Urvashi Butalia est une féministe indienne. Elle a fondé une maison d’édition qui publie des livres écrits par des femmes et sur les femmes. Dans cet ouvrage elle étudie la Partition (la séparation de l’Inde et du Pakistan au moment de l’indépendance, en 1947) du point de vue de ceux que l’histoire a souvent oubliés, les femmes, les enfants et les intouchables. La façon dont la Partition a été organisée administrativement (armée, administration) est présentée et ses conséquences sur les populations étudiées illustrées par des témoignages recueillis par l’auteur.
La Partition a provoqué le plus grand déplacement de population de l’histoire, environ 12 millions de personnes, hindous et sikhs quittant le Pakistan pour l’Inde, musulmans quittant l’Inde pour le Pakistan. On estime à un million le nombre de victimes à cause des massacres inter-religieux mais aussi de malnutrition ou de maladie.
75 000 femmes auraient été enlevées et violées. Pour les rechercher les deux pays ont mis en place des équipes chargées de les ramener auprès de leurs familles. Il a fallu d’abord définir quelles femmes étaient concernées : toute femme qui, à partir de mars 1947, vit avec un homme de l’autre religion. Dans ce cas là on ne leur demande pas ce qu’elles souhaitent, elles sont ramenées dans leur pays alors que leurs familles n’acceptent pas toujours de les reprendre. Si elles ont eu des enfants, la situation se complique encore.
Urvashi Butalia montre aussi que, contrairement à une idée répandue, les exactions n’ont pas tant été le fait d’inconnus des victimes mais plutôt de proches, de voisins, voire même de membres de leur famille. Pour les protéger de la conversion forcée, beaucoup de femmes et d’enfants sont tués par leur propre famille. Chez les sikhs ils sont considérés comme des martyrs. Aujourd’hui ces histoires sont encore citées en exemple et les exécuteurs respectés.
A travers tous ces exemples, l’auteure mène aussi une réflexion sur la mémoire de la Partition en Inde. Elle a jusqu’à présent été peu entretenue et au moment où Urvashi Butalia mène ses entretiens on lui demande souvent pourquoi elle le fait et quel intérêt ça présente. Elle-même ne s’est vraiment intéressée à la question qu’après l’assassinat d’Indira Gandhi en 1984 qui a provoqué des pogroms anti-sikhs (elle est à moitié sikhe) qui ont fait remonter chez beaucoup des souvenirs de la Partition.
J’ai trouvé tout cela passionnant et intelligemment mené. Les traumatismes de la Partition sont régulièrement évoqués dans les romans qui se déroulent dans l’Inde contemporaine, j’ai donc apprécié d’en apprendre plus sur le sujet.
Baby Halder, Une vie moins ordinaire, Picquier
Dans Une vie moins ordinaire, Baby Halder raconte son histoire, celle d’une jeune femme indienne d’origine modeste. Son enfance a été courte et difficile. Le père était absent de longues périodes pour son travail. Au début il envoyait des nouvelles et de l’argent puis le courrier se tarissait. Il revenait, il repartait. La mère tenait à ce que ses enfants aillent à l’école et Baby suivit à peu près sa scolarité primaire. Finalement, ne supportant plus sa vie, la mère abandonna le domicile familial en emmenant son plus jeune fils.
A partir de ce moment-là, sa soeur aînée étant mariée, Baby dut s’occuper de la maison. Elle-même fut mariée à 13 ans à un homme qui en avait 26.
A 14 ans elle met au monde son premier enfant. Son mari ne lui parle pas, la bat quand il n’est pas content. Heureusement elle peut compter sur l’amitié d’une voisine qui la soutient et la conseille dans la tenue de son ménage. Des fois elle s’échappe pour aller jouer avec les enfants du coin. Cela surprend les voisins mais ils ont aussi conscience qu’elle n’est encore qu’une enfant et le père est critiqué pour l’avoir mariée si jeune :
« Tu as fait comme tu as voulu et à présent, qui est-ce qui est obligé de supporter les conséquences de tes actes ? Ce n’est pas toi mais cette pauvre enfant ! De toute façon, il n’y a plus rien à faire maintenant, tu n’as plus qu’à renvoyer ta fille chez elle. »
Ce qui m’a frappée c’est la façon dont tout le monde se mêle des affaires des autres et ne se gêne pas pour faire savoir son opinion, commente, critique. Mais finalement, tout cela débouche souvent sur le constat que c’est le destin, il n’y a rien à faire.
