Dans ce récit Taslima Nasreen nous raconte son enfance entre la fin des années 60 et le début des années 70. Avant et après la guerre d’indépendance du Bangladesh en 1971 jusqu’en 1975, au moment de l’assassinat du président du pays, le cheikh Mujibur Rahman.
Taslima Nasreen grandit entre un père médecin, très autoritaire, qui entend que ses quatre enfants étudient et réussissent bien à l’école pour lui faire honneur et une mère qui se console des infidélités de son mari en se jetant à corps perdu dans la religion. Pour cette femme tombée sous la coupe d’un pîr (un saint homme) qui se conduit comme un chef de secte, les études ne servent qu’à attacher au monde périssable alors que le seul comportement raisonnable devrait être de préparer son passage dans l’au-delà par une pratique religieuse assidue. Entre les injonctions contradictoires de son père et de sa mère la jeune Nasreen cherche tous les espaces de liberté possibles, trouvant refuge dans la littérature et la poésie.
C’est une enfant introvertie et timide qui observe le monde qui l’entoure. Elle est prompte à relever les contradictions entre les paroles et les actes, particulièrement en ce qui concerne la religion. Elle repère rapidement les pratiques hypocrites, destinées avant tout à impressionner l’entourage. Elle interroge souvent sa mère à ce sujet ce qui lui vaut d’être qualifiée de démon et d’impie.
J’ai beaucoup apprécié ce récit. A travers son histoire Taslima Nasreen nous présente un panorama de la société bengalie d’il y a 35 ans.
C’est une société violente où les conflits se règlent par les coups. Les victimes en sont généralement les plus faibles : femmes, enfants, domestiques. Nasreen et ses frères et soeurs sont souvent battus par des parents qui les utilisent comme intermédiaires pour régler leurs différends. On entend parler de femmes tuées par leurs maris sans que ceux-ci semblent le moins du monde inquiétés.
C’est une société où les femmes sont soumises par l’islam et par les traditions régionales. Les mariages de fillettes sont arrangés alors qu’elles sont à l’école et le lendemain elles s’en vont vivre dans la famille de leur mari :
« Maman avait encore l’âge de jouer à la poupée quand on la maria à mon père, sans lui demander son avis. Au début, il lui arrivait d’insister auprès de son mari pour qu’il l’emmène à la fête foraine, faire des tours de manège, acheter des poupées, justement. Mais ces goûts enfantins durent bientôt lui passer lorsqu’elle se retrouva, vite fait, mère d’un petit garçon, tout en chair et en os. »
En fait, pour une jeune femme, le mariage est une union avec ses beaux-parents plutôt qu’avec son mari. C’est le beau-père qui choisit sa bru et qu’elle soit jeune permet à la belle-famille de terminer son éducation et de la façonner à sa guise. On voit ainsi la tante de l’auteur, jeune fille enjouée, devenir une dévote voilée après son mariage avec le fils du pîr.
Nasreen échappe au mariage précoce parce que son père veut qu’un de ses enfants soit médecin et que ses deux frères aînés ont échoué dans cette voie.
C’est une société encore pleine de superstitions et de croyances dans des forces mauvaises :
« Si une fille était mordue par un chien, la mère de Grand-mère, notre arrière-grand-mère maternelle, connaissait un médicament pour éviter que la victime ne tombe enceinte de chiots. On le préparait en introduisant dans une banane d’une qualité particulière quelque chose de mystérieux qui ressemblait à un piment rond. Pour assurer l’efficacité de ce médicament dont la fabrication demeurait secrète, il ne fallait pas manger une autre de ce genre de banane pendant trois mois. On était ainsi assuré de ne pas mettre bas une portée de chiots. On venait souvent demander à notre arrière-grand-mère de préparer cette concoction. »
L’imagination vive de Nasreen est fortement impressionnée par les histoires de fantômes et de djinns qu’elle entend et qui la font trembler de peur.
