Luce Rostoll est née en Algérie, près d’Oran, en 1952. Elle a grandit dans l’enceinte de l’hôpital d’une petite ville de l’Oranie dont son père était directeur. Son enfance coïncide avec les années de la guerre d’Algérie. Ses parents, d’origine espagnole, sont des amis des Algériens et refusent d’être assimilés aux colons dominateurs. Ils pensaient rester en Algérie après l’indépendance mais doivent finalement quitter le pays dans l’urgence.
Luce Rostoll raconte les souvenirs de cette enfance algérienne. Le soleil et la mer, la beauté des paysages. Le personnel de l’hôpital : Bagdad l’infirmier, Sauvageo le garçon de courses, Djilali qui s’occupe du jardin. Et puis la guerre, les attentats, la torture, les blessés, les morts. Enfin la difficile installation en France.
C’est un texte très beau. Il y a un peu de nostalgie bien sûr puisqu’il s’agit d’un lieu et d’un temps disparus à jamais mais aucune aigreur, pas d’auto-apitoiement. De ses parents, de sa grand-mère, Maria, morte le jour de son premier anniversaire, Luce Rostoll trace le portait de gens « biens ».
Dans les années 70 j’ai passé trois ans en Algérie où mon père était coopérant. Je garde de cette époque mes plus beaux souvenirs d’enfance. Pour cette raison le livre de Luce Rostoll me touche particulièrement. J’y retrouve des impressions et des sensations qui furent aussi les miennes.
Serge Michel et Michel Beuret, La Chinafrique, Grasset
Pékin à la conquête du continent noir
Serge Michel et Michel Beuret, deux journalistes, ont enquêté en Chine et en Afrique pour écrire ce livre. Le résultat est intéressant et facile à lire. Les rencontres avec les témoins sont racontées de façon vivante, les chiffres sont frappants. L’ouvrage est illustré de photographies de Paolo Woods.
Aujourd’hui la Chine se développe à toute vitesse et pour nourrir ce développement elle a besoin de toujours plus de matières premières et de sources d’énergie (jusqu’en 1986 la Chine était le deuxième exportateur d’Asie de pétrole. Depuis 2005 elle en est le deuxième importateur mondial derrière les Etats-Unis). Dans cette course aux ressources la Chine s’est tournée vers l’Afrique. En échange des matières premières du continent elle investit, notamment dans les infrastructures : routes, chemin de fer, logements, hôpitaux…; elle fournit les gouvernements en armes, comme au Soudan.
L’Afrique est aussi devenue un débouché pour les produits manufacturés bon marché de la Chine. En 2007 la Chine est devenue le deuxième plus gros partenaire commercial de l’Afrique à la place de la France. La Chine exporte aussi une partie de son surplus de population. On rencontre de plus en plus de Chinois en Afrique. Des entrepreneurs qui ont ouvert des commerces, des restaurants, qui ont repris et renfloué des usines dont plus personne ne voulait, qui exploitent le bois. Des cadres des grandes sociétés. Des ouvriers amenés par ces sociétés pour travailler dans le bâtiment. Ils laissent leur famille au pays pour plusieurs années, ils sont logés en dortoirs et travaillent six jours sur sept pour des salaires qui peuvent être dix fois supérieurs à ce qu’ils avaient chez eux.
L’installation de la Chine en Afrique est facilitée par le fait qu’elle vient uniquement pour faire des affaires (c’est du moins sa position officielle car économie et politique sont forcément liées). Aujourd’hui les Etats-Unis et l’Europe conditionnent leur aide au développement à la démocratisation, la Chine est indifférente à la question des droits de l’homme. Cependant, pour pérenniser ses installations en Afrique, elle a besoin d’un minimum de stabilité et est donc amenée de plus en plus à intervenir.
En conclusion les auteurs s’interrogent sur l’avenir de l’implantation chinoise. Sera-t-elle une occasion de développement pour l’Afrique ? Ils veulent le croire. La Chine a « redonné à L’Afrique une vraie valeur, tant aux yeux de ses habitants qu’à l’étranger. Jamais l’Occident ne s’est autant intéressé à l’Afrique que depuis que la Chine est partie à sa conquête. Américains, Européens, Japonais ou Australiens, tous ont bien capté le message. Ils ont compris que si les Chinois se déplacent et investissent à ce point sur le continent, lui prêtent, lui achètent et lui vendent, c’est qu’il doit y avoir un intérêt qu’eux-mêmes ont sous-estimé ».
On souhaite que cette prise de conscience se fasse au bénéfice des populations africaines.