Quand la vie avec son mari est trop dure Baby vient souffler quelque temps chez son père mais elle s’entend mal avec celui-ci et sa belle-mère et fini donc par retourner chez elle.
Un beau jour elle quitte définitivement son mari, emmenant avec elle ses trois enfants. Elle s’installe à Delhi où elle travaille comme domestique chez des riches familles. Elle est d’abord exploitée avant d’entrer au service d’un vieux professeur qui la traite comme sa fille, l’incite à lire, la pousse à écrire son histoire.
L’éditeur nous assure que son livre est aujourd’hui un best-seller en Inde. Quant à moi, je l’ai trouvé passionant. Il montre bien la vie de famille, les relations sociales dans une petite ville. Le contrôle des comportements par les proches entraîne une solidarité avec celui qui est victime mais aussi une pression à se conformer à la norme. Baby Halder a choisi de se sortir de ces relations qui engluent et de prendre sa vie en main. C’est une femme courageuse.
Jane Austen, Mansfield Park, 10-18
Fille aînée d’une famille nombreuse et pauvre Fanny Price a été élevée depuis l’âge de dix ans par ses tante et oncle lady et sir Thomas Bertram dans leur propriété de Mansfield Park. Elle a grandi près de ses cousins, les deux aînés Tom et Edmond, déjà jeunes gens quand elle est arrivée chez eux et leurs soeurs Maria et Julia, à peine plus âgées qu’elle mais qui l’ont toujours traitée comme une parente pauvre. En fait seul Edmond s’est intéressé à Fanny, l’a consolée au moment où sa famille lui manquait et est devenu son ami et son confident. Avec l’âge les sentiments que Fanny ressent pour lui sont de plus en plus tendres.
Fanny a dix-huit ans. Chacun s’est habitué à sa discrétion, sa grande réserve, voire son excessive timidité. Elle sert de dame de compagnie à sa tante, une femme indolente qui ne quitte guère son sofa. Le départ de sir Thomas à Antigua pour affaires, l’arrivée concomitante dans le voisinage de Mary et Henry Crawford, une soeur et un frère en recherche de plaisirs faciles, vont changer beaucoup de choses.
La relecture de Mansfield Park m’a réjouie. On y retrouve tout ce qui, pour moi, fait le plaisir à lire Jane Austen. L’histoire se déroule dans le milieu de l’aristocratie campagnarde. Ses occupations simples -promenades, lectures, travaux d’aiguille pour les dames- sont opposées aux divertissements légèrement scandaleux des adeptes de la Saison en Ville personnifiés par les Crawford et Tom Bertram. Quel remue-ménage quand jeunes gens et jeunes filles décident de monter une pièce de théâtre à Mansfield. Seule Fanny reste ferme dans ses convictions, consciente jusqu’à la fin que tout ceci n’est pas convenable.
Si la morale est nettement datée, je ne m’ennuie pas un instant car Jane Austen excelle à analyser en profondeur la psychologie de ses personnages. Le fond des sentiments quant à lui (l’amour basé sur des valeurs communes) est intemporel. Le tout est fait avec beaucoup d’humour fin, les travers de chacun sont épinglés. La tante Norris par exemple, femme mesquine, est un bon élément comique, si bien observé.
Mansfield Park adapté à l’écran :
Un film de Patricia Rozema avec Frances O’Connor dans le rôle de Fanny.
C’est après m’être procurée cette adaptation (en Anglais, sous-titrée de même) que j’ai eu envie de revenir à l’original. Dans ce film Fanny est beaucoup moins introvertie que dans le livre. Son personnage est en partie inspiré de la biographie de Jane Austen. Je peux concevoir que sa personnalité très réservée, qui ne laisse voir aucun des sentiments qui l’habitent, soit difficile à porter à l’écran. Par contre ce que je trouve moins juste c’est quand le film lui fait accepter la demande en mariage de Crawford pour changer d’avis le lendemain. Il me semble que ce n’est pas du tout le genre de Fanny.
Puis le film modifie d’autres personnages d’une façon qui n’ajoute rien d’indispensable à l’histoire voire apporte un brin d’anachronisme. Lady Bertram devient une droguée à l’opium, son fils Tom un malheureux artiste traumatisé par la conduite brutale de son père à l’égard de ses esclaves. Il y a là une dénonciation de l’esclavage, Fanny apparaît comme une abolitionniste alors que dans le roman elle ne fait que poser des questions sur le commerce des esclaves comme elle en poserait, semble-t-il, sur celui de n’importe quelle autre denrée. Il y a eu une volonté de moderniser les idées et les comportements comme si le spectateur ne pouvait pas comprendre qu’on pense et qu’on agit différemment à deux siècles d’écart. Enfin la tante Norris a quasiment disparu et tout cela rend le film beaucoup moins drôle que le livre.