Le récit se termine en 1975 qui correspond pour l’auteur à l’époque de ses premières règles. J’aimerais beaucoup lire la suite de son autobiographie.
Colum McCann, Zoli, Belfond
Zoli est une Tzigane de Tchécoslovaquie. Dans les années 30 sa famille a été massacrée par une milice fasciste et Zoli a ensuite été élevée par son grand-père. Celui-ci lui apprend à lire puis l’envoie à l’école. Elle doit cacher ses connaissances car frayer ainsi avec les gadze est très mal vu parmi les Tziganes. Elle-même sent que ce savoir la rend impure. Zoli a un don apprécié de tous : elle met en chansons la vie et les sentiments de son peuple.
Après la seconde guerre mondiale Zoli a une vingtaine d’années. Elle est dénichée par l’éditeur Martin Stransky qui veut publier ses oeuvres. Dans l’enthousiasme de la victoire et de l’avènement du communisme les Roms sont des citoyens à intégrer et Zoli un symbole des nouveaux lendemains où les masses prolétariennes accéderont à l’instruction. Elle fait la connaissance de Stephen Swann. Fils d’une mère irlandaise et d’un père slovaque l’Anglais est traducteur pour Stransky. Zoli et Stephen vont s’aimer. Il est attiré par son entrain et sa liberté, elle est plus partagée, craignant toujours le jugement de son peuple. Finalement elle souhaite s’éloigner de lui et lui, ne pouvant la retenir, va la couper de tout ce qui était sa vie.
J’ai moyennement apprécié ce roman. J’ai mieux aimé la fin, l’exil de Zoli et les péripéties qui lui permettent de rebondir et de se reconstruire. J’ai trouvé que Colum McCann montrait bien à la fois la liberté des Tziganes, détachés de tout lien matériel et au contraire l’enfermement que peuvent être des traditions trop rigides. Alors pourquoi ça ne m’a pas convaincue ? Difficile à dire et je me torture pour écrire ce billet. Le style est travaillé mais m’a parfois semblé un peu artificiel.
Anonyme, Une femme à Berlin, Gallimard
Journal, 20 avril-22 juin 1945
Journaliste, Allemande, l’auteur avait une trentaine d’années au moment de la chute de Berlin à la fin de la deuxième guerre mondiale. Elle a tenu son journal de ces journées difficiles.
D’abord, alors que les Soviétiques sont aux portes de la ville, les Berlinois se terrent dans les caves par peur des bombardements. L’auteur qui loge sous les toits est hébergée par une veuve qui habite plus bas, ce qui lui permet de gagner rapidement la cave en cas d’alerte. Chacun a descendu avec soi ses objets les plus précieux. Quand on peut sortir on en profite pour faire la queue pour l’eau, pour la nourriture. Tous les efforts sont organisés dans l’optique de la survie.
Le 27 avril les premiers Soviétiques arrivent dans le quartier de l’auteur. Les bombardements sont terminés, les viols commencent. On estime à plus de 100 000 le nombre de Berlinoises victimes de viols en cette fin de guerre. Viols collectifs, viols à répétition, viols devenus presque banals puisque la première question entre deux femmes qui se rencontrent est à cette époque : « Alors, combien de fois? »
Aussi l’auteur du journal se met en quête d’un protecteur, un officier qui fera barrage aux autres hommes et qui l’approvisionnera en nourriture. Elle a des rudiments de Russe qui lui permettent de nouer des relations plus facilement avec les vainqueurs. Après le départ du premier officier, elle en recrute un deuxième.
A partir du 9 mai les Soviétiques quittent l’immeuble et l’auteur peut enfin dormir seule. A ce moment là elle est réquisitionnée, avec d’autres, pour participer à divers travaux : déblaiement des ruines, récupération de matériaux et de machines qui peuvent encore servir et qui sont expédiés vers l’URSS, lavage du linge de l’occupant…
Petit à petit un rationnement se remet en place : on touche des tickets, on peut acheter de la nourriture. L’eau revient dans l’immeuble.
