Cet ouvrage est précédemment paru en français sous le titre La mémoire retrouvée. Son nouveau titre est fidèle à l’original : The hare with amber eyes. Edmund de Waal est un céramiste d’art britannique. En 1994, à la mort de son grand-oncle Iggie, il hérite d’une collection de 264 netsuke (dont le lièvre aux yeux d’ambre). Les netsuke sont de petits objets sculptés dans un matériau dur (ivoire, bois), qui permettaient de faire tenir sa bourse à la ceinture de son kimono. L’auteur décide de se lancer dans une enquête sur l’histoire de sa collection et celle de sa famille, les Ephrussi, deux histoires qui sont liées depuis la fin du 19° siècle.
C’est Charles Ephrussi, cousin de Viktor von Ephrussi, l’arrière-grand-père d’Edmund de Waal, qui achète la collection complète dans les années 1870 à Paris où il vit dans le quartier du parc Monceau. Ce quartier est alors en plein aménagement et abrite de riches familles juives : les Ephrussi, les Camondo, les Rotschild. Charles est un amateur d’art et un mécène qui soutient Manet. Il fréquente l’élite culturelle de l’époque, est un des modèles du personnage de Swann pour Proust. On le retrouve aussi dans le Journal d’Edmond de Goncourt dont l’antisémitisme et la misogynie me révulsent. C’est l’époque du japonisme qui explique l’engouement pour les netsuke. L’auteur détaille les sensations que lui procure le toucher et la manipulation de ces petits objets.
En 1899, Charles offre la collection comme cadeau de mariage à son cousin Viktor von Ephrussi. Viktor est banquier et vit à Vienne avec son épouse Emmy. L’aînée de leurs enfants, Elisabeth, était la grand-mère de l’auteur. La famille vit dans un immense palais à l’angle du Ring et de la Schottengasse et passe ses vacances en Tchécoslovaquie. Ces Ephrussi là aussi apparaissent dans la littérature contemporaine, eux aussi suscitent des propos antisémites. En 1938 le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne nazie entraîne aussitôt des humiliations et des violences antisémites choquantes. Je retrouve ce que j’avais découvert dans Les enfants d’Asperger. Charles et Emmy sont spoliés de leurs biens. Ils arrivent à fuir pour la Tchécoslovaquie où Emmy meurt, puis Elisabeth fait venir son père auprès d’elle en Grande-Bretagne. Lisez le livre pour savoir comment les netsuke sont réapparus après la guerre et comment Iggie, le frère d’Elisabeth, les a ramenés au Japon en 1947. C’est l’occasion de nous présenter la situation du pays après sa défaite.
Edmund de Waal est donc le quatrième propriétaire des netsuke. Lui qui pensait passer quelques mois sur son histoire familiale y a consacré deux ans. Il a voyagé sur les traces de ses ancêtres, est allé voir les lieux, a exploré les archives publiques et familiales. Le résultat est passionnant. Je regrette un peu qu’il n’y ait pas une petite bibliographie. L’auteur termine son enquête par un retour aux sources à Odessa d’où était originaire le patriarche Charles Joachim Ephrussi. Cela m’a donné envie de lire quelque chose sur cette ville.
L’avis de Luocine.