J’ai ensuite mis la main sur cette autre version : un film de Iain Mac Donald avec Billie Piper dans le rôle de Fanny. Ici Fanny est encore une jeune fille enjouée qui court et rit mais on est néanmoins beaucoup plus proche de la version originale.
Ce que j’ai apprécié : le caractère intéressé des Crawford est bien montré par les conversations entre le frère et la soeur et Hayley Atwell est une Mary Crawford piquante et mignonne ; la tante Norris est parfaitement aigrie et méchante ; les jeux de regards entre les personnages.
Ce que j’ai moins aimé : une traduction française acrobatique qui fait dire à Mary Crawford quelque chose comme : « Avec lequel d’entre vous aurai-je le plaisir de faire l’amour ? » (ça ne devrait pas être plutôt « faire la cour » ? ou dans la traduction de 10-18 : « Quel gentleman parmi vous aurai-je le bonheur d’aimer ?« ) ; Billie Piper a un visage trop volontaire pour le rôle, ce me semble. Et un ensemble qui manque un peu d’épaisseur. Je ne suis pas persuadée que quelqu’un qui découvrirait Mansfield Park avec ce film aurait envie de lire le livre.
Du fait du caractère de son héroïne Mansfield Park est sans doute une oeuvre difficile à adapter à l’écran et je n’ai guère été convaincue par ces deux versions.
Zoyâ Pirzâd, On s’y fera, Le livre de poche
A Téhéran, de nos jours, Arezou, femme divorcée de 41 ans, tente de survivre entre sa mère et sa fille tout en dirigeant son agence immobilière. La vie n’est pas toujours facile pour Arezou. Sa mère et sa fille lui reprochent toutes les deux son divorce. En ce qui concerne la mère, on comprend vite que cette femme n’aime qu’elle même, qu’elle n’a jamais aimé sa fille et que toutes les occasions sont bonnes pour déprécier cette dernière. La vieille femme utilise donc la fille d’Arezou, Ayeh, comme un instrument de destruction, elle joue la fille contre la mère.
Ayeh, quant à elle, jeune fille de 19 ans, étudiante à l’université, est en pleine crise d’adolescence, se conduisant comme une gamine de 15 ans, voire de 12. Le fait, à son âge, de vivre encore avec sa mère, de devoir lui demander son autorisation pour sortir avec des amis, ne l’aide certes pas à s’autonomiser. Malgré les exigences injustes de ces deux femmes égoïstes Arezou tente toujours de leur complaire, ce qui m’a parfois un peu agacée. En même temps j’ai conscience d’être injuste à son égard car je comprends que le rejet de sa mère n’a pas contribué à lui donner de l’assurance.
Heureusement, dans le cadre professionnel, Arezou peut compter sur Shirine, sa collaboratrice et meilleure amie, pour lui remonter le moral. Enfin, jusqu’au moment où Arezou commence à fréquenter Sohrab. Après l’avoir encouragée dans cette voie, Shirine va montrer quelle est sa conception de l’amitié.
Voilà un roman que je n’ai pas apprécié. Les personnages ne sont pas sympathiques (à part Sohrab, par contre lui, c’est l’homme parfait). Les dialogues -qui constituent l’essentiel de la narration- m’ont souvent semblé décousus. L’analyse psychologique est plutôt juste mais au total j’ai trouvé cette lecture un peu ennuyeuse.
De l’Iran contemporain on apprend que les apparences y comptent beaucoup. Le fait qu’Arezou ait un amant est finalement mieux accepté par son entourage que l’éventualité de son remariage (on ne pourrait plus, alors, faire comme si on ne savait pas).
D. H. Lawrence, L’amant de lady Chatterley, Folio
En 1917, à l’occasion d’une permission, Clifford Chatterley a épousé Constance. Ils ont connu une semaine de lune de miel puis il est reparti à la guerre. Moins d’un an plus tard il en revient grièvement blessé, paralysé de la moitié inférieure du corps. Clifford et Constance s’installent à Wragby, demeure familiale des Chatterley, située dans les Midlands, près de Sheffield. C’est une région industrielle, les Chatterley sont propriétaires de mines de charbon, depuis leur domaine on voit le puits de mine et les maisons des mineurs, on sent l’odeur du charbon qui brûle en permanence.