Le journal s’arrête le 22 juin, juste après le retour de Gerd qui fut le compagnon de l’auteur. Gerd qui ne comprend pas ce qu’elle a vécu en son absence et qui le lui reproche : « Vous êtes devenues aussi impudiques que des chiennes, toutes autant que vous êtes dans cette maison. (…) C’est épouvantable d’avoir à vous fréquenter. Vous avez perdu tout sens des normes et des convenances. »
Quand cet ouvrage est paru pour la première fois en Allemand, en 1957, il a suscité le même genre de réactions et l’auteur a été accusée d’immoralité éhontée. Ce qui a choqué, c’est la façon presque froide dont les faits sont racontés. L’auteur est un témoin qui ne cache rien : les compromissions et la lâcheté mais aussi la solidarité. Elle-même apparaît comme une personne qui réfléchit, prête à beaucoup pour survivre mais pas à n’importe quoi. Je la trouve admirable car très courageuse. Un document frappant qui me donne envie d’en lire plus sur ces événements.
Michel de Grèce, La femme sacrée, Pocket
En 1843, Lakshmi, rani de Jansi, devient veuve. Elle choisit alord d’assurer le gouvernement de ce petit état du nord de l’Inde en place de son fils adoptif Damodar, encore trop jeune. Mais les autorités anglaises qui gèrent le pays décident de la destituer et de gouverner directement Jansi et elle doit s’incliner.
En 1857 éclate la révolte des cipayes. Pour les Indiens c’est leur première guerre d’indépendance. Des souverains indiens spoliés de leurs trônes s’unissent contre le colonisateur. Ils reçoivent le soutien de cipayes, soldats indiens engagés du côté anglais. On vient en effet de distribuer à ces hommes de nouvelles cartouches dans lesquelles ils doivent mordre avant de les utiliser. Or le bruit court que ces cartouches contiennent de la graisse de porc, impure pour les musulmans et de vache, sacrée pour les hindous. Ces rumeurs (qui arrivent fort à propos) entraînent la révolte des cipayes.
A Jansi ou vit une petite communauté britannique, Lakshmi, contactée par les chefs rebelles, refuse d’abord de s’engager mais les circonstances vont peu à peu l’y contraindre. Quand les Anglais de Jansi sont massacrés malgré ses tentatives pour les sauver elle est désignée comme responsable et doit entrer dans la lutte pour empêcher des représailles sanglantes.
C’est cette histoire d’une femme luttant jusqu’au bout pour l’indépendance de son peuple que nous raconte Michel de Grèce. Son livre est écrit à la façon d’un roman avec description des lieux et des sentiments « comme si on y était ». Ce que j’ai à reprocher à ces descriptions c’est le style trop souvent cliché : un soldat à la fruste imagination, des espions à l’air inquiétant…
Mais à côté de cela Michel de Grèce a fait un bon travail de documentation sur un sujet sur lequel on aura un peu de mal à trouver des sources en Français. Il utilise notamment des lettres d’un soldat anglais, Roderick Briggs, qui a participé à la guerre contre la rani et dont il nous donne de longs passages, faisant de la troisième partie de son livre la plus intéressante à mon avis. Il montre bien les analyses différentes de la situation, du côté anglais et du côté indien et on comprend pourquoi, hélas, les Indiens ne pouvaient pas gagner.
Cet ouvrage est à lire, pourquoi pas, en parallèle du visionage du film The rising: ballad of Mangal Pandey, sur le même sujet. Un film de Ketan Mehta.