Alaa el Aswany, L’immeuble Yacoubian, Actes sud
Rue Soliman Pacha, au Caire, se trouve l’immeuble Yacoubian. L’auteur nous présente les destinées de plusieurs des habitants de cet immeuble. Taha Chazli, le fils du concierge de l’immeuble, jeune homme brillant, a dû renoncer à son rêve d’intégrer l’école de police car il n’avait pas les moyens de payer les dessous de table nécessaires pour y accéder. Amer, il se lie d’amitié avec un étudiant islamiste.
Boussaïra doit travailler pour faire vivre sa mère veuve et ses jeunes frères et soeurs. Pour arrondir ses fins de mois elle est obligée d’accepter les attouchements de ses patrons. Sa route croise celle de Zaki Dessouki, âgé de 65 ans et héritier d’une riche famille. Il vit de ses rentes dans la nostalgie de l’Egypte de sa jeunesse où la bonne société occidentalisée parlait Français et profitait ouvertement des plaisirs de la vie.
Hatem Rachid est plus jeune mais issu du même milieu. Homosexuel il courtise le conscrit Abd Rabo et essaie de se l’attacher par des cadeaux.
Le hadj Azzam est un homme d’affaires qui désire maintenant se lancer dans la politique. Alors que ses enfants sont des adultes il envisage de prendre une seconde épouse plus jeune que la première qui ne veut plus l’accueillir dans son lit.
Nous sommes à l’époque de la première guerre du Golfe et Alaa el Aswany nous décrit une société gangrenée par la corruption, l’injustice sociale et l’absence de démocratie. Dans cette société profondément inégalitaire les plus modestes ne peuvent espérer s’élever socialement (voire même survivre) que par les magouilles petites ou grandes ou le mariage pour les femmes. La corruption est généralisée et on comprend alors que l’islamisme attire des jeunes qui voient leur avenir entièrement bouché. D’autant plus que Dieu est mis à toute les sauces dans la bouche même des corrompus.
Je relève ce dialogue entre le hadj Azzam et Kamel el-Fawli, un fonctionnaire qui s’est engagé à lui faire gagner les élections moyennant un million de livres: « C’est à dire Kamel bey, que si je paie cette somme je suis sûr d’être élu, avec la permission de Dieu.
– Vous n’avez pas honte, hadj ? Vous parlez à Kamel el-Fawli. Une expérience de trente ans au parlement! Oh! Egypte, il n’y a pas un seul de tes candidats qui puisse gagner si nous ne le désirons pas. Par la volonté de Dieu. »
Ce mélange de prévarication et de bigoterie hypocrite est bien représentatif de l’ambiance générale. Au total c’est une ouverture intéressante mais bien triste sur une société sans espoir. On en ressort avec le sentiment que l’Egypte est mal partie.
Stefanie Zweig, Une enfance africaine, J’ai lu
En 1938 la famille Redlich, des Juifs allemands, fuient leur pays pour se réfugier au Kénya. Pour les parents, Walter, ancien avocat et sa femme Jettel, le changement d’habitudes est rude. Ils ont quitté une vie facile pour s’occuper d’une ferme isolée. Contraints à de trop fréquents tête à tête, travaillés par l’angoisse quant au sort de leurs parents restés en Allemagne, ils se réfugient dans la nostalgie et les souvenirs d’un passé forcément plus heureux.
Par contre, pour leur fille Regina, âgée de six ans à son arrivée au Kénya, la rencontre avec l’Afrique et le boy Owuor est une révélation:
« La peau d’Owuor exhalait un parfum merveilleux, une senteur de miel qui chassait la peur et qui métamorphosa d’un coup une petite fille en grande personne. Regina ouvrit grand la bouche pour mieux absorber cette odeur magique qui débarassait le corps de la fatigue et des douleurs. Elle sentit soudain qu’elle devenait forte dans les bras d’Owuor et elle s’aperçut que sa langue avait appris à voler. »
Regina qui était jusque là une enfant timide et réservée s’épanouit en liberté à la ferme. Elle apprend les langues des peuples des environs : Swahili, Jaluo, Kikuyu. Owuor lui enseigne le mode de pensée de son peuple. Elle mûrit rapidement, devenant celle qui doit soutenir et consoler ses parents.
L’auteur est partie de sa propre enfance pour écrire ce bon roman autobiographique. On découvre ainsi qu’il existait une petite communauté de Juifs réfugiés au Kénya dans les années 30. La plupart d’entre aux étaient des intellectuels qui avaient du se reconvertir dans des métiers manuels et les conditions d’existence n’étaient pas roses. Dix ans après leur arrivée très peu maîtrisaient correctement l’Anglais alors que leurs enfants, scolarisés dans les établissements de la colonie britannique, avaient désappris l’Allemand.
Stefanie Sweig écrit dans un style vivant et imagé. Les descriptions des paysages et des sentiments utilisent des comparaisons originales et bien vues.