Dans ce cadre peu réjouissant Constance se fait la garde-malade de Clifford. Ils font chambre à part et la seule intimité physique qu’ils ont c’est quand elle le lave. Certes il est impuissant mais on pourrait imaginer une tendresse et un contact autre que directement sexuel. Cela n’existe pas entre eux. Ce que j’ai compris c’est que Clifford est naturellement peu chaleureux et que même s’il n’avait pas été blessé il n’aurait pas été très proche de sa femme. Celle-ci tombe petit à petit dans la dépression et dépérit. Quand sa soeur s’en aperçoit elle oblige Clifford à prendre une infirmière à domicile, Mrs Bolton, qui va aussi se charger de requinquer Constance. Elle la pousse à sortir prendre l’air, à se promener dans le bois qui entoure la maison. C’est ainsi que Constance rencontre Olivier Mellors, le garde-chasse de son mari, dont elle devient la maîtresse.
Voilà un livre où il ne se passe pas grand chose. Le but de Lawrence c’est de disserter sur le monde moderne et sur les relations entre hommes et femmes.
Le monde moderne : Lawrence déplore l’industrialisation croissante des campagnes anglaises. Dans le même temps les hommes sont de plus en plus attachés à l’argent. En gagner plus devient le but de la vie. Ce qui fait le malheur des ouvriers, pense Olivier Mellors, c’est qu’ils sont attachés à satisfaire des besoins artificiels. S’ils pouvaient se contenter de vivre selon la nature, ils s’apercevraient qu’ils sont beaucoup plus riches qu’ils ne croient. Et il imagine une société utopique dans laquelle les hommes porteraient des pantalons rouges moulants qui leur rappelleraient les vraies valeurs (!)
J’ai été surprise de découvrir la description d’une société qu’on peut déjà, par certains aspects, qualifier de société de consommation. Dans la préface il est dit qu’en 1930 il n’y avait plus que 5% d’actifs dans l’agriculture en Grande-Bretagne. En France on a du arriver à ce chiffre à la fin des années 1980. C’est cet aspect du roman qui m’a le plus intéressée.
Les relations entre hommes et femmes (le sexe) : Lawrence reproche aux femmes modernes de vouloir se donner du plaisir par elles-mêmes en étant actives pendant l’acte sexuel. C’était le travers de Constance (elle a eu d’autres amants avant Mellors). Mais avec lui (qui est un vrai homme, pas domestiqué) elle découvre qu’en se laissant faire, en abandonnant toute volonté, elle retourne à l’état de nature et atteint à une jouissance supérieure. Je ne suis pas d’accord avec Lawrence et je me demande de quelle autorité il vient nous faire des leçons sur le plaisir féminin. On en apprend beaucoup moins sur le plaisir masculin.
Au total un roman qui adopte un point de vue réactionnaire, glorifiant un mythique passé, forcément supérieur au temps présent; peu d’action; des théories fumeuses assénées sans nuances. Et pourtant ça m’a pris ! J’ai apprécié le témoignage sur une société en pleine mutation. Il montre très bien aussi à quel point la première guerre mondiale a traumatisé toute une génération.
Fethiye Cetin, Le livre de ma grand-mère, L’aube
Alors qu’elle était déjà adulte, Fethiye Cetin a découvert que sa grand-mère était une rescapée du génocide des Arméniens. Quand elle était petite elle a été enlevée, lors d’une marche de la mort, par un gendarme turc à qui elle avait plu. Il n’avait pas d’enfant et l’éleva comme sa fille. Sa femme par contre la considérait comme une servante. Elle changea de nom, de religion et épousa plus tard un neveu de ses parents adoptifs.
Ce livre est un hommage de Fethiye Cetin à une grand-mère dont elle était très proche, qui l’a en partie élevée après la mort de son père. Il est fait des souvenirs que cette femme avait tus et qu’elle a commencé à raconter à sa petite-fille peu avant sa mort. Ce sont souvent des impressions, des images de la vie quotidienne qui essaient de redonner corps à ce qui a disparu. Cela m’a fait penser à des choses que j’ai lu sur la vie des Juifs en Europe centrale avant la seconde guerre mondiale.