Mangal Pandey (Aamir Khan dans le film) est un symbole, un des premiers cipayes à s’être révolté contre les Anglais. Il est présenté dans La femme sacrée :
« A Barackpur, près de Calcutta, un cipaye du 34° régiment d’infanterie indigène, nommé Mangal Pandé, était apparu un après-midi au milieu du cantonnement militaire dans un état d’excitation voisin de la folie, criant à ses camarades de se soulever contre les Anglais au nom de leur religion. Il avait abattu un sergent-major accouru pour l’arrêter et blessé deux officiers qui tentaient de le désarmer. Les cipayes, malgré les ordres, avaient refusé de porter la main sur ce brahmane de la plus haute caste. Le général Hearsey, commandant de la garnison, avait alors pris avec lui des soldats anglais et était arrivé à cheval au milieu du groupe de cipayes qui entouraient Mangal Pandé, toujours hurlant et levant ses mains rouges du sang anglais. Sur le point d’être arrêté, il avait retourné son arme contre lui-même et avait essayé de se tuer, ne réussissant qu’à se blesser. Les cipayes s’étaient alors dispersés. Mangal Pandé avait été traduit en cour martiale. »
Le film lui, présente Mangal Pandey comme un héros et non pas comme un forcené. Il raconte l’histoire de l’amitié entre Mangal Pandey et William Gordon, un officier britannique. Quand les cartouches incriminées arrivent au cantonnement Mangal est le seul à accepter de les utiliser, William lui ayant affirmé qu’elles ne contiennent pas de graisse animale. Il est convaincu ensuite du contraire et les deux hommes se retrouvent opposés. Mangal devient le leader de la révolte des cipayes de Barackpur.
La partie musicale du film est en partie assurée par un groupe de chanteurs ambulants qui se déplace à dos d’éléphant, rythmant la vie des habitants de Barackpur. les scènes de foule (kermesse du village, fête de holi) sont animées et colorées.
Lavanya Sankaran, Le tapis rouge, Mercure de France
Dans ce recueil de huit nouvelles nous rencontrons la bourgeoisie de Bangalore. Bangalore est connue comme la Silicon valley indienne. Là vivent des jeunes gens issus de familles riches ou plus moyennes mais qui ont pu leur payer des études aux Etats-Unis. Ils sont informaticiens, sortent avec leurs amis, boivent et fument. Ils sont tiraillés entre leur désir de modernité et la tradition à laquelle les rattachent leurs parents.
Dans Alphabet, Priyamvada une jeune fille élevée aux Etats-unis retourne en Inde pour la première fois depuis son enfance alors qu’elle a une vingtaine d’années. C’est l’occasion pour elle de réviser ses idées reçues sur le pays de ses parents et d’enfin comprendre les choix de son père.
Café de Mysore nous raconte un épisode important de la vie de Sita. Profondément perturbée depuis son enfance par le suicide de son père, Sita est une jeune femme introvertie, brillante professionnellement mais n’osant pas se mettre en avant. La trahison d’un collègue la décide enfin à ne plus se laisser marcher sur les pieds.
Tara, l’héroïne de Birdie num-num, est revenue en Inde, chez ses parents pour les besoins de ses études. A 27 ans elle se sent bien éloignée des préoccupations de sa mère qui a hâte de la marier. Les relations sont tendues entre les deux femmes qui se retrouveront pourtant autour d’un sari dans un chassé-croisé des générations :
« Tara enlève son jean, et sa mère drape le sari autour d’elle et entre ses jambes, et pour finir arrange le thaleippu, le bout décoratif, autour de sa taille. Sa longue chevelure est ramenée en arrière et nouée prestement sur sa nuque. Elle s’approche lentement du miroir en pied, la réticence le disputant à la curiosité en elle.
Soixante-dix années se sont volatilisées, et elle contemple fascinée son reflet. Elle a été métamorphosée en sa grand-mère.
Sa paati, dans tout l’éclat de sa jeunesse et pleine de vie, lui sourit gaiement dans le miroir.
Et derrière elle, sa mère, sa fille, sourit aussi. »
C’est finement observé et bien écrit. On est souvent à la croisée entre l’envie d’aller de l’avant et la nostalgie du passé. Il y a aussi de l’humour. Lavanya Sankaran jette un regard tendre sur ses personnages.
