Tout commence par la découverte fortuite, près d’une île indonésienne, d’une espèce de salamandres marines capables de marcher sur les pattes arrières et de se servir d’outils. Utilisées comme main d’oeuvre gratuite, instruites par les hommes (les femmes sont quasiment absentes du roman), les salamandres progressent rapidement : elles parlent, elles lisent !
« Cette même salamandre sait lire, mais seulement les journaux du soir. Elle s’intéresse aux mêmes sujets que l’Anglais moyen et réagit d’une manière analogue, c’est-à-dire selon les idées reçues. Sa vie intellectuelle, dans la mesure où elle en a une, se compose de conceptions et d’opinions courantes à l’heure actuelle ».
Et surtout elles se multiplient et prolifèrent bientôt. Devenue vingt fois plus nombreuse que l’espèce humaine, l’espèce des salamandres va-t-elle dominer la planète ?
L’excellent roman que voici ! Sous une forme hilarante, l’histoire de l’asservissement des salamandres est pour Karel Čapek l’occasion de pourfendre l’exploitation capitaliste à outrance et la destruction de l’environnement qu’elle entraîne, la traite des esclaves, la colonisation, le racisme, le nationalisme… Et tout ceci en faisant rire ! Il est aussi question de bien-être animal et du déni des dirigeants européens face à la guerre qui vient, le roman étant paru en 1935. Bref, on pourrait dire que, sur un ton très ironique, le sujet est la bêtise humaine auto-satisfaite, l’incapacité à envisager une nouvelle stratégie commune même quand les preuves s’accumulent des conséquences négatives de celle en cours.
J’allais écrire que, 90 ans après sa rédaction, ce récit n’a pas pris une ride. Ce n’est pas tout à fait vrai. Il me semble qu’aujourd’hui Karel Čapek pourrait y mettre quelques personnages féminins plus consistants comme le laisse penser cet échange de Mme Povondra avec son mari au sujet de « l’assassin qui a tué cette femme » : « Je crois qu’ils ne vont pas l’attraper (…) Quand quelqu’un tue une femme, c’est bien rare qu’il soit pris ».
Pour le reste, si on remplace la montée du nazisme et la course aux armements par la crise écologique contemporaine, on est dans une actualité brûlante, c’est le cas de la dire vu les 40°C qu’il a fait récemment chez moi. Avec les regrets du lampiste vis-à-vis des jeunes générations : « Je voudrais seulement, soupira le vieux monsieur, je voudrais seulement que ces enfants me pardonnent » -alors même que ceux qui auraient les moyens de changer les choses continuent de foncer dans le mur.
J’ai beaucoup ri en lisant ce livre, je ris moins en réfléchissant à sa portée pour écrire ce compte-rendu. La preuve du talent, je crois. C’est une très belle découverte pour moi et je pense que je vais continuer à explorer l’oeuvre de Karel Čapek.
Figure toi que l’on revoit ce roman sur ls blogs et je le relirais bien, tiens. Oui, il est excellent!
Oui, je l’ai découvert récemment à la faveur de son retour sur les blogs.
Après cette formidable Guerre des salamandres, je te recommande La maladie blanche, si visionnaire là aussi. Quel talent chez Karel Capek!
Ça tombe bien, il est à ma bibliothèque.
Un auteur que la blogosphère m’a fait découvrir et que j’adore moi aussi, je n’ai pas encore lu celui-ci.
A lire, à lire !
Aperçu samedi dernier dans cette même édition, je crois que je vais décidément finir par le lire (mais plutôt par emprunt en bibli…).
Merci pour ce nouveau poids dans la balance qui la fait pencher du bon côté 😉
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola
Il fait l’unanimité, semble-t’il.
Très heureux de lire que tu as beaucoup apprécié ce livre. Je partage tout à fait ton avis, il y a de l’humour mais en même temps une telle justesse dans la dénonciation des travers de nos sociétés. Un excellent livre !
Oui, excellent. Merci de me l’avoir fait connaître.