Aujourd’hui en Turquie, un certain nombre de personnes découvrent, comme Fethiye Cetin, leurs origines arméniennes au moment où les derniers survivants disparaissent. De ce fait Le livre de ma grand-mère a eu un succès inattendu dans ce pays.
Bulbul Sharma, La colère des aubergines, Picquier
Les nouvelles qui constituent ce volume tournent toutes autour de la cuisine et par ce biais nous racontent des histoires de familles et plus particulièrement de femmes indiennes, cuisinières des festins qui nous sont décrits. Car les occasions sont nombreuses de nourrir son entourage, pour marquer son affection ou pour s’attirer des faveurs.
J’ai bien aimé L’épreuve du train. Une fois par an, Gopal emmène sa mère, sa femme et sa fille en pèlerinage. Le voyage en train est un calvaire pour lui. Il imagine tout ce qui pourrait arriver à ces trois femmes qui profitent de leur unique sortie en discutant avec des inconnus et en échangeant avec eux des victuailles : puri, curry de pommes-de-terre, pickle de mangues, paratha, pakora, kachori…
Dans Mes sacrées tantes de la même auteure il y a aussi une nouvelle qui se déroule dans un train et où on retrouve un peu la même ambiance de libération féminine.
Chaque nouvelle est suivie de recettes. J’en ai testé une que je pensais mettre ici mais le résultat n’est pas à la hauteur de mes attentes donc je m’abstiens. Il faudrait essayer encore mais il fait un peu chaud pour se mettre aux fourneaux.
C’est un joli prénom Bulbul, ça veut dire rossignol.
Monica Ali, Sept mers et treize rivières, Belfond
Née au Bangladesh, Nazneen a été mariée à 18 ans par son père avec un émigré installé à Londres. Elle a quitté son pays. Son mari a 40 ans. Il est gentil mais pas très enthousiasmant. Il est velléitaire, parle beaucoup, fait des leçons et ne s’inquiète pas de savoir si Nazneen l’écoute ou a quelque chose à dire. Il ne veut pas qu’elle sorte alors elle reste seule à s’occuper de son intérieur : « En dix-huit années d’existence, elle n’avait pratiquement jamais passé un moment toute seule. Jusqu’à ce qu’elle se marie. Et vienne à Londres pour rester assise jour après jour dans cette grande boîte pleine de meubles à épousseter, résonnant des bruits assourdis d’autres vies calfeutrées au-dessus, au-dessous et autour d’elle. »
Le temps passe. Nazneen fait connaissance avec d’autres Bangalies dans sa cité de Brick lane. Elle devient amie avec Razia. Surtout elle vit par procuration à travers les lettres qu’elle reçoit de sa soeur cadette Hasina, restée au pays. A 16 ans Hasina a fuit sa famille et fait un mariage d’amour contre l’avis de son père. Puis elle a quitté son mari qui la battait. Depuis elle a connu des moments très difficiles mais elle survit, continuant de se battre, d’avancer et d’écrire à sa soeur, seul membre de la famille avec qui elle reste en contact.
Et puis Shahana, la fille aînée de Nazneen, devient adolescente. Elle se révolte contre son père et ses leçons, elle veut porter des vêtements à la mode.
Et puis Chanu, le mari de Nazneen, lui achète une machine à coudre pour qu’elle puisse travailler dans la confection à domicile. Et un nouveau personnage entre dans sa vie, Karim, l’intermédiaire qui apporte et vient rechercher les pièces.
Et puis Chanu parle de plus en plus sérieusement de retourner au Bangladesh.
Tout cela va pousser finalement Nazneen à prendre elle-même les décisions la concernant.
« Ce qu’on ne peut pas changer doit être enduré. Et comme rien ne pouvait être changé, il fallait tout endurer. »
Voilà comment vit Nazneen et j’ai trouvé que la lecture était comme sa vie : assez ennuyeuse. Comme elle j’attendais les lettres de Hasina qui apportaient un peu de mouvement. J’ai tenu jusqu’à la fin parce que je voulais savoir ce qu’il advenait des personnages mais je n’ai pas beaucoup apprécié et parfois j’ai lu en diagonale.
Bulbul Sharma, Mes sacrées tantes, Picquier
Les huit nouvelles qui composent ce recueil se déroulent dans l’Inde de la première moitié du 20° siècle. Elles mettent en scène des femmes mariées dans l’enfance et des tyrans domestiques (mari ou belle-mère) qui imposent leur vision du monde étriquée à leur entourage. Les personnages partent en voyage. Voyage choisi ou voyage subi il va leur permettre de découvrir de nouveaux horizons. Parfois les opprimés s’échappent ou reviennent moins dociles. Parfois les oppresseurs s’adoucissent.