Radhika Jha, L’odeur, Picquier
D’origine indienne Lîla est née et a grandi au Kenya. Quand le père de famille est tué, victime d’une émeute, la famille doit se disperser. Sa mère et ses deux jeunes frères sont accueillis chez un parent en Grande-Bretagne. Quant à Lîla, âgée de 18 ans, elle est envoyée chez le frère de son père, en banlieue parisienne.
Une période difficile commence alors pour Lîla. Sur le chemin de l’émancipation elle doit couper les liens avec sa famille, son oncle et sa tante qui l’utilisent comme domestique, sa mère qui l’oublie pour se remarier. Elle découvre l’attrait qu’elle exerce sur les hommes, des hommes pas toujours désintéressés.
Sa particularité est d’avoir un odorat particulièrement développé. Cette faculté est une bénédiction ou une malédiction. Bénédiction quand elle se met à la cuisine car les épices et les ingrédients lui parlent par l’odeur et elle sait sans goûter ce qu’il faut pour obtenir le plat parfait.
Malédiction dans ses périodes difficiles car alors elle ne peut littéralement plus se sentir. Elle a l’impression qu’elle pue et que tout le monde s’éloigne d’elle, dégoûté par cette odeur infecte :
« Mon odeur de pourri m’enrobe comme un linceul et fermente avec suavité. Je décide que mon corps pue plus fort qu’une benne à ordures. A l’inverse du camion à ciel ouvert où s’accrochent chaque jour les éboueurs, mon odeur reste bouclée à l’intérieur, en un lieu privé d’air et de lumière et filtre par tous mes pores comme un redoutable déchet chimique auquel personne ne veut toucher. Je sens ses relents d’épices tout autour de moi, agglutinés à l’air humide, et la puanteur d’aliments pourris s’accentue chaque fois que je prends une inspiration. »
Il faudra à Lîla rencontrer enfin des personnes qui l’apprécient pour elle-même pour comprendre que cette puanteur n’était qu’une barrière qu’elle érigeait entre elle et le monde et accepter de prendre en main sa vie.
Je pense que L’odeur retranscrit bien les sentiments et l’état d’esprit dans lequel peut se trouver une jeune fille de 18 ans, livrée à elle-même dans un pays étranger. Radhika Jha montre bien la difficulté d’accéder à l’indépendance quand on n’est pas entouré par des personnes bienveillantes.
Javier Moro, Une passion indienne, Robert Laffont
La véritable histoire de la princesse de Kapurthala
1906 : le maharajah de Kapurthala, un état du nord de l’Inde, vient à Madrid pour y assister au mariage du roi Alphonse XIII. Dans un cabaret il remarque Anita Delgado Briones, une jeune danseuse de seize ans. Ebloui par sa beauté il commence une offensive de charme auprès de la famille à coup de cadeaux couteux. Les parents sont pauvres et se laissent impressionner, Anita est « vendue ». Elle même, intimidée par les attention d’un homme habitué à obtenir ce qu’il veut, de 18 ans son aîné, se convainc qu’elle est amoureuse.
Après un mariage civil rapide elle embarque pour l’Inde où elle va découvrir les quatre autres épouses de son mari et leurs enfants dont certains ont le même âge qu’elle. En plus de la jalousie des coépouses il lui faudra affronter le rejet du colonisateur britannique qui refuse de cautionner le mariage du rajah avec une Européenne. Anita est donc considérée comme une concubine et à peine tolérée aux réceptions officielles.
Petit à petit elle s’adapte cependant à cette vie globalement facile où elle joue le rôle de la favorite, évoluant dans un luxe inouï. En 1925 Anita quitte l’Inde de façon définitive, renvoyée par son mari à la suite d’un scandale.
A travers cette biographie Javier Moro retrace aussi l’histoire des derniers maharajah. Officiellement ils dirigent leurs états mais ceux-ci sont en fait des protectorats britanniques. Dépossédés de tout réel pouvoir ces princes immensément riches se consolent en menant un train de vie fastueux. Le mari d’Anita fait construire un château à la française sur ses terres. Eduqués dans des pensionnats anglais dès leur plus jeune âge ils se voient en despotes éclairés, capables de faire le lien entre l’orient et l’occident, d’apporter à leur peuple les bienfaits du 20° siècle mais ils continuent d’entretenir nombre d’épouses et de concubines dans la zenana.
