Voilà encore un ouvrage qui veut casser le mythe de la shinning India. Izzi Lokku liste, en une vingtaine de courts chapitres, toutes les casseroles de l’Inde actuelle : suicides de paysans et sous-équipement des campagnes, violences inter-religieuses et ségrégation de castes, mariages arrangés et scandale de la dot… C’est facile à lire et on sent qu’Izzi Lokku est vraiment scandalisé par un certain nombre de choses qui se passent dans son pays d’origine. Bien pour un premier aperçu sur l’Inde.
Pascale Haag et Blandine Ripert, L’Inde, idées reçues, Le cavalier bleu
Ce petit livre reprend un certain nombre d’idées reçues sur l’Inde et les analyse : d’où viennent ces idées, qu’ont-elles de vrai, en quoi sont-elles fausses ? Les auteures, chercheuses spécialistes de l’Inde, s’attaquent ainsi à « les Indiens sont fatalistes », « Gandhi est le père de la non-violence », « le système des castes paralyse la société indienne » et d’autres encore.
Plus facile d’accès que L’Inde, continent rebelle; L’Inde, idées reçues se situe un peu sur le même créneau et vient bien en compléter la lecture.
J’avais d’abord écrit que [Pascale Haag et Blandine Ripert n’étaient pas elle-mêmes à l’abri des idées reçues : « le cinéma bollywoodien présente, le plus souvent, ses héroïnes en position de victimes ». J’ai en mémoire certains personnages de mères vengeresses, incarnations de Kali, poursuivant les méchants jusqu’à la mort qui sera forcément violente.] mais Joël m’invite à nuancer mon propos (voir commentaires). Je retire donc le reproche que je faisais aux auteures d’être tombées dans l’idée reçue. Mais elles auraient écrit plus justement « le cinéma bollywoodien présente, de moins en moins souvent, ses héroïnes en position de victimes ».
Viramma, Josiane et Jean-Luc Racine, Une vie paria, Plon
Viramma est une paysanne de la caste des Paraiyar (mot qui a donné paria en Français), une caste d’intouchables du sud de l’Inde. Elle vit dans un village du Tamil-Nadu, près de Pondichéry.
Josiane Racine est originaire de Pondichéry. Sa langue maternelle est le Tamoul et elle a fait ses études en France. A l’occasion de recherches en ethnomusicologie elle a fait la connaissance de Viramma et l’a interrogée sur sa vie. Les entretiens courent sur une dizaine d’années et donnent ce gros pavé de plus de 600 pages publié en 1994. Mais en fait près d’un tiers du livre consiste en notes et appendices.
Une confiance s’est créée entre Josiane Racine et Viramma qui lui raconte tous les aspects de sa vie laborieuse. Une enfance joyeuse mais de courte durée. Viramma est mariée encore enfant avec un homme adulte qu’elle ne découvre que le jour du mariage. Après la cérémonie la fillette reste vivre chez ses parents jusqu’à sa puberté deux ans plus tard qui marque le début de sa vie de couple. Les premiers temps sont difficiles pour cette adolescente, hier encore une enfant, qui doit maintenant tenir le foyer de son mari et coucher avec lui. Cependant comme il est doux et cherche à se la gagner en lui offrant de petits cadeaux elle s’attache progressivement à lui et leur union est suivie d’une période de lune de miel.
Les Paraiyar sont des paysans sans terre qui travaillent pour les plus hautes castes. La belle-famille de Viramma est ainsi attachée à une famille de propriétaires terriens. Ils travaillent pour eux dans les champs et à la maison et leurs doivent révérence. En échange les patrons ont une sorte de devoir de ré-embauche et participent aux évènements importants de la vie de leurs employés : dons et prêts pour les mariages, les enterrements… En même temps ces prêts lient les deux parties car les Paraiyar sont toujours débiteurs vis à vis des patrons.
Le travail est pénible et ne manque pas. Viramma et sa famille s’en sortent toujours de justesse. Le moindre imprévu -maladie qui réduit le nombre de bras- risque de les obliger à se serrer la ceinture.
Viramma a eu 12 enfants, trois ont atteint l’âge adulte. Elle vit dans un monde inquiétant où chaque décès ou maladie est attribué à un mauvais sort, esprit ou démon. Il faut alors s’adresser à un exorciste, porter des amulettes, faire des offrandes au dieu. C’est beaucoup d’argent pour des gens démunis qui part dans ces désenvoûtements.
Viramma a totalement intériorisé son statut d’inférieure. Elle répète à plusieurs reprises qu’elle est impure. Elle dit qu’il est normal que les Paraiyar travaillent et que les patrons commandent. Chacun doit rester à sa place. Cependant elle n’est pas non plus dans la flagornerie ni prête à se laisser marcher sur les pieds et quand des membres des hautes castes abusent de leur pouvoir elle le leur dit en langage cru. C’est une femme qui n’a pas sa langue dans sa poche. Le récit montre aussi que les choses sont en train de changer. Sous l’influence de partis politiques qui défendent les intouchables, les jeunes -dont Anbin, le fils de Viramma- commencent à refuser la servitude traditionnelle.
Malgré sa vie difficile Viramma apparaît comme une femme enjouée qui ne se laisse jamais abattre. Elle a reçu une petite formation d’accoucheuse et semble un pilier du céri, le quartier des intouchables. C’est une forte personnalité qui force l’admiration.
La lecture est parfois un peu fastidieuse (j’ai trouvé long tout ce qui concernait l’énumération des différents exorcismes) mais intéressante pour ce qu’elle montre de la vie rurale, des relations complexes entre les castes et de la solidarité des exclus.
Robert Deliège, Le système indien des castes, Septentrion
Voici un passionnant ouvrage de vulgarisation sur les castes. Qu’est-ce qu’une caste ? Quelle est l’origine des castes ? Comment les castes évoluent-elles et quel rôle jouent-elles dans le monde contemporain ?
L’auteur présente et commente les différentes réponses qui ont été apportées à ces questions par différents ethnologues. Ca m’a intéressée de découvrir les bases d’une science que je ne fréquente pas du tout habituellement et j’ai trouvé Robert Deliège tout à fait accessible à la néophyte que je suis et en même temps pointu.
Voici ce que j’ai retenu : les castes ne sont pas comptabilisées précisément mais on peut estimer leur nombre à plusieurs centaines. Certaines castes sont elle-mêmes divisées en sous-castes. Leur extension géographique peut être régionale ou nationale.
Les membres d’une caste considèrent que leur sang est différent de celui des membres d’autres castes. Comme des races ou des espèces animales. C’est pourquoi la règle d’endogamie (le fait de se marier entre soi) est particulièrement importante. Robert Deliège affirme même que c’est la caractéristique de la caste qui a le mieux résisté au temps, qu’elle se maintient voire se renforce à la fin du 20° siècle. Dans un monde moderne qui change rapidement cette endogamie peut offrir un cadre de solidarité rassurant. Appartenir à une caste c’est appartenir à une grande famille.
Enfin le système des castes peut parfaitement s’accommoder de mouvements contestataires qu’il s’empresse aussitôt de transformer en castes (la caste des sans-castes!). D’ailleurs le plus souvent les mouvements de caste ne dénoncent pas le système en tant que tel mais plutôt leur propre position au sein de ce système. Ils agissent de façon à faire « monter » leur caste, à la rendre plus honorable (c’est possible, il faut pour cela adopter les comportements des castes supérieures).
Le système des castes apparaît donc comme particulièrement vivant et vivace, sachant s’adapter à son époque. Il est loin de disparaître.