Tout cela a l’air très sympathique et pourtant je n’ai que moyennement apprécié cette lecture. Il me semble que l’auteur s’est un peu trop attachée à la description des événements et n’a pas assez fouillé la psychologie des personnages. Il y a parfois des péripéties qui se succèdent sans que j’aie bien compris en quoi elles servaient le propos. Reste que le format de nouvelles plutôt courtes fait que cela se lit assez bien.
Viramma, Josiane et Jean-Luc Racine, Une vie paria, Plon
Viramma est une paysanne de la caste des Paraiyar (mot qui a donné paria en Français), une caste d’intouchables du sud de l’Inde. Elle vit dans un village du Tamil-Nadu, près de Pondichéry.
Josiane Racine est originaire de Pondichéry. Sa langue maternelle est le Tamoul et elle a fait ses études en France. A l’occasion de recherches en ethnomusicologie elle a fait la connaissance de Viramma et l’a interrogée sur sa vie. Les entretiens courent sur une dizaine d’années et donnent ce gros pavé de plus de 600 pages publié en 1994. Mais en fait près d’un tiers du livre consiste en notes et appendices.
Une confiance s’est créée entre Josiane Racine et Viramma qui lui raconte tous les aspects de sa vie laborieuse. Une enfance joyeuse mais de courte durée. Viramma est mariée encore enfant avec un homme adulte qu’elle ne découvre que le jour du mariage. Après la cérémonie la fillette reste vivre chez ses parents jusqu’à sa puberté deux ans plus tard qui marque le début de sa vie de couple. Les premiers temps sont difficiles pour cette adolescente, hier encore une enfant, qui doit maintenant tenir le foyer de son mari et coucher avec lui. Cependant comme il est doux et cherche à se la gagner en lui offrant de petits cadeaux elle s’attache progressivement à lui et leur union est suivie d’une période de lune de miel.
Les Paraiyar sont des paysans sans terre qui travaillent pour les plus hautes castes. La belle-famille de Viramma est ainsi attachée à une famille de propriétaires terriens. Ils travaillent pour eux dans les champs et à la maison et leurs doivent révérence. En échange les patrons ont une sorte de devoir de ré-embauche et participent aux évènements importants de la vie de leurs employés : dons et prêts pour les mariages, les enterrements… En même temps ces prêts lient les deux parties car les Paraiyar sont toujours débiteurs vis à vis des patrons.
Le travail est pénible et ne manque pas. Viramma et sa famille s’en sortent toujours de justesse. Le moindre imprévu -maladie qui réduit le nombre de bras- risque de les obliger à se serrer la ceinture.
Viramma a eu 12 enfants, trois ont atteint l’âge adulte. Elle vit dans un monde inquiétant où chaque décès ou maladie est attribué à un mauvais sort, esprit ou démon. Il faut alors s’adresser à un exorciste, porter des amulettes, faire des offrandes au dieu. C’est beaucoup d’argent pour des gens démunis qui part dans ces désenvoûtements.
Viramma a totalement intériorisé son statut d’inférieure. Elle répète à plusieurs reprises qu’elle est impure. Elle dit qu’il est normal que les Paraiyar travaillent et que les patrons commandent. Chacun doit rester à sa place. Cependant elle n’est pas non plus dans la flagornerie ni prête à se laisser marcher sur les pieds et quand des membres des hautes castes abusent de leur pouvoir elle le leur dit en langage cru. C’est une femme qui n’a pas sa langue dans sa poche. Le récit montre aussi que les choses sont en train de changer. Sous l’influence de partis politiques qui défendent les intouchables, les jeunes -dont Anbin, le fils de Viramma- commencent à refuser la servitude traditionnelle.
Malgré sa vie difficile Viramma apparaît comme une femme enjouée qui ne se laisse jamais abattre. Elle a reçu une petite formation d’accoucheuse et semble un pilier du céri, le quartier des intouchables. C’est une forte personnalité qui force l’admiration.
La lecture est parfois un peu fastidieuse (j’ai trouvé long tout ce qui concernait l’énumération des différents exorcismes) mais intéressante pour ce qu’elle montre de la vie rurale, des relations complexes entre les castes et de la solidarité des exclus.