Javier Moro évoque aussi les débuts de la colonisation britannique quand des Anglais, conquis par la civilisation indienne adoptaient les modes de vie locaux. A partir du début du 19° siècle les autorités britanniques mirent fin à ces pratiques, craignant qu’elles ne soient nuisibles à la consolidation de l’empire. Alors Indiens et Anglais ne se fréquentèrent plus que de loin.
C’est intéressant et cela donne envie d’en savoir plus sur cette période.
L’ensemble se lit facilement.
Irshad Manji, Musulmane mais libre, Le livre de poche
D’origine indienne, Irshad Manji est née en Ouganda et vit au Canada depuis sa petite enfance. Elle est musulmane et elle est lesbienne. Irshad Manji se pose de nombreuses questions sur sa religion et elle y apporte des réponses qui sont tout sauf stéréotypées.
Dans ce livre elle s’adresse aux musulmans et aux autres pour les amener à s’interroger sur l’islam d’aujourd’hui.
L’islam est-il compatible avec la démocratie et les droits de l’homme (droits des femmes, droits des minorités religieuses, droits des homosexuels) ? Pour répondre à cette question elle remonte à l’époque de l’islam éclairé et ouvert entre 750 et 1250. Qu’est ce qui a ensuite mal tourné, pourquoi les musulmans ont-ils cessé de penser ? Pour elle c’est le début des défaites militaires qui a entraîné un repli sur soi comme système de défense.
Une partie de l’ouvrage est consacrée à la naissance de l’état d’Israël et au sort du peuple palestinien. Irshad Manji rappelle qu’Israël est la seule démocratie de la région et que les états arabes ont fait beaucoup pour le malheur des Palestiniens. Comme tout le reste, ceci est solidement étayé par des arguments et des exemples.
Irshad Manji questionne aussi la place de l’Arabie Saoudite dans la doctrine musulmane contemporaine. Elle critique cet islam arabe qui a imposé ses vues obscurantistes et appelle les musulmans non-arabes (notamment asiatiques) à s’en détacher.
Pour terminer, l’auteur explore les pistes qui pourraient permettre à l’islam d’évoluer positivement. Son idée est que la réforme doit passer par les femmes et une amélioration de leur statut économique. En leur concédant des micro-crédits on leur permettrait de monter de petites entreprises. La prise de responsabilités et l’autonomie dans la sphère économique entraineraient automatiquement la même chose dans la sphère privée et religieuse.
Un très bon ouvrage dont les thèses m’ont convaincues. L’ensemble est très bien documenté, érudit sans en avoir l’air. Le style est vif et percutant, servant parfaitement le propos. Une femme de caractère et de convictions. Ca décoiffe et c’est plutôt réjouissant. Chapeau, Mme Manji !
Siri Hustvedt, L’envoûtement de Lily Dahl, Babel
Lily Dahl a 19 ans et vit à Webster, une bourgade du Minnesota. Lily est serveuse à l’Idéal-Café et met de l’argent de côté pour pouvoir se payer des études. Elle est attirée par le théâtre et répète « Le songe d’une nuit d’été » dans la troupe locale d’amateurs. C’est par ce biais qu’elle se lie d’amitié avec Mabel, sa voisine, professeur à la retraite qui lui propose de l’aider à apprendre son rôle.
Dans l’hôtel en face de chez Lily est installé Edouard Shapiro, un peintre new-yorkais venu à Webster pour y réaliser une série de tableaux. Lily se sent attirée par cet homme. Elle le séduit et ils entament une liaison.
