
La nuit, dans le Parc Sarmiento au coeur de la ville de Córdoba (Argentine), des prostituées trans se retrouvent autour de la Tante Encarna, leur mère à toutes, qui dit être âgée de 178 ans. Elles attendent le client en buvant de l’alcool et en sniffant de la cocaïne. Leur groupe leur apporte une solidarité nécessaire à leur survie dans une société patriarcale qui déteste et désire tout à la fois les trans. Une nuit, Tante Encarna trouve un bébé abandonné dans le parc. Elle le recueille et décide de l’élever, elle lui donne le nom d’Eclat des Yeux.
La narratrice, Camila, est une femme trans qui a fui son village et sa famille. Le jour elle étudie la communication à l’université, la nuit elle se prostitue. Elle fréquente la « pension » de Tante Encarna, refuge pour les trans flamboyantes ou plus discrètes qui s’y retrouvent.
Dans ce roman, l’autrice trans Camila Soda Villada raconte les joies et les peines d’un groupe de femmes trans. Les tranches de vie de ses personnages sont entrecoupées par des épisodes de l’enfance et de l’adolescence de la narratrice. Ce sont ces passages, largement autobiographiques il me semble, qui m’ont le plus touchée. Camila a grandi dans une famille rurale démunie. Le père est alcoolique, homophobe et violent. Elle dit que sa transidentité a été un moyen d’échapper à cette violence :
« Cet animal féroce, qui me hantait, qui était mon cauchemar : tout ça était trop horrible pour avoir envie d’être un homme. Je ne pouvais pas être un homme dans ce monde là. »
Elle dit avoir eu honte de son milieu et de sa famille. Il y a là une réflexion qui me fait penser à celle de Didier Eribon. Il y a aussi une analyse de la transidentité comme moyen de dynamiter l’ordre bourgeois hétérosexuel. J’ai trouvé tout cela très intéressant.
J’ai grandement apprécié ce roman dans lequel l’autrice introduit une part de merveilleux. J’ai apprécié le courage, l’énergie et la rage de vivre de ces femmes à la recherche d’amour. Si certaines trouvent le bonheur, leurs histoires sont souvent douloureuses ou tragiques car elles sont confrontées à la violence transphobe.
La belle photo de la couverture est l’oeuvre du photographe suédois Christer Strömholm (1918-2002) qui s’est rendu célèbre par son travail sur les trans de la place Blanche à Paris à la fin des années 1950. Dans son introduction au livre de photos Les amies de la place Blanche il écrit : « Ceci est un livre sur l’insécurité. Une description de gens vivant une existence à part, dans la grande ville de Paris. C’est un livre sur l’humiliation, sur l’odeur des putains et la vie nocturne des cafés. C’est un livre sur la quête de sa propre identité, sur le droit à la vie, sur le droit de disposer de son corps. Mais c’est aussi un livre sur l’amitié, un témoignage sur la vie que nous vivions dans le quartier de la place Blanche et de la place Pigalle. »
Une description qui va aussi très bien avec Les vilaines.
L’avis d’Ingannmic.
Une lecture pour le défi Juin, mois des fiertés.

on espère plus de tolérance dans tous les milieux sociaux quand je lis ce genre d’affirmation ; »l’ordre bourgeois hétérosexuel » moi qui est connu l’intolérance paysanne et à travers des récits l’intolérance du milieu ouvrier , je sais que la bourgeoisie n’est vraiment pas ce que l’on fait de pire en la matière?
Ici « ordre bourgeois hétérosexuel » vise une norme plutôt que des individus. Je suis par ailleurs d’accord avec toi sur l’intolérance paysanne et ouvrière d’autant plus que la narratrice dit bien comment elle a été maltraitée dans son village.
Il y a donc une large part autobiographique dans ce roman ?
J’ai bien l’impression. L’autrice s’est elle-même prostituée et a fait des études de communication. Tout ce que dit la narratrice concernant ses sentiments, son ressenti d’enfant trans, m’est apparu comme très personnel.
Voilà un billet qui fait plaisir, je vois que nous ressortons de cette lecture avec le même enthousiasme et la même émotion…