements d’Asperger sans jamais faire preuve d’indulgence face à sa responsabilité dans un crime de masse.
Bernhard Schlink, Olga, Gallimard
Née à la fin du 19° siècle, orpheline toute petite, Olga a été élevée en Poméranie par une grand-mère qui ne l’aimait pas. Elle se lie d’amitié avec Herbert, le fils des riches propriétaires voisins, une relation qui évolue en amour quand les jeunes gens grandissent. Tandis qu’Olga se bat pour devenir institutrice, Herbert rêve de participer à l’élan expansionniste de l’Allemagne. Il combat dans la guerre contre les Herero (1904), voyage puis décide de rallier le pôle nord. Le personnage d’Herbert est inspiré d’Herbert Schröder-Stranz. Cette première partie court jusqu’au début des années 1950 quand, installée dans la région du Rhin, devenue sourde, retraitée de l’enseignement, Olga fait des travaux de couture dans la famille d’un pasteur pour arrondir ses fins de mois. Le style en est descriptif, sans fioritures et m’a semblé parfois un peu plat.
La deuxième partie est le récit par Ferdinand, le fils du pasteur chez qui Olga travaille, de sa relation avec celle-ci. Devenu vieux le narrateur raconte cette amitié précieuse qui a duré jusqu’à la mort d’Olga, une femme qui savait écouter malgré -ou peut-être du fait même de- sa surdité. J’ai trouvé cette deuxième partie touchante. Il me semble que les sentiments de Ferdinand, enfant, adolescent puis jeune adulte, pour Olga sont bien décrits.
La dernière partie laisse enfin la parole à Olga à travers des lettres écrites à Herbert. Alors, ce personnage qui pouvait paraître effacé jusqu’à là prend de l’envergure en faisant entendre sa voix propre. Elle est portée par son amour pour Herbert qui l’a accompagné toute sa vie.
J’ai lu rapidement ce roman dont j’ai particulièrement apprécié la construction intelligente.
L’avis d’Eva.
Je participe au mois des Feuilles allemandes organisé par Et si on bouquinait un peu et Livr’escapades.