A l’Idéal-Café Lily sert leur petit déjeuner aux frères Bodler, Franck la Crasse et Dick le Sale, des ferrailleurs et à Martin Petersen, un garçon de son âge qui a été un ami d’enfance. Martin est affecté de bégaiement, c’est un solitaire au comportement parfois étrange. Martin s’est vu attribuer le petit rôle de Toile d’Araignée dans « Le songe d’une nuit d’été ».
Dans cette petite ville où tout le monde se connaît et s’observe voilà que se déroulent des événements étranges: plusieurs personnes affirment avoir vu un homme portant une femme inanimée, morte ? Selon certains témoins l’homme serait Martin Petersen ou… Jessie James et la femme Lily Dahl elle-même.
Les relations que Lily Dahl noue avec les diverses personnes qui traversent sa vie l’aident peu à peu à trouver sa voie. A travers une galerie de portraits pittoresques Siri Hustvedt nous raconte ici les quelques mois pendant lesquels une jeune fille encore hésitante devient une femme qui trouve l’envie et la force de vivre ses désirs pour elle-même. C’est bien fait et plutôt plaisant à lire.
Anita Nair, Compartiment pour dames, Picquier
Le père d’Akhila est mort quand elle avait 19 ans. Fille aînée elle a du travailler pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle a sacrifié sa jeunesse pour les siens et tout le monde a trouvé cela normal. Le temps a passé. Ses frères et sa soeur se sont mariés et Akhila est restée célibataire. Sa mère est morte à son tour mais Akhila est restée akka, la soeur aînée dévouée dont la personnalité s’est effacée derrière ce rôle. Aucun de ses proches n’imagine qu’elle puisse avoir des désirs propres et elle-même semble l’avoir presque oublié.
Cependant, à 45 ans, Akhila commence à se lasser de cette place que les circonstances lui ont assignée et se pose des questions sur son avenir : va-t-elle continuer à nier ce qu’elle ressent ou va-t-elle enfin exister pour elle-même ? Elle a besoin de temps pour y réfléchir et décide de partir en voyage. Elle prend un billet de train pour Kanyakumari, à l’extrémité sud de l’Inde, là où trois mers se rencontrent. L’océan indien, la baie du Bengale et la mer d’Arabie. Elle réserve une couchette dans un compartiment pour dames.
Elle se retrouve là avec cinq autres femmes avec qui elle va passer la nuit et à qui elle pose la question qui la taraude : une femme peut-elle vivre sans homme ?
Pour répondre à la question, chacune de ces femmes va raconter sa propre histoire. Akhila puisera dans ces itinéraires la force de faire un choix personnel.
Il y a Janaki, une dame d’un certain âge que son mari a toujours entourée et traitée comme si elle était incapable de se débrouiller seule. Elle l’a d’abord accepté comme quelque chose de normal, puis cela lui est devenu insuportable, enfin elle s’est aperçue qu’elle aimait son mari.
Il y a Sheela, 14 ans, qui a accompli le dernier voeux de sa grand-mère mourante, malgré la désaprobation de sa famille.
Il y a Margaret qui a trouvé comment neutraliser son mari, directeur d’école autoritariste qui traumatisait ses élèves avec ses punitions sadiques.
Il y a Prabha Devi. Epouse parfaite et mère modèle elle a oublié qu’elle était aussi une femme. A 40 ans elle décide de s’accorder un peu de temps et d’apprendre à nager.
Enfin il y a Marikolanthu. Mère célibataire à la suite d’un viol il lui a fallu de nombreuses années avant de surmonter son traumatisme et d’accepter son fils.
Un bien bon roman. Il est écrit dans un style simple et plein d’heureuses trouvailles. Les récits de ses compagnes font revenir à la mémoire d’Akhila des épisodes de sa propre vie et la narration alterne histoires des unes et souvenirs de l’autre. Bien sur les vies de ces femmes sont influencées par le poids de la société traditionnelle indienne mais leurs aspirations sont universelles. Ce roman nous invite à nous pencher sur une question qui concerne chacun d’entre nous : comment être maître de son destin ?